Notules
dominicales de culture domestique n°150 - 7 mars 2004
DIMANCHE.
Tradition. J'achète La Bougie
du Sapeur, quotidien quadriennal paraissant tous les 29 février,
qui en est à son numéro 7. Numéro exceptionnel car
accompagné pour la première fois d'un supplément,
La Bougie du Sapeur Dimanche. J'aimerais pouvoir acheter le prochain,
qui paraîtra le dimanche 29 février 2032.
Tradition (ou ce qui est en passe de le devenir).
Je passe la fin de l'après-midi au cyber-café pour peaufiner
et envoyer les notules.
TV. Snobs (Jean-Pierre Mocky,
France, 1961 avec Francis Blanche, Michel Lonsdale, Gérard Hoffmann,
Noël Roquevert; diffusé sur CinéClassics en février
2002).
En remontant à la préhistoire de Mocky (il s'agit ici de
son troisième film), on s'aperçoit que dès l'origine
il avait choisi sa voie : une manière provocante, abrupte, de tirer
en gros sur tout ce qui bouge. Dans Snobs, le P.D.-G. d'une coopérative
laitière se noie dans une de ses cuves. Quatre prétendants
briguent son trône et recherchent l'appui de l'église (pas
de film de Mocky sans soutane, c'est une loi), de l'armée (pas
de Noël Roquevert sans uniforme, c'est en une autre), de la finance
et de la presse, quatre institutions qui constituent autant de cibles
de choix. Inutile de chercher une once de subtilité, il n'y en
a pas : dès ses débuts, Mocky pose les jalons de ses quarante
ans (pour l'instant) de carrière, c'est à prendre ou à
laisser, il ne changera pas d'un iota.
LUNDI.
Informatique. Je recouvre la plus
grande partie de mes moyens, réussis à rétablir la
connexion internet. La boîte à lettres de Caroline a disparu
corps et biens. La mienne contient une demande d'abonnement aux notules.
Je recommence à travailler sur mes grimoires, avec prudence. Inutile
de verser dans l'euphorie, nous ne sommes que dans l'entre-deux pannes.
Courrier. F. m'adresse des documents
officiels sur les nouveaux modes de scrutin appliqués aux prochaines
élections régionales.
TV. La grande lessive (Jean-Pierre
Mocky, France, 1968 avec Francis Blanche, Bourvil, Roland Dubillard, Michel
Lonsdale, Jean Poiret, Jean Tissier, Marcel Pérès; diffusé
sur CinéClassics en février 2002).
Deux professeurs et un chimiste partent en guerre contre la télévision.
Ils courent sur les toits pour vaporiser sur les antennes un produit qui
brouille la réception des programmes.
1968, et déjà la télévision présentée
comme une nuisance pour les enfants, puisque c'est pour pouvoir capter
à nouveau l'attention de leurs élèves que les deux
professeurs ont décidé de passer à l'action. C'est
un Mocky grand public, avec une riche interprétation, plutôt
efficace dans sa première partie avec une succession de gags réjouissants
construits sur les attitudes face à la télévision.
On finit, comme souvent chez Mocky, par se lasser, la course poursuite
entre les saboteurs et les forces de l'ordre est bien longue. J'ai dit
à plusieurs reprises que Francis Blanche n'avait jamais été
gâté par le cinéma. En fait, s'il y a une exception
à cette règle, c'est dans les films de Mocky qu'il faut
la chercher.
Curiosité. On note la présence conjointe, aux génériques
de Snobs et de La grande lessive, de Francis Blanche, Roger
Legris et Rudy Lenoir.
MARDI.
Vie scolaire. J'apprends que mes élèves
ne verront pas le deuxième film de l'opération "Collège
au cinéma" : un(e) tâcheron(ne) de l'Inspection Académique
a oublié de nous envoyer le courrier contenant le calendrier des
séances et me fout en l'air plusieurs heures de travail. Qu'on
essaie d'oublier d'envoyer un courrier à l'Inspection Académique...
TV. Quand passent les faisans
(Édouard Molinaro, France, 1965 avec Paul Meurisse, Bernard Blier,
Jean Lefebvre; diffusé sur France 3 en ?).
Deux escrocs minables entrent au service d'un filou de haut vol.
C'est toujours un peu la même chose avec ces comédies des
années 60 : on se réjouit de les revoir surtout à
cause des interprètes et on s'ennuie au bout d'un moment devant
l'indigence du scénario. Ici, Bernard Blier réutilise exactement
les mêmes mimiques que dans Les Tontons flingueurs, sorti
deux ans auparavant. L'adaptation est signée Albert Simonin et
les dialogues sont dus à un Audiard en petite forme.
Réplique. "On peut tout demander à mon cerveau, sauf
de s'arrêter de penser."
MERCREDI.
Informatique (suite). Poursuite de
l'opération restauration. Je retrouve des choses que je croyais
perdues, des brouillons d'écrits, mes publicités murales...
Mieux, et inespéré, je parviens à ouvrir le catalogue
de la bibliothèque de Georges Perec, ce que j'avais renoncé
à faire depuis longtemps.
Cinéma. Feux rouges
(Cédric Kahn, France, 2003 avec Jean-Pierre Darroussin, Carole
Bouquet, Vincent Déniard, Charline Paul, Jean-Pierre Gos).
Antoine se dispute avec Hélène dans la voiture qui les emmène
dans les Landes, où ils doivent retrouver leurs enfants. Hélène
choisit de continuer le voyage en train.
Quand on évoque Simenon, on pense à la mise en place d'un
climat, d'une certaine atmosphère. Ce film, tiré d'un de
ses romans, prouve qu'il pouvait être aussi, à ses heures,
un redoutable tricoteur d'intrigue. Cédric Kahn nous installe à
la place du mort dans une voiture conduite par un alcoolique, situation
terriblement inconfortable, au cours d'une nuit cauchemardesque, la descente
aux enfers d'un Antoine qui voit son désir de sortir des rails
(les constructions géométriques des plans d'ouverture) se
réaliser au-delà ce ce qu'il pouvait en attendre. Dans le
rôle, Darroussin, meilleur seul qu'accompagné, joue la performance.
Cédric Kahn, quant à lui, exprime, quatre ans après
Roberto Succo, son intérêt pour les figures de monstres et
sa capacité à élever le film de genre, le polar,
à un excellent niveau.
JEUDI.
Courrier. Je reçois la liste
des livres sélectionnés pour le Prix René-Fallet.
Informatique (suite). Je profite de
l'embellie et des nouveaux tarifs Wanadoo pour allonger de façon
substantielle mon abonnement internet. Il est assez inconfortable de travailler
ou de s'éjouir avec un oeil rivé sur le compteur.
Conscience professionnelle. Caroline
est en formation sur la dépendance tabagique, formation menée
par une docteur Beurrier qui ferait mieux, aptonymiquement parlant, de
s'occuper de diététique.
TV. Tiens ton foulard, Tatiana
(Pidä huivista kiinni, Tatjana, Aki Kaurismäki, Finlande,
1993 avec Kati Ourinen, Matti Pellonpää, Kirsi Tykkyläinen,
Mato Valtonen, Elina Salo, Irma Junnilainen; diffusé sur Canal
+ en ?).
Finlande, années 60. Deux hommes partent en virée en compagnie
de deux touristes rencontrées en chemin.
Je découvre à rebours, à la suite de L'Homme sans
passé, l'oeuvre de Kaurismäki, qui apparaît décidément
comme un drôle d'oiseau. Le voici qui nous embarque dans un road
movie minimaliste avec deux gaillards (l'un carbure au café-cigare,
l'autre à la vodka-cigarette) qui n'échangent quasiment
pas un mot entre eux ni, a fortiori, avec leurs deux passagers. Où
est-on ? Où va-t-on ? On n'en sait rien, on se promène,
on écoute du rock d'époque et chaque halte est prétexte
à une succession de plans fixes et muets où se dissimulent
tendresse et dérision. L'habillage du film (noir et blanc) et sa
durée (65 minutes) participent à son originalité.
Ce n'est pas chez tous les cinéastes que l'on peut entendre un
échange sur les vertus respectives de la clé de 14 à
oeil et à douille.
VENDREDI.
Courrier. Je reçois le premier
numéro de mon abonnement à Positif. J'écris à
GN, à Y et aux M & M.
Aménagement du territoire.
Profitant de l'embellie informatique, nous procédons à la
délocalisation des appareils. Ceux-ci, cantonnés jusqu'alors
au grenier, descendent d'un étage. Caroline a acheté un
meuble pour les installer à côté du bureau, le genre
de construction à monter soi-même où même les
schémas semblent traduits de façon fantaisiste.
TV. Série noire (Alain
Corneau, France, 1979 avec Patrick Dewaere, Marie Trintignant, Myriam
Boyer, Bernard Blier, Jeanne Herviale; diffusé sur CinéCinémas
en août 2001).
Frank Poupart, représentant minable rêve du gros coup : le
magot de la tante de Mona, une cliente qui n'hésite pas à
prostituer sa nièce.
Je revois ce film tous les trois ou quatre ans avec le même plaisir.
C'est le point de rencontre idéal, la conjonction parfaite de trois
talents : Jim Thompson, auteur du roman au départ (Des cliques
et des cloaques, Série Noire n° 1106, pas mal élagué
pour la circonstance), Alain Corneau pour la mise en scène et l'adaptation
(en collaboration avec Georges Perec qui signe les dialogues) et Patrick
Dewaere dans le rôle de sa vie. La transposition de l'action d'Oklahoma
City à une banlieue parisienne sinistre est une parfaite réussite.
Si l'on est pris d'une vague de pessimisme, le meilleur moyen d'en sortir
est de penser à Dewaere, dansant seul avec son transistor dans
un terrain vague dont la boue lui colle aux semelles comme la mouise lui
colle aux basques, au son de Moonlight Fiesta de Duke Ellington.
Réplique. "Avec toi, toutes les maisons deviennent des taudis.
Tiens, t' aurais vu ma mère, comment elle se débrouillait,
elle, avec l'eau sur le palier, avec... pas d'aspirateur...
- Mais j' suis pas ta mère, moi !
- Et tu t'en vantes !"
SAMEDI.
Football. S.A. Épinal - F.C.
Dijon (2) 1 - 0.
TV. Boomtown (série
américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg,
Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 15 et 16, diffusés
sur Canal + le soir-même).
Une histoire de pédophilie qui tourne au mélo moralisant.
Deux épisodes décevants.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°151 - 14 mars 2004
DIMANCHE.
Courriel. J.S. annonce la venue imminente
dans les Vosges d'une moitié du Rêve du Diable.
Mode de vie. La nouvelle localisation
du parc informatique va entraîner un changement d'habitudes, ce
qui correspond pour moi à un tremblement de terre. Jusqu'à
présent, je ne visitais la bête qu'au cours de deux séances
quotidiennes, de six à sept heures du matin et du soir, hormis
bien sûr pour la longue cérémonie des notules. Ces
deux sessions me suffisaient pour consulter mon courriel et mettre à
jour mes écrits : je ne surfe pas sur la toile (la consultation
d'une demi-douzaine de sites favoris, pour la plupart perecquiens ou tenus
par des perecquiens suffit à mon bonheur), je ne charge pas de
musique, d'images encore moins. Les escaliers à monter, la décoration
spartiate du grenier et la crainte de laisser trop longtemps les filles
livrées à elles-mêmes réfrénaient toute
velléité d'en savoir et d'en faire plus. Désormais,
un forfait confortable et une machine immédiatement accessible
vont changer la donne. La plume va moins servir : beaucoup des choses
que j'écris pourront être tapées sans passer par la
phase du brouillon manuscrit, les chroniques cinématographiques
et littéraires destinées aux notules, par exemple. Reste
à savoir si je vivrai cela comme un confort ou une astreinte supplémentaires.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002
avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard
Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 7, diffusé
sur Canal Jimmy le 29 février 2004).
Où la police de Baltimore découvre les vertus du palindrome
vertical : un numéro de téléphone incompréhensible,
521071111 cache le message, lisible après une rotation de 180°,
1111 LO 12 S. Enfin, lisible pour lesdits policiers (il s'agit d'une sorte
de code postal).
Lecture. Nécropolis
(City of the Dead, Herbert Lieberman, 1976; Éditions du
Seuil, 1977, pour la traduction française; traduit de l'américain
par Maurice Rambaud; coll. Points, P 165; 520 p., 5,70 ).
Le docteur Paul Konig est le médecin légiste en chef de
la morgue de New York. Il doit identifier deux cadavres atrocement mutilés
retrouvés enterrés en bordure de l'East River et libérer
sa fille kidnappée par un dangereux gang.
Dans le civil, Herbert Lieberman est directeur de publication au Reader's
Digest Book-Club. Il passe donc le plus clair de son temps à couper,
élaguer, raccourcir, résumer des livres. C'est probablement
en réaction qu'il a concocté ce pavé interminable,
d'une lecture fort pénible qui me fait penser qu'à mon âge
il serait peut-être temps de cesser de vouloir à tout prix
ramasser les livres qui me tombent des mains. Ce livre est un tirage à
la ligne éhonté, traduit médiocrement, qui ne manque
ni d'incohérence (tête du chapitre 14 : "10 heures du
matin. Bureau de Konig." Konig lit une lettre, puis "Konig rit
tout haut. Il lève les yeux, surpris par l'écho de son rire
qui se répercute dans le silence de la nuit."), ni de ridicule
("La vieille dame tend le cou et le regarde en louchant, avec une
expression étrangement reptilienne, un regard de créature
préhistorique et primitive; comme un lézard qui fouette
lentement l'air de sa queue dans un crépuscule précambrien").
L'idée de faire un héros de polar d'un médecin légiste
n'était pourtant pas mauvaise (Patricia Cornwell saura l'utiliser
plus tard avec le personnage de Kay Scarpetta, qui apparaît en 1990)
mais s'avère gâchée par des descriptions morbides
d'une complaisance malsaine. C'est une déception car je gardais
un assez bon souvenir du Concierge, un autre polar de Lieberman
datant de 1998.
LUNDI.
Réactions aux notules. T. me
parle d'Aki et Mika Kaurismäki et m'annonce son engagement au festival
"Jazz sous les pommiers" à Coutances.
Toile. Le SAS football a un site internet.
http://sas.wmi.fr J'envoie le
lien aux anciens camarades de gradins.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002
avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard
Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 8, diffusé
sur Canal Jimmy le 7 mars 2004).
Plus ça avance, plus ça se complique. Le spectateur qui
a entamé la série plein de bonne volonté est aujourd'hui
totalement perdu. A ce rythme, le dénouement sera synonyme de délivrance.
MARDI.
Informatique. Caroline reçoit
son ordinateur portable. Nous passons la soirée à jouer
les aruspices, à essayer de voir ce que renferment les entrailles
de la bête. Inutile de dire que nous nous couchons fort tard et
fort frustrés.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète la Bible
du contrepet en Bouquins, un polar d'Alan Watt et des billets de train.
Ubu by bus. Je prends le bus devant
la gare pour retourner at home. Depuis quelques semaines, la vénérable
Société de Transports Automobiles des Hautes Vosges, qui
assurait entre autres les déplacements urbains de l'agglomération
spinalienne, a cédé la main à une nouvelle société,
la Connex. Rien que le changement d'appellation prouve qu'on a changé
de monde. Cependant, les bus sont toujours d'un confort aussi capiteux,
les chauffeurs aussi aimables et le système est resté le
même : soit on achète une carte de 10 voyages dans un bureau
de tabac, soit on achète un billet à l'unité auprès
du conducteur. C'est ce que s'apprête à faire la dame qui
monte devant moi. Problème : le chauffeur n'a plus de tickets.
Qu'à cela ne tienne, dit la dame, je ne tapisse pas mon salon avec,
voici mes soixante-dix centimes, merci beaucoup, je vais m'asseoir. Le
chauffeur : "Désolé, je ne peux pas vous accepter à
bord sans ticket, vous n'avez qu'à attendre le prochain."
Ce qu'elle ferait peut-être encore à cette heure si je n'avais
proposé (après tout, j'ai fréquenté le catéchisme)
à la dame de me donner ses sous et au chauffeur de prendre deux
voyages sur ma carte.
Courrier. Une carte postale des VJ,
en vacances à Tenerife, peut-être le meilleur endroit pour
apprendre l'allemand au soleil.
JEUDI.
Bougies. Trois ans de notules aujourd'hui.
Courriel. Les messages indésirables,
accompagnés de lourds fichiers, pleuvent. Je suis certain que l'ordinateur
contient un virus, même si Norton m'affirme que je suis désespérément
sain. Je me mets en quête de nettoyants plus abrasifs.
TV. Deux (Claude Zidi, France,
1989 avec Gérard Depardieu, Maruschka Detmers; diffusé sur
CinéCinémas en ?).
Un coureur de jupons achète une maison et tombe amoureux de la
responsable de l'agence immobilière chargée de la vente.
Il veut l'épouser mais a du mal à changer son mode de vie.
C'est un véritable ovni dans la carrière de Claude Zidi,
plutôt spécialiste de la comédie plus ou moins fine.
Il se lance ici dans le sérieux, le "un homme et une femme"
avec réflexion sur le couple, la fidélité, le désir
sur fond de ... musique contemporaine dont le héros est une sorte
de promoteur. C'est vraiment surprenant, pas désagréable,
un brin ridicule par moments mais ça date de l'époque où
Depardieu avait les épaules assez larges pour soutenir à
lui tout seul un projet bancal.
Curiosité. On remarque la présence de Marc Betton, le commissaire
Meurteaux de la série P.J., dans un rôle de policier comme
il se doit.
VENDREDI.
Voyage. Je pars pour Paris par le
17 heures 22.
Lecture. Si par une nuit d'hiver
un voyageur (Se una notte d'inverno un viaggiatore, Italo Calvino,
1979; Éditions du Seuil 1981 pour la traduction française;
traduit de l'italien par Danielle Sallenave et François Wahl, coll.
Points, P 90; 302 p.).
La première chose que j'ai vue en arrivant à Sienne le 20
août 1996, c'est l'hôpital Santa Maria della Scala, une vieille
bâtisse du XIV° siècle. Je savais que Calvino y était
mort, en 1985, et c'est le seul lien que j'aie eu avec cet auteur jusqu'à
aujourd'hui. Bien sûr, je connaissais l'existence de Si par une
nuit d'hiver une voyageur mais ce livre m'avait toujours fait peur.
Calvino a toujours eu pour moi l'image d'un oulipien austère et
je n'avais jamais osé ouvrir ce livre. J'avais entendu parler des
contraintes qui le parcouraient, des obscurs carrés de Greimas
qui le structuraient et m'avaient fait fuir. Fuite injustifiée
puisque, comme La Vie mode d'emploi qui doit aussi apparaître
à beaucoup comme un monument effrayant, Si par une nuit d'hiver
un voyageur se lit très bien à un degré zéro,
sans s'occuper des contraintes.
On y suit un Lecteur, à qui l'auteur s'adresse directement ("Tu
vas commencer le nouveau livre d'Italo Calvino..."), bientôt
accompagné d'une Lectrice et d'autres comparses, partir à
la recherche d'un roman mystérieux car inachevé. Il ne parvient
à mettre la main que sur les premières pages de divers avatars
du livre, que Calvino nous livre dans des chapitres alternés avec
ceux qui racontent la quête de son Lecteur. Au fur et à mesure,
le lecteur (moi) devient partenaire du lecteur qui est dans le livre,
partage son désir et ses frustrations, son envie d'en savoir plus.
Les différents débuts de romans imaginés par Calvino
appartiennent à divers genres romanesques (roman d'espionnage,
d'apprentissage, politique, familial, d'aventures, érotique japonais...)
et s'arrêtent tous brusquement au grand dam des lecteurs.
Le livre s'accompagne de réflexions sur les rapports romancier
- lecteur, sur l'authenticité, sur le travail d'écrivain,
sur l'activité du lecteur. Le dernier chapitre propose une sorte
de typologie du lecteur tout à fait pertinente et passionnante.
En fait, Calvino apparaît comme un écrivain bifrons, avide
de raconter des histoires (le livre, comme La Vie mode d'emploi,
pourrait être sous-titré "Romans") et observateur
précis de son art, de l'environnement et de l'économie de
celui-ci, rejoignant alors le Perec sociologue, celui d'Espèces
d'espaces et autres textes théoriques.
Extrait. "Dans la vitrine de la librairie, tu as aussitôt repéré
la couverture et le titre que tu cherchais. Sur la trace de ce repère
visuel, tu t'es aussitôt frayé chemin dans la boutique, sous
le tir de barrage nourri des livres-que-tu-n'as-pas-lus qui, sur les tables
et sur les rayons, te jetaient des regards noirs pour t'intimider. Mais
tu sais que tu ne dois pas te laisser impressionner. Que sur des hectares
et des hectares s'étendent les livres-que-tu-peux-te-passer-de-lire,
les livres-faits-pour-d'autres-usages-que-la-lecture, les livres-qu'on-a-déjà-lus-sans-avoir-besoin-de-les-ouvrir-parce-qu'ils-appartiennent-à-la-catégorie-du-déjà-lu-avant-même-d'avoir-été-écrits.
Tu franchis donc la première rangée de murailles : mais
voilà que te tombe dessus l'infanterie des livres-que-tu-lirais-volontiers-si-tu-avais-plusieurs-vies-à-vivre-mais-malheureusement-les-jours-qui-te-restent-à-vivre-sont-ce-qu'ils-sont.
Tu les escalades rapidement, et tu fends la phalange des livres-que-tu-as-l'intention-de-lire-mais-il-faudrait-d'abord-en-lire-d'autres,
des livres-trop-chers-que-tu-achèteras-quand-ils-seront-revendus-à-moitié-prix,
des livres-idem-voir-ci-dessus-quand-ils-seront-repris-en-poche, des livres-que-tu-pourrais-demander-à-quelqu'un-de-te-prêter,
des livres-que-tout-le-monde-a-lus-et-c'est-comme-si-tu-les-avais-lus-toi-même.
Esquivant leurs assauts, tu te retrouves sous les tours du fortin, face
aux efforts d'interception des livres-que-depuis-longtemps-tu-as-l'intention-de-lire,
des livres-que-tu-as-cherchés-des-années-sans-les-trouver,
des livres-qui-concernent-justement-un-sujet-qui-t'intéresse-en-ce-moment,
des livres-que-tu-veux-avoir-à-ta-portée-en-toute-circonstance,
des livres-que-tu-pourrais-mettre-de-côté-pour-les-lire-peut-être-cet-été,
des livres-dont-tu-as-besoin-pour-les-aligner-avec-d'autres-sur-un-rayonnage,
des livres-qui-t'inspirent-une-curiosité-soudaine-frénétique-et-peu-justifiable.
Bon. Tu as au moins réussi à réduire l'effectif illimité
des forces adverses à un ensemble considérable, certes,
mais cependant calculable, d'éléments en nombre fini, même
si ce relatif soulagement est mis en péril par les embuscades des
livres-que-tu-as-lus-il-y-a-si-longtemps-qu'il-serait-temps-de-les-relire
et des livres-que-tu-as-toujours-fait-semblant-d'avoir-lus-et-qu'il-faudrait-aujourd'hui-te-décider-à-lire-pour-de-bon."
SAMEDI.
Morphée. Je dors peu. Ce n'est
pas un motif de satisfaction, je n'ai pas dit "je me contente"
ni encore moins "je me satisfais de peu de sommeil" mais je
dors peu, c'est comme ça. Ce n'est pas non plus une source de confort,
je n'ai pas dit "j'ai besoin de peu de sommeil". J'ai besoin
d'autant de sommeil que tout le monde mais je dors peu. Heureusement,
je dors bien. Je me couche tard, m'endors instantanément ("Parfois,
à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite
que je n'avais pas le temps de me dire "Je m'endors.") et me
réveille très tôt. J'ouvre un oeil, dix secondes après
je suis debout, trois minutes plus tard je suis à mon bureau en
attendant que le café passe. Cette situation m'oblige à
vivre dans un déficit constant et à utiliser tout moment
et tout lieu disponible dans la journée pour partir à la
recherche du sommeil manquant. Là, j'ai de la chance, je possède
la capacité de m'endormir presque instantanément où
et quand je veux. En train, en bus, en voiture, à la bibliothèque,
au cinéma, au travail et même parfois au lit, je n'ai qu'à
me dire "je dors" pour m'endormir. Je dors peu, donc, sauf trois
ou quatre nuits dans l'année, trois ou quatre matins où
je me réveille à la même heure que d'habitude et où,
miracle, je parviens à me rendormir, une fois, deux fois, trois
fois, dans un état de béatitude complet. Cela se passe en
général en vacances (mais uniquement la première
nuit, après c'est fichu, ça ne marche plus) ou ici, dans
cet hôtel où j'ai passé les meilleures nuits de ces
dernières années. Ce matin, j'en tiens une : j'ai réussi
à me rendormir jusqu'à 7 heures passées, c'est la
première des trois ou quatre nuits de l'année, je jubile.
Vie parisienne. Petite chambrée
au séminaire Perec à Jussieu pour entendre Chiara Nannicini
parler du "récit digressif dans La Vie mode d'emploi
de Georges Perec et Si par une nuit d'hiver un voyageur d'Italo
Calvino." Récit digressif, c'est-à-dire parenthèse,
hors-sujet, récit enchâssé dans un récit-cadre,
procédés utilisés abondamment mais de façon
différente par les deux auteurs, signe de leur goût pour
la "racontouze" et parfaitement analysés par la conférencière.
La journée se poursuit de façon classique, entre le Petit
Cardinal et la Bibliothèque des Littératures Policières
où ma nuit historique ne m'empêche pas de piquer un petit
roupillon. Ni d'oublier mon écharpe, ce qui vaut mieux qu'un portefeuille.
Cinéma (Action Écoles,
rue des Ecoles). La folle ingénue (Cluny Brown, Ernst Lubitsch,
E.-U., 1946 avec Charles Boyer, Jennifer Jones, Peter Lawford; vu dans
le cadre du festival "The Lubitsch Touch").
Londres, 1938. Le plombier ne peut venir déboucher l'évier
d'un client. Cluny Brown, la nièce du plombier, prend sa place.
Chez le gentleman, elle fait la connaissance de Belinski, un écrivain
qui a fui l'Europe de l'Est et la montée du nazisme. Plus tard,
Belinski retrouve Cluny chez les Carmel, une famille de nobles campagnards
où elle a été engagée comme domestique.
L'art de Lubitsch apparaît ici comme une mécanique de haute
précision. La minutie du découpage, la qualité des
dialogues, la drôlerie des situations sont telles que le temps passe
à une vitesse folle. On retrouve les thèmes habituels du
réalisateur, la menace de la guerre et un personnage qui vient
bouleverser un microcosme très ordonné. Le fait que Cluny
Brown s'adonne à la plomberie donne lieu à des sous-entendus
à peine déguisés : c'est elle qui manie les outils
et répare les tuyaux. Son caractère franc et entier détonent
dans une Angleterre figée qui ne voit pas les dangers qui pèsent
sur l'Europe. La satire d'une société absurdement compartimentée
et réglée est féroce mais Lubitsch est tout sauf
un lourdaud. C'est par l'ironie, la finesse q'il touche et il préfère
égratigner qu'assommer. Le jeu de Jennifer Jones est lui un peu
outré mais les seconds rôles sont formidables, en particulier
Peter Lawford dans le rôle du nobliau anglais anglissime qui ne
supporte pas que les étrangers portent des noms étrangers
et croit que Hitler a écrit un livre sur les boys-scouts intitulé
My Camp.
Bonne semaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°152 - 21 mars 2004
DIMANCHE.
Vie parisienne. Je passe la matinée
à faire progresser ma Mémoire louvrière (pas
de ciné-club avec Claude-Jean Philippe ce matin, le film est trop
long et me ferait manquer mon train), essentiellement dans le cabinet
1 de la salle 8, aile Richelieu, deuxième étage (Pays germaniques,
XVI° siècle). Je m'use les yeux pour repérer la minuscule
signature des Cranach, un serpent ailé filiforme et sinueux tenant
en sa gueule un anneau, suis impressionné par la sérénité
des personnages portraiturés par Holbein. Je tente une incursion
dans les salles abritant l'exposition consacrée aux Primitifs français
mais c'est très peuplé, presque irrespirable et surtout
inutile dans la mesure où beaucoup des tableaux sont habituellement
visibles au deuxième étage (dont la fameuse Pietà
de Villeneuve-lès-Avignon) dans des salles fort peu fréquentées.
Je tente de lire le JDD aux Tuileries mais le temps est encore trop frais
pour que je m'adonne à la lecture en plein air. J'achète
des macarons pour ne pas rentrer les mains vides, croûte une salade
à L'Écu de France, bien que je me méfie des salades
: j'ai remarqué que la plupart des gens qui mangeaient des salades
dans les restaurants étaient gros, j'ai peur de devenir comme eux.
Gare de l'Est, il y a un peu plus d'uniformes que d'habitude suite aux
attentats de Madrid mais le 13 heures 44 part à 13 heures 44. J'ai
pour la première fois l'honneur de voyager dans le Téoz,
dernière mouture des trains Corail. Téoz, peut-être
parce qu'il constitue une sorte d'apothéose technologique pour
la SNCF, bien décidée à se battre sur le marché
intérieur. Les messages diffusés par haut-parleurs ont été
amplifiés et agrémentés d'un léger écho,
pour sonner comme dans les halls d'aéroport. Le compartiment dans
lequel je me trouve (je ne peux juger des autres, les vitres fumées
interdisent de voir à l'avance le sort qui vous attend) me fait
penser à l'intérieur d'un car de transfusion sanguine. On
attend une infirmière et c'est le contrôleur qui arrive.
Bien entendu, à ce stade, plus question de réclamer des
billets aux voyageurs : on demande des titres de transport aux clients.
De même, je suis sûr que si vous voyagez sans ce fameux titre,
on ne vous colle plus une amende mais une surcharge tarifaire. A la SNCF,
il n'y a que l'écartement des rails qui ne change pas.
Home. A mon retour, je trouve des
nouvelles de l'Aveyron, un CD de Vincent Malone, deux demandes d'abonnement
aux notules dont une en provenance d'Italie et plusieurs annonces des
entretiens Perec - Nadeau diffusés sur France Culture au cours
de la semaine à venir.
LUNDI.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002
avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard
Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 9, diffusé
la veille sur Canal Jimmy).
Ce n'est déjà pas facile à suivre d'ordinaire, mais
là, c'est carrément obscur avec une réception satellite
défaillante qui transforme l'écran en kaléidoscope
ou en mosaïque la moitié du temps.
MERCREDI.
Vie sociale. Visite de Clin et Gervais,
le Rêve du diable canal historique, qui donnent quelques
concerts dans les Vosges cette semaine et nous apportent des nouvelles
du Québec ainsi que leur dernier CD. Alice s'occupe de leur enseigner
les subtilités de l'univers des Télétubbies.
Cinéma. Les Choristes
(Christophe Barratier, France, 2004; avec Gérard Jugnot, François
Berléand, Kad Merad, Jean-Paul Bonnaire, Marie Bunel, Paul Chariéras,
Carole Weiss, Philippe du Janerand, Éric Desmaretz, Jacques Perrin,
Didier Flamand).
1949. Clément Mathieu, professeur de musique sans emploi, accepte
un poste de pion dans un centre de rééducation pour mineurs.
Opposé aux méthodes autoritaires du directeur, il crée
une chorale qui lui permet d'amadouer les pensionnaires.
Il n'est pas besoin de connaître La Cage aux rossignols de
Jean Dréville (1945, avec Noël-Noël) dont ce film est
le remake pour deviner sans se tromper toutes les péripéties
de l'histoire. Histoire édifiante qui convenait peut-être
au climat de l'après-guerre (voir Le Père tranquille
du même Noël-Noël) mais plutôt pontifiante, voire
bêtifiante aujourd'hui. Du film gentil, on est passé au film
mièvre, et Jugnot, qui était encore crédible dans
son Monsieur Batignole, ne l'est plus du tout ici. C'est dommage
parce qu'on aime encore croire aux belles histoires, mais trop, c'est
trop, et le sirop se fige dans la gorge. L'utilisation qui est faite des
enfants confine au détournement de mineurs.
JEUDI.
TV. Boomtown (série
américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg,
Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 17 et 18, diffusés
sur Canal + le 13 mars 2004).
Fin de la première saison d'une série qui n'a pas tenu ses
promesses, les audaces formelles du début ayant été
rapidement mises sous l'éteignoir.
VENDREDI.
Lecture. Viridis Candela (Carnets
trimestriels du Collège de 'Pataphysique n° 11, 15 mars 2003;
130 p., sur abonnement).
Ce numéro est pour une très grande part consacré
à Maurice Saillet, qui peut être considéré
comme le fondateur du Collège de 'Pataphysique, mort en 1990. C'est
lui qui en effet devait utiliser pour la première fois cette appellation
le 11 mai 1948, à la Maison des Amis des Livres tenue par Adrienne
Monnier. C'est en 1943 que Saillet, alors âgé de 18 ans,
était venu habiter au 3, rue de l'Odéon, à deux pas
de la librairie d'Adrienne qu'il commença de fréquenter
assidûment. De ce point stratégique, Saillet vit passer à
peu près tout ce qui a compté dans la littérature
d'après-guerre, en compagnie d'autres observateurs éclairés
comme François Caradec et Pascal Pia. Un article revient sur l'affaire
de La Chasse spirituelle, faux inédit de Rimbaud, affaire
à laquelle participa Saillet et qui demeure bien obscure. P. Lié
offre 101 anagrammes sur le nom de Maurice Saillet, de "Mets l'ail
à cuire" à "Marie sait le cul".
Courrier. Une carte postale de J.,
à Paris, et des nouvelles des G. J'envoie une revue de presse à
Y. et des aptonymes à AZ : un docteur Chaste, obstétricien
à Reims, une demoiselle Dauphin, maître-nageur en Meurthe-et-Moselle,
ce qui me fait penser que la piscine d'Épinal s'appelle "Piscine
René-Goujon".
Musique. Concert du Rêve du
Diable à Golbey. C'est l'occasion de voir que les deux compères
sont toujours aussi agiles de la glotte, des phalanges et des galoches,
l'occasion aussi de revoir bon nombre d'anciennes trognes qui ont beaucoup
fait pour la prospérité de l'industrie houblonnière,
et qui continuent d'ailleurs puisque je suis le seul à carburer
à la limonade. Garlamb'Hic, le groupe dans lequel j'ai achevé
ma carrière musicale, est au complet, ce qui ne s'était
pas produit depuis une demi-douzaine d'années, avec X. en provenance
de Montréal et H. venu d'Orange pour l'occasion, ce qui permet
de remuer des souvenirs et de pousser quelques airs en commun en fin de
soirée. Je me couche fort tard, un rien ballonné par la
limonade.
SAMEDI.
TV. La grande vadrouille (Gérard
Oury, France, 1966 avec Bourvil, Louis de Funès, Terry Thomas,
Benno Sterzenbach, Marie Dubois; diffusé sur France 2 en mars 1995).
La courte nuit, la journée comateuse - la limonade, sans doute
- et le transistor collé à l'oreille pour savoir si le F.C.
Metz va réussir à sauver sa peau en première division
m'interdisent de regarder quelque chose de plus ambitieux. Pas de regret,
revoir des films qu'on connaît par cœur permet de s'apercevoir qu'on
ne les connaît pas par cœur.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°153 - 28 mars 2004
DIMANCHE.
TV-Radio. Soirée électorale
(France 2, France 3, France Culture, France Info).
Les soirées électorales sont, avec les retransmissions sportives,
les seuls programmes télévisés que je suis encore
en direct. J'aime bien la politique. J'ai un passé très
lointain et très bref de militant, d'adhérent plutôt,
j'ai des convictions, auxquelles je n'hésite pas d'ailleurs à
tordre le cou dès que ça m'arrange. J'aime bien ce qui,
le plus souvent, énerve pas mal de monde : les petites phrases,
les costumes de Jack Lang, les permanentes de Michèle Alliot-Marie,
les reporters de France 3 incapables d'écorcher moins d'un nom
sur deux, les reportages aux Q.G. de campagne avec ces militants qui traînent
les pieds en désespérant de voir s'ouvrir le buffet et qui,
s'apercevant qu'ils sont dans le champ d'une caméra, prennent soudain
un air profond et affairé pour consulter un papier qu'ils tirent
de leur poche et qui doit être la liste des commissions qu'ils ont
oublié de faire, j'aime les euphémismes (Sarkozy : "La
majorité connaît un léger tassement") et le parler
vrai (Jean-Pierre Masseret, tête de liste socialiste en Lorraine
à Jean-Jacques Aillagon : "Le fait est que vous avez ramassé
une belle veste"), j'aime les analyses des politologues qui, trente
seconde après les premiers résultats partiels, dressent
le portrait du pays pour les quinze années à venir, j'aime
les débats, les "Ne m'interrompez pas, je vous ai laissé
parler", les "Soyons sérieux", les "Plutôt
que de défaite, je crois qu'il faut parler de", j'aime les
camemberts et les fourchettes, les estimations, les projections et les
simulations, j'aime l'application politiquement correcte, c'est le cas
de le dire, avec laquelle les candidats adressent leurs remerciements
aux électrices et aux électeurs, aux Françaises et
aux Français, aux Lorraines et aux Lorrains, aux Rhône-alpines
et aux Rhône-alpins, aux Corses et aux Corses.
LUNDI.
TV. M'sieur la Caille (André
Pergament, France, 1955 avec Jeanne Moreau, Philippe Lemaire, Robert Dalban,
Roger Pierre; diffusé sur Cinécinéma Classic en ?).
Une prostituée attise la rivalité de trois hommes prêts
à tout pour obtenir ses faveurs.
C'est l'adaptation de Jésus la Caille, roman de Francis
Carco, dans laquelle on trouve tout ce qu'on imagine trouver dans les
romans de Carco quand, comme moi, on ne les a pas lus : Montmartre
et Pigalle, les rues luisantes de pluie, les chambres d'hôtel et
les rades à gagneuses, les mauvais garçons qui manient une
langue verte brillante et soignée (les dialogues sont de Frédéric
Dard). La mise en scène très statique et les décors
en carton-pâte ne parviennent pas à donner à ces éléments
une véritable identité cinématographique. Reste l'occasion
de revoir Philippe Lemaire, mort la semaine dernière.
Coïncidence. Jésus la Caille est adapté au théatre
(Espace Cardin à Paris) avec Marie Laforêt à partir
du 16 avril.
MARDI.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002
avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard
Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 10, diffusé
le 21 mars 2004 sur Canal Jimmy).
Pas de problème technique ce soir. Si je continue à n'y
rien comprendre c'est surtout en raison d'un endormissement prématuré.
Lecture. Dégâts des
eaux (Drowned Hopes, Donald Westlake, 1990, éditions
Payot & Rivages, coll. Rivages/Thriller 2003 pour la traduction française;
traduit de l'américain par Jean Esch; 446 p., 21 ).
Tom Jimson débarque chez son ancien compagnon de cellule Dortmunder.
Il veut que celui-ci l'aide à récupérer le butin
d'un hold-up qu'il a enterré avant d'aller en prison. Problème
: la petite ville où est caché le trésor a été
engloutie pour permettre la construction d'un barrage.
On pensait que la carrière de Westlake était parfaitement
suivie par les éditeurs français et on découvre ici
un livre seulement traduit alors qu'il date de 1990. Ce qui n'a guère
d'importance dans la mesure où, à la différence du
Wallander de Henning Mankell par exemple dont les aventures paraissent
dans le désordre le plus complet, Dortmunder, le héros récurrent
de Westlake, n'évolue absolument pas d'une histoire à l'autre.
Ses relations sont toujours les mêmes avec sa compagne May et avec
ses copains, les plus ou moins calamiteux Andy Kelp, Stan Murch et Tiny.
L'œil et la plume de Westlake, son humour, son inventivité, sont
également inamovibles et ne connaissent pas de baisse de tension,
ce qui fait de chacun de ses romans un moment de lecture délicieux.
On notera tout de même que c'est dans cette aventure qu'apparaît
pour la première fois le personnage de Wally Knurr, petit génie
de l'informatique que l'on retrouvera plus tard. Voici la description
qu'en fait Westlake pour sa première apparition : "A vingt-quatre
ans, Wally Knurr était bien parti pour devenir un personnage d'une
de ses fictions interactives. (...) Individu tout rond et flasque, aussi
blanc qu'un yaourt à la vanille, Wally mesurait 1,50 mètre
et pesait 140 kilos, dont très peu de muscle. Ses yeux attendrissants,
semblables à deux oeufs à la coque dont le jaune aurait
viré au bleu, clignaient en toute confiance derrière ses
épaisses lunettes, et la seule autre tache de couleur en lui, c'était
le rouge humide de ses lèvres trop généreuses. Alors
que son cerveau était sans doute une merveilleuse machine, encore
plus merveilleuse que tous les ordinateurs qui envahissaient le salon,
l'emballage n'était pas de première qualité."
A comparer avec son portrait dans Au pire, qu'est-ce qu'on risque ?,
qui date de 1996 : "Wally Knurr, égal à lui-même,
tel un gentil petit pâté à la viande. Un gros joufflu
d'environ vingt-cinq ans, cent quarante kilos dépourvus de la moindre
tonicité musculaire, ramassés en une boule d'un mètre
quarante, si bien qu'il était à peu près aussi haut
que large et qu'il paraissait tout à fait arbitraire, dans son
cas, que les pieds se trouvent en bas et la tête au sommet. Cette
tête était une réplique miniature du corps, comme
si Wally Knurr était un bonhomme de neige fabriqué avec
du saindoux, et des yeux en guimauve bleue derrière de gros verres
de lunettes et une betterave en guise de bouche. (Apparemment, les fabricants
n'avaient pas trouvé de carotte, aussi n'avait-il pas de nez.)"
Où il apparaît que Wally s'il a pris à peine un an
dans un intervalle de six années, a tout de même perdu une
dizaine de centimètres.
Curiosité. Pour les aider dans la recherche du trésor, les
protagonistes font appel à Justin Scott, un personnage bien réel,
auteur d'un titre traduit à la Série Noire (T'as le bonjour)
en 1973.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète un recueil de mots-valises, une
biographie de Zo d'Axa et la traduction du Tristram Shandy de Sterne.
TV. Football. Les gros matous du Real
jouent avec la souris monégasque qui s'en sort presque indemne
(4 - 2).
JEUDI.
Le saviez-vous ? "Perec s'interdisait
d'utiliser le l". Le Figaro littéraire du jour. On en apprend
tous les jours.
TV. Ces messieurs de la famille
(Raoul André, France, 1968, avec Michel Serrault, Jean Poiret;
diffusé sur France 3 en ?).
Un industriel doit faire signer un contrat important à un client
étranger. Le projet est menacé par les excentriques qui
composent sa famille.
Les titres des films réalisés par Raoul André (La
Polka des menottes, Des frissons partout, Le Bourgeois gentil
mec, Ces messieurs de la gâchette, La dernière
bourrée à Paris, Y'a un os dans la moulinette,
etc.) sont suffisamment éloquents pour qu'on sache à quoi
s'attendre en les regardant. Celui est d'une aimable idiotie et a le mérite
de rassembler une belle brochette de comédiens peu avares de leur
peine et peu soucieux de leur réputation dans des rôles qu'ils
connaissent par cœur : Francis Blanche en Américain parlant avec
l'accent allemand, Annie Cordy en soubrette, Michel Galabru en policier
surmené, Darry Cowl en farfelu, Jean Yanne en malfrat, Michel Serrault
en bourgeois dépassé par les événements et
Jean Poiret en robe de chambre.
Faux raccord : Jean Poiret sort la Mercedes du garage, volant à
droite, puis descend de la voiture. Cut. Plan suivant, Michel Serrault
monte dans la voiture et s'installe au volant... situé à
gauche.
VENDREDI.
Courrier/Courriel. Les deux H. m'adressent
des propositions d'aptonymes. FP m'annonce sa sélection pour le
jury du Livre Inter. J'envoie une revue de presse à Y.
Presse. On annonce la sortie en DVD
de Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg (1971). Le
film est surtout connu pour abriter le premier grand rôle d' Al
Pacino. Il m'intéresse principalement parce que le scénario
est signé Joan Didion, une romancière américaine
dont j'ai lu un jour un livre par curiosité, ce qui ne m'a pas
donné envie de posséder ses oeuvres complètes.
SAMEDI.
Football. SA Spinalien - ES Thaon
1 - 0.
Thaon-les-Vosges est une localité située à une dizaine
de kilomètres d'Épinal. Outre trois notuliens, elle abrite
un club de football où beaucoup de joueurs d'Épinal viennent
s'engager après s'être fâchés avec leur entraîneur,
leurs dirigeants, leur capitaine, leur femme, la municipalité qui
les emploie généreusement ou la terre entière. La
rivalité est donc forte entre les deux clubs et le derby a attiré
la foule des grands jours (935 spectateurs). Le stade de la Colombière
sonne moins le creux qu'à l'habitude, la tribune officielle affiche
complet. On y note même la présence de la candidate UMP aux
cantonales, promise le lendemain à un second tour difficile, et
dont la passion pour le football doit être équivalente à
celle que j'ai pour la danse de salon.
TV. Rugby. France - Angleterre 24
- 21 et un huitième grand chelem à la clé. Je me
couche légèrement courbaturé après cette fin
de journée très sportive.
Bon dimanche.
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