Notules dominicales
de culture domestique n°141 - 4 janvier 2004 DIMANCHE.
Vie familiale. Nous partons en balade
dans les bois, derrière la maison. les filles sont ravies, je me sens coupable
de ne pas les sortir davantage. Même si je goûte peu la nature, je
suis comme à chaque fois soufflé d'habiter une ville dont il suffit
de sortir d'à peine un kilomètre pour se retrouver dans des forêts
où il y a largement de quoi se perdre. Finalement, c'est bien de sortir,
même dans le froid et la pluie. Ça permet d'apprécier davantage
son chez-soi au retour. TV. The
Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James
Manos, 2002, saison 1, épisodes 11 & 12, diffusés sur Canal
Jimmy le soir-même). Incroyable foisonnement d'intrigues : guerre des
gangs du rap, guerre des gangs latinos, manœuvres de Vick Mackey pour faire entrer
son fils dans une institution pour autistes en grillant la liste d'attente, un
Coréen dépositaire d'une "banque familiale" retrouvé
littéralement cloué au plancher, les tendances suicidaires d'un
jeune policier qui vit mal son homosexualité, le chef du commissariat rattrapé
par une histoire de viol, des intégristes musulmans qui veulent faire régner
la loi dans le quartier en lieu et place de la police, un inspecteur qui se lance
dans les combats de coqs, Vick Mackey obligé de se démener pour
couvrir un supérieur coupable d'un meurtre, d'autres choses que j'oublie.
En deux épisodes, il y a matière à remplir deux saisons de
P.J. Si on rate un sous-titre, on peut éteindre la télé
et retenter sa chance la semaine suivante. LUNDI. TV.
Plus qu'hier, moins que demain (Laurent Achard, France, 1998
avec Martin Mihelich, Laetitia Legrix, Mireille Roussel, Pascal Cervo, Lily Boulogne,
Daniel Isoppo, Vincent Martin, Alexis Perret; diffusé sur Canal + en ?).
Sonia revient dans son village natal, retrouve sa famille après une absence
de quatre ans. Elle est accompagnée de son mari, de son bébé
et d'une solide dépression. Aïe aïe aïe. Encore un
de ces premiers films sans lendemain, aux tics immédiatement identifiables
(absence de musique, voix blanches, collage plutôt que montage...), qui
présente des personnages à la psychologie torturée... C'est
ce qu'on craint au départ du film. Mais petit à petit les préjugés
tombent, les situations et les personnages deviennent moins artificiels, on s'attache
à cette histoire, à cette Sonia étouffée par le poids
de sa famille et de son passé. Jean Eustache et Pascal Thomas semblent
avoir inspiré Laurent Achard. Celui-ci leur rend hommage avec finesse.
MARDI. Courrier. Des vœux
en provenance de Morlaix. Cinéma.
Qui a tué Bambi ? (Gilles Marchand, France, 2003 avec Sophie Quinton,
Laurent Lucas, Catherine Jacob, Yasmine Belmadi, Michèle Moretti, Valérie
Donzelli, Jean-Claude Jay, Fily Keita, Aladin Reibel, Jean Dell, Thierry Bosc).
Une jeune élève infirmière soupçonne un médecin
de trafiquer des produits anesthésiques pour se livrer à des actes
répréhensibles sur des patientes. On avait beaucoup évoqué
Hitchcock à propos du premier film du tandem Marchand (scénario)
- Dominick Moll. Gilles Marchand passe ici à la mise en scène (conseillé
par Moll) et souhaite que la comparaison perdure puisque le titre est un démarquage
de Mais qui a tué Harry ? du maître. L'intention est louable
mais insuffisante. Si le personnage du docteur énigmatique convient très
bien à Laurent Lucas, on se lasse vite des mines effarouchées de
la débutante Sophie Quinton. L'intrigue, délayée sur plus
de deux heures, manque de consistance, les séquences choc de la fin et
la tentative de basculer vers l'onirisme sont insuffisantes pour rattraper le
coup. Reste le plaisir de se voir plongé dans un genre délaissé
par le cinéma français, celui du thriller médical, rarement
ou peut-être jamais remis à l'honneur depuis Sept morts sur ordonnance
de Jacques Rouffio. C'est dans la création d'un monde hospitalier étrange,
avec ses couloirs déserts et surexposés, que Gilles Marchand est
le meilleur. MERCREDI. Courriel.
Pluie de voeux électroniques. Un journaliste de La Dépêche
(Eure) souhaite écrire un article sur les notules et m'envoie une série
de questions. Alpes-de-Haute-Provence. Nous
fêtons l'an neuf at home, en quatuor. Le foie gras poêlé
nous permet de faire le plein de lipides pour les douze mois à venir. Les
filles rigolent en écoutant Gerry Joly et dansent sur Rock & Belles
Oreilles. TV. Décalage
horaire (Danièle Thompson, France, 2002 avec Juliette Binoche, Jean
Reno, Sergi Lopez; diffusé sur Canal + en décembre 2003). Rose
et Félix font connaissance à Roissy où leurs avions sont
retardés. Il faut toute l'indulgence d'une fin d'année pour
subir sans broncher cette comédie sentimentale sans saveur où la
seule "trouvaille" du scénario consiste à empêcher
le décollage d'un avion par a) une grève, b) une panne informatique,
c) le brouillard. Reno et Binoche s'emploient à combler le vide sans grande
conviction. Une réplique à retenir (Reno face à une tranche
de jambon insipide) : "Il est mort pour rien, ce cochon." JEUDI.
Bilan annuel. "Pourquoi ne commencerais-je
pas l'année en vous la souhaitant à vous et aux autres 'bonne et
heureuse, accompagnée de plusieurs autres' ? C'est rococo mais ça
me plaît." (Gustave Flaubert, lettre à George Sand, 1° janvier
1869). J'ouvre l'agenda 2004 par l'habituel bilan statistique de l'exercice
passé : * 77 livres lus (- 17). * 161 films vus (- 18) dont 72
au cinéma (+ 10). * 110 pages de lecture de longue haleine (Sartre,
Flaubert, Kafka, Nabokov, Proust, Blavier) (- 60). * 71 abonnés aux
notules version électronique (sans oublier les irréductibles abonnés
papier de l'Aveyron) (+ 40). * 3127 visites sur le site des notules (+ 2389).
* poids oscillant entre 64,6 (- 2) et 68 kg (- 1,4). * pertes PMU : non chiffrées.
En ce qui concerne mes chantiers littéraires : * Inventaire
1998 toujours en cours d'élaboration. * Aperçu de littérature
passive 2001-2002 toujours pas mis au propre. * 58 éléments
(+ 11) pour l'inventaire Félicités. * 1083 peintre étudiés
dans les Propos sur l'art peint (+ 131). * 1869 Souvenirs quotidiens
notés (+ 363, j'ai dû me tromper quelque part). * 65 Nouvelles
en deux lignes (+ 4). * 150 volumes étudiés dans L'Atlas
de la Série Noire (+ 30). * L'Itinéraire patriotique
départemental en est à la commune de Basse-sur-le-Rupt (+ 6).
* 42 photos de Bars clos commentées (+ 20). * 168 entrées
dans la Petite géographie de l'incipit (+ 55). * 176 Bribes
oniriques recueillies (+ 140). Nouveautés 2003 : * 65
tableaux commentés dans la Mémoire louvrière.
* 14 publicités murales peintes photographiées. * 45 numéros
de téléphone récoltés dans des films en vue d'un travail
à venir. Bonnes résolutions.
Promenade dans les bois, sous la neige cette fois. TV.
Les Chiens enragés (Cani arriabbati, Mario Bava,
Italie, 1974 avec Riccardo Cucciolla, Maurice Poli, Lea Leander; diffusé
sur Canal + en mars 1999). Trois braqueurs prennent une jeune femme en otage
et détournent une voiture, celle d'un père de famille qui conduisait
son fils à l'hôpital. C'est le dernier film de Mario Bava, figure
du cinéma bis italien, un huis-clos sur l'autoroute avec, d'un côté,
des gangsters à moitié fous et prêts à tout, et de
l'autre des otages désemparés. Une tentative de fuite, un arrêt
à une station-services, un autre au péage constituent les seuls
moments où l'on sort du véhicule. La route est longue avant d'aboutir
à un dénouement assez ingénieux qui renverse les valeurs.
Les mines hallucinées des voyous, les dialogues plus que crus évoquent
certains films de Mocky qu'on ne peut regarder qu'au second degré. Le rôle
du père de famille est tenu par Riccardo Cucciolla qui fut un Sacco très
crédible dans le film de Giuliano Montaldo ("Here's to you, Nicola
and Bart..."). VENDREDI. Courrier.
J'envoie le contrat de réservation aux gîtes de l'Allier, une brassée
de vœux, des coupures à Y. Sports d'hiver.
Fabrication d'un bonhomme de neige, luge, onglée. TV.
P.J. (série française réalisée par Gérard
Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch;
saison 10, épisode 4, diffusé sur France 2 le soir-même).
L'épisode est plutôt bon. Le retour du commandant Lamoujie, blanchi
des soupçons de pédophilie, pèse sur l'ambiance au commissariat
jusqu'à la réconciliation finale. La P.J. Saint-Martin est une grande
famille. On plaint le pauvre Fournier, qui, depuis qu'il a reçu une volée
de pruneaux dans la boîte à ragoût, ne passe pas un épisode
sans recevoir un ramponneau là où ça fait mal. SAMEDI.
Presse. Je travaille sur le questionnaire
du journaliste de La Dépêche que je lui renvoie en fin de journée.
Comme il y est question de cuisine notulienne, je le reproduis ci-dessous :
Qu'est-ce que c'est que cette manie de tout noter? C'est
une habitude que j'ai prise assez tôt. Dès mon adolescence, je me
suis entouré de carnets, de cahiers, de répertoires, de fichiers.
Je ne pouvais pas regarder un film sans chercher la filmographie complète
de chacun des acteurs, suivre une étape du Tour de France sans connaître
le palmarès de chaque coureur. C'est pour cela que ma découverte
de Georges Perec fut déterminante : j'ai retrouvé chez lui ma manie
des listes, des inventaires, des catalogues, des énumérations... Avant
de vous lancer dans la rédaction de vos notules vous avez effectué
quelques tentatives étonnantes comme l'inventaire des aliments solides
et liquides que vous avez avalés au cours de l'année 1997 ou encore
l'inventaire des lieux, faits, objets et personnes ayant occupé votre année
1996. Comment ces idées vous sont venues? J'ai
commencé par écrire des inventaires parce que je voulais écrire
et que je n'avais pas l'imagination ou le souffle d'écrire de la fiction,
un roman. Il me fallait de plus quelque chose qui me tienne en éveil assez
longtemps, une année me semblait une durée convenable. L'inventaire
1996 est original, celui de 1997 ne l'est pas car Perec avait déjà
fait une "Tentative d'inventaires des aliments liquides et solides que j'ai
ingurgités au cours de l'année mil neuf cent soixante-quatorze". Quels
enseignements tirez-vous de ces tentatives? La
confirmation du fait que toute expérience, même la plus infime, peut
devenir littérature. La satisfaction de boucler un travail, d'arriver à
quelque chose de fini. Qu'en
pense votre femme, vos amis, vos lecteurs? Les
personnes qui ont accepté de lire ces textes sont des proches, donc leur
regard est amical et bienveillant. Ma femme joue un rôle différent
puisqu'elle est aux premières loges. Son concours m'est précieux,
par exemple pour l'inventaire de l'année 1998 qui consistait à noter
tous les noms de rues que j'empruntais. C'est elle qui déchiffrait les
plaques de rue ou les notait si c'est moi qui étais au volant. C'est
aussi ma famille qui parcourt avec moi le département des Vosges en tous
sens pour un texte en cours, l' "Inventaire Patriotique Départemental"
qui consiste à trouver, à photographier et à écrire
sur tous les monuments aux morts du département dans l'ordre alphabétique
des communes.
Après ces tentatives, vous vous êtes lancés dans la rédaction
de notules. Quelle est votre définition du notulographe? Les
notules sont nées incidemment, d'abord pour un seul correspondant. Quand
j'ai découvert le courrier électronique, j'ai pris l'habitude d'envoyer
à un ami quelques mots sur les livres et les films que je venais de lire
ou voir. Cet envoi est devenu régulier, dominical, et je l'ai proposé
à d'autres connaissances. Petit à petit, de bouche à oreille,
il y a eu un effet boule de neige. Comment
procédez-vous pour travailler? Comme
je l'ai dit, j'ai toujours tout noté. Chaque jour, je lis "Le Monde",
chaque soir, je note que j'ai lu "Le Monde". Je tiens un cahier de notes
de lecture depuis 1978, un cahier de notes cinématographiques depuis quelques
années seulement, un journal depuis une vingtaine d'années. Je complète
celui-ci chaque jour, les autres à l'issue de chaque lecture ou de chaque
film vu. Le dimanche matin, je prends mes trois cahiers, je recopie, je coupe,
je modifie, je mets en forme. Ce qui me prend entre deux et quatre heures. Vos
notules sont dominicales et de culture domestique, combien de films et de livres
avez-vous lu à ce jour? Je
lis entre un et deux livres par semaine, une petite centaine par an. Pour les
films, comme mes archives sont plus récentes, j'ai dû me fier à
ma mémoire pour reconstituer la liste de tous ceux que j'ai vus. A ce jour
(2 janvier 2004), j'en ai retrouvé 1546. Pourquoi
publier vos notes sur Internet? L'initiative
ne vient pas de moi. Au début, je le répète, les notules
n'atteignaient qu'un cercle restreint d'amis par courrier électronique.
L'un d'eux, Yves Lambert, plus habile que moi dans la chose informatique, m'a
proposé de créer un site. C'est lui qui met les notules en ligne
chaque semaine et qui s'est chargé de référencer le site
sur les principaux moteurs de recherche. A partir de là, le cercle s'est
élargi, des gens sont tombés sur le site par hasard ou à
la suite d'une recherche et se sont abonnés. Aujourd'hui, le site reçoit
une cinquantaine de visites par semaine, les notules sont envoyées à
environ 70 abonnés, des amis, des inconnus et, ce qui me flatte et me terrifie
en même temps, des gens dont je vois parfois le nom sur des couvertures
de livres, dans des revues ou des magazines. Quels
intérêts peut y trouver l'internaute? Ça,
c'est un mystère, une source continuelle d'étonnement. Parce ce
que c'est tout de même une entreprise très narcissique. Que des proches
s'intéressent aux petits faits de ma vie, c'est dans l'ordre des choses.
Que je parvienne à intéresser des lecteurs inconnus, c'est plus
surprenant. Parce que, qu'est-ce que je fais ? La journée, je lis et j'écris,
le soir, je regarde des films, le reste du temps j'ai une vie familiale paisible
et une vie professionnelle sans relief. C'est peut-être la manière
de raconter qui donne de l'intérêt, je ne sais pas, il faudrait poser
la question aux internautes eux-mêmes.
Dans vos Notules dominicales de villégiature exotique n°71, vous
racontez les quelques jours que vous avez passés dans l'Eure et notamment
la découverte fortuite du Moulin d'Andé qui illumina votre journée.
Que vous évoque ce lieu? Le
Moulin d'Andé, pour moi, c'est Perec bien sûr, c'est "La
Disparition", qu'il rédigea en grande partie dans ce lieu. J'avais
déjà vu des photos du Moulin, j'y avais même été
invité pour l'avant-première d'un film sur Perec mais j'ignorais
où il se situait.
Plusieurs réunions de l'Oulipo se tenaient à Andé. Dans
votre présentation, vous précisez que vous êtes né
la même année (1960) que l'Oulipo. Pouvez-vous nous en dire plus
sur l'Oulipo et ses réunions? Je
ne sais pas exactement comment fonctionne l'Oulipo. Il me semble que les réunions
se tiennent successivement chez les membres du groupe, ou parfois au restaurant.
Plusieurs membres sont passés à Andé, Jacques Roubaud, Marcel
Bénabou, mais j'ignore si des réunions du groupe se sont tenues
au Moulin. Vous
évoquez aussi Suzanne Lipinska - qui est toujours propriétaire du
Moulin d'Andé - et de l'amour que Perec avait pour elle. Là aussi,
vous pourriez nous en dire un peu plus? Perec
est arrivé au Moulin en 1965-66, sur l'invitation de Maurice Pons. Il fut
très vite admis au sein de la communauté autour de Suzanne Lipinska,
dont il tomba amoureux. Il y passa de nombreux week-ends, parfois des séjours
plus longs, partageant à partir de 1968 sa semaine entre Paris et Andé.
La passion de Perec pour Suzanne Lipinska était exclusive mais Suzanne
était davantage attachée à son Moulin qu'à l'écrivain.
La rupture, "l'arrachement" comme dit Paulette Perec dans "Portrait(s)
de Georges Perec" a pesé sur la vie de l'auteur, bien sûr,
mais aussi sur son oeuvre, ses difficultés à écrire "W
ou le souvenir d'enfance" en témoignent. Tous ces faits sont racontés
dans la biographie de David Bellos, "Georges Perec, une vie dans les mots"
(Le Seuil, 1994). Georges
Perec est important pour vous, vous êtes responsable du bulletin de l'association
Georges Perec. D'où vient cet intérêt pour lui? J'ai
découvert Perec par la radio. En 1992, France Culture a diffusé
une série d'émissions pour célébrer le dixième
anniversaire de sa mort. En entendant sa "Tentative de description de
choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978", j'ai eu le déclic.
J'ai lu ses livres, la biographie de Bellos, j'étais épaté
de trouver un écrivain qui avait écrit, en bien mieux, tout
ce que je voulais écrire et beaucoup d'autres choses encore. J'ai découvert
l'existence d'une Association Georges Perec, j'ai commencé à fréquenter
le séminaire Perec qui se tient chaque mois dans une université
parisienne (Jussieu), j'ai rencontré des gens qui l'avaient connu et des
spécialistes de son oeuvre. J'imagine
que vous êtes incollable sur la question, alors pouvez-vous nous dire comment
Perec est arrivé à Andé? Le
roman de Maurice Pons, "Les Saisons", est sorti en 1965, en même
temps que "Les Choses" de Perec. Les deux hommes ont fait connaissance
à la suite du Prix Renaudot obtenu par Perec. Pons habitait le Moulin d'Andé,
il a invité Perec à venir y passer un moment. Quelle
importance - voire quelle influence - a eu pour lui son passage au Moulin d'Andé? Perec
a trouvé à Andé un endroit où il pouvait écrire
et faire partager son travail aux membres de la communauté, écrivains,
cinéastes, artistes. Il y a peut-être aussi trouvé une sorte
de famille de substitution à la sienne, détruite par la guerre.
C'est pendant sa fréquentation d'Andé qu'il est devenu membre de
l'Oulipo. C'est à Andé qu'il a travaillé sur "Un
homme qui dort", "La Disparition", son traité
sur le jeu de go (en collaboration avec Roubaud), "L'Arbre"...
Sa vie a Andé a aussi bien sûr influencé son oeuvre sur le
plan émotionnel. Là aussi, je me réfère à David
Bellos. Une
nouvelle année débute. Quels livres avez-vous prévu de lire
cette année? Et dans quelles villégiatures exotiques comptez-vous
vous rendre? J'aimerais
progresser dans mes lectures de Proust et Kafka, ce que j'appelle mes lectures
de longue haleine, lire Alfred Döblin, Malcolm Lowry, m'attaquer enfin à
Jarry et Raymond Roussel. Le reste dépendra de l'actualité littéraire,
des sorties de l'année, notamment dans le domaine policier que je pratique
beaucoup. Pour choisir un lieu de vacances, nous partons d'une contrainte
simple : il faut trouver un département français qu'aucun des membres
de la famille n'est capable de situer sur une carte. C'est comme ça que
nous nous sommes retrouvés dans la Creuse, dans l'Eure, dans le Loir-et-Cher.
C'est facile parce que nous ne sommes pas très bons en géographie.
Cette année, ce sera l'Allier. En trichant un peu, car nous y sommes déjà
allés. Disons qu'on ne se rappelle plus où c'est. Ça
prouve que la contrainte s'essouffle et qu'il est temps de passer à autre
chose. Si j'y avais pensé à temps, j'aurais aimé passer les
vacances 2001 dans l'Ain, 2002 dans l'Aisne, 2003 dans l'Allier... Il est toujours
temps de prendre le train en marche et d'aller dans les Hautes-Alpes l'an prochain.
Ce qui nous conduirait à rester dans les Vosges en 2088. J'aurai alors
128 ans et j'apprécierai sans doute de ne pas avoir à voyager.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel
Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 5, diffusé
sur Canal + le 28 décembre 2003). 1980. Il n'est pas toujours facile
de suivre les personnages qu'on a connus enfants dans les premiers épisodes
et devenus adultes. L'épisode se termine sur une scène qui rappelle
étrangement le final de Rencontres du troisième type.
Bon dimanche et meilleurs vœux. Notules
dominicales de culture domestique n°142 - 11 janvier 2004 DIMANCHE.
Satisfaction (I Can Get...). Dernier jour
des vacances. Contrairement à l'habitude, je suis plutôt satisfait
de cette période. Pourtant, dès le premier samedi, j'avais hâte
qu'elle se termine : les filles promettaient de me faire tourner chèvre,
Caroline, amputée comme d'habitude des deux tiers de son personnel, était
bloquée du matin au soir à la pharmacie. Et puis, petit à
petit, les caractères et les contraintes se sont amollis et j'ai pu finalement
faire presque autant de choses que je le souhaitais : j'ai progressé dans
mes écrits, sorti les filles au cinéma, dans les bois, dans la neige,
revu mes frères et HB (néo-orangeois), découvert les triangles
arithmétiques de Pascal, entamé Stendhal, trouvé un point
de chute estival dans l'Allier, écouté des émissions sur
Frank Zappa, et, seule concession à mon goût immodéré
pour l'aventure, traversé deux fois la Moselle en quinze jours.
Réactions aux notules. AZ suggère
de comptabiliser les aptonymes dans le bilan annuel. A ce propos, CFC me parle
d'une pharmacie Bobo à Perpignan et m'indique comment entrer au Louvre
sans faire la queue. ARB m'offre le premier chapitre de son roman. Un comédien,
Daniel Cohen, dont j'avais souligné la prestation dans Tristan, de Philippe
Harel, (je l'avais comparé à Louis de Funès et, manifestement,
il a pris ça pour ce que c'était, un compliment) m'invite au théâtre
des Mathurins où il met en scène une pièce qu'il a écrite.
TV. The Shield (série américaine
de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisode 13
et saison 2, épisode 1, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Jimmy diffuse les deux saisons à la suite, ce qui est une bonne nouvelle
pour les accros que nous sommes devenus. La femme de Vick Mackey est partie avec
ses enfants. Est-ce qu'on peut faire une chose comme ça à Vick Mackey
? A suivre. LUNDI. Notules.
Première demande d'abonnement de l'année. TV.
Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough,
Donnie Wahlberg, Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 1 et
2, diffusés sur Canal + le 3 janvier 2004). Mon goût tout récent
pour les séries n'est pas près de s'éteindre. Les programmes
télévisés n'annoncent pas moins de trois nouveautés
intéressantes dans ce domaine rien que pour cette semaine. Boomtown
est une série policière, une de plus, mais qui se caractérise
par une recherche formelle intéressante. L'affaire criminelle relatée
dans chaque épisode est en effet traitée selon une multitude de
points de vue qui se croisent et se chevauchent au moyen d'incessants flash-backs
: un procureur, quatre flics, une ambulancière, une journaliste, les victimes,
les témoins... Pour les différencier, le réalisateur joue
parfois sur la texture de l'image, à la manière du Soderbergh de
Traffic. Si l'histoire présentée dans le premier épisode
est assez facile à suivre une fois qu'on a saisi le principe, la deuxième
est un véritable casse-tête qui se met miraculeusement en place à
la fin. On atteint là quasiment la période cubiste de la série
télévisée, dans un exercice déroutant mais stimulant.
Curiosité. Un enquêteur nommé Fearless qui a vu la mort de
près dans la première guerre du Golfe, ne se déplace jamais
sans un bout de papier sur lequel il a noté et coche au fur et à
mesure les choses qu'il veut faire avant de mourir. Je saisis l'occasion pour
relire les Quelques-unes des choses qu'il faudrait tout de même que je
fasse avant de mourir de Perec et me livrer, au moyen d'un arrêt sur
image obtenu après moult tâtonnements, à une étude
comparative. "Aller du Maroc à Tombouctou à dos de chameau
en 52 jours" se retrouve dans "Ride a camel", "Planter un
arbre (et le regarder grandir)" dans "Plant a tree", et, de façon
plus éloignée, "Faire un long voyage sur un navire" dans
"Go deep-sea fishing". En revanche, on notera que Perec n'avait pas
l'intention de coucher avec une prostituée et que le flic n'a pas l'intention
d'aller dans les Ardennes ni d'écrire un scénario de film d'aventures
"dans lequel on verrait, par exemple, 5 000 Kirghizes cavaler dans la
steppe." MARDI. Courrier.
Des vœux en provenance de Thionville et d'Épinal. TV.
Palettes : Les Jardins publics d'Édouard Vuillard (documentaire
d'Alain Jaubert, France, 1991, diffusé sur ARTE le 27 décembre 2003).
Les archives de Vuillard, nombreuses et bien conservées, permettent de
reconstituer parfaitement l'historique de l'œuvre (une série de onze panneaux
décoratifs commandés en 1894 pour l'hôtel particulier d'Alexandre
Nathanson), de voir sa fabrication, de l'idée de départ à
la version définitive en passant par le brouillon et l'esquisse. La palette
graphique reconstitue même l'aspect que pouvait avoir la pièce de
l'appartement avec la disposition des panneaux (y compris celui qui a disparu
pendant l'Occupation et qui figure au catalogue des biens spoliés). L'étude
minutieuse d'Alain Jaubert donne également à voir, dans l'arrière-plan
des alignement d'arbres et derrière les figures paisibles des personnages
(enfants, mères, nourrices), des ombres inquiétantes et des figures
fantastiques qui sont autant de menaces sur ce monde paisible uniquement en surface.
Le Mariage des moussons (Monsoon Wedding, Mira Nair, Inde-France-E.-U.,
2001 avec Naseeruddin Shah, Vashundara Das, Shefali Shetty, Rajat Kapoor, Vijay
Raaz; diffusé sur Canal + en décembre 2003). Un bourgeois de
New Delhi rassemble sa famille à l'occasion du mariage de sa fille.
Ce n'est pas une véritable production Bollywood, l'usine à films
indienne, mais Le Mariage des moussons est une bonne introduction au cinéma
de ce pays. Le mélange de capitaux indiens, français et américains
qui apparaît dans la production se retrouve dans l'histoire traitée
qui donne une image de la société indienne partagée entre
ses valeurs ancestrales et l'influence du monde occidental. Pour le mariage, la
famille réunie comprend des membres restés au pays et des exilés
venus des États-Unis. Le mélange se retrouve dans les langues utilisées,
l'anglais et le hindi. Il y a un intérêt documentaire avec les vues
de Delhi et les rites du mariage proprement dit. Les costumes, les chorégraphies,
la musique (irrésistible macédoine de chants traditionnels arrangés
à la sauce techno) sont un régal. Le film va plus loin cependant
que le kitsch sentimental exotique avec le personnage de Ria, la cousine de la
mariée, qui dénonce les agissements d'un tonton pervers. On est
alors proche d'une sorte de Festen tandoori qui ne manque pas d'intérêt.
Je ne sais si ce Mariage méritait vraiment le Lion d'Or obtenu au
Festival de Venise mais c'est mieux en tout cas qu'un film de sari B.
MERCREDI. Emplettes. J'achète
un recueil de Laclos, un polar bostonien, le dernier Le Tellier et une limace
en soldes. Cinéma. Deux
en un (Stuck On You, Bobby & Peter Farrelly, E-U, 2003 avec Greg
Kinnear, Matt Damon, Cher, Eva Mendes, Seymour Cassel, Wen Yann Shih, Pat Crawford
Brown, Ray 'Rocket' Valliere, Tommy Songin). Je parlais récemment de
discrimination positive à propos de la nageoire atrophiée du poisson
Nemo dans le dessin animé. Dans ce domaine, les frères Farrelly
ont toujours fait le maximum, on se souvient de l'obèse et de l'homme affligé
d'une excroissance caudale de L'Amour extra-large, leur précédent
film. Ils continuent ici dans la même veine avec en vedette un couple de
frères siamois, pardon, de jumeaux associés ou conjoints. L'un d'eux
veut devenir acteur et part pour Hollywood, l'autre ne peut guère que le
suivre. On avait remarqué, toujours dans L'Amour extra-large, leur
désir de ne plus se contenter de la grosse farce, qui se manifestait dans
la mise en scène d'une histoire à l'eau de rose plutôt décevante.
Après ce raté, le duo semble avoir trouvé le bon dosage entre
le comique (la vie quotidienne des siamois, leurs exploits sportifs, leur vie
professionnelle au piano de leur restaurant donnent lieu à de belles séquences)
et la réflexion plus sérieuse. Réflexion sur la fraternité
(on doute après cela qu'un des Farrelly réalise un jour un film
sans l'autre) et sur l'altérité. Le handicap n'est pas prétexte
à attendrissement ou compassion, ne les empêche pas de vivre leur
vie comme ils l'entendent (celui qui veut être acteur devient une vedette).
C'est un stimulant pour leur imagination : comment draguer une fille, comment
être embauché sur un tournage, comment faire l'amour, bref comment
vivre avec un autre toujours collé à soi. Avec ce sujet risqué,
les Farrelly parviennent à toucher juste, le film souffrant quand même
d'une sévère baisse de régime au bout de la première
heure. La virée à Hollywood permet de voir Cher dans un rôle
de star capricieuse qu'elle semble endosser avec gourmandise et surtout Meryl
Streep qui a deux apparitions éblouissantes. Curiosité. Avec
391 noms crédités rien que pour l'interprétation, le générique
est le plus long à entrer (je n'ai pas encore fini de le recopier) dans
mon fichier de Films vus. JEUDI. Notules.
Deuxième demande d'abonnement de l'année. Amour,
gloire et beauté. David Chapelle, journaliste à La Dépêche,
annonce par courriel la parution de son article sur les notules dans les éditions
du jour. Demander à la Bibliothèque municipale d'Épinal qu'elle
s'abonne séance tenante à cet excellent hebdomadaire. Courrier.
Des vœux en provenance de l'Aveyron et d'Épinal. Cinéma.
Chantons sous la pluie (Singin' in the Rain, Stanley Donen & Gene
Kelly, E.-U., 1952 avec Gene Kelly, Debbie Reynolds, Donald O'Connor, Jean Hagen).
1927. Un couple de stars du cinéma muet voit sa carrière compromise
par l'arrivée du parlant. La voix de Lina Lamont s'avère catastrophique.
Heureusement, Don Lockwood, son partenaire, tombe amoureux de la jeune Kathy Seldon,
qui, elle, sait chanter. Cela faisait longtemps que j'avais envie de connaître
ce qu'il y avait autour de la scène mythique de la chanson titre. Curiosité
peu partagée puisque j'étais seul dans la salle, ainsi à
même de chanter et de danser tout mon soûl et au sec, et même
de téléphoner à Caroline pour lui faire partager un moment
du film. On dit que les grands films proposent toujours une réflexion
sur le cinéma et c'est le cas ici puisque l'histoire entreprend ni plus
ni moins de montrer la naissance de la comédie musicale, fruit de l'introduction
de scènes de spectacles de music-hall dans le cadre des studios. Don Lockwood
et son complice Cosmo Brown ont débuté sur les planches, leur carrière
est résumée dans un flash-back d'une grande drôlerie, et ont
donc toutes les capacités requises pour passer sans dommage du muet au
parlant. Ce qui n'est pas le cas de Lina Lamont, emblème de toute une génération
de comédiens détruits par cette révolution technique.
La partie musicale contient quelques pépites bien connues des vrais cinglés
du music-hall, Make'em Laugh par Donald O'Connor (décédé
il y a quelques semaines), et un Good Morning en trio irrésistible.
La grande séquence dansée sur Broadway Ballet est moins convaincante,
cherchant à s'inspirer du ballet d'Un Américain à Paris
(jeu sur les couleurs, les décors futuristes, introduction de l'onirisme
et de l'interdit sexuel avec l'apparition de Cyd Charisse) sans parvenir au même
niveau. Enfin, il faut bien dire un mot de la scène sur Singin' in the
Rain : Don vient de raccompagner Kathy à sa porte. Il s'aperçoit
qu'il est amoureux, renvoie le taxi qui l'attendait et s'élance sous la
pluie battante. Quand on est amoureux, tous les réverbères sont
des amis. VENDREDI. Courrier. Je
reçois les deux éditions de La Dépêche promises par
David Chapelle. Belle surprise. Là où je m'attendais à un
articulet d'estime, je tombe sur une page complète (et sans coquilles)
avec photo, notice biographique, extrait des notules, la quasi-intégralité
des réponses envoyées et même, pour l'édition de Verneuil,
une accroche en une ("Le Moulin d'Andé dans les notules de Philippe
Didion"). Curieuse sensation : j'ai déjà eu les honneurs de
la presse locale, principalement pour mes activités musicales, mais au
moins c'était la presse locale de chez moi. En plus, grâce à
cet envoi, je sais tout du tournoi de football en salle de Conches remporté
par l'A.S. Val-Vaudreuil face à Vernon (2-2, 3 tirs au but à 2).
J'envoie des vœux à JL, des renouvellements d'abonnement et de cotisation
à Histoires littéraires, aux potes à Proust et aux amis de
Fallet, une revue de presse à Y. TV.
P.J. (série française réalisée par Gérard
Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch;
saison 10, épisode 6, diffusé sur France 2 le soir-même).
Dernier épisode de la saison, le cinquième étant passé
à la trappe pour cause de problèmes religieux traités de
façon ostensible ou ostentatoire. Conséquence de cette élision
: on ne sait pas pourquoi Fournier a une nouvelle fois disparu. L'essentiel est
que ce soit terminé, ça libère une soirée dans la
semaine pour voir des choses un peu plus palpitantes. SAMEDI.
Courrier. Réponse de la concession
Renault à ma lettre énervée. On s'excuse du bout des lèvres
en disant qu'après tout, tout le monde a le droit de se lever du pied gauche,
surtout le lundi, et de passer sa mauvaise humeur sur les clients. En râlant
auprès de McDonald's, j'avais reçu des hamburgers en cadeau, ici
pas même une petite Twingo. Demander à Vilvoorde s'il leur reste
des autocollants "Ceci est ma dernière Renault". Lecture.
La Défense Loujine (Zachtchita Loujina, Vladimir Nabokov, 1930,
traduit du russe par Bernard Kreise, in Oeuvres romanesques complètes I,
Gallimard 1999, Bibliothèque de la Pléiade, 1736 p.). Vie et
mort d'un joueur d'échecs. La découverte dans l'ordre chronologique
de l'œuvre de Nabokov, ceci étant son troisième roman, permet de
voir comment, progressivement, elle gagne en richesse et en complexité.
Le thème des échecs - Nabokov fut un problémiste réputé
- est utilisé comme une métaphore : la vie de Loujine est une
partie d'échecs, l'écriture d'un roman, du moins celui-ci, est une
partie d'échecs. Le jeune Loujine devient rapidement un joueur de classe
internationale, multiplie les exploits, invente un système de jeu qui porte
son nom, avant de basculer dans la folie. Après une ellipse, on le retrouve
marié, à Berlin, à une épouse qui tente de le guérir
en lui faisant mener une vie sociale normale. La tentative échoue et Loujine
finit par se suicider. Du roman précédent, Roi, dame, valet,
on retrouve le goût de Nabokov pour l'ironie mordante quand il s'agit de
peindre les travers et les ridicules d'un certain milieu (celui des immigrés
russes à Berlin) mais aussi une profonde compassion pour des personnages
masculins qui n'arrivent pas à prendre leur destin en main. Loujine ne
parvient pas à se défaire de l'ombre tutélaire de son père,
écrivain bien en cour, même après la mort de celui-ci. Son
départ dans le circuit des échecs, qui était une tentative
d'émancipation, ne débouche que sur un nouvel enfermement à
l'intérieur d'une société et à l'intérieur
de lui-même. Toute cette histoire est bien sûr construite selon un
agencement subtil, avec des avancées, des sacrifices, des attaques surprise
et un mat final tragique. Extrait. "Maintenant, ses deux jambes pendaient
au dehors, il suffirait de lâcher ce à quoi il se cramponnait, et
il serait sauvé. Mais avant de lâcher prise, Loujine regarda en bas.
On y procédait en hâte à des préparatifs : les reflets
des fenêtres se rejoignaient et s'alignaient, l'abîme était
divisé en carrés clairs et en carrés sombres et, au moment
même où Loujine desserra les doigts, au moment où l'air glacial
s'engouffra impétueusement dans sa bouche, il comprit quelle éternité
s'ouvrait devant lui, accueillante, inexorable. La porte venait d'être
enfoncée. "Alexandre Ivanovitch, Alexandre Ivanovitch !" hurlèrent
plusieurs voix. Mais il n'y avait plus d'Alexandre Ivanovitch." Curiosité.
Nabokov indique, à la fin du roman : "Commencé au Boulou (Pyrénées-Orientales)
au début de 1929; terminé à Berlin à la fin de la
même année." Soit, à peu de choses près, le parcours
inverse de celui de Walter Benjamin, né à Berlin et mort par suicide,
lui aussi, à Port-Bou, à une cinquantaine de kilomètres du
Boulou. TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel
Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 6, diffusé
sur Canal + le 4 janvier 2004). L'intérêt s'émousse devant
une histoire qui se répète et tourne un peu en rond. Bon
dimanche. Notules
dominicales de culture domestique n°143 - 19 janvier 2004 DIMANCHE.
Bûcheronnage. Démâtage
du sapin dressé devant la pharmacie sous une pluie battante. Mon dos saura
s'en souvenir. Réactions aux notules.
AMB se félicite, après une période de sevrage, d'être
de nouveau notulo-compatible. TV. The
Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James
Manos, 2002, saison 2, épisodes 2 & 3, diffusés sur Canal Jimmy
le soir-même). Vick Mackey n'était déjà pas un
ange mais ça ne s'améliore pas avec le départ de sa femme.
Le voilà qui passe la joue d'un suspect sur la plaque chauffante d'une
cuisinière façon entrecôte au barbecue. Le téléspectateur
est aussi saisi que la viande. LUNDI. Notules.
Une demande d'abonnement émanant d'un spécialiste en pharmacie comique.
Y. met en place un lien "Historique"
sur la page d'accueil du site, conduisant vers un extrait de l'entretien paru
dans La Dépêche. Courrier.
Des vœux en provenance de Nancy. TV.
Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough,
Donnie Wahlberg, Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 3 et
4, diffusés sur Canal + le 10 janvier 2004). Où les limiers
du LAPD trouvent la solution d'un crime datant de 1976. Les retours en arrière
sont conséquents, on s'habitue à la construction en puzzle et aux
personnages. C'est bien parti. MARDI. Lecture.
La Chartreuse de Parme (Stendhal, 1839; in Romans et nouvelles II, Gallimard
1948, Bibliothèque de la Pléiade, 1492 p., 285 F). Ce n'est
pas une relecture. C'est la première fois que je viens à bout de
ce roman. Pourtant, je me souviens d'avoir longuement disserté, peut-être
même discouru sur la Chartreuse en faculté, à Nancy.
Magie perverse de la chose universitaire qui veut que l'on passe tellement de
temps à éplucher les bibliographies et les ouvrages critiques qu'il
n'en reste plus à consacrer à l'œuvre elle-même... J'ai encore
à l'esprit mon premier cours magistral, la première fois que je
mis les pieds dans un amphithéâtre pour y boire les mots ailés
d'un professeur de renom, éminent stendhalien, que la maladie avait rendu
sénile, pathétique... et totalement inaudible. Et c'est pour entendre
ça, ou plutôt pour ne pas entendre ça et, par ailleurs pour
se faire bizuter (gentiment) dans le box exigu d'un internat désert qu'il
fallait quitter sa ville, ses copains et ses bistrots ? J'étais plutôt
interloqué. Je comprends aujourd'hui tout à fait le mouvement
de recul que j'ai dû avoir en abordant le roman. L'entrée en matière
a de quoi dérouter, voire rebuter les meilleures volontés. Impossible
de s'y retrouver dans cette peinture surchargée des mœurs italiennes, ce
maquis de marquis, comtes, ducs, princes et roitelets, ces intrigues de cours
d'opérette où la moindre incartade peut s'avérer fatale,
ce tourbillon d'espions, de déguisements, de poisons. Ce n'est que peu
à peu qu'on arrive à entrer dans le livre et qu'on se rend compte
que ça en valait la peine : une fois qu'on a réussi à saisir
le fil, la pelote se déroule toute seule, on est petit à petit saisi
par la frénésie, la jubilation qu'on devine chez l'auteur. Stendhal
a écrit ou dicté son texte du 4 novembre au 26 décembre 1838.
C'est un roman à flux tendu et ça se sent : pas de pause, pas de
respiration, pas de transition, Waterloo (le passage le plus connu, quasi burlesque),
le crime, la prison, l'amour, l'évasion, l'exil, ça n'arrête
pas, jusqu'à un final éclair qui règle le sort de tous les
protagonistes en deux pages. On devine alors tout ce que Stendhal a voulu
faire passer en héritage dans son dernier roman, son goût pour l'Italie,
ses souvenirs de jeunesse amoureuse, son intelligence politique, sa maîtrise
de l'ironie et, par dessus tout, sa passion de raconter des histoires. Extrait.
"Entraîné par les événements, nous n'avons pas
eu le temps d'esquisser la race comique des courtisans qui pullulent à
la cour de Parme et faisaient de drôles de commentaires sur les événements
par nous racontés. Ce qui rend en ce pays-là un petit noble, garni
de ses trois ou quatre mille livres de rente, digne de figurer en bas noirs, au
lever du prince, c'est d'abord de n'avoir jamais lu Voltaire ou Rousseau : cette
condition est peu difficile à remplir. Il fallait ensuite savoir parler
avec attendrissement du rhume du souverain, ou de la dernière caisse de
minéralogie qu'il avait reçue de Saxe. Si après cela on ne
manquait pas à la messe un seul jour de l'année, si l'on pouvait
compter au nombre de ses amis intimes deux ou trois gros moines, le prince daignait
vous adresser la parole tous les ans, quinze jours avant ou quinze jours après
le premier janvier, ce qui vous donnait un grand relief dans votre paroisse, et
le percepteur des contributions n'osait pas trop vous vexer si vous étiez
en retard sur la somme annuelle de cent francs à laquelle étaient
imposées vos petites propriétés." Vocabulaire. "...
mais enfin cette grande dame vient me demander quelque chose qui dépend
de moi uniquement et qu'elle brûle d'obtenir; j'ai toujours pensé
que l'arrivée de ce neveu m'en ferait tirer pied ou aile." tirer
pied ou aile : obtenir une partie quelconque de ce qu'on désire. Image
prise d'une volaille qu'on dépèce. (Littré). TV.
Disparition (série américaine réalisée par
Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002;
saison 1, épisode 7, diffusé sur Canal + le 11 janvier 2004).
Les spécialistes du Pentagone font leurs comptes : les extra-terrestres
ont 1 pouce et 3 doigts; le vaisseau spatial qu'on a découvert compte 5
places; 55 femmes ont été fécondées par ces créatures;
1597 personnes ont apporté un témoignage sur un atterrissage; 46 368
prétendent avoir été enlevées par les aliens... 1,
3, 5, 55, 1597, 46 368... Bon sang mais c'est bien sûr ! Il y a du
Fibonacci là-dessous. http://fr.wikipedia.org/wiki/Suite_de_Fibonacci
MERCREDI. Notules. Une demande
d'abonnement en provenance du Pas-de-Calais. TV.
Jeux interdits (René Clément, France, 1951 avec Brigitte
Fossey, Georges Poujouly; diffusé sur Paris Première en ?).
Pendant l'exode, une fillette perd ses parents. Elle est recueillie dans une ferme
et se lie d'amitié avec le fils de la maison. Pour se soustraire à
la cruauté qui les entoure, Paulette et Michel, les deux enfants, s'inventent
un univers à part. Un univers qui subit évidemment l'influence extérieure
puisqu'ils ont pour principale occupation de creuser des tombes pour toutes les
créatures mortes qu'ils trouvent et de voler des croix pour orner ces sépultures.
La pureté et la simplicité de leurs sentiments doit apparaître
en totale opposition avec les turpitudes du monde des adultes, avec la guerre,
la vraie, mais aussi celle que se livrent deux familles voisines jalouses l'une
de l'autre. Outré dans le sublime comme dans le ridicule, le film est insupportable.
Les enfants sont utilisés comme des marionnettes, les adultes surjouent
chaque réplique et chaque mimique. On apprécie aujourd'hui, en comparaison,
la façon beaucoup plus économe, en moyens et en effets, avec laquelle
Téchiné a filmé un sujet assez proche dans Les Égarés.
Et on se dit qu'il faudra attendre encore huit ans pour que l'enfance, la vraie,
fasse son entrée dans le cinéma français avec Les quatre
cents coups. Curiosité. Outre Brigitte Fossey, trois comédiens
font leurs débuts dans ce film, Laurence Badie, Bernard Musson et Jacques
Marin (peut-être son seul rôle sans moustache) qu'on retrouvera dans
un nombre incalculable de comédies plus ou moins fines par la suite.
Réplique. Le père souffle la bougie au-dessus du livre de sa fille
: "La lumière, c'est pas fait pour lire !" JEUDI.
Lecture. Cités de mémoire
(Hervé Le Tellier, illustrations de Xavier Gorce, Berg International Éditeurs
2003, coll. Monde A Part; 98 p., 8 ). Récit de voyage. Quarante
chapitres de deux pages, quarante étapes pour le voyageur narrateur dans
quarante villes imaginaires : Itupopo, Yckx, Téholie, Glottos, Sirokza
la sarkozyenne, une ville nomade, une ville souterraine, une ville toupie, une
ville qui change sans cesse de nom...Quarante utopies qui, sous des dehors paisibles,
abritent le plus souvent des systèmes totalitaires effrayants proches du
W de Perec. Le style est celui des récits de voyage du XVIII° siècle.
Le texte est probablement contraint, mais Le Tellier est un oulipien qui n'aime
pas dévoiler ses contraintes. On est alors tout heureux de trouver tout
seul que l'étape d'Ispari est un lipogramme en e. On découvre ici
un auteur beaucoup plus sombre que dans ses joyeux exercices iconoclastes sur
la Joconde (Joconde jusqu'à 100 et Joconde sur votre indulgence).
Extrait. "Pourtant, tout oppose Pulida et Latita. Car, depuis nul ne
sait quand, Pulida est la ville des Beaux, et Latita la ville des Laids. A leur
puberté, les jeunes gens des deux sexes de chaque ville sont confrontés
à un jury souverain, désigné par le Conseil. Ce tribunal
décide une fois pour toutes s'ils sont beaux ou laids. Les Beaux deviennent
alors à jamais citoyens officiels de Pulida, les Laids citoyens de Latita.
Nul ne contraint quiconque à vivre dans sa ville. Le laid peut élire
domicile à Pulida, au milieu des beaux, le beau peut s'établir à
Latita parmi les laids. Les raisons de ces choix sont secrètes, intimes
et ne se discutent pas. De même, un beau peut épouser une laide,
un laid marier une belle, car l'on sait d'expérience à Pulida comme
à Latita que l'amour n'y voit goutte, et que la beauté pas plus
que la laideur ne se peuvent hériter. Si bien que les premiers jours,
nous qui ignorions tout de la coutume avons traversé plusieurs fois le
pont qui relie les deux villes sans remarquer la moindre différence entre
leurs habitants." Courrier.
J'envoie des coupures à Y., G.N. et aux D. Cinéma.
Lost in Translation (Sofia Coppola, E-U., 2003 avec Bill Murray, Scarlett
Johansson, Anna Faris, Giovanni Ribisi, Akiko Takeshita, Kazuyoshi Minamimagoe,
Kazuko Shibata, Take, Ryuichiro Baba, Akira Yamaguchi, Catherine Lambert, François
du Bois). Il faut à coup sûr se réjouir de tomber, dès
le 15 janvier, sur un film qui figurera, à l'heure du bilan, parmi les
meilleurs de l'année. Ce n'est pas une surprise, puisque Virgin Suicides,
le premier de Sofia Coppola, comptait déjà parmi les plus remarquables
de la fin des années 90. Elle réussit, avec Lost in Translation,
un film passionnant sur l'ennui, un film jubilatoire sur la dépression.
C'est dû en grande partie à la performance de Bill Murray, que je
ne connaissais pratiquement pas. Sa découverte incrédule des mœurs
japonaises, ses mines interloquées devant les productions télévisuelles
locales, les façons qu'ont ses habitants de parler l'anglais et de se distraire
valent à elles seules le déplacement. Son aventure avec la jeune
Charlotte va à la fois plus loin et moins loin que ce qu'on peut en attendre
grâce à la sensibilité et à la retenue de Sofia Coppola.
Celle-ci déborde d'idées, quand elle filme les rues de Tokyo envahies
par les néons publicitaires ou un cours d'aquagym vu sous la ligne de flottaison.
Humour, amertume, tendresse, pudeur se combinent merveilleusement. Curiosité.
Sofia Coppola réutilise, sans le savoir certainement, le gag sur lequel
était construite la chanson de Paul Misraki Les trois mandarins qui fit
les beaux jours de l'orchestre Ray Ventura et ses Collégiens lorsque les
indications interminables du metteur en scène (Bill Murray tourne une publicité)
sont traduites en deux mots brefs par l'interprète de service ("...Ami
au blanc visage sois le bienvenu / Oui, tout cela se dit Hu...").
Courriel. RC m'envoie des géoaptonymes
: un coiffeur à Chauve (Loire-Atlantique), un Frédéric Rugi
à Lyon et d'autres. VENDREDI. Courrier.
Je reçois la bande originale du Mariage des moussons.
Santé. Lucie est en visite chez l'allergologue qui la déclare
guérie de son allergie au nickel et uniquement sujette à celle (spectaculaire)
à la noix de cajou. Ce qui est un avantage certain, le nickel étant
présent dans un tas d'aliments (tomate, pomme, chocolat, levure...) et
la noix de cajou seulement, sui generis pourrait-on dire, dans la noix de cajou.
C'est donc l'esprit serein que je prends le 17 heures 22 pour Paris.
SAMEDI. Vie parisienne. Séminaire
Perec à Jussieu. Je m'y rends sans grande conviction : on y traite des
rapports de Perec avec la bande dessinée, un domaine dans lequel je suis
parfaitement ignare et pour tout dire peu passionné. par chance, l'exposé
de Jean-Paul Meyer est clair, documenté, intéressant. Je découvre
un Perec amateur de strips courts, venus des États-Unis (Andy Capp, Charlie
Brown), de Little Nemo, Little King, Pim Pam Poum et, accessoirement, d'images
d'Épinal. Plutôt que le dessin de Steinberg que Perec citait lui-même
comme étant la source de La Vie mode d'emploi (ce qui ne m'avait
jamais convaincu non plus), il préfère citer les gravures de Girardet,
Bertall, les pages d'albums de timbres, les photomontages de Doisneau, les cabinets
d'amateur, les descriptions de Zola. Sa vision du plan de l'immeuble agencé
comme une planche de BD, avec ses cases découpées de façon
irrégulière, est assez convaincante. Je croûte un filet
de canard - semelle au Petit Cardinal, expédie une petite sieste et un
Série Noire à la Bilipo et poursuis la journée Perec à
la bibliothèque de l'Arsenal où se tient l'Assemblée Générale
de l'Association. On discute beaucoup du souhait transmis par Ela Bienenfeld (absente),
ayant-droit, de limiter, voire d'interdire l'accès aux manuscrits. Si ce
veto s'appliquait également à la version microfilmée de ces
textes, l'Association Georges Perec, qui se veut l'intermédiaire entre
les chercheurs et les textes, perdrait beaucoup de sa raison d'être. Marcel
Bénabou devient président à la place de Claude Burgelin,
Monika Lawniczak succède à Danielle Constantin au poste de secrétaire.
Je fais la connaissance d'un notulien de renom ("Philippe Didion, I presume...")
qui me fait cadeau d'un petit recueil de Propos d'Alain postfacé
par ses soins. Je repars chargé de documents pour la confection du Bulletin.
Cinéma (Action Écoles, rue des Écoles).
The Shop Around the Corner (Ernst Lubitsch, E.-U., 1940 avec James Stewart,
Margaret Sullavan). Budapest. Deux employés d'une maroquinerie s'échangent
des lettres amoureuses sans savoir à qui ils ont affaire. Cette romance
est supérieure à ce que je connaissais de Lubitsch (Haute Pègre,
Sérénade à trois, même To Be or Not To Be).
le propos, issu d'une pièce de théâtre, est imparable, on
trépigne pour que les deux tourtereaux ôtent les écailles
qui leur couvrent les yeux et tombent dans les bras l'un de l'autre. La dimension
sociale est également présente avec la menace du chômage et
la glorification du paternalisme d'entreprise. Ce qui est remarquable, c'est l'efficacité
de Lubitsch, sa façon de mener son histoire sans aucun déchet, sans
aucun plan superflu. Le jeune Stewart, comme chez Capra, est irrésistible.
Bonne semaine. Notules
dominicales de culture domestique n°144 - 25 janvier 2004 DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Un des plaisirs
de mes séjours parisiens, c'est celui de pouvoir écouter, au réveil,
R.F.I. (Radio France Internationale), de suivre par exemple ce matin une revue
de la presse polonaise, des reportages sur une exposition de peinture grecque
à Lausanne, un festival de cinéma iranien en Norvège, un
programme du CNUD près de Kinshasa. Je préfère ça
de loin aux vols charters. Je suis au Louvre de bonne heure, commence l'étude
de la salle 7, aile Richelieu, deuxième étage, (Cologne et autres
centres artistiques, XV° siècle) pour ma Mémoire louvrière.
On y trouve une Annonciation inversée avec l'ange à droite
et la Vierge à gauche et une Pietà où figure une vue
de Paris en lieu et place d'une vue de Jérusalem. Cinéma
(L'Arlequin, rue de Rennes). Scarface (Shame of a Nation. Scarface,
Howard Hawks, E-U, 1932 avec Paul Muni, George Raft, Boris Karloff, Ann Dvorak,
C. Henry Gordon, Purnell Pratt; vu dans le cadre du ciné-club animé
par Claude-Jean Philippe). Ascension et chute d'un gangster. Scarface
est considéré comme le modèle du film de gangster, même
s'il n'est pas le premier du genre. Dans sa présentation, Claude-Jean Philippe
rappelle que Les Nuits de Chicago (Joseph von Sternberg), L'Ennemi public
(William Wellman) et Le Petit César (Mervyn LeRoy) l'ont précédé
dans ce genre. De ces films pionniers, Scarface est probablement le plus
politique : son titre original ("la honte d'une nation") et le
carton placé en ouverture sont clairs : il s'agit de dénoncer, via
le film, les autorités, le gouvernement, considérés comme
trop laxistes envers les gangsters. Par conséquent, ceux-ci ne sont pas
du tout glorifiés ou magnifiés, bien au contraire. Ce sont des hommes
frustes, primaires, incultes, qui ne souhaitent s'emparer de l'argent des autres
que pour pouvoir se pavaner en robe de chambre dans des intérieurs décorés
avec un mauvais goût très sûr. Pas de héros non plus
en face, chez les policiers, condamnés à l'impuissance. Même
si le film a un peu vieilli, il recèle encore de belles trouvailles, comme
les tics caractérisant les méchants (le sifflotement de Paul Muni,
le jeu de Raft avec sa pièce de monnaie), les quilles du bowling qui vacillent
et tombent comme les hommes sous les balles, le néon de l'agence de voyages
("The World is yours") que Tony, le caïd, regarde depuis
sa fenêtre et la relation ambiguë entre Tony et sa sœur. Cette relation
est certainement à l'origine des problèmes que Howard Hawks a eus
avec la censure. Claude-Jean Philippe a promis d'en parler mais je sèche
le débat, le 13 heures 44 n'attend pas. Précipitation inutile :
le 13 heures 44 en question est longuement immobilisé près de Toul
à cause d'enfants qui jouent sur la voie. Je rate ma correspondance et
passe une heure au buffet de la gare de Nancy qui est, à ma connaissance
(et comme globe-trotter je me pose là), un des endroits les plus inhospitaliers
de la planète. Lecture. Shutter
Island (Shutter Island, Dennis Lehane, 2003, Éditions Payot
& Rivages, coll. Rivages/Thriller, traduit de l'américain par Isabelle
Maillet; 302 p., 20 ). 1954. Le marshal Teddy Daniels et son coéquipier
Chuck Aule sont envoyés sur Shutter Island, au large de Boston. Une pensionnaire
de l'asile psychiatrique pour meurtriers installé sur cette île a
disparu. Dennis Lehane est l'étoile montante du polar américain,
surtout depuis que Clint Eastwood a mis en scène son Mystic River.
Shutter Island est son sixième titre traduit en français
et offre lui aussi une belle matière première pour le cinéma.
Le récit repose sur des problèmes d'identité qui ne seront
que partiellement résolus dans les dernières pages. Les médecins
de l'asile sont-ils d'affreux tortionnaires ? Chuck Aule est-il un espion ? Rachel
Solando, l'évadée, a-t-elle vraiment disparu ? A-t-elle d'ailleurs
seulement existé ? Dennis Lehane crée un univers de doute, de faux-semblant
d'une façon habile, sans qu'on soit obligé de crier au génie.
Ce qu'il rend particulièrement bien, c'est l'ambiance de l'Amérique
des années 50, celle de la guerre froide où on voit des Russes et
des espions partout et où le traumatisme du conflit mondial pèse
toujours. De plus l'énigme utilise des éléments de cryptographie
et des anagrammes qui sont heureusement traduisibles en français.
Extrait, qui donne à réfléchir sur la pratique du palindrome
et de l'anacyclique. "J'ai servi dans les Ardennes avec un type... -
Vous étiez là-bas ? Teddy opina. - Eh bien ,ce type-là,
il s'est réveillé un matin en parlant à l'envers. - Il
inversait les mots ? Les phrases ? - Les phrases, répondit Teddy. Ça
donnait des trucs du style : "Sergent, aujourd'hui ici sang de beaucoup a
y il." En fin d'après-midi, on l'a retrouvé dans un gourbi,
en train de se taper la tête avec une pierre. Il tapait, c'est tout. Encore
et encore. On était tellement choqués qu'il nous a fallu au moins
une minute pour nous apercevoir qu'il s'était arraché les yeux.
- Vous vous foutez de moi. Teddy fit non de la tête. - J'ai entendu
dire des années plus tard qu'un copain l'avait rencontré à
l'hôpital pour vétérans de San Diego. Il était aveugle,
parlait toujours à l'envers et souffrait d'une espèce de paralysie
dont aucun toubib n'arrivait à identifier la cause. Il passait ses journées
assis dans un fauteuil roulant près de la fenêtre, à rebattre
les oreilles de tout le monde avec ses histoires de récoltes, à
répéter qu'il devait s'occuper de ses récoltes. Le problème,
c'est qu'il avait grandi à Brooklyn." TV.
The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott
Brazil et James Manos, 2002, saison 2, épisodes 4 & 5, diffusés
sur Canal Jimmy le soir-même). Vick Mackey est insatiable. Après
la mafia latino, après les gangs du rap, le voilà qui part à
l'assaut de la mafia arménienne. Une croisade méritoire quand on
sait que la mafia arménienne abrite deux branches, la mafia arménienne
russe et la mafia arménienne libanaise. LUNDI. Réactions
aux notules. FG remarque que le n° 143, envoyé ce matin
à 0 heure 17, a perdu son caractère dominical et suggère
de parler de notules sélénites. Si le retard augmente, on pourra
ainsi parler de notules martiennes, mercuriales, et ainsi de suite jusqu'à
saturnales. DC parle de cinéma turc et de Bill Murray, un notulien
porteur des mêmes initiales infamantes que les miennes évoque Stendhal
et Bill Murray lui aussi. TV. Boomtown
(série américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg,
Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 5 et 6, diffusés
sur Canal + le 17 janvier 2004). Légère déception. les
personnages perdent de leur densité, deviennent de simples données
mélodramatiques (l'ambulancière qui soigne le malfaiteur qui la
retient comme otage parce qu'elle a promis à sa mère, sur son lit
de mort, de consacrer sa vie à sauver les autres; l'ancien G.I. hanté
par la présence de son copain tué au combat à ses côtés...).
MARDI. Courrier. Des vœux
en provenance de Chavelot et de Nancy. Courriel.
Hervé Moritz envoie le numéro 33 des Cahiers du L.I.S. ( Laboratoire
d'Inventions Scientifique(s) ) consacré aux "dates zistoriques"
où ma contribution me donne le rang d'Ingénieur-stagiaire.
TV. Disparition (série
américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel
Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 8, diffusé
sur Canal + le 18 janvier 2004). L'armée américaine s'apprête
à l'affrontement avec les extra-terrestres. Il est temps, ça traîne
un peu en longueur. MERCREDI. Cinéma.
Le Gone du chaâba (Christophe Ruggia, France, 1997 avec Bouzid Negnoug,
Nabil Ghalem, Mohamed Fellag; vu dans le cadre de la formation à l'opération
Collège au cinéma). 1965. Le jeune Omar grandit dans le chaâba,
un bidonville de la banlieue lyonnaise qui abrite des émigrés algériens.
Adapté de l'autobiographie d'Azouz Begag, le premier film de Christophe
Ruggia montre bien les problèmes des immigrés des années
60, partagés entre intégration et assimilation. La figure du jeune
Omar est emblématique de la volonté d'assimilation, défendue
alors par les autorités françaises et leurs institutions, représentées
ici par l'école : par son travail scolaire, par son refus de se compromettre,
par son opposition à sa famille, Omar va devenir un vrai petit Français,
un gone. C'est son point de vue qu'adopte Ruggia tout au long du film dont on
peut trouver le ton un peu trop didactique et édifiant. A l'opposé
d'Omar, ceux qui ne partagent pas ses valeurs, qui restent attachés à
leurs racines et à leurs traditions, échouent : le chaâba
est détruit, les membres de la communauté, de la famille, sont obligés
de déménager, de se regrouper dans les grands ensembles tout juste
sortis de terre. Cinématographiquement, le film manque un peu d'identité,
de forme, mais parvient tout de même à montrer la construction d'un
personnage et le reflet d'une époque. TV.
P.J. (série française réalisée par Gérard
Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch;
saison 10, épisode 7, diffusé sur France 2 le 16 janvier 2004).
Je croyais en avoir fini avec cette saison mais il restait un épisode.
Épisode découpé de façon nerveuse, assez agréable
à suivre d'ailleurs. L'action se déroule au cours de la Journée
de la femme. On y voit mise en cause une responsable féministe de l'association
"Les Potiches en colère". Les Chiennes de garde, les Potiches
en colère, et bientôt, c'est sûr, les Vaillantes viragos, les
Hétaïres atrabilaires et les Mégères non apprivoisées.
JEUDI. Courrier. Vœux
en provenance d'Haillainville, faire-part du décès d'un oncle de
Caroline. J'envoie des coupures à Y., copie de mon entretien à La
Dépêche à N. aux N., aux C. et à une librairie locale.
Cinéma. Noi albinoi
(Dagur Kári, Islande, 2003 avec Tómas Lemarquis, Elín Hansdóttir,
Thörstur Leó Gunarsson). Noi est un adolescent qui s'ennuie dans
une petite ville islandaise. Il trouve une fiancée, se fait virer du lycée,
rêve de palmiers. Cela fait trois jours que j'ai les pieds gelés
du matin au soir et tout ce que je trouve à faire, c'est aller voir un
film islandais dans lequel tout est froid : ville envahie par la neige, mer froide,
sol gelé (et Noi qui passe ses journées à traîner en
baskets !), lumière blafarde, humour glacial. Froid mais plutôt savoureux
dans la façon de peindre un monde replié sur lui-même d'où
il est impossible de s'échapper (portes et fenêtres obstruées
par la neige). Noi tente bien une sorte de rébellion à l'américaine
en braquant une banque et en volant une voiture mais son équipée
sauvage se termine lamentablement aux portes de la ville. Son côté
gaffeur, son corps emprunté donnent lieu à des scènes drôles
accueillies, comme il se doit, par le silence glacial des témoins qui y
assistent et en font les frais. On n'est sûrement pas près de revoir
un film islandais sous nos latitudes et celui-ci, qui ressort dans le cadre du
festival Télérama, le fait presque regretter. VENDREDI.
TV. Sur écoute (Wired,
série américaine créée par David Simon, 2002 avec
Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard Jr., Wood
Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 1, diffusé sur Canal Jimmy
le 8 janvier 2004). Allez, encore une série policière. Les auteurs
tournent ici le dos aux enquêtes bouclées dans le format d'un épisode.
La police de Baltimore doit résoudre une affaire qui va s'étendre
sur toute une saison. La série est bâtie sur un continuel va-et-vient
entre les enquêteurs et les malfrats, des trafiquants de drogue qui tiennent
un quartier de la ville. Ce qui ressort du premier épisode, c'est que les
hiérarchies, les jalousies, les problèmes de prééminence
sont les mêmes chez les uns et les autres. On remarque aussi le refus du
spectaculaire. L'épisode s'ouvre sur un meurtre mais celui-ci a déjà
eu lieu. A peine apercevra-t-on plus tard, de loin, une bastonnade. En revanche,
on joue beaucoup sur les dialogues, qui désorientent souvent par leur rapidité
et leur côté lacunaire (sous-entendus, non-dit). Pour l'instant,
on est un peu perplexe, un peu perdu. A suivre. Curiosité. Il est question
d'un quartier de Baltimore nommé "Poe Block". On se souvient
alors que le sombre Edgar vécut, et même mourut dans cette ville.
Rien d'étonnant donc à ce qu'on trouve dans ce quartier un cadavre
de femme en décomposition. SAMEDI. Courrier.
Des vœux en provenance de Champagne. Lecture.
Poétique (revue de théorie et d'analyse littéraires,
n° 133, Éditions du Seuil, février 2003; 130 p., 15 ).
Au milieu d'articles dont j'ai eu du mal à venir à bout ("L'antonomase
dans Le Chevalier au lion" n'étant pas, il faut le dire, un
sujet captivant pour tout un chacun), Philippe Lejeune, dans "La rédaction
finale de W ou le souvenir d'enfance" ajoute un complément à
son étude sur Georges Perec autobiographe, La mémoire et l'oblique.
Complément motivé par la découverte du manuscrit de travail
de Perec que Lejeune a pu consulter à la Bibliothèque royale de
Suède, à Stockholm, où il est conservé. A la lueur
du manuscrit, Lejeune dit avoir compris l'importance de documents qu'il avait
eus en main sans avoir vraiment su les exploiter, comme les agendas de Perec concernant
les années 1974 et 1975. En suivant Lejeune pas à pas, on doit pouvoir
comprendre - mais il faut pour cela être un peu connaisseur en génétique
- le blocage qu'a connu Perec entre 1971 et 1974 et le passage de son projet d'autobiographie
en trois parties à la version finale en deux volets. Pour initiés
seulement. Vie sociale. Nous participons
à un raout en campagne. Le garçon de la maison nous offre un récital
de tambour. En fait, il a pris sa première leçon de tambour l'après-midi
même. Certains disent que le violon est un instruments ingrat. Ceux-là
n'ont jamais entendu un tambour débutant. |