Notules dominicales 2004
 
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Notules dominicales de culture domestique n°154 - 4 avril 2004

DIMANCHE.
Heure d'été. C'est le moment de sortir les gants et le sécateur de la cabane du jardin, les lunettes de soleil du placard et les vélos du grenier. La canicule peut revenir : Caroline découvre sur notre territoire une source dissimulée de fort pagnolesque façon.

Pancrace. Deux fois par an un camion fait le ramassage de ce qu'on appelle les objets encombrants. Deux fois par an, on transporte sur le trottoir les vieux présentoirs de la pharmacie, les appareils hors d'usage et autres rossignols. Dès que la marchandise est déposée, les charognards arrivent. Des individus sillonnent les rues de la ville au volant de véhicules qu'on ne voit pas dans les pages de L'Auto Journal et récupèrent ce qu'ils estiment récupérable, prouvant que la notion de récupération ou d'utilité est une frontière très floue. Ce soir, deux belles brutes en viennent aux mains sous nos fenêtres, peut-être pour le gain du distributeur de préservatifs usagé dont nous voulons nous débarrasser, à moins que ce soit pour les beaux yeux de la goton qui les accompagne et qui hurle comme un goret pour séparer les assaillants, les deux objets de leur convoitise et de leur concupiscence étant peut-être liés. La rixe se déroulant au milieu de la rue, la police vient embarquer les belligérants avant qu'ils ne se fassent écraser par un troisième amateur de ferraille, de caoutchouc ou de chair plus ou moins fraîche.

TV-Radio. Soirée électorale (France 2, France 3, France Info).
Où l'on s'aperçoit qu'il n'y a pas que les buralistes et les restaurateurs qui votent.
"Ce n'est pas une défaite personnelle. Il manque au moins dix points à cause du national", "Il y a eu un phénomène national important", "C'est le mouvement de la vague et c'est le résultat d'un vote sanction au niveau national", les déclarations des battus sont toutes du même tonneau et en arriveraient à faire douter de la loi élémentaire qui veut que le tout soit égal à la somme des parties. Apparemment, c'est l'inverse. Comprenne qui pourra.

LUNDI.
Réactions aux notules. GN et T soulignent le lien contrapétique entre le Tom Jimson de Westlake et l'auteur Jim Thompson.

TV. Sur écoute (Wired, série américaine créée par David Simon, 2002 avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 11, diffusé le 28 mars 2004 sur Canal Jimmy).
Un coup monté par la police de Baltimore - qui est toujours sur la piste du même gang depuis maintenant onze épisodes - tourne mal. L'inspectrice vedette se retrouve occupée à lutter entre la vie et la mort à l'hôpital. Voilà qui redonne un peu d'énergie aux flics décidés à la venger et à une série qui patine sérieusement depuis un moment.

Lecture. Le mousquetaire (Alexandre Najjar, Éditions Balland 2004; 178 p., 15 €).
Biographie de Zo d'Axa (1864-1930).
J'ai entendu parler de Zo d'Axa pour la première fois en janvier 2001 à l'occasion d'un numéro de Surpris par la nuit sur France Culture. Depuis, j'ai retrouvé son nom, difficile à oublier il est vrai, dans différents numéros de la revue Histoires littéraires. Alphonse Gallaud, dit Zo d'Axa, fut poète (assez quelconque d'après les vers cités ici), journaliste, ou plutôt pamphlétaire, et voyageur. Son passage dans l'armée lui apprit la haine de tout ce qui portait uniforme et de tout ce qui incarnait l'autorité. Il déserta d'ailleurs, ce qui pourrait sembler commun s'il n'avait emmené avec lui... la fiancée de son capitaine. Après un passage en Belgique et en Italie, il s'installe à Paris où il crée un journal dont le titre résume à lui seul toute sa vie, L'Endehors. Ses collaborateurs s'appellent Georges Darien, Louise Michel, Émile Henry, Octave Mirbeau, Tristan Bernard, Félix Fénéon, Émile Verhaeren... L'Endehors est un brûlot révolutionnaire, qui prend notamment la défense des anarchistes activistes (même si Zo d'Axa se définit comme un "anarchiste hors de l'anarchie", refusant même cet embrigadement-là), ce qui aboutit à son interdiction. Zo d'Axa s'enfuit, se retrouve avec à peu près toutes les polices d'Europe à ses trousses et finit par être emprisonné à la prison de Mazas. A sa libération, il créera en pleine affaire Dreyfus un autre journal, La Feuille, dans le même ton que L'Endehors, qu'il abandonnera pour consacrer le reste de sa vie à voyager. On le retrouve à New York via Ellis Island ("Nulle frontière n'est hérissée de lois draconiennes et vexatoires comme celles de cette République où la statue de la Liberté fait parade à la porte"), à Chicago où le spectacle des abattoirs le conduit à devenir végétarien, à Montréal, en Indochine, en Chine, au Japon, en Inde, toujours à l'affût des injustices, comme celles qui frappent les Chinois de Hong Kong. Il met fin à ses jours en 1930.
Plutôt qu'une biographie, le livre d'Alexandre Najjar est un exercice d'admiration. Il est vrai que faire le tour d'une telle vie en 170 pages tient de la gageure. L'auteur ne cache pas la sympathie que lui inspire Zo d'Axa, sur un ton souvent lyrique. Les citations, tirées des journaux de Zo d'Axa, de son livre de souvenirs ou de sa correspondance, et les jugements de ses contemporains sont nombreux mais l'amateur de biographie regrettera le manque de précisions, de dates, de détails. On survole la vie du mousquetaire ("Un mousquetaire rouge qui, après avoir nargué, de l'Europe à l'Asie, juges, policiers, gendarmes, ministres même, finit par nous avouer tout bas qu'il n'est pas anarchiste parce que le mot lui-même est encore un classement !", l'hommage est de Clemenceau), alors qu'on aimerait la creuser, entrer à l'intérieur. Ce sera peut-être pour plus tard, Najjar a entrouvert la porte et c'est déjà une bonne chose.
Appel aux notuliens : quelqu'un sait-il où se trouvait la prison de Mazas, fréquentée, avant Zo d'Axa, par Jules Vallès ?

Courriel. Une demande d'abonnement aux notules, émanant des auteurs, entre autres, d'un intéressant glossaire de la prostitution visible ici : http://www.insenses.org/chimeres/glossaire.html

MARDI.
Tableau d'honneur. Le bulletin trimestriel de Lucie souligne une incompétence flagrante, malgré l'environnement familial, à "Payer une somme avec des euros". Ce qui prouve au moins qu'elle n'a pas l'âme d'un mercanti. Mais qu'est-ce que c'est que cette école où l'on apprend à payer alors que l'essentiel est de savoir encaisser ?

TV. Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Mykelti Williamson, Donnie Wahlberg, Gary Basaraba; saison 2, épisodes 1 et 2, diffusés sur Canal + le 27 mars 2004).
Une deuxième saison qui s'ouvre sur les chapeaux de roue. Comme pour Wired, rien de tel que le meurtre d'un collègue pour motiver les membres d'un commissariat, à Los Angeles comme à Baltimore. De plus, le procureur McNorris est revenu en pleine forme de sa cure anti-alcoolique. On craint la rechute...

MERCREDI.
Retour à la terre. Plantation florales, élagage d'un saule, nettoyage, désherbage, ça s'active dans le jardin par une température redevenue clémente.

Cinéma. Agents secrets (Frédéric Schoendoerffer, France, 2004 avec Vincent Cassel, Monica Bellucci, André Dussollier, Charles Berling, Bruno Todeschini, Sergio Peris Mencheta, Ludovic Schoendoerffer, Éric Savin, Gabrielle Lazure).
Un homme et une femme des services secrets sont chargés de faire couler le bateau d'un marchand d'armes.
Je n'ai jamais rien compris aux histoires d'espionnage, que ce soit dans les livres, dans les films, ou dans la vraie vie. A cette histoire-ci non plus, d'ailleurs. Je me demande toujours par exemple comment le long prologue muet mettant en scène Charles Berling se rattache au reste du film. Pour Schoendoerffer, c'est un monde codifié qui n'a guère varié au fil du temps : on y avale des puces électroniques au lieu de microfilms mais à part ça on s'y déguise toujours (ne manque que la barbouze), on y apprend toujours par cœur les biographies des identités qu'on emprunte, on y croise toujours des femmes fatales et des agents doubles, voire affectés d'un coefficient plus élevé, on y voyage toujours beaucoup, Paris, Madrid, Casablanca, Genève et autant d'équipes de tournage (c'est un film cher). Tout ceci pourrait passer si Frédéric Schoendoerffer filmait la chose avec un peu de distance, celle par exemple qu'il avait mise dans son polar Scènes de crime. Ce n'est malheureusement pas le cas et on admire d'autant plus les comédiens de prononcer sans pouffer des répliques qui semblent venues d'un autre âge sur l'importance de la mission, du don de soi et de la fidélité à la maison qui les emploie.

JEUDI.
Courrier. J'envoie une revue de presse à Y., un CD de Dranem à GL et un aptonyme à AZ, en l'occurrence une demoiselle Radeau championne d'aviron.

Lecture. Méditation près d'un jardin (Corinne Louvet, Médiaspaul Éditions, 2000; coll. Les jardins du regard; 110 p., 14,50  ).
La Vierge au chancelier Rolin de Jan Van Eyck (voir ici).
Je ne sais ce qu'est devenue cette collection, issue d'une maison d'édition apparemment catholique, qui n'en était ici qu'à son deuxième numéro. On y trouve l'étude précise d'un tableau reproduit sur un volet dépliable de la couverture, ce qui permet de l'avoir sous les yeux tout au long de la lecture. Certains détails font aussi l'objet d'une reproduction, ce qui a son importance dans ce tableau qui fourmille de silhouettes de deux millimètres de haut. La peinture de Van Eyck est une des plus riches que l'on puisse trouver. Un tableau d'apparence assez dépouillée, comme celui des Epoux Arnolfini, peut déjà donner lieu à une infinité de commentaires, alors que dire de celui-ci qui est un véritable monde en soi, fourmillant de détails, de plans, de scènes, de trouvailles, de niveaux, signes à la fois de la maîtrise technique de la peinture à l'huile (technique alors balbutiante) et de la profondeur d'esprit de Van Eyck. Le commentaire est avant tout théologique, livrant une interprétation chrétienne de chacun des éléments, du choix des fleurs du jardin clos à la signification des motifs du dallage ou de la robe du chancelier. La parfaite symétrie de la composition reflète la division du monde, avec à gauche le monde humain pécheur (la ville, le chancelier, les scènes sculptées au-dessus de sa tête représentant Adam et Ève chassés du paradis), à droite le monde divin (la Vierge, le Christ et l'Ange, les églises dans le fond), au milieu ce pont sur lequel se presse la foule dans un mouvement de gauche à droite, celui de l'humanité vers son Dieu et son salut.
Vocabulaire. Hyperdulie : culte rendu à la Vierge Marie, supérieur au culte de dulie (respect et honneur que l'on rend aux anges, aux saints).

VENDREDI.
Musique. V. a retrouvé la trace de Roger Mason, qui sera à Paris en juin pour deux concerts.

Vacances. Je pars pour Paris par le 14 heures 50.

Cinéma (Reflet Médicis, rue Champollion). Gas-oil (Gilles Grangier, France, 1955 avec Jean Gabin, Jeanne Moreau, Henri Crémieux; vu dans le cadre du festival "Gabin, plus qu'un acteur : un mythe").
Jean Chape, chauffeur routier de Clermont-Ferrand, écrase avec son camion un homme étendu au milieu de la route. Celui-ci était un malfrat qui s'est enfui avec le butin d'un hold-up après avoir semé ses complices. Chape est soupçonné d'avoir récupéré l'argent.
Grangier et Michel Audiard signent cette adaptation assez libre du roman de Georges Bayle, Du raisin dans le gaz oil, paru à la série Noire en 1954 (n° 217). Le livre n'est pas un chef-d'œuvre, le film non plus, mais les deux s'attachent à dresser un tableau sincère de gens simples au travail difficile, solides en amitié et bouleversés par l'irruption d'une bande de malfrats venus leur disputer un magot dont ils ignorent l'existence. Gabin endosse la panoplie du routier millésime années 50 (comme il le fera la même année pour Henri Verneuil dans Des gens sans importance), casquette, salopette, chemise à carreaux et langage rude. Il le fait sans trop de conviction, paraît même assez mauvais dans certaines scènes (celles qu'il partage avec Jeanne Moreau), comme si le métier et le talent laissaient place à la routine et au nonchaloir. On sent le désir de faire une sorte de Bête humaine version Berliet mais ça ne marche pas vraiment. Deux belles séquences toutefois ouvrent et ferment le film, celle du réveil du routier, catalogue de gestes machinaux, et celle où les camions encerclent la voiture des mauvais garçons.

SAMEDI.
Vie parisienne. A Jussieu, c'est Isabelle Dangy, une habituée du séminaire Perec, qui tente un rapprochement entre Georges Perec et Jean Echenoz. Rapprochement justifié par une même inspiration policière dans laquelle la fugue, la disparition, la manipulation sont prépondérantes, une même pratique de l'intertextuel, une pratique de la citation et de l'allusion tirées d'un réservoir commun (Pierrot mon ami de Queneau par exemple), un même goût pour le minimalisme, l'infime, la formulation économique. Le problème, c'est qu'Echenoz lui-même ne reconnaît pas ce rapprochement et nie la fraternité littéraire suggérée par Isabelle Dangy. N'importe, l'exercice n'est pas vain et mérite d'être tenté avec d'autres écrivains contemporains (parmi lesquels Modiano me semble le plus évident) ou plus anciens (le Gide de Paludes serait une piste intéressante).
Je croûte au Petit Cardinal en songeant à un paragraphe pour ces notules, que je consacrerais volontiers à la routine de mes séjours parisiens, et, plus généralement, ma propension à me créer des routines dans les endroits les moins routiniers. J'y parlerais de l'immuabilité de mes parcours, de mon hôtel à la rue des Écoles, des cinémas de la rue des Écoles à Jussieu, de Jussieu à la Bibliothèque des Littératures Policières, de la Bilipo au Louvre du Louvre à l'Arlequin, de la table du fond du Petit Cardinal à la table 22 de la Brasserie de l'Est, inamovibles cadres de mes audaces gastronomiques. Seul change, au fil de mes séjours, le numéro de ma chambre d'hôtel. Et encore : le mois dernier, j'avais la 41, ce mois-ci, j'ai la 42 et elle se trouve dans le même fuseau horaire. Je ne me plaindrais pas de cette routine puisque je passe ma vie à me forger des routines et à râler contre ceux qui les bousculent... Je pense toujours à ce passage à écrire quand j'arrive à la Bilipo où je trouve porte de bois, à cause d'une grève. Plus question de routine, mon Atlas de la Série Noire attendra, je suis en chômage technique, je me sens en vacances. A moi l'aventure, l'audace, la jungle urbaine, à nous deux Paris.
Première urgence de mon statut d'aventurier, trouver un endroit où faire la sieste. Je rentre dans ma chambrette et une fois ragaillardi, métrotte jusqu'à la Muette. Le Musée Marmottan Monet propose une exposition consacrée à "la photographie dans les collections de l'Institut de France 1839 - 1918". 1839, c'est la date de la séance, quai Conti, au cours de laquelle fut présenté le procédé de fabrication d'images attribué à Daguerre. Immédiatement, les différentes académies qui composent l'Institut (inscription et belles-lettres, sciences, beaux-arts...) comprennent l'importance de la nouveauté, financent des expéditions à l'étranger qui ont entre autres pour mission de rapporter des photographies. On voit ici par exemple celles de Maxime du Camp, parti en Egypte en compagnie de Flaubert. Beaucoup de clichés archéologiques donc (des statues encore à-demi enfouies dans les sables, des sites déserts qui seront plus tard pris d'assaut par les touristes), mais aussi des clichés médicaux, les premières radiographies, les aliénés de la Salpêtrière où Charcot a créé un Service photographique, des clichés à caractère ethnographique (de Ceylan, La Mecque, d'Amérique du Sud) ou touristiques (Venise, Montréal, des vues des Alpes avant même que les peintres ne se consacrent au paysage de montagne), des clichés historiques (Paris détruit à la fin de la guerre de 1870, les barricades de la Commune) pour finir avec les clichés de la Section photographique de l'armée, créée en 1915 et qui montrent les premières images des tranchées. Après cela, je n'ai pas envie de voir les Monet, j'ai eu ma dose de nymphéas à l'Orangerie en 1999 mais je tombe en arrêt devant Les Maisons rouges à Björnegaard http://websell.pipex.com/alpha-cgi/shop4pictures/PF1154.html, souvenir d'un voyage en Norvège de Monet en 1895, et m'en repais jusqu'à la fermeture.
Je traverse les jardins du Ranelagh où la fine fleur des bambins du XVI° s'ébat en Nike Air pointure 28 et blouson Bon Point en attendant l'heure de la messe du soir. Le spectacle de la rue de Passy, que je remonte en direction du Trocadéro, fait revenir à ma mémoire les paroles de David McNeil ("Jolies passantes de Passy / Je me demande souvent si / Dans le plaisir qu'on dit charnel / Vous gardez vos tailleurs Chanel") et à la surface le vieux fonds de conscience de classe qui me reste. Pour ne pas me faire remarquer, je prends une photo de la Tour Eiffel : Lucie a toujours du mal à croire que je vais vraiment à Paris.

Cinéma (le Brady, boulevard de Strasbourg). Le Furet (Jean-Pierre Mocky, France, 2003 avec Jacques Villeret, Michel Serrault, Robin Renucci, Michaël Lonsdale, Karl Zéro, Patricia Barzyk).
Un modeste serrurier multiplie les meurtres. Il veut attirer ainsi l'attention d'un caïd afin d'entrer à son service.
Tous les samedis soirs au Brady, Jean-Pierre Mocky, entouré de quelques fidèles (Dominique Zardi et Christian Chauvaud ce soir) vient présenter son film et parler de son travail. Le Brady est sa propriété et comme il n'a plus de distributeur, c'est le seul endroit où on peut voir ses films. Celui-ci est son 47°, le 48° est déjà en boîte et le tournage du 49° va débuter. C'est une comédie policière (tirée de Un furet dans le métro, de Lou Cameron, Série Noire n° 1858) qui montre un M. Tout-le-Monde se transformer en justicier, ce que faisaient déjà les antennoclastes de La grande lessive. L'histoire est plaisante, traitée à la sauce Mocky avec beaucoup de gros plans, un côté anar revendiqué, dans un cadre parisien délabré en lieu et place du New York du roman, et servie par une interprétation brillante en tête de laquelle on trouve les deux champions des rôles à pantalons de velours grosses côtes - bretelles larges -casquette, Villeret et Serrault qui semblent ravis qu'on leur donne enfin des rôles de méchants.

Bonnes semaines.

Vacances. Le numéro 155 des notules sera servi le dimanche 18 avril.

 

Notules dominicales de culture domestique n°155 - 18 avril 2004

DIMANCHE 1.
Vie parisienne. Je traverse la rue de Rivoli sans me faire piétiner par la harde des marathoniens et me réfugie au Louvre pour la suite de ma Mémoire louvrière. Au programme, le cabinet 2 de la salle 8, aile Richelieu, deuxième étage (Pays germaniques, XVI° siècle). Au loin, une alarme se met en marche régulièrement jusqu'à ce qu'une gardienne vienne me faire remarquer aimablement que c'est moi qui la déclenche en m'approchant trop des tableaux. Il est vrai que la signature du Portrait de Gaspar von Köckelitz, de Cranach, n'est pas facile à débusquer. Je quitte les lieux après le rituel salut à la Vierge au chancelier Rolin sur laquelle je jette un oeil aiguisé par les commentaires de Corinne Louvet. Il est midi, c'est le premier dimanche du mois, le musée est gratuit et la foule est si dense que les services de sécurité bloquent l'accès à l'aile Denon (la Joconde ne doit pas manquer de courtisans) et même, plus haut, à la Pyramide. Je croûte un poulet froid - mayonnaise tremblotante au Petit Moine, une adresse que je ne recommande à personne, et décolle par le 13 heures 44.

Lecture. L'énigme de la pierre Oeil-de-Dragon (Long yan shi zhi mi Ren shen wu qu, He Jiahong, 1996; Éditions de l'Aube, 2003 pour la traduction française, coll. L'Aube noire; traduit du chinois par Marie-Claude Cantournet-Jacquet et Xiaomin Giafferri-Huang; 352 p., 20 €);
C'est avec un peu de curiosité qu'on s'embarque dans le monde du polar chinois. De la curiosité, mais aussi de l'appréhension. On y entre sur la pointe des tongs, pour ainsi dire. On est rassuré par la présence, en ouverture, d'une liste des personnages et des liens familiaux qui les unissent mais cette accalmie est de courte durée : sera-t-on capable de distinguer Shi Wengui de Shi Wugui, de faire la différence entre Shi Yinhua et Shi Jinhua ? Comment croire que Shi Chenghu est bien le frère de Shi Chenglong quand une note en bas de la page 26 indique que "le terme 'oncle' ne doit pas être entendu dans le sens strict que nous lui donnons en français : il s'agit d'un parent proche de la génération des parents. De même, les cousins germains se considèrent entre eux comme de vrais 'frères', d'où certaines appellations qui peuvent prêter à confusion" ? Tout cela pourrait bien finir par ressembler furieusement à la manipulation de l'ocre par des cocus ictériques chère à Alphonse Allais. En fait, la détermination des personnages ne pose pas de problèmes insurmontables mais il est de même préférable de lire le livre rapidement (un aller - retour ferroviaire Nancy - Paris, par exemple) plutôt que de le laisser traîner quinze jours sur sa table de nuit entre deux chapitres.
Pour la troisième fois, He Jiahong met en scène l'avocat de Pékin Hong Jun, présenté comme le véritable Sherlock Holmes chinois. Mais ici, il n'aura pas beaucoup à forcer son goût pour la déduction pour venir à bout d'un mystère assez simple, la mort d'un villageois qui venait de découvrir une étrange pierre précieuse. Pour son enquête, Hong Jun quitte Pékin pour la province du Hebei et découvre une Chine inconnue, archaïque, en proie aux superstitions. On quitte alors la trame policière pour suivre le long monologue intérieur de la veuve du villageois, dont la vie fut brisée par la Révolution culturelle. Poids de l'histoire, poids des traditions, existence d'un pays à deux vitesses partagé entre les valeurs du passé et celles, sonnantes et trébuchantes, d'un avenir en apparence doré, c'est cela que l'auteur veut mettre en avant dans ce roman. La curiosité est donc finalement récompensée, l'appréhension vaincue, le paysage vaut le coup d'œil et les éditions de l'Aube sont à féliciter pour leur travail de défrichement de la littérature chinoise.

LUNDI 1.
TV. Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Mykelti Williamson, Donnie Wahlberg, Gary Basaraba; saison 2, épisodes 3 et 4, diffusés sur Canal + le 3 avril 2004).
Après le meurtre de flic la semaine dernière, la série continue à décliner les poncifs du genre avec cette fois une prise d'otages. Seule surprise, celle de voir, dans le rôle d'un des ravisseurs, un des auxiliaires de Vick Mackey dans la série The Shield.

MARDI 1.
TV. Sur écoute (Wired, série américaine créée par David Simon, 2002 avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 12, diffusé le 4 avril 2004 sur Canal Jimmy).
L'épisode est signé George Pelecanos, le George Pelec américain, auteur de polars ayant pour cadre la ville de Washington. Impossible de juger de la qualité de son travail à cause d'une réception satellite à nouveau chaotique. J'aurais mieux fait de regarder Monaco - Real.

MERCREDI 1.
Vie familiale. Visite fraternelle en provenance de Lisieux.

Réactions aux notules. Merci aux notuliens qui, par courrier et même par téléphone, m'apprennent que la prison de Mazas se situerait aujourd'hui au n° 23 du boulevard Diderot à Paris et qu'elle compta aussi parmi ses pensionnaires un adolescent originaire de Charleville coupable d'avoir brûlé le dur.

Courriel. Échange avec Marcel Bénabou à propos de l'éditorial du prochain bulletin de l'Association Georges Perec. J'envoie des notes sur le blog de FG et sur le roman d'ARB.

Lecture. Pensées pour moi-même (Marc-Aurèle, Garnier-Frères, Paris, 1964, Flammarion, Paris, 1992 pour cette édition, coll. GF n° 12; traduction, préface et notes par Marc Meunier; suivies du Manuel d'Epictère; 226 p.).
Cela fait un an que je picore ces Pensées, dues à un empereur romain du II° siècle, élève des stoïciens et qui écrivait en grec. Ce ne sont pas toutes des pensées personnelles, certaines sont recopiées chez ses maîtres, elles parlent du pouvoir, de l'autorité, (beaucoup furent écrites pendant les campagnes que Marc-Aurèle mena sur les bords du Danube et en Syrie), des rapports avec Dieu, avec l'autre, et, stoïcisme oblige, de la mort. Certaines ne font que deux lignes, d'autres s'étendent sur une page entière, certaines sont limpides, d'autres nécessitent une formation philosophique que je ne possède pas. Ce qui n'a guère d'importance : ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'en butinant comme je l'ai fait, on est presque certain de tomber sur un passage qui correspond à quelque chose qu'on est en train de vivre, à un sentiment qu'on est en train d'éprouver. J'ai déjà cité certains passages dans des numéros précédents des notules, je me contenterai aujourd'hui de la dernière pensée du recueil : "Pour celui qui estime qu'il n'y a de bon que ce qui arrive à son heure, pour celui à qui il est égal d'accomplir un nombre plus ou moins grand d'actions conformes à la droite raison, pour celui à qui il importe peu de contempler le monde plus ou moins longtemps; pour cet homme-là, la mort n'a rien d'effrayant." Sera-t-on capable de se remémorer cette phrase au moment où l'on viendra nous oindre d'une manière finale et extrême ?

JEUDI 1.
Téléphone. Un appel de la Mairie de Vittel, suite à ma demande de renseignements concernant le camp de prisonniers où fut internée Sylvia Beach, à partir d'août 1942. Le camp, situé dans le quartier thermal, a fermé fin 1944, les Allemands ont emporté toutes leurs archives, il ne reste que quelques photos.

Préparatifs. J'empaquette les romans sélectionnés pour le Prix René-Fallet, le volume de jeux mathématiques de Martin Gardner, les Série Noire à travailler pour l'Atlas, le hors-série de Science & Avenir sur "Le mystère des nombres", et pas mal d'autres feuillets réunis en blocs, cahiers, carnets, volumes, de quoi tenir une année en autonomie, ce qui devrait suffire pour une semaine de vacances. Pour le voyage, le CD de Vincent Malone, "En voiture avec le roi des papas", me semble tout à fait indiqué.

Voyage. Nous partons pour Mandelieu sur les coups de seize heures. Le premier accident émétique, mettant en cause Alice, a lieu au kilomètre 13, au niveau de la commune de Bocquegney. C'est une sorte de record pour ce qui est du chemin parcouru. La première fois qu'Alice a été malade en voiture, c'était à une soixantaine de kilomètres du départ. Le deuxième événement du genre, dont j'ai aussi parlé ici, intervint à Saint-Dié, soit à une quarantaine de kilomètres du domicile. On semble donc s'approcher du point de départ selon une sorte de cheminement asymptotique qui permet d'espérer qu'un jour elle parviendra à se soulager avant de monter dans le véhicule. Ce qui sera un soulagement pour tout le monde, y compris pour cette auto qui, taches et remugles aidant, va devenir difficile à revendre. On pourrait nous croire rompus à l'exercice, mais, malgré l'expérience de ce genre de situation, j'ai pris soin de déposer la valise où sont entreposés les effets de rechange de la malade au fin fond du coffre, dont le contenu se trouve rapidement éparpillé sur le bord de la route. La deuxième salve se produit au kilomètre 110 où je parviens presque à immobiliser le véhicule sur l'aire autoroutière de Montigny-le-Roi avant l'instant fatal. Nous atteignons alors une sorte d'automatisme dans les opérations de change et de ménage, malgré une rupture de stock de produits nettoyants qu'il faut renouveler à la station Total où on vend les lingettes au prix des manuscrits de la Mer Morte. La suite du voyage sera plus paisible, après ingestion d'un demi-litre de Primpéran et pose de bracelets anti-nauséeux, et nous touchons au port à deux heures du matin.

VENDREDI 1.
Installation. Le temps est gris, la journée est consacrée aux opérations de ravitaillement en prévision du week-end pascal, à une balade au port entre deux averses, à la lecture de Nice Matin dont les titres sont toujours aussi instructifs sur la douceur des moeurs locales ("Aujourd'hui à Nice, L'affaire des marchés publics truqués en correctionnelle", "7,5 kg de cocaïne saisis à La Turbie", "Meurtre de Nice : le concubin entendu", "La police recherche Malek Cherrad et met son frère en garde à vue", "Femmes battues : les plaintes affluent").

TV. P.J. (Série française, 2003, avec Thierry Desroses, Bruno Wolkowitch, Emmanuelle Bach; saison 10, épisode 1; diffusé sur France 2 le soir même).
La saison précédente était déjà présentée comme la dixième. Tant pis, je n'ai pas le courage de vérifier. Nous prenons l'épisode en cours de route, ce qui fait que les tensions qui règnent au sein du commissariat nous semblent un rien obscures. Cela reste regardable à condition de ne pas se souvenir de The Shield et de résister à toute velléité de comparaison.

SAMEDI 1.
Lecture. Nycthémère (Jean-Bernard Pouy, Les Contrebandiers Éditeurs, 2004; 194 pages, 15 €).
Pouy publie beaucoup, une douzaine de titres depuis 2000 d'après la "bibliographie succincte" qui clôt le volume. Apparemment, il confie ses polars traditionnels à la Série Noire et se livre à des expériences moins classiques au sein de petites maisons d'édition comme Grenadine, Terre de Brume, Eden ou ces tout frais Contrebandiers. On est ici dans un récit de politique-fiction, au "Premier jour de l'Année I dite Zo d'Axa", comme on se retrouve, où les partis politiques ont été remplacés par des maisons de différentes couleurs (on se souvient que l'U.M.P. a failli s'appeler la Maison Bleue) qui se trouvent prises d'assaut par un commando anarcho-révolutionnaire. La résurgence des activistes gauchistes était déjà le thème de Larchmutz 5632, dans une histoire beaucoup plus conventionnelle. Beaucoup plus confortable et beaucoup plus agréable à lire aussi, car il faut bien dire que cette incursion de Jean-Bernard Pouy sur les terres de Maurice G. Dantec n'ajoutera rien à sa gloire.

Emplettes. Ce n'est pas parce qu'on est en vacances qu'on doit négliger la vie culturelle. J'achète Le Gendarme de Saint-Tropez en DVD à 3,99 €.

DIMANCHE 2.
Manne céleste. Les filles partent à la recherche des oeufs de Cannes. Les cloches n'ont pas oublié les parents pour autant et manifestent leur générosité sous la forme d'un billet de cinquante euros trouvé sur le chemin de la boulangerie. Caroline, quadragénaire depuis l'aube, affirme l'autorité que lui confère son âge en refusant catégoriquement l'investissement immédiat de la somme au guichet du PMU tout proche.

TV. Le ciel peut attendre (Heaven Can Wait, Ernst Lubitsch, USA, 1943 avec Don Ameche, Gene Tierney, Charles Coburn; diffusé le soir même sur ARTE).
J'ai toujours cru que ce film était de Douglas Sirk, probablement à cause du titre proche de Tout ce que le ciel permet (All That Heaven Allows). Cette confusion est aussi explicable par le genre du film, Lubitsch ajoutant à la comédie brillante dont il est le spécialiste un côté mélo caractéristique de Sirk. L'habillage participe aussi à la confusion : on n'a pas l'habitude de voir Lubitsch en couleurs, celles-ci sont flamboyantes, les yeux de Gene Tierney en Technicolor sont inoubliables. La thématique est cependant bien lubitschienne, avec cette histoire de Don Juan fatigué qui monte au ciel, demande à entrer en Enfer et explique ce souhait en faisant le récit de sa vie. L'histoire donne lieu à une peinture drolatique de la société américaine, à la ville (New York) comme à la campagne (Kansas), et illustre une des lubies de Lubitsch, la force de l'amour qui se place au-dessus de toutes les conventions sociales et familiales. Seul regret : la "Lubitsch touch" se dissimule également dans les dialogues et on peut regretter à ce propos qu'ARTE n'ose plus la V.O. en première partie de soirée.

LUNDI 2.
Balnéo très rapide. Premiers pas sur la plage. On ne s'y bouscule pas.

TV. Une époque formidable (Gérard Jugnot, France, 1991 avec Gérard Jugnot, Richard Bohringer, Victoria Abril; diffusé sur Télé Monte-Carlo le soir même).
Il y a peu de choses plus efficaces et drôles, cinématographiquement parlant, qu'une cascade d'emmerdements qui s'abattent sur le même pauvre type, on sait ça depuis Chaplin et Keaton. Voir Gérard Jugnot perdre, en vingt minutes, son boulot, sa femme, ses amis, sa voiture, son domicile et ses chaussures a, c'est sûr, quelque chose de réjouissant. Après ce prologue, le film s'essouffle un peu, Jugnot réalisateur courant plusieurs lièvres à la fois : faire un film social dans la lignée de La Crise de Colinne Serreau, un film d'hommes et d'amitié avec la bande de SDF qui deviennent les amis du nouveau clochard (Bohringer et Ticky Holgado dans son meilleur rôle), un film sentimental avec les retrouvailles commandant le happy end obligatoire. Un éparpillement qui permet de glaner quelques bons moments dans l'un ou l'autre des genres appréhendés.

Lecture. Trois rêves au mont Mérou (François Devenne, Actes Sud, 2003, coll. Domaine français; 274 p., 19 €; sélectionné pour le Prix René-Fallet 2004).

MARDI 2.
Lecture. Le ventre de l'Amérique (Fatou Diome, Éditions Anne Carrière, Paris, 2003; 302 p., 17 €; sélectionné pour le Prix René-Fallet 2004).

MERCREDI 2.
Lecture. Le faux-fuyant (Alexandre Kauffmann, Arléa, 2003, coll. 1° mille; 170 p., 14 €; sélectionné pour le Prix René-Fallet 2004).

Beau temps. Changement de garde-robe.

JEUDI 2.
Tourisme. Nous passons la journée à Antibes, où le soleil nous rejoint par moments. Surprise de trouver une ville de la côte aussi agréable, apparemment dépourvue de prétention. Je fais une brève incursion au Musée Picasso, laissant volontairement de côté les Picasso par manque de temps et par crainte de ne savoir comment les appréhender, pour me consacrer exclusivement aux toiles de Nicolas de Staël, mort à deux pas d'ici. Je parcours le musée au pas de course, une fois, deux fois, nib : pas de Staël. Je m'informe : on n'a pas encore eu le temps d'ouvrir la salle. Je demande qu'on le fasse, il est quand même près de 16 heures, et on accède à ma requête. Déception : la salle est trop exiguë, même si elle ne contient que six toiles, dont deux belles natures mortes et une vue du fort d'Antibes. Le Grand concert, qui m'avait bouleversé à Beaubourg, est remisé dans la réserve, sa salle d'exposition habituelle étant occupée par une présentation temporaire. Je voulais le revoir, je repars amer. Quelques photos de publicités et d'enseignes peintes (dont un mystérieux practipédiste - bandagiste qui a officié dans la rue Sade) sauront me rasséréner à temps.

VENDREDI 2.
Tourisme. Après consultation des Pages Jaunes locales, je pars photographier la seule enseigne de Mandelieu digne de figurer dans mon Invent'Hair, le salon "N'Hair'J", 629, avenue des Anciens Combattants. Une tentative d'exploration de l'arrière-pays se termine aux grilles d'une "gated community". Charmant pays.

Lecture. La montée des eaux (Thomas B. Reverdy, Éditions du Seuil, 2003; 146 p., 14 €; sélectionné pour le Prix René-Fallet 2004).
Après mes démêlés avec l'énergumène de l'année dernière qui se prenait pour Balzac, je ne donne pas de compte-rendu détaillé de la sélection. Dans l'ensemble, on peut tout de même remarquer que le crû 2004 est supérieur à ceux des deux dernières années. Sur les cinq premiers romans présentés, trois ont un rapport avec l'Afrique, l'un se déroule entre le Kenya et la Tanzanie, le deuxième va et vient entre la France et le Sénégal, le troisième entre Paris et Maputo. Un roman est creux, un autre est déplacé dans cette sélection, il en reste trois susceptibles de recueillir mon suffrage, un roman familial provincial dépourvu de tics, un autre qui aurait sa place dans une collection policière et un dernier qui allie de façon parfois naïve mais sincère une histoire pleine d'intérêt et une réflexion plus large sur l'identité. La langue est dans l'ensemble bien traitée, à peine peut-on déplorer la phrase "Elle ne s'est permise qu'une remarque au sujet de mon absence."

TV. P.J. (Série française, 2003, avec Thierry Desroses, Bruno Wolkowitch, Emmanuelle Bach; saison 10, épisode 2; diffusé sur France 2 le soir même).
Les policiers arrêtent un pickpocket sourd muet : "Vous êtes en état d'arrestation. Vous avez le droit de garder le silence."

SAMEDI 2.
Retour. Voyage tranquille, les bols alimentaires ayant cette fois opté pour la sédentarisation. La nuit venue, je parviens à rester éveillé en écoutant la retransmission de la finale de la Coupe de la Ligue à l'issue incertaine puis heureuse avec la victoire de Sochaux (ma soeur a épousé un Peugeot, je parle de l'usine, pas de la famille, habite Montbéliard et son fils a appris à dire "Allez Sochaux" avant "Papa maman").

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°156 - 25 avril 2004

DIMANCHE.
Courriel. La boîte à lettres électronique est devenue une vraie poubelle. Heureusement qu'y surnagent une demande d'abonnement aux notules et un mot de FG.

Courrier.
Des cartes postales, les G. à Ouessant et les C. victimes des pickpockets de Saint-Jacques-de-Compostelle, et un mot de l'Aveyron.

Presse. Délicieuse trouvaille dans les journaux qui se sont accumulés en notre absence :
"CHANTRAINE : Un obus dans le jardin. Hier en fin d'après-midi, un jardinier jardinait dans la rue des Jardins à Chantraine, lorsqu'il a trouvé un petit obus de la dernière guerre." La Liberté de l'Est, 10 avril 2004.

LUNDI.
Lecture. Carmen (Nevada) (Diamond Dogs, Alan Watt, 2000, Éditions Gallimard 2003 pour la traduction française, coll. La Noire; traduit de l'américain par Laetitia Devaux; 258 p., 23,90 €).
Neil Garvin, dix-sept ans, est la vedette de l'équipe de football de Carmen. Au retour d'une soirée arrosée, il fauche et tue un jeune garçon. Neil essaie de camoufler le crime aux yeux de tous, et notamment de son père, shérif de la ville.
Après une longue immersion dans les premiers romans français, une petite virée dans le polar s'imposait. Ce Carmen (Nevada) constitue une jolie surprise, dans la mesure où son auteur est totalement inconnu. C'est un Écossais qui vit à Los Angeles qui décrit la vie d'une petite ville (imaginaire) du Nevada comme s'il y avait passé toute sa vie. Carmen est un trou, le voisinage de Las Vegas n'y change rien. Pour sortir de ce trou, une seule possibilité pour les jeunes garçons : le football. Le père de Neil Garvin veut que son fils fasse carrière dans ce sport, Neil lui obéit sans enthousiasme, uniquement parce qu'il a peur de lui. Le crime qu'il commet va transformer ses relations avec son père, un être inquiétant qui n'écoute que Neil Diamond et dont la brutalité cache un fêlure plus profonde. La jeunesse de Carmen est celle de Columbine, celle qu'on a découverte au cinéma dans Elephant et dans Ken Park. Une jeunesse à l'horizon bouché dont les réactions sont imprévisibles, entre neurasthénie et violence extrême. Le récit d'Alan Watt, passionnant, est basé sur la culpabilité de Neil, pris entre sa peur d'être découvert et son désir de se dénoncer, entre ce que lui impose son père et ce que lui dicte sa conscience.
Extrait. "Mon père écoutait Neil Diamond jour et nuit. Ce qui veut dire qu'exceptionnellement il mettait la radio, mais la radio est plutôt minable dans le comté de Clarke, même pour un adulte. Ils passent surtout de la daube genre "new country", et c'est insupportable. Je veux dire, la country au moins c'est honnête. Des vieux types ridés qui chantent sur la femme qui les a quittés, qui sont fauchés et qui vivent dans leur camion. Mais dans la new country, ils ont exactement les mêmes problèmes, sauf qu'ils sont tous jeunes et beaux."

TV. Photo Obsession (One Hour Photo, Mark Romanek, E.-U., 2002 avec Robin Williams, Connie Nielsen, Michael Vartan; diffusé sur Canal + en mars 2004).
Vieux garçon, Sy Parrish travaille dans un magasin de photo installé dans une galerie commerciale. Parmi ses clients figurent les Yorkin, une famille modèle pour laquelle Sy se prend d'une passion étrange.
La photo est le biais par lequel Sy vampirise la famille Yorkin. Il garde une copie des clichés qu'ils lui donnent à développer, en tapisse le mur de son salon, vit chez eux par procuration jusqu'à ce qu'il décide d'intervenir plus directement dans leur existence. Le monde dans lequel il vit, entre son intérieur médiocre et le cadre factice du centre commercial (belle photo aux couleurs glaciales) lui impose de chercher ailleurs la chaleur et le contact. Le banal devient inquiétant, le quidam devient un monstre, le sujet est connu et bien traité. Pour accepter le film, il faut malheureusement faire avec Robin Williams qui, comme à son habitude, tire la couverture à lui (on imagine le pourcentage de gros plans sur son visage inscrit dans le contrat) et joue sur un registre outrancier. Un comédien un peu plus subtil aurait fait de cette Obsession (peut-être le dernier film sur la photo d'avant le numérique) une vraie réussite.

MARDI.
Cinéma. Stand By Me (Rob Reiner, E.-U., 1986 avec Wil Wheaton, River Phoenix, Corey Feldman, Jerry O'Connell; vu dans le cadre de la formation pour l'opération "Collège au cinéma").
1959, Castle Rock, Oregon. Quatre garçons partent à la recherche du corps d'un teenager disparu.
Inspiré d'une nouvelle largement autobiographique de Stephen King, Stand By Me relate un voyage initiatique sans surprise, la découverte d'un cadavre étant censée apporter un sens à la vie. L'histoire est parsemée de péripéties, d'épreuves, d'affrontements qui permettent à chacun des adolescents de se construire, de trouver sa place dans le monde. Malheureusement, ces quatre garçons n'ont pas vraiment d'existence propre, ils ne sont que le réceptacle des travers de leurs parents, de leurs pères plus précisément, la folie de l'un, l'indifférence de l'autre, l'aphasie de celui du narrateur suite au décès de son fils aîné. Ces personnages sont interprétés par des jeunes comédiens déjà chevronnés, spécialistes du teen movie, parmi lesquels émerge heureusement River Phoenix, un peu moins lisse que les autres, peut-être parce qu'on connaît son destin tragique.
Curiosité. On a la surprise de découvrir Kiefer Sutherland, le Jack Bauer de 24 heures chrono, dans un rôle d'adolescent bête à manger la paille de tout l'Oregon.
Curiosité bis. Castle Rock compte 1281 habitants. Soit un de plus que le Pottsville de Jim Thompson (ou six de plus si on se fie à la traduction française).

Courrier. Une carte postale de Bretagne.

TV. My Son the Fanatic (Udayan Prasad, G.-B., 1998 avec Om Puri, Rachel Griffiths, Akbar Kurtha; diffusé sur Canal + en ?).
Parvez, chauffeur de taxi pakistanais à Londres, va marier son fils avec une Anglaise. Mais le fils commence à fréquenter le milieux intégristes musulmans et refuse le mariage.
C'est un film sur la tolérance, sur l'intégration, sur l'intégrisme, réussi dans la mesure où il est dépourvu de grands discours. L'histoire se suffit à elle-même. Parvez est un homme simple, qui a ses qualités et ses travers, et qui aspire à une chose : mener sa vie comme il l'entend dans la pays qu'il a choisi. C'est au moment où il essaie de faire le bonheur de son fils que les choses se gâtent et que le conflit s'installe. Le fils héberge un dignitaire musulman, tombe sous son influence et c'est lui qui désormais veut dicter à son père la vie qu'il doit mener. Parvez devra faire un choix entre sa famille et son indépendance. Comme souvent dans les films anglais, la surprise vient de la qualité de l'interprétation, des comédiens inconnus (sauf Om Puri, ce nom !, vedette indienne) qui sont absolument impeccables.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un numéro de la revue Formules, le dernier Mankell et Michel Leiris en Pléiade.

Invent'Hair. Mise en boîte du salon "Stell'Hair", installé dans une galerie commerciale.

Jardin. Première tonte de la saison. La tondeuse démarre du premier coup ou presque. J'ai déjà connu ce genre de sensation quand j'ai touché mon premier tiercé dans l'ordre.

Courriel. AZ me donne des recettes pour combattre la nausée en voiture.

Cinéma. Instincts meurtriers (Twisted, Philip Kaufman, E.-U., 2003 avec Ashley Judd, Samuel L. Jackson, Andy Garcia, David Stathairn, D.W. Moffett, Mark Pellegrino, Russell Wong).
Jessica Shephard est intégrée à la brigade criminelle de San Francisco. Le premier meurtre dont elle a à s'occuper est celui d'un de ses anciens amants.
C'est encore une histoire de tueur en série, un film de genre qui ne renouvelle pas le genre mais qui est fait avec suffisamment d'habileté pour susciter et conserver l'intérêt du spectateur, à condition de le raboter à ses deux extrémités. La mise en place est très laborieuse, avec l'installation dans ses nouvelles fonctions de l'héroïne, interprétée par une Ashley Judd un peu lisse pour le rôle et rapidement énervante. A l'autre bout, la fin est beaucoup trop chargée avec une cascade de rebondissements artificiels. Un faux coupable, ça tient, quatre faux coupables à la suite dans la dernière demi-heure, ça ne marche pas. Mais l'enquête, menée dans un San Francisco où la ville et la mer semblent se mêler l'une à l'autre, est assez déroutante et inquiétante, surtout à partir du moment où Andy Garcia entre en scène.
Curiosité. Le générique de fin mentionne un "Second second assistant director".

JEUDI.
Vie professionnelle. Dépôt d'un préavis de grève au collège. Une jeune vacataire vient d'être remerciée juste avant d'atteindre le seuil des 200 heures qui commanderait le renouvellement de son contrat. Cela fait du bien de voir ce collège, d'ordinaire plutôt apathique sur le plan social, se découvrir des vertus d'opposition et bouger un brin.

TV. Le vieil homme et la mer (The Old Man And The Sea, John Sturges, E.-U., 1958 avec Spencer Tracy, Felipe Pazos, Harry Bellaver; diffusé sur TCM en ?).
Trois jours de lutte entre un vieux pêcheur de Cuba et un espadon qui constitue la prise de sa vie.
L'adaptation du roman de Hemingway était un pari risqué. Le résultat n'est pas flamboyant. Après un prologue qui traîne en longueur, centré sur l'amitié entre le pêcheur et un jeune garçon, on se retrouve en mer avec pour seuls compagnons un narrateur en voix off, le monologue plus ou moins intérieur du vieux et le visage buriné de Spencer Tracy. Le texte est fidèle à Hemingway mais Sturges n'a pas su l'illustrer sans ennuyer (était-ce possible d'ailleurs ?). Les couleurs (en Warnercolor) qui ont très mal vieilli ne permettent même pas de se raccrocher à la beauté des paysages. Heureusement, les requins s'invitent de temps en temps et créent des remous bienvenus.

VENDREDI.
Courrier. J'envoie des coupures à Y. et commande le numéro 2 de La gazette fortéenne.

TV. P.J. (Série française, 2003, avec Thierry Desroses, Bruno Wolkowitch, Emmanuelle Bach; saison 13, épisode 3; diffusé sur France 2 le soir même).
Épisode absolument sans intérêt, c'est du moins ce qu'il m'a semblé avant de m'endormir au milieu.

Lecture. Lolita Man (The Lolita Man, Bill James, 1986; 2000, Éditions Payot & Rivages pour la traduction française, coll. Rivages/Noir n° 355; traduit de l'anglais par Danièle et Pierre Bondil; 316 p.).
Un déséquilibré enlève et tue des adolescentes. Colin Harpur enquête.
On retrouve à peu près les mêmes sensations face à ce roman que face à Retour après la nuit, le précédent livre de Bill James traduit en français. Le personnage de Colin Harpur n'a rien d'attachant, l'intrigue ne suscite qu'un intérêt poli. La structure est classique avec une narration à trois voix, celle d'une future victime, celle des enquêteurs et celle du tueur. Pour pimenter la chose, l'auteur a ajouté l'ingrédient d'une guerre des polices à laquelle on ne croit pas un instant. Le seul aspect original et intéressant vient de la victime, une jeune pimbêche dont le caractère interdit toute empathie, et dont la famille s'empresse de vendre l'histoire au journal le plus offrant.
Extrait. "Ruth Avery disait qu'en faisant l'amour avec Harpur, elle avait l'impression de coucher avec tout le service. Il accrochait sa radio de policier à une patère, et l'appareil dévidait bla-bla et ordres pendant qu'ils se parlaient, se tenaient enlacés ou restaient allongés dans le lit en pensant qu'ils allaient bientôt devoir se lever ou en s'interrogeant sur l'avenir, s'ils en avaient un ensemble. Des noms qui leur étaient familiers à tous deux accompagnaient par ondes interposées leurs plus beaux moments, et leurs plus beaux moments étaient à la hauteur de ce que Harpur avait imaginé quand Ruth était encore une femme inaccessible, qu'elle n'était que l'épouse aux formes épanouies d'un officier de grade inférieur. De temps en temps, c'était son nom à lui qui leur parvenait et il devait répondre. Parfois, cela se produisait au plus mauvais moment, ce qui rompait le charme pour toute la journée. Mais apparemment, cela ne causait jamais de dégâts irréparables."

SAMEDI.
Courrier. Je reçois un disque de Duke Ellington sur lequel figure Moonlight Fiesta, titre longtemps cherché. Je vais enfin pouvoir danser comme Patrick Dewaere dans Série Noire au son du cornet de Rex Stewart.

Jardin. Premiers coups de bêche de la saison. Les filles entament une collection de lombrics plus ou moins réfractaires.

TV. Le Secret magnifique (Magnificent Obsession, Douglas Sirk, E.-U.,1954 avec Jane Wyman, Rock Hudson, Agnes Moorehead, Otto Kruger; diffusé sur CinéCinéma Succès en ?)
Bob Merrick, richissime séducteur, est victime d'un accident de bateau. Il est sauvé grâce à l'inhalateur du Dr Phillips. Privé de son appareil, Phillips meurt au même moment. Merrick cherche à se racheter auprès de sa veuve.
La difficulté du mélodrame, c'est de savoir rester sur la crête qui sépare l'émotion du ridicule. Comment Douglas Sirk y parvient-il ? Pas par la retenue : son histoire (remake d'un autre spécialiste du mélo des années 30, John Stahl) rassemble toutes les composantes du genre, et à haute dose : accidents multiples qui font perdre à l'un la vie, à l'autre la vue, amour et guérison impossibles, personnages idéalisés, pathos, coïncidences improbables, valeurs chrétiennes, musique sirupeuse (violons et chœurs angéliques). Si on se laisse faire, c'est parce que Sirk sait utiliser des ressources proprement cinématographiques pour illustrer le propos : l'exploitation maximale du Technicolor (voitures, paysages, vêtements somptueux, pas une seule pièce sans un bouquet de fleurs flamboyantes) et la fluidité narrative grâce à un montage tout en douceur qui enchaîne les péripéties sans heurts et gomme les ellipses. Du grand art.
Réplique. Le chirurgien annonce à l'héroïne que sa cécité est définitive : "Il faut regarder les choses en face."

Bon dimanche.