Notules
dominicales de culture domestique n°145 - 1er février 2004
DIMANCHE.
TV. The Shield (série
américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison
2, épisodes 6 & 7, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Le deuxième épisode se termine sur un rebondissement en
forme de véritable coup de poing à l'estomac pour le téléspectateur.
Mais ce n'est pas ce qui me préoccupe au sujet de cette série.
Depuis un moment j'essaie d'imiter le cri, la vocifération, l'espèce
d'aboiement jaculatoire que pousse Vick Mackey quand il décroche
son téléphone de poche. Ce n'est pas "Yes",
trop doux, c'est à mi-chemin entre le Yeah et le Yep
avec un iiiiiii très long, un glissando vers une deuxième
syllabe très courte qui s'interrompt comme si elle s'écrasait
contre un mur. C'est propre à dissuader quiconque d'essayer de
l'appeler à nouveau et à le faire regretter de l'avoir fait
en cette occasion. Je me promets de tester ce cri au prochain appel que
je reçois sur mon téléphone de poche. Je n'ai pas
droit à l'erreur : je reçois environ trois appels par an.
Lecture. "53 jours"
(Georges Perec, texte établi par Harry Mathews et Jacques Roubaud;
P.O.L. éditeur, 1989; rééd. Gallimard, coll. Folio
n° 2547; 322 p.).
Relecture.
"Il s'agit du dernier roman - inachevé - de Perec, publié
sept ans après sa mort. Les douze premiers chapitres sont rédigés
et donnent lieu à une mise en abyme assez vertigineuse d'enquêtes
policières. La seconde partie nous est donnée sous forme
de notes préparées par l'auteur. Difficile donc de s'imaginer
ce que l'ensemble fini aurait pu donner. Comme d'habitude, l'intérêt
s'éveille lorsqu'on apprend les contraintes qui parcourent le livre,
à savoir les allusions à Stendhal, particulièrement
à La Chartreuse de Parme (écrit en 53 jours), les
références au miroir (allusion à la citation "un
roman est un miroir qui se promène le long d'une route") et
au Colonel Chabert de Balzac. Encore une fois, la lecture est intrigante,
fascinante et cette fois frustrante du fait de l'inachevé."
Il y a peu à ajouter à ce que j'écrivais en novembre
1994 à la suite de ma première lecture. "53 jours"
est peut-être le seul texte perecquien qui ne gagne pas à
être relu, je veux dire par là qu'il ne révèle
pas les aspects cachés que le lecteur persévérant
découvre dans les autres livres. "53 jours" n'est
pas un puzzle comme La Vie mode d'emploi, c'est un mur. On ne peut
ni le contourner, ni voir au travers, la mort de son auteur fait obstacle.
C'est un texte qui d'ailleurs, malgré sa richesse (les listes,
brouillons, canevas, recherches de Perec n'ont jamais été
aussi copieusement dévoilés), est très peu étudié.
Je n'ai pas souvenir d'avoir assisté à une séance
du séminaire qui lui ait été consacré.
On peut pourtant facilement se lancer à la recherche des allusions
à Stendhal, traquer les souvenirs autobiographiques (le collège
d'Étampes), repérer les clins d'œil (Mathias Henrijk auteur
du roman Od Rädek), trouver des occurrences du nombre 11.
On peut mais on ne le fait pas vraiment, le cœur n'y est pas, à
cause de l'impossibilité de se figurer le livre fini voulu par
Perec. Peut-être aussi parce que ce livre fini qu'on entrevoit est
un peu décevant : cet enchevêtrement de romans dans le roman
est difficile à suivre, compliqué, et le suspense est loin
d'être insoutenable. Mais là encore, impossible de trancher,
d'imaginer ce que Perec aurait fait à partir de ce matériau.
Extrait (qui tend à prouver que Perec avait tout prévu).
"Il m'a suffi de relire ces quelques notes pour comprendre que je
faisais fausse route. Je cherche, malgré moi, une transcription
claire, une allusion transparente. Mais je ne la trouverai pas. Ce n'est
pas aussi simple. Rien de ce qui est raconté dans ce livre, je
veux dire au premier degré, au niveau des seuls événements,
ne saurait être considéré comme suffisamment compromettant
pour qui que ce soit pour avoir mis en danger la vie de Serval. Il a pourtant
disparu après avoir affirmé que la vérité
était dans son livre. (...)
La vérité est dans ces pages. Elle doit y être. Mais
où ? Parmi les innombrables chemins possibles, lequel m'y conduira
?"
LUNDI.
La Disparition.
J'attendais cela depuis des années. France Culture rediffuse
cette nuit Le bon plaisir de Jean-Christophe Averty. Télérama
dit que l'émission date de 1991, je me rappelle l'avoir entendue
vers 1995, c'était peut-être déjà une rediffusion.
C'était de toute façon l'époque où France
Culture n'avait pas peur de la durée et consacrait l'après-midi
entière du samedi à une personnalité, où tout
n'était pas saucissonné comme aujourd'hui en tranches de
30, 60 ou 90 minutes maximum. Je me souviens encore des "Il faut
tout garder, il ne faut rien jeter" de J.C.-A. parlant de sa manie
de collectionneur, des phrases que j'ai érigées en principes
et qui font que j'éprouve toujours un peu de honte à balancer
les jouets cassés, usés ou délaissés des filles
alors que je conserve scrupuleusement les tickets de métro utilisés
lors de mes voyages à Paris. Bref, tout était prêt
: radio, programmateur, cassettes, réveil. A une heure du matin,
stupeur : France Culture a disparu. Sur la fréquence habituelle,
un galimatias inaudible, ailleurs, rien. Stupeur. C'est la première
fois que ça arrive et il fallait que ça arrive cette nuit.
J'ai du mal à me rendormir après ce coup du sort.
Courriel. Y. lance un appel pour retrouver
des photos de notre adolescence.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton,
Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode
9, diffusé sur Canal + le 25 janvier 2004).
Les extra-terrestres débarquent (enfin) pour récupérer
la jeune Allie, leur envoyée sur terre. Et moi qui me demandais
pourquoi France Culture avait disparu.
MARDI.
Courriel. Un abonnement aux notules
en provenance de Champagne.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002
avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard
Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 2, diffusé
sur Canal Jimmy le 25 janvier 2004).
MERCREDI.
Emplettes. J'achète les écrits
autobiographiques de Rousseau en Pléiade.
Cinéma. Albert est méchant
(Hervé Palud, France, 2004 avec Michel Serrault, Christian Clavier,
Arielle Dombasle, Priscilla, Bernard Farcy, Ged Marlon, Hans Meyer, Jackie
Berroyer, Véronique Boulanger, Patrick Mille).
Patrick essaie de récupérer l'héritage de son père,
échu à un ermite ronchon, Albert. Albert accepte de céder
le pactole. Pendant le temps des formalités, il s'installe chez
Patrick où son mode de vie crée le désordre.
Malheureusement, Albert n'est pas un vrai méchant. C'est juste
un personnage qui cache un cœur d'or sous des dehors bourrus, un bon sauvage
(n'oublions pas que j'ai acheté Rousseau ce matin), un de plus
pour Michel Serrault dont c'est désormais la spécialité
(Une hirondelle a fait le printemps, Le Papillon). Il y
a tromperie sur la marchandise, car le film est en fait un plaidoyer pour
les "vraies" valeurs, pour la "vraie" vie, pour la
"vraie" nature, celle des films de Jean Becker, du Bonheur
est dans le pré (Serrault, déjà), celles des
publicités pour le Crédit Agricole et les eaux minérales.
Clavier est bien sûr l'antithèse de Serrault, un pharmacien
typique qui vit dans une "gated community", passe plus de temps
au golf que dans son officine et part en vacances à Saint-Barth'.
Au cours d'une scène de repas, le joyeux désordre semé
par Albert évoque furtivement Boudu sauvé des eaux et Michel
Simon mais c'est tout. Un bon point pour Arielle Dombasle, toujours à
l'aise dans ses rôles de grande bourgeoise écervelée.
JEUDI.
Météo. Divine surprise
au réveil. Le jardin est transformé en piste noire.
La radio
annonce que les transports scolaires sont annulés. C'est la deuxième
fois que ça se produit depuis que je travaille. La première,
j'avais tout de même bravé les intempéries et rallié
le collège où j'avais passé la journée à
déneiger la cour en compagnie de la poignée d'élèves
présents. Cette fois, pas question de mettre un pneu dehors par
un temps plus propice à sortir les bâtons de ski que les
bâtons de craie. Les filles sont aussi privées d'école
et on s'occupe comme on peut.
Courrier. J'envoie des coupures et
des photos passées à Y., des photocopies de l'article de
La Dépêche à T., N., M.D. et L. Je mets fin à
mon abonnement aux Cahiers du cinéma, immédiatement remplacé
par un abonnement à Positif, la maison d'en face. Après
Télérama, Les Cahiers sont passés sous la coupe du
Monde, et on assiste à l'émergence d'une sorte de pensée
unique dans le domaine de la critique cinématographique qui me
dérange un peu.
TV. Boomtown (série
américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg,
Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 7 et 8, diffusés
sur Canal + le 24 janvier 2004).
Un camionneur cause un accident de la route. Les prises de sang révèlent
qu'il s'était bourré d'amphétamines pour conduire
18 heures d'affilée. De plus en plus fréquemment apparaissent
dans les fictions américaines des personnages qui cumulent les
heures de travail, qui exercent parfois deux métiers pour nourrir
leur famille et principalement faire bénéficier celle-ci
d'une couverture sociale. Ça m'étonnerait que ce ne soit
que dans la fiction d'ailleurs.
VENDREDI.
Politique. Le tribunal de Nanterre
déclare Alain Juppé inéligible pour une période
de dix ans. Qu'il n'en soit pas trop marri : je n'aurais de toute façon
jamais voté pour lui.
Lecture. Extension du domaine de
la lutte (Michel Houellebecq, Maurice Nadeau, 1994; rééd.
J'ai Lu, coll. Nouvelle génération, n° 4576; 162 p.).
Un informaticien peu convaincu de l'intérêt de son métier
sombre peu à peu dans la dépression.
Retour vers le Houellebecq des origines avec ce premier roman, histoire
de voir si Napoléon déjà perçait sous Bonaparte.
La réponse est oui. C'est sûr, cette Extension est
assez réduite, ne possède pas l'ampleur des Particules
élémentaires et de Plateforme qui suivront mais
on y trouve condensés les traits qui feront l'intérêt
et le succès de Houellebecq : un pessimisme fondamental, un ton
provocateur qui se teinte parfois de complaisance (voir la façon
dont les femmes sont traitées), une vision noire de la vie, une
peinture féroce du monde du travail, une analyse intéressante
des rapports humains. Ce qui manque de consistance, c'est la partie fiction,
les péripéties trop souvent abandonnées au profit
du discours théorique. D'après celui-ci, le sexe "se
comporte comme un système de différenciation au moins aussi
impitoyable que celui de l'argent", le libéralisme économique
et le libéralisme sexuel produisant "des phénomènes
de paupérisation absolue". "En système économique
parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables;
d'autres croupissent dans le chômage et la misère. En système
sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique
variée et excitante; d'autres sont réduits à la masturbation
et la solitude." En refusant les règles de ce système,
le narrateur se condamne à l'isolement, à l'incompréhension,
à l'autodestruction.
Extrait. "Véronique était "en analyse", comme
on dit : aujourd'hui, je regrette de l'avoir rencontrée. Plus généralement,
il n'y a rien à tirer des femmes en analyse. Une femme tombée
entre les mains des psychanalystes devient définitivement impropre
à tout usage, je l'ai maintes fois constaté. Ce phénomène
ne doit pas être considéré comme un effet secondaire
de la psychanalyse, mais bel et bien comme son but principal. Sous couvert
de reconstruction du moi, les psychanalystes procèdent en réalité
à une scandaleuse destruction de l'être humain. Innocence,
générosité, pureté... tout cela est rapidement
broyé entre leurs mains grossières. Les psychanalystes,
grassement rémunérés, prétentieux et stupides,
anéantissent définitivement chez leurs soi-disant patientes
toute aptitude à l'amour, aussi bien mental que physique; ils se
comportent en fait en véritables ennemis de l'humanité.
Impitoyable école d'égoïsme, la psychanalyse s'attaque
avec le plus grand cynisme à de braves filles un peu paumées
pour les transformer en d'ignobles pétasses, d'un égocentrisme
délirant, qui ne peuvent plus susciter qu'un légitime dégoût.
Il ne faut accorder aucune confiance, en aucun cas, à une femme
passée en entre les mains des psychanalystes. Mesquinerie, égoïsme,
sottise arrogante, absence complète de sens moral, incapacité
chronique d'aimer : voilà le portrait exhaustif d'une femme "analysée"."
SAMEDI.
Courrier. Je reçois une compilation
du groupe Machin, dont j'ai côtoyé un peu les musiciens il
y a vingt-cinq ans, quand ils accompagnaient les débuts d'Hubert-Félix
Thiéfaine. Rien qu'à l'écouter, j'ai les cheveux
qui repoussent.
Vie sociale. Nous croûtons chez G.N., qui m'offre une
photo de bar clos prise à Damelevières. Nos épouses
nous sauront gré de ne pas avoir trop remué les souvenirs
de guerre de la 83/08.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°146 - 8 février 2004
DIMANCHE.
Anniversaire. Le 2 février
1954, la pharmacie du quartier de Saint-Laurent à Épinal,
dont Caroline est la quatrième titulaire, ouvrait ses portes pour
la première fois. Dans une lettre récente, le premier pharmacien
se souvient de cette première journée passée à
vendre des pastilles Pullmoll à des clients plus curieux que souffrants.
Lectures scolaires.
1. Le Médecin volant (Molière, 1645, rééd.
Pocket 2000, coll. Classiques n°6232, préface, notes et "Clés
de l'œuvre" par Christine Séva; 194 p.).
2. Sganarelle ou Le Cocu imaginaire (Molière, 1660, même
volume que la pièce précédente).
3. Matin brun (Franck Pavloff, Cheyne éditeur, 1998; 14
p., 1 ).
4. La farce de Maître Pathelin (Anonyme, v. 1464, traduit
par Édouard Fournier, 1872, Librio n° 580, 98 p.).
5. La farce du cuvier (Anonyme, XV° siècle, texte modernisé
par Micheline Moreau et Flossie Robinet, même volume que la pièce
précédente).
TV. The Shield (série
américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison
2, épisodes 8 & 9, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Le premier épisode marque la fin d'un cycle particulièrement
brillant et haletant. Curieusement, le second nous mène quatorze
mois en arrière pour raconter les débuts de Vick Mackey
à la tête de sa strike team. Est-ce signe que les scénaristes
manquaient d'idées pour aller de l'avant ? Est-ce un épisode
tourné précédemment et qu'on avait jugé indigne
de figurer en ouverture de la série ? Toujours est-il que c'est
assez décevant et que l'intérêt de ce flash-back ne
saute pas aux yeux, des yeux rapidement clos d'ailleurs.
LUNDI.
Tradition. Je fais des crêpes
en compagnie des souvenirs de ma grand-mère Lucie Didion, de sa
petite maison et de ses grands jardins rue de la Chandeleur, des courses
d'escargots que j'y organisais, de sa voisine Mme Cacheur qu'elle appelait
obstinément Mme Gacheur, de la véranda et du mastic aux
vitres, de la cave et du garde-manger grillagé, de la télévision
où je vis le match d'ouverture de la Coupe du Monde 1970 (Mexique
0 - URSS 0), de la radio qui passait "Satisfaction" et
"Les copains d'abord" en 1965, de mon bras et de sa jambe
cassés, elle en tombant de son poirier, moi d'une fenêtre,
du café de la Chandeleur qui n'est plus qu'un élément
de mes Bars clos, du jour où elle m'a récupéré
sur le toit, du chemin de l'Égalité qui menait de chez elle
à chez mes cousines, des deux jours de permission exceptionnelle
que j'obtins, militaire, pour assister à son enterrement et à
celui de ma cousine B. assassinée juste avant ou juste après,
de la pâte à crêpes, nous y revoilà, qu'elle
utilisait comme colle à papier peint.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton,
Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode
10, diffusé sur Canal + le 1° février 2004).
Final interminable pour cette série qui laisse sur le sentiment
de s'être fait berner, appâté par le nom de Spielberg.
Les promesses du début n'ont pas été tenues. La chanson
d'Emmylou Harris pendant le générique final est une mince
consolation.
MARDI.
Courrier. Je reçois des nouvelles
des M & M. On semble un peu amer du côté de La Garenne-Colombes.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002
avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard
Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 3, diffusé
sur Canal Jimmy le 1° février 2004).
MERCREDI.
Emplettes. J'achète un polar,
un livre sur les chiffres et des billets de train.
Cinéma. Le retour (Vozrashchenyie,
Andreï Zviaguintsev, Russie, 2003 avec Vladimir Garin, Ivan Dobronravov,
Konstantin Lavronenko, Natalya Vdovina, Galina Petrova).
Après dix ans d'absence, un père revient dans la vie de
deux jeunes adolescents et les emmène en voyage jusqu'à
une île déserte.
Les enfants croient d'abord partir pour une partie de pêche, sont
tout à la joie de retrouver ce père disparu. Ils doivent
vite déchanter : le père est dur, les met à l'épreuve,
ne desserre les dents que pour leur donner des ordres. L'aîné
se plie à l'autorité, le plus jeune se rebelle et ose affronter
ce personnage énigmatique. Le voyage est long, son but inconnu,
on pense à Wim Wenders (Au fil du temps) et il n'est pas
interdit, c'est du moins la liberté que j'ai prise, de piquer un
petit roupillon entre deux étapes. Le final tragique reprend à
l'envers les éléments d'ouverture de l'histoire, la tour,
l'eau, le père endormi, faisant de ce Retour une oeuvre
d'une construction rigoureuse et parfaite. Les enfants mesurent le fossé
qui existe entre leur rêve (l'île au trésor, la robinsonnade)
et la réalité qui les projette brutalement dans le monde
adulte. Un beau film, pas toujours facile, récompensé par
le Lion d'Or du Festival de Venise 2003 et une belle performance alphabétique
pour Andreï Zviaguintsev qui, pour son premier film, se classe à
l'antépénultième rang de mes Films vus, entre
Andrzej Zulawski et Edward Zwick.
JEUDI.
Projet de vacances. La lecture, dans
La Liberté de l'Est, d'un écho intitulé " 'Frédérique
coiffure' devient 'Design Hair' " me donne l'idée d'entreprendre
un nouveau chantier photographique consacré à ces enseignes
audacieuses. Titre provisoire : "Reperto Hair".
Courrier. J.S. m'envoie de Montréal
une brassée des dernières chroniques de Pierre Foglia parues
dans La Presse.
J'envoie des coupures à Y., J. et N., réponds aux M &
M.
Cinéma. Violence des échanges
en milieu tempéré (Jean-Marc Moutout, France, 2003 avec
Jérémie Rénier, Laurent Lucas, Cylia Malki, Olivier
Perrier, Samir Guesmi, Martine Chevalier, Pierre Cassignard, Nozha Khouadra,
Dani, Bernard Sens, Valérie Kéruzoré).
Philippe, "junior" d'un cabinet de consultation en entreprise,
est appelé à conduire un audit sur une usine de province
promise au rachat et donc à la restructuration, synonyme de licenciements.
Dans une production française qui semble de plus en plus ne jurer
que par et pour la comédie, Jean-Marc Moutout fait preuve d'un
certain courage en s'attaquant au monde du travail. Un milieu qui est
donc traité rarement, mais avec talent, voir Xavier Beauvois (Selon
Matthieu), Éric Zonca (La Vie rêvée des anges),
Philippe Le Guay (Trois huit) et surtout Laurent Cantet (Ressources
humaines). C'est principalement à ce dernier qu'on pense en
voyant ce film qui reprend la situation du jeune cadre propulsé
dans un monde ouvrier traditionaliste et, selon ses critères, archaïque.
On y trouve la même opposition entre les milieux géographiques,
d'un côté la Défense filmée comme la Tativille
de Playtime, de l'autre la province, les enveloppes humaines (allures,
vêtements) et surtout les langages. Là où Laurent
Cantet est nettement plus fort, c'est dans l'opposition émotive,
les hésitations de Philippe, pris entre son ambition professionnelle
et son amour pour une fiancée socialement consciente sont loin
d'avoir l'intensité de l'affrontement père-fils de Ressources
humaines. A noter que dans le rôle de consultant en entreprise
(il joue le chef de Philippe), Laurent Lucas apparaît beaucoup plus
dangereux et inquiétant que dans celui du chirurgien fou qu'il
tenait dans Qui a tué Bambi de Gilles Marchand.
VENDREDI.
Vacances. Je pars pour Paris par le
14 heures 50.
Lecture. Palafox (Éric
Chevillard, Editions de Minuit, 1990; rééd. Éditions
de Minuit, coll. "double" n° 25, 2003; 194 p., 6,70 ).
Palafox fait irruption dans la famille Buffoon. Palafox est sorti d'un
oeuf, sur la table du petit déjeuner. Palafox est donc un animal,
mais lequel ? Est-il d'ailleurs seulement un oiseau ?
Au fil du récit, Palafox va changer d'apparence, incarner les uns
après les autres tous les animaux de la création. Ces métamorphoses
sont incessantes et soudaines, Palafox pouvant très bien se transformer
à l'intérieur même d'une phrase : "Un matin au
réveil, il fit entendre son cri, comment dire, une espèce
de piaillement, ou plutôt de miaulement, ou plutôt d'aboiement,
ou plutôt de mugissement, nous y sommes presque, de rugissement,
ou plus exactement de barrissement, oui c'est le mot, une espèce
de piaillement." On s'affaire autour de Palafox, on essaie de l'apprivoiser,
de lui apprendre des tours, on appelle des zoologistes à la rescousse,
on le destine au cirque, au zoo, à la boucherie, mais Palafox reste
insaisissable, indomptable. Chevillard s'amuse visiblement à entortiller
le lecteur dans ses phrases tire-bouchonnées, virevoltantes, ses
accumulations, ses énumérations. C'est assez intriguant,
plutôt plaisant mais ça ne dure qu'un temps. Au bout de cinquante
pages, on a fait le tour du procédé et le reste n'est plus
que répétition.
Extrait. "A la lueur des flammes, on voit alors passer Palafox, ventre
à terre, un oison entre les dents. D'autres l'ont trouvé
plutôt lent. Il boitillait, affirment-ils. Il est blessé.
C'était lui l'oison. On entend dire beaucoup de choses. En vérité,
il n'est pas rare que des animaux pris au piège se mutilent pour
recouvrer la liberté. Ecureuils et blaireaux s'acharnent sur leur
patte emprisonnée, la rongent jusqu'à ce qu'elle cède,
elle cède, trois coups de dents ont suffi au renard, les biches,
les lièvres et les rapaces font le même sacrifice - seul,
à notre connaissance, quoique régulièrement enchaîné
à un gendarme antipathique, l'homme n'a jamais eu ce courage ou
cette bonne idée."
Cinéma (Reflet Médicis,
rue Champollion). Maigret voit rouge (Gilles Grangier, France,
1963 avec Jean Gabin, Françoise Fabian, Vittorio Sanipoli, Paul
Carpenter; vu dans le cadre du festival "Gabin, plus qu'un acteur
: un mythe").
C'est la troisième et dernière incarnation de Maigret par
Gabin, adaptée d'un roman intitulé Maigret, Lognon et
les gangsters. Les gangsters, ce n'est pas un abus de langage, puisque
ce sont d'authentiques truands de Saint Louis (parmi eux, un Michel Constantin
maniant très bien l'anglais) qui viennent régler leurs comptes
à Paris. Lognon, c'est un petit flic qui va vite s'apercevoir que
ces gangsters sont trop costauds pour lui. Maigret va prendre les choses
en main et les malfrats vont trouver à qui parler. Mais la police
américaine, le FBI sont aussi sur le coup et mettent des bâtons
dans les roues de la 403 de Maigret. Devinez qui va être le plus
malin ? Maigret voit rouge est un film gaullien, avec Gabin dans le rôle
du Général : il s'agit de montrer que la police française
sait faire son travail sans l'aide des Américains, qu'elle réussit
là où le FBI avait échoué, que des terreurs
du Missouri ne sont que mauviettes face à notre Jules national
et, accessoirement, que Gilles Grangier sait réaliser un film policier
aussi bien que n'importe quel metteur en scène d'Hollywood. En
un mot, go home. Autre aspect du film (on laissera de côté
l'énigme policière sans intérêt), l'humour.
C'est une véritable surprise de voir un Maigret drôle, pince-sans-rire,
qui sait malmener, avec ses mots aussi bien les malfaiteurs que ses collègues
(pauvre Lognon, interprété par Guy Decomble, l'instituteur
des Quatre cents coups). On cherche le nom d'Audiard au générique,
il n'y est pas, les dialogues sont dus à un certain Jacques Robert
qui travaille tout à fait dans la même veine.
Réplique. "Le Manhattan, c'est notre seul piège à
rats. Si on veut qu'il fonctionne, va falloir doser le gruyère."
Vie parisienne. Je m'enferme à
double tour dans ma chambrette. Il y a une heure à peine, Maigret
a trouvé une femme étranglée dans sa chambre d'hôtel,
à trois rues de celui où je séjourne.
SAMEDI.
Vie parisienne (suite). Parcours habituel
avec le séminaire Perec à Jussieu en ouverture. C'est une
Anglaise, Allison James, qui parle du hasard dans La Disparition
et La Vie mode d'emploi. Son débit un peu monocorde et mon
attention flottante m'empêchent d'apprécier la valeur de
son exposé. N'empêche que, comme l'ensemble de l'assistance,
je suis soufflé par les propos de Bianca Lamblin qui y font suite.
Bianca, qui n'a jamais travaillé au Quai d'Orsay, suggère
sans ambages à la conférencière d'aller prendre des
cours de diction française, faisant ainsi progresser d'un grand
pas la normalisation des relations franco-britanniques. Je quitte cette
réunion de l'Entente Cordiale pour m'enfermer à la Bilipo
avec mes Série Noire.
Cinéma (Reflet Médicis,
rue Champollion). Au-delà des grilles (Le Mure di Malapaga,
René Clément, France - Italie, 1948 avec Jean Gabin, Isa
Miranda, Vera Talchi, Robert Dalban; vu dans le cadre du festival "Gabin,
plus qu'un acteur : un mythe").
Pierre, recherché par la police française pour un crime
passionnel, arrive à Gênes caché dans un bateau et
rencontre une femme qui vient de quitter son mari.
Gabin renoue ici avec ses rôles d'avant-guerre, ceux des films de
Carné, Grémillon, Duvivier, incarnant un homme marqué
par le destin auquel tout bonheur est interdit. Lui-même n'a plus
vraiment l'air d'y croire et semble souhaiter passer à autre chose.
On le comprend. L'histoire est très conventionnelle et ne vaut
que par la peinture de la ville de Gênes, des décombres dus
à la guerre dans lesquels les gens s'arrangent pour vivre, témoin
cette église détruite où plusieurs familles ont trouvé
à se loger.
Brasserie de l'Est. On m'attribue
la table 22. Je commande une tête de veau.
Bonne semaine.
Notules
dominicales de culture domestique n°147 - 15 février 2004
DIMANCHE.
Mémoire louvrière. Je
poursuis, à l'heure où le Louvre ouvre, l'examen de la salle
7, au deuxième étage de l'aile Richelieu. La pièce
maîtresse du lieu est une grande Descente de croix, attribuée
au Maître de Saint-Barthélémy. Voir
ici. C'est une véritable dégringolade : le Christ
tombe de la croix, il est retenu par un homme, l'homme est retenu par
une échelle, elle-même retenue par la croix, celle-ci semble
retenue par le bord du tableau qui, si ça se trouve, retient le
mur sur lequel il est accroché, mur qui, j'en suis sûr, empêche
à lui seul le Louvre de s'effondrer.
J'achète à la librairie un livre sur Van Eyck et des bricoles
pour les filles.
Cinéma (l'Arlequin, rue de
Rennes). La Bête humaine (Jean Renoir, France,1938, avec
Jean Gabin, Simone Simon, Fernand Ledoux; vu dans le cadre du ciné-club
animé par Claude-Jean Philippe).
Jacques Lantier conduit des locomotives entre Paris et Le Havre. Il devient
l'amant de Séverine, la femme du chef de la gare du Havre.
Fin de la cure Gabin du week-end. On retrouve avec plaisir le Gabin mythique
d'avant-guerre qu'essayait en vain de recréer René Clément
dans Au-delà des grilles. Le roman de Zola, d'après
Claude-Jean-Philippe, a été un peu malmené par Renoir
qui centre son propos sur la passion de Lantier pour Séverine.
Celle-ci est une vraie femme fatale, qui détruit l'un après
l'autre mari (Fernand Ledoux, pathétique) et amant. La peinture
sociale passe en arrière-plan mais reste intéressante avec
une illustration du monde des cheminots au temps de la vapeur. L'abondance
des tunnels, des panaches de fumée et le manque d'huile dont souffre
la Lison (la locomotive de Lantier) raviront les adeptes d'une critique
psychanalytique.
Répliques (à imaginer avec la voix de Carette, cigarette
au bec comme d'habitude). "Tu veux pas la faire danser ? Moi j'sais
pas, j'leur marche sur les pieds et après elles sont pas contentes."
(Lantier a rendez-vous avec Séverine. Il pleut.) " Tu crois
qu'elle y viendra ? Ces femmes-là, c'est comme les chattes, ça
aime pas s'mouiller les pieds." Quatre ans plus tard, Simone Simon
tournait La Féline sous la direction de Jacques Tourneur.
Vie parisienne (fin). Je fais un bond
dans l'histoire de la SNCF, quittant la vapeur pour le Corail de 13 heures
44. J'arrive dans un bain de sang, Lucie a piqué un macadam dans
le hall de la gare en m'attendant, on craint un nez cassé mais
elle s'en tirera avec un double coquard qui assombrira quelque peu sa
première semaine de vacances.
Lecture. Détonations rapprochées
(Open Season, C.J. Box, 2001; Éditions du Seuil, 2003 pour
la traduction française, coll. Policiers; traduit de l'américain
par William Olivier Desmond; 290 p., 20 ).
Joe Pickett est garde-chasse dans le Wyoming. Un matin, il trouve le cadavre
d'un chasseur à côté de son tas de bois. Peu après,
ce sont deux guides de chasse qui sont découverts assassinés
dans un campement de montagne. Les autorités cherchent à
dissuader Pickett d'enquêter sur ces meurtres.
Polar et écologie font bon ménage. A la Série Noire,
Ray Ring l'avait prouvé avec Rêves pèlerins
qui portait sur un trafic d'oiseaux de proie. C.J. Box, un nouveau venu,
le confirme avec cette histoire qui est l'illustration des effets pervers
d'un loi américaine sur les espèces menacées. La
découverte d'animaux qu'on croyait disparus dans ce coin du Wyoming
vient contrarier un projet de pipe-line et se trouve à l'origine
d'une série de morts violentes. C.J. Box a l'avantage de savoir
de quoi il parle puisqu'il est coordonnateur pour le marketing du tourisme
de cinq États des Rocheuses. L'enquête de Joe Pickett, passionnante,
s'accompagne d'une réflexion sans complaisance sur les effets du
fanatisme écologique sur l'économie d'une région
et le décalage entre les hommes de bureau et les hommes de terrain.
Ces derniers comptent aussi dans leurs rangs des personnages peu scrupuleux
et Pickett doit aussi se battre contre ses collègues corrompus.
Homme intègre, maladroit mais sincère, c'est un personnage
attachant qui parviendra à son but après avoir perdu quelques
plumes et autant d'illusions.
Extrait. "Sur quoi, il lui rappela qu'il existait, depuis plus de
vingt ans, près de mille espèces végétales
et animales classées soit comme "menacées", soit
comme "en voie d'extinction", plus quatre mille autres qui n'attendaient
que d'être inscrites sur l'une de ces listes. Et que deux décennies
et il ne savait combien de milliards de dollars plus tard, moins de trente
de ces espèces étaient sorties de la liste des "menacées".
Il ajouta qu'en outre les lois étaient hypocrites, que les espèces
considérées comme "attrayantes", les loups et
les ours, par exemple, s'en sortaient beaucoup mieux que celles que l'homme
considérait comme laides, sans la moindre justification rationnelle.
Il suffisait de regarder les chiffres : on avait dépensé
près de deux cents millions de dollars pour sauver l'aigle pêcheur
américain - le pyrargue -, la chouette nordique tachetée,
le pivert à tête rouge, les ours grizzly, le lamantin, le
geai de Floride et la grue blanche. Puis il parla en termes généraux
et fit remarquer que quatre-vingt-dix-neuf pour cent des espèces
ayant jamais vécu sur terre avaient disparu naturellement, sans
la moindre interférence des hommes. Les extinctions de masse se
produisaient depuis l'aube des temps. Le toxote, le canard kakawi, la
chouette tachetée et l'écureuil rouge du mont Graham ne
manqueraient à rien ni à personne."
TV. The Shield (série
américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison
2, épisodes 10 & 11, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
LUNDI.
TV. Rédemption (téléfilm
en deux parties de David Richards, G.-B., 2001 avec Ken Stott, Michelle
Forbes, Neil Dudgeon, Alun Armstrong; diffusé sur Canal + en décembre
2003).
Le téléfilm est une denrée rare dans mes menus télévisés.
Ce thriller constitue une entorse à mon régime, due à
des critiques élogieuses. Il est vrai que c'est plutôt habile
du côté de l'intrigue (un serial killer s'en prend aux proches
d'un groupe de policiers) mais plutôt lourd du côté
de l'emballage, à cause de la musique grandiloquente, de la mine
constamment affligée de l'inspecteur héros (marié
à une épouse muette comme le Carella d'Ed McBain) et surtout
du parti-pris d'enregistrer les bruits de fond à un volume déraisonnable
: il suffit d'une petite cuiller qui tombe par terre pour qu' on se croie
transporté au cœur d'un atelier de tôlerie.
MARDI.
Courrier. N.H. me remercie pour la
coupure de La Dépêche.
Lecture. Viridis Candela (Carnets
trimestriels du Collège de 'Pataphysique n° 12, 15 juin 2003;
82 p., sur abonnement).
Dans ce numéro, un hommage à Noël Arnaud, membre de
l'Oulipo récemment disparu, la présentation de la collection
de tampons du Collège (on remarque celui de dix pièces à
l'effigie du général de Gaulle, utilisable comme sémaphore),
la parution d'un roman allemand ne contenant que des substantifs du genre
neutre (faisant suite à deux parties n'utilisant que des noms féminins
puis masculins, comme il se doit), et le résumé de "l'affaire
des plaques" (l'apparition sur les murs de Paris d'une série
de plaques commémoratives ne commémorant rien, sinon des
événements comme "Louise Lavierge, mère de famille,
est née dans cet immeuble"; "Karima Bentiffa, fonctionnaire,
a vécu dans cet immeuble de 1984 à 1989" ou "Cette
plaque a été posée le 19 décembre 1953")
par son principal découvreur, Jean-Pierre le Goff, récemment
aperçu à un séminaire Perec.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
S.B. offre son concours pour la constitution du Réperto'Hair.
Vie sociale. Nous croûtons chez
les P. Les P. travaillent à la Sécurité Sociale.
Ils parlent de leur travail. Leur jeune fils attrape forcément
des bribes de leur conversation. Je me demande ce qu'il peut y comprendre.
Mon père travaillait à la Sécurité Sociale.
Il disait "à la caisse", sous-entendant "Caisse
primaire d'Assurances Maladie des Vosges". Toute mon enfance, j'ai
vu mon père partir pour la caisse, revenir de la caisse, recevoir
Untel de la caisse, aller à l'enterrement de tel ancien de la caisse,
entendu mon père parler de la caisse, de tel service de la caisse
(le mystérieux contentieux), râler après Untel de
la caisse, j'ai même assisté à plusieurs arbres de
Noël de la caisse (pour lesquels on choisissait des cadeaux dans
le catalogue de la caisse) sans savoir ce que pouvait être cette
fameuse caisse ni surtout ce qu'elle pouvait bien contenir. Je crois que
j'imaginais une espèce de comptoir en bois, sorte de parallélépipède
renfermant des articles qu'il appartenait à mon père de
distribuer, de nettoyer, de ranger peut-être. Plus tard, mon père
se mit en tête de changer de place dans la caisse et ça se
compliqua encore plus avec des conversations sur des cours de cadres pour
la caisse tout aussi obscurs.
MERCREDI.
Conseils de lecture. Divers notuliens
me recommandent qui Pierre Michon, qui Margaret Mazzantini, qui Gil Scott-Heron,
Y. m'envoie un livre de D.R., notulien lui aussi.
TV. Boomtown (série
américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg,
Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 9 et 10, diffusés
sur Canal + le 07 février 2004).
Dans un des épisodes, la solution de l'énigme est contenue
dans une réplique du Pygmalion de George Bernard Shaw. On
se souvient alors de Léo Malet et de Nestor Burma résolvant
l'enquête de Micmac moche au Boul'Mich grâce à quelques
vers de Baudelaire.
JEUDI.
Courrier. J'envoie mon inscription
au jury du Prix René-Fallet et des coupures à Y.
TV. Dead Like Me (série
américaine de Bryan Fuller, 2003 avec Ellen Muth, Mandy Patinkin,
Callum Blue, Cynthia Stevenson; épisode pilote diffusé sur
Canal Jimmy le 9 janvier 2004).
La chaîne américaine HBO essaie de profiter du succès
de sa série Six Feet Under et continue à traiter
le thème de la mort sur un ton ici ironique et faussement léger.
Une jeune fille meurt et devient chargée de la collecte des âmes
de futurs trépassés. C'est gentil, mais peut-être
pas indispensable. En tout cas, on s'en dispensera.
VENDREDI.
Botanique. Apparition des perce-neige
dans le jardin.
TV.
Sur
écoute (Wired, série américaine créée
par David Simon, 2002 avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie
R. Falson, Larry Gillard Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode
4, diffusé sur Canal Jimmy le 8 février 2004).
Curiosité pour anglicistes. Il y a bien longtemps, A.N. m'avait
fait part de sa surprise d'entendre, dans la bouche d'un Irlandais je
crois, le mot "cubloodycumber", né de l'insertion d'un
juron à l'intérieur même d'un mot. Je n'en avais jamais
connu d'autre exemple jusqu'à ce soir où l'un des personnages
prononce un "unbefuckinglievable" de la plus belle eau.
SAMEDI.
Informatique. Ordinateur en panne,
mêmes symptômes qu'en novembre dernier. Je me demande bien
comment je vais envoyer les prochaines notules.
TV. Boomtown
(série américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough,
Donnie Wahlberg, Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes
11 et 12, diffusés sur Canal + le soir-même). Attention
flottante. J'ai peur de perdre une fois de plus toutes mes données
Outlook, d'avoir
à passer des heures pour tout reconstituer comme la dernière
fois.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°148 - 22 février 2004
DIMANCHE.
SOS notules. L'ordinateur défaillant
ne me laisse plus accès qu'à un certain "mode sans
échec". Celui-ci m'autorise à rédiger le numéro
du jour et à l'enregistrer sur une disquette. Reste à trouver
une machine valide apte à l'envoyer aux abonnés. O. accepte
que son appareil serve de base de lancement. Je débarque chez lui.
Pour être sûr de ne pas le déranger, j'ai pris soin
de m'entourer de Caroline, des filles et du chien que les parents de Caroline
(qui sont aussi ceux d'O.) nous ont gentiment confié avant de partir
en week-end. L'opération, apparemment, réussit. J'en profite
pour écorner son forfait internet et consulter mon courriel où
je trouve une demande d'abonnement émanant de NH.
TV.
The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott
Brazil et James Manos, 2002, saison 2, épisodes 12 & 13, diffusés
sur Canal Jimmy le soir même).
Ce sont les deux derniers épisodes de la saison. Il n'y aura guère
que Tony Soprano et sa clique pour nous faire oublier Vick Mackey et sa
strike team. Ça tombe bien : la quatrième saison
de The Sopranos débute dimanche prochain, même endroit,
même heure.
LUNDI.
Obituaire. La mort de Marco Pantani
fait ressurgir deux souvenirs. Le premier concerne sa mise hors course
du Giro, le samedi 5 juin 1999, apprise par un flash sur une radio FM,
dans un magasin de chaussures du boulevard Saint-Michel. Nous nous étions
abrités, Caroline et moi, pour échapper à un orage.
Caroline en était ressortie chaussée de neuf, moi dubitatif
quant à la pérennité de ma passion cycliste. Pour
le second, j'étais sur le bord de la route, à Saint-Jean-de-Sixt
(Haute-Savoie) pour le voir, sur le parcours de l'étape Courchevel
- Morzine, dans une de ses dernières chevauchées en solitaire
ou presque (il était accompagné de Pascal Hervé).
C'était le 18 juillet 2000 et c'est le dernier Tour de France que
j'ai suivi avec ferveur.
Courrier.
Une carte postale d'Y, de passage à Briançon.
Lecture.
Dites un chiffre (Think of a Number : Ideas, Concepts and Problems
which challenge the Mind and baffle the Experts, Malcom E. Lines,
1990; Flammarion, 1999 pour la traduction française, coll. Champs
n° 525; traduit de l'anglais par Martine Devillers-Argouac'h et Daniel
Paget; 258 p., 8 euros).
Idées et problèmes mathématiques qui défient
notre intelligence.
Il y a quelques mois, dans le magazine Tangente, Alain Zalmanski donnait
une critique assez peu enthousiaste de ce livre. Il lui reprochait, si
je me souviens bien, de ne rien apporter de nouveau, de reprendre des
éléments existants, de ne pas être le premier, loin
s'en faut, à faire un catalogue des curiosités mathématiques.
Paradoxalement, cet avis un peu tiède m'a donné envie de
lire le livre parce que justement, ces éléments existants
et ces prédécesseurs de Malcom Lines, je ne les connais
pas. Mes connaissances mathématiques sont très réduites,
ce qui ne veut pas dire que les mathématiques ne m'intéressent
pas. Cet intérêt a été avivé par la
lecture des contributions de certains membres de la [listeoulipo], qui
renvoient souvent à des notions où les mathématiques,
la statistique notamment, sont présentes. L'Oulipo a toujours réuni
des littéraires (la branche Queneau, disons) et des mathématiciens
(la branche Le Lionnais). Parmi les oulipolistiers que je lis, beaucoup
sont des scientifiques, chercheurs, ingénieurs, mathématiciens.
A l'aise dans leur domaine, bien entendu, ils font de plus preuve d'une
connaissance de la littérature qui ferait rougir pas mal de soi-disant
spécialistes (j'ai travaillé avec des professeurs de lettres
qui ne lisaient pas deux livres par an). C'est donc avec un brin d'envie
que j'ai entrepris de procéder à mon déniaisement
mathématique à l'aide de quelques sites internet, de la
lecture de quelques magazines (Tangente, déjà cité,
Science & Vie - version Junior, cela va sans dire - , Pour la science,
La Recherche...). Inutile de dire que je ne comprends pas tout, mais ces
lectures me familiarisent avec du vocabulaire, des notions, des noms et
me donnent envie d'en savoir davantage. La lecture de Malcom Lines part
du même principe et donne lieu aux mêmes phénomènes
d'intérêt, d'attention et de compréhension très
variables selon les thèmes abordés (Fibonacci, la cryptographie,
la statistique apparaissant comme des choses abordables; le cinquième
axiome d'Euclide, la théorie du chaos, les groupes, pour ne donner
que quelques exemples, apparaissant nettement hors de ma portée).
TV.
Sur écoute (Wired, série américaine
créée par David Simon, 2002 avec Dominic West, Sonja Sohn,
Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard Jr., Wood Harris, Lance Reddick;
saison 1, épisode 5, diffusé sur Canal Jimmy le 15 février
2004).
MARDI.
Informatique. Privé d'ordinateur,
je découvre un cybercafé en centre-ville. Hibercafé
serait une enseigne plus adaptée, vu qu'on semble y ignorer tout
mode de chauffage. L'essentiel est que je puisse y lire les nouveautés
du blog de FG et y consulter mon courriel. Allison James m'envoie le résumé
de sa communication au séminaire Perec pour le Bulletin de l'AGP.
Y., dans un message qui souligne mes lacunes en vocabulaire, m'enjoint
de protéger mes données informatiques. DR me somme de jeter
son livre aux orties. GN propose de substituer l'appellation Invent'Hair
à celle de Réperto'Hair, ce qui est effectivement plus heureux
d'un point de vue euphonique.
Courrier.
Un mot gentil de N., suite à la page de La Dépêche.
Cinéma.
Thirteen (Catherine Hardwicke, E.-U., 2003 avec Evan Rachel Wood,
Nikki Reed, Holly Hunter, Vanessa Ann Hudgens, Jenicka Carey, Brady Corbet,
Ulysses Estrada, Sarah Blakely-Cartwright).
Tracy, treize ans, entre au lycée. Sa vie de petite fille sage
au milieu de ses Barbie et de ses peluches lui paraît soudain bien
terne. Au contact d'Evie, la fille la plus délurée de l'établissement,
elle change de vêtements, d'allure, de centres d'intérêt
et échappe peu à peu à sa mère.
Ça commence comme un "teen movie" américain traditionnel,
plein de musique et de couleurs vives, et ça se termine en drame
intimiste filmé dans des tonalités exsangues. Catherine
Hardwicke a su saisir les règles de la vie sociale adolescente,
basées sur l'imitation, l'asservissement, la réaction contre
le milieu familial. Ses partis pris de mise en scène, mis à
part le jeu sur les couleurs déjà mentionné, sont
assez discutables (volonté de filmer "jeune", montage
haché, image mouvante) de même que la dimension édifiante
du film (jeunes filles, voici ce qui vous guette si vous n'écoutez
pas votre maman) mais l'interprétation très convaincante
finit par emporter le morceau. Un spectateur ordinaire, heureux père
de deux fillettes entourées de Barbie et de peluches, en regretterait
presque de ne pas avoir engendré deux bons garçons joufflus
qui ne rêveraient que de football et de motocyclettes.
MERCREDI.
Cinéma. Kitchen Stories
(Salmer fra Kjokkenet, Bent Hamer, Norvège, 2003 avec Joachim
Calmeyer, Thomas Norström, Bjorn Floberg, Reine Brynolfsson).
Des observateurs suédois sont envoyés au fin fond de la
Norvège. Ils doivent remettre un rapport sur les déplacements
dans leur cuisine des célibataires masculins d'un certain âge.
Les films scandinaves qui parviennent jusqu'ici sont peu nombreux mais
rarement décevants. Si l'on met de côté les grands
noms (Von Trier, Kaurismäki) cette région semble s'être
fait une spécialité des petites comédies très
bien ficelées comme Jalla ! Jalla ! (Josef Fares, Suède,
2002), Italian for Beginners (Lone Sherfig, Danemark, 2000) et
ces Kitchen Stories venues de Norvège qui distillent un
délicieux parfum d'humour absurde à la Tati. On y voit un
observateur impassible (il se présente comme un lointain descendant
de Carl von Linné, il a donc l'observation dans le sang) juché
sur une sorte de chaise d'arbitre de tennis dans un coin de la cuisine,
noter scrupuleusement sur des croquis les déplacements quotidiens
d'un vieil homme mal embouché qui s'emploie à lui compliquer
la tâche. L'humour donc, mais aussi une petite fable intelligente
sur, au choix, le progrès (l'étude doit déboucher
sur la construction de la cuisine la plus fonctionnelle possible), la
solitude, l'amitié, l'obéissance, la jalousie, le travail,
la vie sous le regard de l'autre et, accessoirement, l'Histoire : nous
sommes dans les années 1950 et l'attitude de la Norvège
et de la Suède pendant la Seconde Guerre Mondiale se trouvent reproduites
dans les deux personnages principaux : l'observateur est suédois
(la Suède fut neutre pendant le conflit) et le papy réfractaire
est norvégien (la Norvège, bien qu'occupée par les
Allemands, connut un mouvement de résistance très actif).
Une chose à faire après ce film : voir d'urgence Eggs,
le premier film de Bent Hamer, que je dois avoir en vidéo quelque
part.
JEUDI.
Informatique (suite). Contrairement
à mon habitude, je décide de prendre de l'avance dans la
rédaction des notules, ne sachant ni comment ni où je pourrai
les taper si j'attends jusqu'à dimanche. Je retourne à l'hibercafé
et entreprends un combat inégal contre un clavier de pacotille
qui, associé à mes doigts gelés, me fait faire quatre
fautes de frappe par mot. Deux bonnes heures et pas mal d'euros plus tard,
je termine la chronique de Kitchen Stories et, au prix d'une manoeuvre
dont j'ai le secret, réussis à faire disparaître en
un quart de seconde tout ce que je viens d'écrire. En voulant me
mettre en avance, je n'aurai finalement gagné que des engelures.
Je pense qu'il est temps de changer mon point de vue pour ce qui concerne
l'informatique, temps de faire passer cette discipline dans le domaine
des choses pour lesquelles l'exception est en fait la norme. En appliquant
cette règle, je me suis aperçu que des choses qui pouvaient
passer pour banales, un enregistrement programmé qui part à
l'heure, le fait de parvenir sain et sauf au bout d'un voyage automobile
aussi bref soit-il, le fait d'arriver à l'heure au bout d'un voyage
en train, de retrouver mes deux lentilles dans leur boîtier chaque
matin, d'arriver au bout d'une heure de cours sans conflit avec les élèves,
d'entendre deux respirations régulières quand je passe dans
la chambre des filles avant d'aller me coucher, et donc, désormais,
de voir un ordinateur obéir à toutes les manoeuvres que
l'on veut lui commander, étaient en fait, au sens propre, exceptionnelles
et, considérées ainsi, permettaient de voir l'existence
comme une suite de petites merveilles quotidiennes.
Courrier.
Une carte postale d'O. et E., en vacances à Samoëns.
TV.
Les Veinards (Jean Girault, Philippe de Broca, Jack Pinoteau, France
, 1963 avec François Périer, Darry Cowl, Francis Blanche,
Louis de Funès; diffusé sur CinéClassics en ?).
Cinq sketches mettent en scène cinq gagnants de concours ou loteries
pour qui le gros lot se révèle un cadeau empoisonné.
Des trois réalisateurs ici réunis, c'est Jean Girault qui
se taille la part du lion avec trois sketches : Le Vison (pas vu
à cause d'un enregistrement mal programmé, voir chapitre
précédent), Le Repas gastronomique qui montre un
Francis Blanche toujours aussi peu gâté par le cinéma,
et Le Yacht, un vaudeville très bien emmené par Pierre
Mondy et Jacqueline Maillan. Jack Pinoteau signe Le gros lot, celui
de la Loterie Nationale, emporté par un Louis de Funès qui
devient rapidement paranoïaque. Le meilleur sketch est dû à
Philippe de Broca avec Une nuit avec la vedette, une récompense
gagnée par un Darry Cowl hilarant à la diction aussi claire
que celle de Jean-Christophe Averty. Dans chacun des cas, la minceur de
l'argument est compensée avec bonheur par l'énergie déployée
par les comédiens.
Réplique.
"Une minute de plus et j'étais toute nue.
- Je
reviens dans une minute"
Lecture.
Le Horla (Guy de Maupassant, Éditions Ollendorff, mai 1887;
rééd. Éditions Robert Laffont, 1988, coll. Bouquins;
vol. 2, 1396 p., 120 F).
Nouvelles.
Au moment où le dernier numéro de la revue Histoires
littéraires publie le dossier de Maupassant interné
dans la clinique du Docteur Blanche à Passy où il devait
finir ses jours dans la démence, il est intéressant de voir
comme Le Horla, la nouvelle titre, est en quelque sorte prémonitoire.
Elle présente, cinq ans avant la fin, un narrateur aux prises avec
des hallucinations qui le conduisent peu à peu à la folie.
Qu'on ne se trompe pas cependant : Maupassant n'a encore aucune conscience
autobiographique de la chose, il cherche simplement à mettre en
scène un type d'affection psychique dont on parlait beaucoup à
l'époque, qui est celle des travaux de Charcot sur l'hypnose, des
expériences de Mesmer et de l'Ecole de Nancy.
Les autres nouvelles sont d'une veine plus classique, sur des thèmes
habituels à Maupassant, la chasse, la vie de province, les humbles,
la guerre, les faits-divers tragiques ou cocasses. Sortent du lot une
nouvelle sociale très engagée, hugolienne presque, Le
Vagabond, et une autre dans laquelle l'auteur montre toute sa haine
du conformisme bourgeois et familial (Une famille).
Extrait. "La Rapet, une vieille repasseuse, gardait les morts et
les mourants de la commune et des environs. Puis, dès qu'elle avait
cousu ses clients dans le drap dont ils ne devaient plus sortir, elle
revenait prendre son fer dont elle frottait le linge des vivants. Ridée
comme une pomme de l'autre année, méchante, jalouse, avare
d'une avarice tenant du phénomène, courbée en deux
comme si elle eût été cassée aux reins par
l'éternel mouvement du fer promené sur les toiles, on eût
dit qu'elle avait pour l'agonie une sorte d'amour monstrueux et cynique.
Elle ne parlait jamais que des gens qu'elle avait vus mourir, de toutes
les variétés de trépas auxquelles elle avait assisté;
et elle les racontait avec une grande minutie de détails toujours
pareils, comme un chasseur raconte ses coups de fusil." (in Le
Diable).
VENDREDI.
TV. Timecode (Mike Figgis,
E.-U., 2000 avec Stellan Skarsgard, Saffron Burrows, Salma Hayek, Jeanne
Tripplehorn; diffusé sur Canal + en février 2004).
On est ici dans le domaine de la pure performance : poussant jusqu'au
bout la logique du "split screen", Mike Figgis a filmé
en continu quatre histoires qui se déroulent chacune dans un coin
de l'écran divisé en quatre parties. Ces quatre plans séquences
montrent, simultanément, deux lieux (l'intérieur et les
abords d'une unité de production cinématographique de Los
Angeles) et deux personnages, une actrice qui se rend au studio pour une
audition et la femme d'un des producteurs. Un personnage peut passer d'un
cadre à un autre, l'actrice, par exemple, lorsqu'elle pénètre
dans le studio. Les quatre cadres peuvent être soumis aux mêmes
phénomènes extérieurs : à plusieurs reprises,
ils sont secoués par un tremblement de terre, ce qui suppose, dans
le filmage réalisé en continu, un chronométrage extrêmement
précis (de même que pour montrer quatre visages en même
temps en gros plan sur les quatre cadres). Donc, bravo pour la performance.
Pour ce qui est du spectacle, c'est autre chose, surtout pour le spectateur
étranger qui doit faire avec un cinquième cadre, celui des
sous-titres. La vision du film s'apparente donc à un exercice de
jonglage un peu fatigant, plus difficile encore à réaliser
sur petit écran. On peut aussi s'intéresser à la
vision du monde de Mike Figgis, un monde cloisonné où il
est difficile de se libérer du cadre et de passer d'un cadre à
un autre.
SAMEDI.
Vie sociale. Nous rassemblons une
belle brochette de vieux grognards autour de notre table, ce qui permet
de compenser un peu l'absence, cette année, de célébration
de Nouvel An et de vacances à la neige en commun.
Notules
dominicales de culture domestique n°149 - 29 février 2004
DIMANCHE.
Maussade. Comme le temps, l'humeur,
les perspectives et les nouvelles, au bout de ces vacances pas vraiment
satisfaisantes, au contraire des précédentes. Les amis sont
partis, L., le dernier, s'est mis en route tôt ce matin pour sa
Haute-Savoie. L'annonce d'un deuil familial vient assombrir encore un
peu plus la journée. Ce n'est pas la perspective d'aller me geler
les nougats à l'hibercafé pour y terminer et envoyer les
notules du jour qui va l'égayer. Et comme de juste, les épisodes
des Sopranos diffusés en soirée font partie de ceux
qu'on a vus, alors que nous croyions à l'ouverture d'une nouvelle
saison.
LUNDI.
Cadeau. JCF, grand harponneur du livre
d'occasion sur l'océan poussiéreux des vide-greniers, m'offre
un petit bijou : un guide du Musée du Louvre, paru chez Hachette
en 1921 et dû à un certain Louis Hourticq. 1921, c'est le
Louvre que visitaient Proust et Vuillard, ouvert tous les jours sauf le
lundi, prix d'entrée 2 francs, gratuit le dimanche toute la journée
et le jeudi après-midi. On n'y parle pas d'ailes Denon, Sully ou
Richelieu, mais de pavillons Mollien, Daru, Sully, de la Grande galerie
du bord de l'eau, de la Galerie d'Afrique, de collections Rothschild,
Schlichting, Thomy-Thiery. Il y a peut-être moins de choses à
voir qu'aujourd'hui même si, à l'époque, l'accrochage
était très serré, mais tous les tableaux semblent
être mentionnés et commentés, ce qui fait du livre
une sorte de Mémoire louvrière avant la lettre, une parfaite
illustration de ce que l'Oulipo appelle plagiat par anticipation. Il est
intéressant de voir que certains tableaux, à l'époque,
n'étaient pas attribués : l'Annonciation de Rogier
Van der Weyden, pour ne citer qu'un exemple, s'appelle La Salutation
angélique et est attribuée à l'école flamande,
sans autre précision. Les jugements portés par Louis Hourticq
sont délicieusement lapidaires : "Cranach. Vénus
chapeautée; art minaudier et balourd. Salviati. Incrédulité
de saint Thomas; la fin de Florence; c'est de l'art de professeurs.
Véronèse. Sodome; médiocre." Un vrai
régal qui me fait reprendre les affaires scolaires de bonne humeur.
Autre bonne chose, je peux utiliser le réseau internet du collège
à la place de mon matériel défaillant, ce qui m'amène
à bousculer un tantinet mon triathlon croûte - PMU - sieste
de la mi-journée.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002
avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard
Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 6, diffusé
sur Canal Jimmy le 22 février 2004).
Cette série suit gentiment son cours, toujours à l'abri
du spectaculaire. L'enquête des policiers de Baltimore est longue
et difficile, on s'y attache petit à petit.
MARDI.
Informatique. J'apporte du matériel
chez le réparateur pour qu'il puisse procéder à la
réinstallation des divers programmes.
Courriel. Y. a mis en ligne de vieilles
photos du temps des scouts. S. a pris des clichés pour l'Invent'Hair,
dont un joli "Coiff'Hair - Profession coiffeur".
TV. Une nouvelle vie (Olivier
Assayas, France, 1993 avec Sophie Aubry, Judith Godrèche, Bernard
Giraudeau, Christine Boisson, Bernard Verley, Nelly Borgeaud, Philippe
Torreton, Roger Dumas; diffusé sur CineCinémas en ?).
Tina part à la recherche d'un père qu'elle n'a pas connu
et rencontre Lise, sa demi-sœur avec qui elle entre en conflit.
Grand concours de visages compassés et de voix blanches entre Sophie
Aubry et Judith Godrèche. Malgré l'élégance
des mouvements d'appareil d'Assayas, le film est une vraie torture, un
tombeau d'ennui. Dans le genre, je ne vois guère que La Vengeance
d'une femme, de Jacques Doillon, qui puisse lui être comparé.
Heureusement, Assayas a fait mieux, beaucoup mieux, depuis.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète le dernier
Westlake, le dictionnaire des symboles chez Bouquins/Laffont, le numéro
hors série de Tangente sur les fractales, un Calvino en vue du
prochain séminaire Perec et une chemise.
Courrier. Suite à ma chronique
du livre de Malcom E. Lines, AZ m'envoie un recueil de jeux mathématiques
parus dans le Scientific American et dus à Martin Gardner.
Les G. envoient une carte postale de leurs vacances à la neige.
Deuil. Nous nous habillons en pingouins
pour suivre les obsèques de B. à la basilique Saint-Maurice.
Les premiers enterrements auxquels j'ai assisté étaient
ceux, très rapprochés, de ma grand-mère et de ma
cousine que j'évoquais récemment. Immédiatement,
j'ai dû mettre au point une parade pour éviter d'être
submergé par l'émotion dans ces cérémonies
où les larmes sont vite contagieuses. Je passais mon temps à
essayer de reconstituer dans ma tête des compositions d'équipes
de football légendaires (S.A. Spinalien années 70 : Perlato,
Janvier, Dominiec, Charron, Remy, Gauthier, Receveur, Sap, Beaudoin, Schwartzwalder,
Vérité; A.S. Saint-Etienne 1976 : Curkovic, Janvion, Lopez,
Piazza, Repellini, Bathenay, Larqué, Santini, Patrick et Hervé
Revelli, Sarramagna). Par la suite, j'ai assisté à pas mal
d'enterrements, enterrements de parents d'élèves, de parents
de collègues, de parents d'amis, d'amis eux-mêmes (S.S.,
accident de voiture, D.D., noyade, P., match de tennis fatal, T., autre
type de noyade...) et j'ai fini par me blinder. Ce n'est que lors des
obsèques de F. et M., retrouvés pendus il y a 8 ans et 4
jours dans la petite maison que nous avions partagée, que j'ai
dû trouver d'autre subterfuges. Le chagrin, auquel se joignait le
sentiment de culpabilité, était trop fort pour que les compositions
de toutes les équipes de France et de Navarre puissent le vaincre,
même le XV de France du Grand Chelem 1977 (Aguirre, Bertranne, Harize,
Sangali, Averous, Romeu, Fouroux, Skrela, Bastiat, Rives, Palmié,
Imbernon, Paparemborde, Paco, Cholley) s'avérait inopérant.
J'avais tenté de bâtir des inventaires alphabétiques
d'objets sacerdotaux (autel, burettes, calice...) ou d'éléments
se rapportant à la mort (asticots, boîte à dominos,
cercueil...) sans grand succès, et je me retrouve aujourd'hui à
essayer de m'emplir l'esprit de ces mêmes litanies, satisfait de
constater, mais faut-il l'être, que je ne pleure plus aux enterrements.
Je ne pleure plus qu'au cinéma ou, mais c'est très rare,
quand j'écris certaines notules.
Conscience professionnelle. Caroline
regarde Le Pharmacien de garde à la TV.
Cinéma.
Confidences trop intimes (Patrice Leconte, France, 2004 avec Sandrine
Bonnaire, Fabrice Luchini, Michel Duchaussoy, Anne Brochet, Gilbert Melki,
Laurent Gamelon, Hélène Surgère, Urbain Cancelier).
Anna, venue confesser ses déboires conjugaux à un psychanalyste,
se trompe de porte et expose ainsi son problème à un conseiller
fiscal, William. Celui-ci ne révèle pas sa méprise
à Anna et lui donne d'autres rendez-vous.
Les derniers films de Patrice Leconte se limitent à des face à
face : Auteuil - Paradis dans La Fille sur le pont, Torreton -
Gainsbourg dans Félix et Lola, Timsit - Casta dans Rue
des Plaisirs, Rochefort - Hallyday dans L'Homme du train. Comme
ce dernier, Confidences trop intimes est un film d'intérieur,
un intérieur bien rangé et bousculé à la suite
d'un acte manqué. Au bout de L'Homme du train, il y avait
un hold-up, ici, il n' y a rien. C'est "Le Psy malgré lui",
un jeu sentimental du chat et de la souris échafaudé à
partir d'une situation à laquelle on ne croit pas une seconde.
On y souligne la fragilité des apparences et l'ambiguïté
du langage ("Je voudrais juste savoir où elle habite. - Tout
le monde aimerait savoir * * * *", la fin est holorime, bien sûr).
La seule base solide de l'édifice est l'interprétation,
qui sauve le film car il faut bien dire que Luchini - Bonnaire, c'est
autre chose que Timsit - Casta.
Curiosité. Laurent Gamelon, qui jouait un professeur d'éducation
physique dans P.R.O.F.S. de Patrick Schulmann en 1985, est ici
directeur d'une salle de gymnastique d'entretien. Belle carrière.
Je vais finir par croire qu'il n'y a que moi qui n'évolue pas dans
ce métier.
JEUDI.
Vie scolaire. Je soumets le problème
du carré de Lewis Carroll (64 = 65) déniché dans
Malcom E. Lines aux professeurs de mathématiques du collège.
Courrier. Je reçois un DVD
et un recueil de poèmes, cadeaux de nouvel abonné à
Positif.
TV. Femme fatale (Brian De
Palma, France - E.-U., 2001 avec Rebecca Romijn-Stamos, Antonio Banderas,
Peter Coyote; diffusé sur Canal + en février 2004).
Laura Ash réussit à voler les diamants d'un mannequin vedette
au cours du Festival de Cannes. Sept ans plus tard, devenue l'épouse
de l'ambassadeur des États-Unis, elle retourne en France. Sa photo
paraît dans un magazine et ses anciens complices se lancent à
sa recherche.
De Palma rend hommage à un mythe cinématographique (la femme
fatale du titre) et à un lieu, la France, mère des arts,
des lettres et de la cinéphilie. Le film s'ouvre sur des séquences
tournées au cours du Festival de Cannes 2001, on y voit Gilles
Jacob, Sandrine Bonnaire et Régis Wargnier venus présenter
Est-Ouest, le film d'ouverture. Le vol des bijoux, sur une variation
du Boléro de Ravel, est un vrai catalogue du savoir-faire
(immense) de De Palma. On applaudit aux prouesses et on reste sur sa faim,
parce que dès que l'action s'éloigne de Cannes, on s'enferre
dans une histoire longuette et complexe que le talent du réalisateur
ne parvient pas à sublimer. Dommage.
VENDREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à
Y. et des remerciements à AZ.
Informatique. La livraison de l'ordinateur
portable que Caroline a commandé pour la pharmacie est reportée
de quinze jours. Je comptais un peu dessus pour me tirer de l'impasse
dans laquelle je suis. En attendant, je récupère l'outil
familial, procède aux branchements requis et constate sans surprise
que, si certains éléments sont redevenus accessibles, toute
connexion internet m'est toujours interdite. Je vais donc continuer à
engraisser les cybercafetiers locaux qui, avec ce que je leur laisse,
pourront bientôt s'acheter des radiateurs.
TV. Dangereuse sous tous rapports
(Something Wild, Jonathan Demme, E.-U., 1986 avec Melanie Griffith,
Jeff Daniels, Ray Liotta, Leib Lensky, Tracey Walter; diffusé sur
Canal Jimmy en mai 2000).
Charles, yuppie new-yorkais, est accosté par Lulu, une jeune femme
à l'allure de vamp qui l'entraîne à sa suite dans
de folles aventures.
Il arrivera la même chose à John Turturro dans Box of
Moonlight de Tom DiCillo : une rencontre qui est à l'origine
d'un changement total de mode de vie. Le film de Jonathan Demme est différent
parce qu'il n'a rien de contemplatif ni de bucolique : Charles est pris
dans une véritable tornade, celle que déclenche Lulu à
chacun de ses pas. La cavale des deux nouveaux amants s'interrompt un
long moment lorsqu'ils se rendent à une fête d'anciens du
collège, où Charles rencontre un de ses collègues
et Lulu... son mari, rencontres qui vont les faire déguerpir de
plus belle et faire basculer la comédie dans le film noir. Tout
cela est filmé avec un humour ravageur, le couple vedette s'en
donne à cœur joie, Melanie Griffith en femme fatale imprévisible
et Jeff Daniels, une sorte de Bernard Menez américain dans un rôle
à la Bernard Menez.
SAMEDI.
TV. Boomtown (série
américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg,
Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 13 et 14, diffusés
sur Canal + le soir-même).
Ça va nettement plus vite que dans Wired : en dix minutes,
le téléphone d'un suspect est mis sur écoute. Pour
obtenir l'autorisation de procéder à la même opération,
il a fallu cinq épisodes aux flics de Baltimore.
Bon
dimanche.
|