Notules dominicales 2004
 
janvier | février | mars | avril | mai | juin | juillet | août | septembre | octobre | novembre | décembre
 

Notules dominicales de culture domestique n°141 - 4 janvier 2004

DIMANCHE.
Vie familiale. Nous partons en balade dans les bois, derrière la maison. les filles sont ravies, je me sens coupable de ne pas les sortir davantage. Même si je goûte peu la nature, je suis comme à chaque fois soufflé d'habiter une ville dont il suffit de sortir d'à peine un kilomètre pour se retrouver dans des forêts où il y a largement de quoi se perdre. Finalement, c'est bien de sortir, même dans le froid et la pluie. Ça permet d'apprécier davantage son chez-soi au retour.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisodes 11 & 12, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Incroyable foisonnement d'intrigues : guerre des gangs du rap, guerre des gangs latinos, manœuvres de Vick Mackey pour faire entrer son fils dans une institution pour autistes en grillant la liste d'attente, un Coréen dépositaire d'une "banque familiale" retrouvé littéralement cloué au plancher, les tendances suicidaires d'un jeune policier qui vit mal son homosexualité, le chef du commissariat rattrapé par une histoire de viol, des intégristes musulmans qui veulent faire régner la loi dans le quartier en lieu et place de la police, un inspecteur qui se lance dans les combats de coqs, Vick Mackey obligé de se démener pour couvrir un supérieur coupable d'un meurtre, d'autres choses que j'oublie. En deux épisodes, il y a matière à remplir deux saisons de P.J. Si on rate un sous-titre, on peut éteindre la télé et retenter sa chance la semaine suivante.

LUNDI.
TV. Plus qu'hier, moins que demain (Laurent Achard, France, 1998 avec Martin Mihelich, Laetitia Legrix, Mireille Roussel, Pascal Cervo, Lily Boulogne, Daniel Isoppo, Vincent Martin, Alexis Perret; diffusé sur Canal + en ?).
Sonia revient dans son village natal, retrouve sa famille après une absence de quatre ans. Elle est accompagnée de son mari, de son bébé et d'une solide dépression.
Aïe aïe aïe. Encore un de ces premiers films sans lendemain, aux tics immédiatement identifiables (absence de musique, voix blanches, collage plutôt que montage...), qui présente des personnages à la psychologie torturée... C'est ce qu'on craint au départ du film. Mais petit à petit les préjugés tombent, les situations et les personnages deviennent moins artificiels, on s'attache à cette histoire, à cette Sonia étouffée par le poids de sa famille et de son passé. Jean Eustache et Pascal Thomas semblent avoir inspiré Laurent Achard. Celui-ci leur rend hommage avec finesse.

MARDI.
Courrier. Des vœux en provenance de Morlaix.

Cinéma. Qui a tué Bambi ? (Gilles Marchand, France, 2003 avec Sophie Quinton, Laurent Lucas, Catherine Jacob, Yasmine Belmadi, Michèle Moretti, Valérie Donzelli, Jean-Claude Jay, Fily Keita, Aladin Reibel, Jean Dell, Thierry Bosc).
Une jeune élève infirmière soupçonne un médecin de trafiquer des produits anesthésiques pour se livrer à des actes répréhensibles sur des patientes.
On avait beaucoup évoqué Hitchcock à propos du premier film du tandem Marchand (scénario) - Dominick Moll. Gilles Marchand passe ici à la mise en scène (conseillé par Moll) et souhaite que la comparaison perdure puisque le titre est un démarquage de Mais qui a tué Harry ? du maître. L'intention est louable mais insuffisante. Si le personnage du docteur énigmatique convient très bien à Laurent Lucas, on se lasse vite des mines effarouchées de la débutante Sophie Quinton. L'intrigue, délayée sur plus de deux heures, manque de consistance, les séquences choc de la fin et la tentative de basculer vers l'onirisme sont insuffisantes pour rattraper le coup. Reste le plaisir de se voir plongé dans un genre délaissé par le cinéma français, celui du thriller médical, rarement ou peut-être jamais remis à l'honneur depuis Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio. C'est dans la création d'un monde hospitalier étrange, avec ses couloirs déserts et surexposés, que Gilles Marchand est le meilleur.

MERCREDI.
Courriel. Pluie de voeux électroniques. Un journaliste de La Dépêche (Eure) souhaite écrire un article sur les notules et m'envoie une série de questions.

Alpes-de-Haute-Provence. Nous fêtons l'an neuf at home, en quatuor. Le foie gras poêlé nous permet de faire le plein de lipides pour les douze mois à venir. Les filles rigolent en écoutant Gerry Joly et dansent sur Rock & Belles Oreilles.

TV. Décalage horaire (Danièle Thompson, France, 2002 avec Juliette Binoche, Jean Reno, Sergi Lopez; diffusé sur Canal + en décembre 2003).
Rose et Félix font connaissance à Roissy où leurs avions sont retardés.
Il faut toute l'indulgence d'une fin d'année pour subir sans broncher cette comédie sentimentale sans saveur où la seule "trouvaille" du scénario consiste à empêcher le décollage d'un avion par a) une grève, b) une panne informatique, c) le brouillard. Reno et Binoche s'emploient à combler le vide sans grande conviction. Une réplique à retenir (Reno face à une tranche de jambon insipide) : "Il est mort pour rien, ce cochon."

JEUDI.
Bilan annuel. "Pourquoi ne commencerais-je pas l'année en vous la souhaitant à vous et aux autres 'bonne et heureuse, accompagnée de plusieurs autres' ? C'est rococo mais ça me plaît." (Gustave Flaubert, lettre à George Sand, 1° janvier 1869).
J'ouvre l'agenda 2004 par l'habituel bilan statistique de l'exercice passé :
* 77 livres lus (- 17).
* 161 films vus (- 18) dont 72 au cinéma (+ 10).
* 110 pages de lecture de longue haleine (Sartre, Flaubert, Kafka, Nabokov, Proust, Blavier) (- 60).
* 71 abonnés aux notules version électronique (sans oublier les irréductibles abonnés papier de l'Aveyron) (+ 40).
* 3127 visites sur le site des notules (+ 2389).
* poids oscillant entre 64,6 (- 2) et 68 kg (- 1,4).
* pertes PMU : non chiffrées.

En ce qui concerne mes chantiers littéraires :
* Inventaire 1998 toujours en cours d'élaboration.
* Aperçu de littérature passive 2001-2002 toujours pas mis au propre.
* 58 éléments (+ 11) pour l'inventaire Félicités.
* 1083 peintre étudiés dans les Propos sur l'art peint (+ 131).
* 1869 Souvenirs quotidiens notés (+ 363, j'ai dû me tromper quelque part).
* 65 Nouvelles en deux lignes (+ 4).
* 150 volumes étudiés dans L'Atlas de la Série Noire (+ 30).
* L'Itinéraire patriotique départemental en est à la commune de Basse-sur-le-Rupt (+ 6).
* 42 photos de Bars clos commentées (+ 20).
* 168 entrées dans la Petite géographie de l'incipit (+ 55).
* 176 Bribes oniriques recueillies (+ 140).

Nouveautés 2003 :
* 65 tableaux commentés dans la Mémoire louvrière.
* 14 publicités murales peintes photographiées.
* 45 numéros de téléphone récoltés dans des films en vue d'un travail à venir.

Bonnes résolutions. Promenade dans les bois, sous la neige cette fois.

TV. Les Chiens enragés (Cani arriabbati, Mario Bava, Italie, 1974 avec Riccardo Cucciolla, Maurice Poli, Lea Leander; diffusé sur Canal + en mars 1999).
Trois braqueurs prennent une jeune femme en otage et détournent une voiture, celle d'un père de famille qui conduisait son fils à l'hôpital.
C'est le dernier film de Mario Bava, figure du cinéma bis italien, un huis-clos sur l'autoroute avec, d'un côté, des gangsters à moitié fous et prêts à tout, et de l'autre des otages désemparés. Une tentative de fuite, un arrêt à une station-services, un autre au péage constituent les seuls moments où l'on sort du véhicule. La route est longue avant d'aboutir à un dénouement assez ingénieux qui renverse les valeurs. Les mines hallucinées des voyous, les dialogues plus que crus évoquent certains films de Mocky qu'on ne peut regarder qu'au second degré. Le rôle du père de famille est tenu par Riccardo Cucciolla qui fut un Sacco très crédible dans le film de Giuliano Montaldo ("Here's to you, Nicola and Bart...").

VENDREDI.
Courrier. J'envoie le contrat de réservation aux gîtes de l'Allier, une brassée de vœux, des coupures à Y.

Sports d'hiver. Fabrication d'un bonhomme de neige, luge, onglée.

TV. P.J. (série française réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode 4, diffusé sur France 2 le soir-même).
L'épisode est plutôt bon. Le retour du commandant Lamoujie, blanchi des soupçons de pédophilie, pèse sur l'ambiance au commissariat jusqu'à la réconciliation finale. La P.J. Saint-Martin est une grande famille. On plaint le pauvre Fournier, qui, depuis qu'il a reçu une volée de pruneaux dans la boîte à ragoût, ne passe pas un épisode sans recevoir un ramponneau là où ça fait mal.

SAMEDI.
Presse. Je travaille sur le questionnaire du journaliste de La Dépêche que je lui renvoie en fin de journée. Comme il y est question de cuisine notulienne, je le reproduis ci-dessous :

Qu'est-ce que c'est que cette manie de tout noter?

C'est une habitude que j'ai prise assez tôt. Dès mon adolescence, je me suis entouré de carnets, de cahiers, de répertoires, de fichiers. Je ne pouvais pas regarder un film sans chercher la filmographie complète de chacun des acteurs, suivre une étape du Tour de France sans connaître le palmarès de chaque coureur. C'est pour cela que ma découverte de Georges Perec fut déterminante : j'ai retrouvé chez lui ma manie des listes, des inventaires,
des catalogues, des énumérations...

Avant de vous lancer dans la rédaction de vos notules vous avez effectué quelques tentatives étonnantes comme l'inventaire des aliments solides et liquides que vous avez avalés au cours de l'année 1997 ou encore l'inventaire des lieux, faits, objets et personnes ayant occupé votre année 1996. Comment ces idées vous sont venues?

J'ai commencé par écrire des inventaires parce que je voulais écrire et que je n'avais pas l'imagination ou le souffle d'écrire de la fiction, un roman. Il me fallait de plus quelque chose qui me tienne en éveil assez longtemps, une année me semblait une durée convenable. L'inventaire 1996 est original, celui de 1997 ne l'est pas car Perec avait déjà fait une "Tentative d'inventaires des aliments liquides et solides que j'ai ingurgités au cours
de l'année mil neuf cent soixante-quatorze".

Quels enseignements tirez-vous de ces tentatives?

La confirmation du fait que toute expérience, même la plus infime, peut devenir littérature. La satisfaction de boucler un travail, d'arriver à quelque chose de fini.

Qu'en pense votre femme, vos amis, vos lecteurs?

Les personnes qui ont accepté de lire ces textes sont des proches, donc leur regard est amical et bienveillant. Ma femme joue un rôle différent puisqu'elle est aux premières loges. Son concours m'est précieux, par exemple pour l'inventaire de l'année 1998 qui consistait à noter tous les noms de rues que j'empruntais. C'est elle qui déchiffrait les plaques de rue
ou les notait si c'est moi qui étais au volant. C'est aussi ma famille qui parcourt avec moi le département des Vosges en tous sens pour un texte en cours, l' "Inventaire Patriotique Départemental" qui consiste à trouver, à photographier et à écrire sur tous les monuments aux morts du département dans l'ordre alphabétique des communes.

Après ces tentatives, vous vous êtes lancés dans la rédaction de notules. Quelle est votre définition du notulographe?

Les notules sont nées incidemment, d'abord pour un seul correspondant. Quand j'ai découvert le courrier électronique, j'ai pris l'habitude d'envoyer à un ami quelques mots sur les livres et les films que je venais de lire ou voir. Cet envoi est devenu régulier, dominical, et je l'ai proposé à d'autres connaissances. Petit à petit, de bouche à oreille, il y a eu un effet boule
de neige.

Comment procédez-vous pour travailler?

Comme je l'ai dit, j'ai toujours tout noté. Chaque jour, je lis "Le Monde", chaque soir, je note que j'ai lu "Le Monde". Je tiens un cahier de notes de lecture depuis 1978, un cahier de notes cinématographiques depuis quelques années seulement, un journal depuis une vingtaine d'années. Je complète celui-ci chaque jour, les autres à l'issue de chaque lecture ou de chaque film vu. Le dimanche matin, je prends mes trois cahiers, je recopie, je coupe, je modifie, je mets en forme. Ce qui me prend entre deux et quatre heures.

Vos notules sont dominicales et de culture domestique, combien de films et de livres avez-vous lu à ce jour?

Je lis entre un et deux livres par semaine, une petite centaine par an. Pour les films, comme mes archives sont plus récentes, j'ai dû me fier à ma mémoire pour reconstituer la liste de tous ceux que j'ai vus. A ce jour (2 janvier 2004), j'en ai retrouvé 1546.

Pourquoi publier vos notes sur Internet?

L'initiative ne vient pas de moi. Au début, je le répète, les notules n'atteignaient qu'un cercle restreint d'amis par courrier électronique. L'un d'eux, Yves Lambert, plus habile que moi dans la chose informatique, m'a proposé de créer un site. C'est lui qui met les notules en ligne chaque semaine et qui s'est chargé de référencer le site sur les principaux moteurs de recherche. A partir de là, le cercle s'est élargi, des gens sont tombés sur le site par hasard ou à la suite d'une recherche et se sont abonnés. Aujourd'hui, le site reçoit une cinquantaine de visites par semaine, les notules sont envoyées à environ 70 abonnés, des amis, des inconnus et, ce qui me flatte et me terrifie en même temps, des gens dont je vois parfois le nom sur des couvertures de livres, dans des revues
ou des magazines.

Quels intérêts peut y trouver l'internaute?

Ça, c'est un mystère, une source continuelle d'étonnement. Parce ce que c'est tout de même une entreprise très narcissique. Que des proches s'intéressent aux petits faits de ma vie, c'est dans l'ordre des choses. Que je parvienne à intéresser des lecteurs inconnus, c'est plus surprenant. Parce que, qu'est-ce que je fais ? La journée, je lis et j'écris, le soir, je regarde des films, le reste du temps j'ai une vie familiale paisible et une vie professionnelle sans relief. C'est peut-être la manière de raconter qui donne de l'intérêt, je ne sais pas, il faudrait poser la question aux internautes eux-mêmes.

Dans vos Notules dominicales de villégiature exotique n°71, vous racontez les quelques jours que vous avez passés dans l'Eure et notamment la découverte fortuite du Moulin d'Andé qui illumina votre journée. Que vous évoque ce lieu?

Le Moulin d'Andé, pour moi, c'est Perec bien sûr, c'est "La Disparition", qu'il rédigea en grande partie dans ce lieu. J'avais déjà vu des photos du Moulin, j'y avais même été invité pour l'avant-première d'un film sur Perec mais j'ignorais où il se situait.

Plusieurs réunions de l'Oulipo se tenaient à Andé. Dans votre présentation, vous précisez que vous êtes né la même année (1960) que l'Oulipo.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l'Oulipo et ses réunions?

Je ne sais pas exactement comment fonctionne l'Oulipo. Il me semble que les réunions se tiennent successivement chez les membres du groupe, ou parfois au restaurant. Plusieurs membres sont passés à Andé, Jacques Roubaud, Marcel Bénabou, mais j'ignore si des réunions du groupe se sont tenues au Moulin.

Vous évoquez aussi Suzanne Lipinska - qui est toujours propriétaire du Moulin d'Andé - et de l'amour que Perec avait pour elle. Là aussi, vous pourriez nous en dire un peu plus?

Perec est arrivé au Moulin en 1965-66, sur l'invitation de Maurice Pons. Il fut très vite admis au sein de la communauté autour de Suzanne Lipinska, dont il tomba amoureux. Il y passa de nombreux week-ends, parfois des séjours plus longs, partageant à partir de 1968 sa semaine entre Paris et Andé. La passion de Perec pour Suzanne Lipinska était exclusive mais Suzanne
était davantage attachée à son Moulin qu'à l'écrivain. La rupture, "l'arrachement" comme dit Paulette Perec dans "Portrait(s) de Georges Perec" a pesé sur la vie de l'auteur, bien sûr, mais aussi sur son oeuvre, ses difficultés à écrire "W ou le souvenir d'enfance" en témoignent. Tous ces faits sont racontés dans la biographie de David Bellos, "Georges Perec, une vie dans les mots" (Le Seuil, 1994).

Georges Perec est important pour vous, vous êtes responsable du bulletin de l'association Georges Perec. D'où vient cet intérêt pour lui?

J'ai découvert Perec par la radio. En 1992, France Culture a diffusé une série d'émissions pour célébrer le dixième anniversaire de sa mort. En entendant sa "Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978", j'ai eu le déclic. J'ai lu ses livres, la biographie de Bellos, j'étais épaté de trouver un écrivain qui avait écrit, en bien mieux,
tout ce que je voulais écrire et beaucoup d'autres choses encore. J'ai découvert l'existence d'une Association Georges Perec, j'ai commencé à fréquenter le séminaire Perec qui se tient chaque mois dans une université parisienne (Jussieu), j'ai rencontré des gens qui l'avaient connu et des spécialistes de son oeuvre.

J'imagine que vous êtes incollable sur la question, alors pouvez-vous nous dire comment Perec est arrivé à Andé?

Le roman de Maurice Pons, "Les Saisons", est sorti en 1965, en même temps que "Les Choses" de Perec. Les deux hommes ont fait connaissance à la suite du Prix Renaudot obtenu par Perec. Pons habitait le Moulin d'Andé, il a invité Perec à venir y passer un moment.

Quelle importance - voire quelle influence - a eu pour lui son passage au Moulin d'Andé?

Perec a trouvé à Andé un endroit où il pouvait écrire et faire partager son travail aux membres de la communauté, écrivains, cinéastes, artistes. Il y a peut-être aussi trouvé une sorte de famille de substitution à la sienne, détruite par la guerre. C'est pendant sa fréquentation d'Andé qu'il est devenu membre de l'Oulipo. C'est à Andé qu'il a travaillé sur "Un homme qui dort", "La Disparition", son traité sur le jeu de go (en collaboration avec Roubaud), "L'Arbre"... Sa vie a Andé a aussi bien sûr influencé son oeuvre sur le plan émotionnel. Là aussi, je me réfère à David Bellos.

Une nouvelle année débute. Quels livres avez-vous prévu de lire cette année? Et dans quelles villégiatures exotiques comptez-vous vous rendre?

J'aimerais progresser dans mes lectures de Proust et Kafka, ce que j'appelle mes lectures de longue haleine, lire Alfred Döblin, Malcolm Lowry, m'attaquer enfin à Jarry et Raymond Roussel. Le reste dépendra de l'actualité littéraire, des sorties de l'année, notamment dans le domaine policier que je pratique beaucoup.
Pour choisir un lieu de vacances, nous partons d'une contrainte simple : il faut trouver un département français qu'aucun des membres de la famille n'est capable de situer sur une carte. C'est comme ça que nous nous sommes retrouvés dans la Creuse, dans l'Eure, dans le Loir-et-Cher. C'est facile parce que nous ne sommes pas très bons en géographie. Cette année, ce sera l'Allier. En trichant un peu, car nous y sommes déjà allés. Disons qu'on ne
se rappelle plus où c'est. Ça prouve que la contrainte s'essouffle et qu'il est temps de passer à autre chose. Si j'y avais pensé à temps, j'aurais aimé passer les vacances 2001 dans l'Ain, 2002 dans l'Aisne, 2003 dans l'Allier... Il est toujours temps de prendre le train en marche et d'aller dans les Hautes-Alpes l'an prochain. Ce qui nous conduirait à rester dans les Vosges en 2088. J'aurai alors 128 ans et j'apprécierai sans doute de ne pas avoir à voyager.

TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 5, diffusé sur Canal + le 28 décembre 2003).
1980. Il n'est pas toujours facile de suivre les personnages qu'on a connus enfants dans les premiers épisodes et devenus adultes. L'épisode se termine sur une scène qui rappelle étrangement le final de Rencontres du troisième type.

Bon dimanche et meilleurs vœux.

Notules dominicales de culture domestique n°142 - 11 janvier 2004

DIMANCHE.
Satisfaction (I Can Get...). Dernier jour des vacances. Contrairement à l'habitude, je suis plutôt satisfait de cette période. Pourtant, dès le premier samedi, j'avais hâte qu'elle se termine : les filles promettaient de me faire tourner chèvre, Caroline, amputée comme d'habitude des deux tiers de son personnel, était bloquée du matin au soir à la pharmacie. Et puis, petit à petit, les caractères et les contraintes se sont amollis et j'ai pu finalement faire presque autant de choses que je le souhaitais : j'ai progressé dans mes écrits, sorti les filles au cinéma, dans les bois, dans la neige, revu mes frères et HB (néo-orangeois), découvert les triangles arithmétiques de Pascal, entamé Stendhal, trouvé un point de chute estival dans l'Allier, écouté des émissions sur Frank Zappa, et, seule concession à mon goût immodéré pour l'aventure, traversé deux fois la Moselle en quinze jours.

Réactions aux notules. AZ suggère de comptabiliser les aptonymes dans le bilan annuel. A ce propos, CFC me parle d'une pharmacie Bobo à Perpignan et m'indique comment entrer au Louvre sans faire la queue. ARB m'offre le premier chapitre de son roman. Un comédien, Daniel Cohen, dont j'avais souligné la prestation dans Tristan, de Philippe Harel, (je l'avais comparé à Louis de Funès et, manifestement, il a pris ça pour ce que c'était, un compliment) m'invite au théâtre des Mathurins où il met en scène une pièce qu'il a écrite.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 1, épisode 13 et saison 2, épisode 1, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Jimmy diffuse les deux saisons à la suite, ce qui est une bonne nouvelle pour les accros que nous sommes devenus. La femme de Vick Mackey est partie avec ses enfants. Est-ce qu'on peut faire une chose comme ça à Vick Mackey ? A suivre.

LUNDI.
Notules. Première demande d'abonnement de l'année.

TV. Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg, Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 1 et 2, diffusés sur Canal + le 3 janvier 2004).
Mon goût tout récent pour les séries n'est pas près de s'éteindre. Les programmes télévisés n'annoncent pas moins de trois nouveautés intéressantes dans ce domaine rien que pour cette semaine. Boomtown est une série policière, une de plus, mais qui se caractérise par une recherche formelle intéressante. L'affaire criminelle relatée dans chaque épisode est en effet traitée selon une multitude de points de vue qui se croisent et se chevauchent au moyen d'incessants flash-backs : un procureur, quatre flics, une ambulancière, une journaliste, les victimes, les témoins... Pour les différencier, le réalisateur joue parfois sur la texture de l'image, à la manière du Soderbergh de Traffic. Si l'histoire présentée dans le premier épisode est assez facile à suivre une fois qu'on a saisi le principe, la deuxième est un véritable casse-tête qui se met miraculeusement en place à la fin. On atteint là quasiment la période cubiste de la série télévisée, dans un exercice déroutant mais stimulant.
Curiosité. Un enquêteur nommé Fearless qui a vu la mort de près dans la première guerre du Golfe, ne se déplace jamais sans un bout de papier sur lequel il a noté et coche au fur et à mesure les choses qu'il veut faire avant de mourir. Je saisis l'occasion pour relire les Quelques-unes des choses qu'il faudrait tout de même que je fasse avant de mourir de Perec et me livrer, au moyen d'un arrêt sur image obtenu après moult tâtonnements, à une étude comparative. "Aller du Maroc à Tombouctou à dos de chameau en 52 jours" se retrouve dans "Ride a camel", "Planter un arbre (et le regarder grandir)" dans "Plant a tree", et, de façon plus éloignée, "Faire un long voyage sur un navire" dans "Go deep-sea fishing". En revanche, on notera que Perec n'avait pas l'intention de coucher avec une prostituée et que le flic n'a pas l'intention d'aller dans les Ardennes ni d'écrire un scénario de film d'aventures "dans lequel on verrait, par exemple, 5 000 Kirghizes cavaler dans la steppe."

MARDI.
Courrier. Des vœux en provenance de Thionville et d'Épinal.

TV. Palettes : Les Jardins publics d'Édouard Vuillard (documentaire d'Alain Jaubert, France, 1991, diffusé sur ARTE le 27 décembre 2003).
Les archives de Vuillard, nombreuses et bien conservées, permettent de reconstituer parfaitement l'historique de l'œuvre (une série de onze panneaux décoratifs commandés en 1894 pour l'hôtel particulier d'Alexandre Nathanson), de voir sa fabrication, de l'idée de départ à la version définitive en passant par le brouillon et l'esquisse. La palette graphique reconstitue même l'aspect que pouvait avoir la pièce de l'appartement avec la disposition des panneaux (y compris celui qui a disparu pendant l'Occupation et qui figure au catalogue des biens spoliés). L'étude minutieuse d'Alain Jaubert donne également à voir, dans l'arrière-plan des alignement d'arbres et derrière les figures paisibles des personnages (enfants, mères, nourrices), des ombres inquiétantes et des figures fantastiques qui sont autant de menaces sur ce monde paisible uniquement en surface.

Le Mariage des moussons (Monsoon Wedding, Mira Nair, Inde-France-E.-U., 2001 avec Naseeruddin Shah, Vashundara Das, Shefali Shetty, Rajat Kapoor, Vijay Raaz; diffusé sur Canal + en décembre 2003).
Un bourgeois de New Delhi rassemble sa famille à l'occasion du mariage de sa fille.
Ce n'est pas une véritable production Bollywood, l'usine à films indienne, mais Le Mariage des moussons est une bonne introduction au cinéma de ce pays. Le mélange de capitaux indiens, français et américains qui apparaît dans la production se retrouve dans l'histoire traitée qui donne une image de la société indienne partagée entre ses valeurs ancestrales et l'influence du monde occidental. Pour le mariage, la famille réunie comprend des membres restés au pays et des exilés venus des États-Unis. Le mélange se retrouve dans les langues utilisées, l'anglais et le hindi. Il y a un intérêt documentaire avec les vues de Delhi et les rites du mariage proprement dit. Les costumes, les chorégraphies, la musique (irrésistible macédoine de chants traditionnels arrangés à la sauce techno) sont un régal. Le film va plus loin cependant que le kitsch sentimental exotique avec le personnage de Ria, la cousine de la mariée, qui dénonce les agissements d'un tonton pervers. On est alors proche d'une sorte de Festen tandoori qui ne manque pas d'intérêt. Je ne sais si ce Mariage méritait vraiment le Lion d'Or obtenu au Festival de Venise mais c'est mieux en tout cas qu'un film de sari B.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète un recueil de Laclos, un polar bostonien, le dernier Le Tellier et une limace en soldes.

Cinéma. Deux en un (Stuck On You, Bobby & Peter Farrelly, E-U, 2003 avec Greg Kinnear, Matt Damon, Cher, Eva Mendes, Seymour Cassel, Wen Yann Shih, Pat Crawford Brown, Ray 'Rocket' Valliere, Tommy Songin).
Je parlais récemment de discrimination positive à propos de la nageoire atrophiée du poisson Nemo dans le dessin animé. Dans ce domaine, les frères Farrelly ont toujours fait le maximum, on se souvient de l'obèse et de l'homme affligé d'une excroissance caudale de L'Amour extra-large, leur précédent film. Ils continuent ici dans la même veine avec en vedette un couple de frères siamois, pardon, de jumeaux associés ou conjoints. L'un d'eux veut devenir acteur et part pour Hollywood, l'autre ne peut guère que le suivre. On avait remarqué, toujours dans L'Amour extra-large, leur désir de ne plus se contenter de la grosse farce, qui se manifestait dans la mise en scène d'une histoire à l'eau de rose plutôt décevante. Après ce raté, le duo semble avoir trouvé le bon dosage entre le comique (la vie quotidienne des siamois, leurs exploits sportifs, leur vie professionnelle au piano de leur restaurant donnent lieu à de belles séquences) et la réflexion plus sérieuse. Réflexion sur la fraternité (on doute après cela qu'un des Farrelly réalise un jour un film sans l'autre) et sur l'altérité. Le handicap n'est pas prétexte à attendrissement ou compassion, ne les empêche pas de vivre leur vie comme ils l'entendent (celui qui veut être acteur devient une vedette). C'est un stimulant pour leur imagination : comment draguer une fille, comment être embauché sur un tournage, comment faire l'amour, bref comment vivre avec un autre toujours collé à soi. Avec ce sujet risqué, les Farrelly parviennent à toucher juste, le film souffrant quand même d'une sévère baisse de régime au bout de la première heure. La virée à Hollywood permet de voir Cher dans un rôle de star capricieuse qu'elle semble endosser avec gourmandise et surtout Meryl Streep qui a deux apparitions éblouissantes.
Curiosité. Avec 391 noms crédités rien que pour l'interprétation, le générique est le plus long à entrer (je n'ai pas encore fini de le recopier) dans mon fichier de Films vus.

JEUDI.
Notules. Deuxième demande d'abonnement de l'année.

Amour, gloire et beauté. David Chapelle, journaliste à La Dépêche, annonce par courriel la parution de son article sur les notules dans les éditions du jour. Demander à la Bibliothèque municipale d'Épinal qu'elle s'abonne séance tenante à cet excellent hebdomadaire.

Courrier. Des vœux en provenance de l'Aveyron et d'Épinal.

Cinéma. Chantons sous la pluie (Singin' in the Rain, Stanley Donen & Gene Kelly, E.-U., 1952 avec Gene Kelly, Debbie Reynolds, Donald O'Connor, Jean Hagen).
1927. Un couple de stars du cinéma muet voit sa carrière compromise par l'arrivée du parlant. La voix de Lina Lamont s'avère catastrophique. Heureusement, Don Lockwood, son partenaire, tombe amoureux de la jeune Kathy Seldon, qui, elle, sait chanter.
Cela faisait longtemps que j'avais envie de connaître ce qu'il y avait autour de la scène mythique de la chanson titre. Curiosité peu partagée puisque j'étais seul dans la salle, ainsi à même de chanter et de danser tout mon soûl et au sec, et même de téléphoner à Caroline pour lui faire partager un moment du film.
On dit que les grands films proposent toujours une réflexion sur le cinéma et c'est le cas ici puisque l'histoire entreprend ni plus ni moins de montrer la naissance de la comédie musicale, fruit de l'introduction de scènes de spectacles de music-hall dans le cadre des studios. Don Lockwood et son complice Cosmo Brown ont débuté sur les planches, leur carrière est résumée dans un flash-back d'une grande drôlerie, et ont donc toutes les capacités requises pour passer sans dommage du muet au parlant. Ce qui n'est pas le cas de Lina Lamont, emblème de toute une génération de comédiens détruits par cette révolution technique.
La partie musicale contient quelques pépites bien connues des vrais cinglés du music-hall, Make'em Laugh par Donald O'Connor (décédé il y a quelques semaines), et un Good Morning en trio irrésistible. La grande séquence dansée sur Broadway Ballet est moins convaincante, cherchant à s'inspirer du ballet d'Un Américain à Paris (jeu sur les couleurs, les décors futuristes, introduction de l'onirisme et de l'interdit sexuel avec l'apparition de Cyd Charisse) sans parvenir au même niveau. Enfin, il faut bien dire un mot de la scène sur Singin' in the Rain : Don vient de raccompagner Kathy à sa porte. Il s'aperçoit qu'il est amoureux, renvoie le taxi qui l'attendait et s'élance sous la pluie battante. Quand on est amoureux, tous les réverbères sont des amis.

VENDREDI.
Courrier. Je reçois les deux éditions de La Dépêche promises par David Chapelle. Belle surprise. Là où je m'attendais à un articulet d'estime, je tombe sur une page complète (et sans coquilles) avec photo, notice biographique, extrait des notules, la quasi-intégralité des réponses envoyées et même, pour l'édition de Verneuil, une accroche en une ("Le Moulin d'Andé dans les notules de Philippe Didion"). Curieuse sensation : j'ai déjà eu les honneurs de la presse locale, principalement pour mes activités musicales, mais au moins c'était la presse locale de chez moi. En plus, grâce à cet envoi, je sais tout du tournoi de football en salle de Conches remporté par l'A.S. Val-Vaudreuil face à Vernon (2-2, 3 tirs au but à 2).

J'envoie des vœux à JL, des renouvellements d'abonnement et de cotisation à Histoires littéraires, aux potes à Proust et aux amis de Fallet, une revue de presse à Y.

TV. P.J. (série française réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode 6, diffusé sur France 2 le soir-même).
Dernier épisode de la saison, le cinquième étant passé à la trappe pour cause de problèmes religieux traités de façon ostensible ou ostentatoire. Conséquence de cette élision : on ne sait pas pourquoi Fournier a une nouvelle fois disparu. L'essentiel est que ce soit terminé, ça libère une soirée dans la semaine pour voir des choses un peu plus palpitantes.

SAMEDI.
Courrier. Réponse de la concession Renault à ma lettre énervée. On s'excuse du bout des lèvres en disant qu'après tout, tout le monde a le droit de se lever du pied gauche, surtout le lundi, et de passer sa mauvaise humeur sur les clients. En râlant auprès de McDonald's, j'avais reçu des hamburgers en cadeau, ici pas même une petite Twingo. Demander à Vilvoorde s'il leur reste des autocollants "Ceci est ma dernière Renault".

Lecture. La Défense Loujine (Zachtchita Loujina, Vladimir Nabokov, 1930, traduit du russe par Bernard Kreise, in Oeuvres romanesques complètes I, Gallimard 1999, Bibliothèque de la Pléiade, 1736 p.).
Vie et mort d'un joueur d'échecs.
La découverte dans l'ordre chronologique de l'œuvre de Nabokov, ceci étant son troisième roman, permet de voir comment, progressivement, elle gagne en richesse et en complexité. Le thème des échecs - Nabokov fut un problémiste réputé - est utilisé comme une métaphore : la vie de Loujine est une partie d'échecs, l'écriture d'un roman, du moins celui-ci, est une partie d'échecs. Le jeune Loujine devient rapidement un joueur de classe internationale, multiplie les exploits, invente un système de jeu qui porte son nom, avant de basculer dans la folie. Après une ellipse, on le retrouve marié, à Berlin, à une épouse qui tente de le guérir en lui faisant mener une vie sociale normale. La tentative échoue et Loujine finit par se suicider. Du roman précédent, Roi, dame, valet, on retrouve le goût de Nabokov pour l'ironie mordante quand il s'agit de peindre les travers et les ridicules d'un certain milieu (celui des immigrés russes à Berlin) mais aussi une profonde compassion pour des personnages masculins qui n'arrivent pas à prendre leur destin en main. Loujine ne parvient pas à se défaire de l'ombre tutélaire de son père, écrivain bien en cour, même après la mort de celui-ci. Son départ dans le circuit des échecs, qui était une tentative d'émancipation, ne débouche que sur un nouvel enfermement à l'intérieur d'une société et à l'intérieur de lui-même. Toute cette histoire est bien sûr construite selon un agencement subtil, avec des avancées, des sacrifices, des attaques surprise et un mat final tragique.
Extrait. "Maintenant, ses deux jambes pendaient au dehors, il suffirait de lâcher ce à quoi il se cramponnait, et il serait sauvé. Mais avant de lâcher prise, Loujine regarda en bas. On y procédait en hâte à des préparatifs : les reflets des fenêtres se rejoignaient et s'alignaient, l'abîme était divisé en carrés clairs et en carrés sombres et, au moment même où Loujine desserra les doigts, au moment où l'air glacial s'engouffra impétueusement dans sa bouche, il comprit quelle éternité s'ouvrait devant lui, accueillante, inexorable.
La porte venait d'être enfoncée. "Alexandre Ivanovitch, Alexandre Ivanovitch !" hurlèrent plusieurs voix.
Mais il n'y avait plus d'Alexandre Ivanovitch."
Curiosité. Nabokov indique, à la fin du roman : "Commencé au Boulou (Pyrénées-Orientales) au début de 1929; terminé à Berlin à la fin de la même année." Soit, à peu de choses près, le parcours inverse de celui de Walter Benjamin, né à Berlin et mort par suicide, lui aussi, à Port-Bou, à une cinquantaine de kilomètres du Boulou.

TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 6, diffusé sur Canal + le 4 janvier 2004).
L'intérêt s'émousse devant une histoire qui se répète et tourne un peu en rond.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°143 - 19 janvier 2004

DIMANCHE.
Bûcheronnage. Démâtage du sapin dressé devant la pharmacie sous une pluie battante. Mon dos saura s'en souvenir.

Réactions aux notules. AMB se félicite, après une période de sevrage, d'être de nouveau notulo-compatible.

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 2, épisodes 2 & 3, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Vick Mackey n'était déjà pas un ange mais ça ne s'améliore pas avec le départ de sa femme. Le voilà qui passe la joue d'un suspect sur la plaque chauffante d'une cuisinière façon entrecôte au barbecue. Le téléspectateur est aussi saisi que la viande.

LUNDI.
Notules. Une demande d'abonnement émanant d'un spécialiste en pharmacie comique.
Y. met en place un lien "Historique" sur la page d'accueil du site, conduisant vers un extrait de l'entretien paru dans La Dépêche.

Courrier. Des vœux en provenance de Nancy.

TV. Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg, Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 3 et 4, diffusés sur Canal + le 10 janvier 2004).
Où les limiers du LAPD trouvent la solution d'un crime datant de 1976. Les retours en arrière sont conséquents, on s'habitue à la construction en puzzle et aux personnages. C'est bien parti.

MARDI.
Lecture. La Chartreuse de Parme (Stendhal, 1839; in Romans et nouvelles II, Gallimard 1948, Bibliothèque de la Pléiade, 1492 p., 285 F).
Ce n'est pas une relecture. C'est la première fois que je viens à bout de ce roman. Pourtant, je me souviens d'avoir longuement disserté, peut-être même discouru sur la Chartreuse en faculté, à Nancy. Magie perverse de la chose universitaire qui veut que l'on passe tellement de temps à éplucher les bibliographies et les ouvrages critiques qu'il n'en reste plus à consacrer à l'œuvre elle-même... J'ai encore à l'esprit mon premier cours magistral, la première fois que je mis les pieds dans un amphithéâtre pour y boire les mots ailés d'un professeur de renom, éminent stendhalien, que la maladie avait rendu sénile, pathétique... et totalement inaudible. Et c'est pour entendre ça, ou plutôt pour ne pas entendre ça et, par ailleurs pour se faire bizuter (gentiment) dans le box exigu d'un internat désert qu'il fallait quitter sa ville, ses copains et ses bistrots ? J'étais plutôt interloqué.
Je comprends aujourd'hui tout à fait le mouvement de recul que j'ai dû avoir en abordant le roman. L'entrée en matière a de quoi dérouter, voire rebuter les meilleures volontés. Impossible de s'y retrouver dans cette peinture surchargée des mœurs italiennes, ce maquis de marquis, comtes, ducs, princes et roitelets, ces intrigues de cours d'opérette où la moindre incartade peut s'avérer fatale, ce tourbillon d'espions, de déguisements, de poisons. Ce n'est que peu à peu qu'on arrive à entrer dans le livre et qu'on se rend compte que ça en valait la peine : une fois qu'on a réussi à saisir le fil, la pelote se déroule toute seule, on est petit à petit saisi par la frénésie, la jubilation qu'on devine chez l'auteur. Stendhal a écrit ou dicté son texte du 4 novembre au 26 décembre 1838. C'est un roman à flux tendu et ça se sent : pas de pause, pas de respiration, pas de transition, Waterloo (le passage le plus connu, quasi burlesque), le crime, la prison, l'amour, l'évasion, l'exil, ça n'arrête pas, jusqu'à un final éclair qui règle le sort de tous les protagonistes en deux pages.
On devine alors tout ce que Stendhal a voulu faire passer en héritage dans son dernier roman, son goût pour l'Italie, ses souvenirs de jeunesse amoureuse, son intelligence politique, sa maîtrise de l'ironie et, par dessus tout, sa passion de raconter des histoires.
Extrait. "Entraîné par les événements, nous n'avons pas eu le temps d'esquisser la race comique des courtisans qui pullulent à la cour de Parme et faisaient de drôles de commentaires sur les événements par nous racontés. Ce qui rend en ce pays-là un petit noble, garni de ses trois ou quatre mille livres de rente, digne de figurer en bas noirs, au lever du prince, c'est d'abord de n'avoir jamais lu Voltaire ou Rousseau : cette condition est peu difficile à remplir. Il fallait ensuite savoir parler avec attendrissement du rhume du souverain, ou de la dernière caisse de minéralogie qu'il avait reçue de Saxe. Si après cela on ne manquait pas à la messe un seul jour de l'année, si l'on pouvait compter au nombre de ses amis intimes deux ou trois gros moines, le prince daignait vous adresser la parole tous les ans, quinze jours avant ou quinze jours après le premier janvier, ce qui vous donnait un grand relief dans votre paroisse, et le percepteur des contributions n'osait pas trop vous vexer si vous étiez en retard sur la somme annuelle de cent francs à laquelle étaient imposées vos petites propriétés."
Vocabulaire. "... mais enfin cette grande dame vient me demander quelque chose qui dépend de moi uniquement et qu'elle brûle d'obtenir; j'ai toujours pensé que l'arrivée de ce neveu m'en ferait tirer pied ou aile."
tirer pied ou aile : obtenir une partie quelconque de ce qu'on désire. Image prise d'une volaille qu'on dépèce. (Littré).

TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 7, diffusé sur Canal + le 11 janvier 2004).
Les spécialistes du Pentagone font leurs comptes : les extra-terrestres ont 1 pouce et 3 doigts; le vaisseau spatial qu'on a découvert compte 5 places; 55 femmes ont été fécondées par ces créatures; 1597 personnes ont apporté un témoignage sur un atterrissage; 46 368 prétendent avoir été enlevées par les aliens... 1, 3, 5, 55, 1597, 46 368... Bon sang mais c'est bien sûr ! Il y a du Fibonacci là-dessous. http://fr.wikipedia.org/wiki/Suite_de_Fibonacci

MERCREDI.
Notules. Une demande d'abonnement en provenance du Pas-de-Calais.

TV. Jeux interdits (René Clément, France, 1951 avec Brigitte Fossey, Georges Poujouly; diffusé sur Paris Première en ?).
Pendant l'exode, une fillette perd ses parents. Elle est recueillie dans une ferme et se lie d'amitié avec le fils de la maison.
Pour se soustraire à la cruauté qui les entoure, Paulette et Michel, les deux enfants, s'inventent un univers à part. Un univers qui subit évidemment l'influence extérieure puisqu'ils ont pour principale occupation de creuser des tombes pour toutes les créatures mortes qu'ils trouvent et de voler des croix pour orner ces sépultures. La pureté et la simplicité de leurs sentiments doit apparaître en totale opposition avec les turpitudes du monde des adultes, avec la guerre, la vraie, mais aussi celle que se livrent deux familles voisines jalouses l'une de l'autre. Outré dans le sublime comme dans le ridicule, le film est insupportable. Les enfants sont utilisés comme des marionnettes, les adultes surjouent chaque réplique et chaque mimique. On apprécie aujourd'hui, en comparaison, la façon beaucoup plus économe, en moyens et en effets, avec laquelle Téchiné a filmé un sujet assez proche dans Les Égarés. Et on se dit qu'il faudra attendre encore huit ans pour que l'enfance, la vraie, fasse son entrée dans le cinéma français avec Les quatre cents coups.
Curiosité. Outre Brigitte Fossey, trois comédiens font leurs débuts dans ce film, Laurence Badie, Bernard Musson et Jacques Marin (peut-être son seul rôle sans moustache) qu'on retrouvera dans un nombre incalculable de comédies plus ou moins fines par la suite.
Réplique. Le père souffle la bougie au-dessus du livre de sa fille : "La lumière, c'est pas fait pour lire !"

JEUDI.
Lecture. Cités de mémoire (Hervé Le Tellier, illustrations de Xavier Gorce, Berg International Éditeurs 2003, coll. Monde A Part; 98 p., 8  ).
Récit de voyage.
Quarante chapitres de deux pages, quarante étapes pour le voyageur narrateur dans quarante villes imaginaires : Itupopo, Yckx, Téholie, Glottos, Sirokza la sarkozyenne, une ville nomade, une ville souterraine, une ville toupie, une ville qui change sans cesse de nom...Quarante utopies qui, sous des dehors paisibles, abritent le plus souvent des systèmes totalitaires effrayants proches du W de Perec. Le style est celui des récits de voyage du XVIII° siècle. Le texte est probablement contraint, mais Le Tellier est un oulipien qui n'aime pas dévoiler ses contraintes. On est alors tout heureux de trouver tout seul que l'étape d'Ispari est un lipogramme en e. On découvre ici un auteur beaucoup plus sombre que dans ses joyeux exercices iconoclastes sur la Joconde (Joconde jusqu'à 100 et Joconde sur votre indulgence).
Extrait. "Pourtant, tout oppose Pulida et Latita. Car, depuis nul ne sait quand, Pulida est la ville des Beaux, et Latita la ville des Laids. A leur puberté, les jeunes gens des deux sexes de chaque ville sont confrontés à un jury souverain, désigné par le Conseil. Ce tribunal décide une fois pour toutes s'ils sont beaux ou laids. Les Beaux deviennent alors à jamais citoyens officiels de Pulida, les Laids citoyens de Latita.
Nul ne contraint quiconque à vivre dans sa ville. Le laid peut élire domicile à Pulida, au milieu des beaux, le beau peut s'établir à Latita parmi les laids. Les raisons de ces choix sont secrètes, intimes et ne se discutent pas. De même, un beau peut épouser une laide, un laid marier une belle, car l'on sait d'expérience à Pulida comme à Latita que l'amour n'y voit goutte, et que la beauté pas plus que la laideur ne se peuvent hériter.
Si bien que les premiers jours, nous qui ignorions tout de la coutume avons traversé plusieurs fois le pont qui relie les deux villes sans remarquer la moindre différence entre leurs habitants."

Courrier. J'envoie des coupures à Y., G.N. et aux D.

Cinéma. Lost in Translation (Sofia Coppola, E-U., 2003 avec Bill Murray, Scarlett Johansson, Anna Faris, Giovanni Ribisi, Akiko Takeshita, Kazuyoshi Minamimagoe, Kazuko Shibata, Take, Ryuichiro Baba, Akira Yamaguchi, Catherine Lambert, François du Bois).
Il faut à coup sûr se réjouir de tomber, dès le 15 janvier, sur un film qui figurera, à l'heure du bilan, parmi les meilleurs de l'année. Ce n'est pas une surprise, puisque Virgin Suicides, le premier de Sofia Coppola, comptait déjà parmi les plus remarquables de la fin des années 90. Elle réussit, avec Lost in Translation, un film passionnant sur l'ennui, un film jubilatoire sur la dépression. C'est dû en grande partie à la performance de Bill Murray, que je ne connaissais pratiquement pas. Sa découverte incrédule des mœurs japonaises, ses mines interloquées devant les productions télévisuelles locales, les façons qu'ont ses habitants de parler l'anglais et de se distraire valent à elles seules le déplacement. Son aventure avec la jeune Charlotte va à la fois plus loin et moins loin que ce qu'on peut en attendre grâce à la sensibilité et à la retenue de Sofia Coppola. Celle-ci déborde d'idées, quand elle filme les rues de Tokyo envahies par les néons publicitaires ou un cours d'aquagym vu sous la ligne de flottaison. Humour, amertume, tendresse, pudeur se combinent merveilleusement.
Curiosité. Sofia Coppola réutilise, sans le savoir certainement, le gag sur lequel était construite la chanson de Paul Misraki Les trois mandarins qui fit les beaux jours de l'orchestre Ray Ventura et ses Collégiens lorsque les indications interminables du metteur en scène (Bill Murray tourne une publicité) sont traduites en deux mots brefs par l'interprète de service ("...Ami au blanc visage sois le bienvenu / Oui, tout cela se dit Hu...").

Courriel. RC m'envoie des géoaptonymes : un coiffeur à Chauve (Loire-Atlantique), un Frédéric Rugi à Lyon et d'autres.

VENDREDI.
Courrier. Je reçois la bande originale du Mariage des moussons.

Santé. Lucie est en visite chez l'allergologue qui la déclare guérie de son allergie au nickel et uniquement sujette à celle (spectaculaire) à la noix de cajou. Ce qui est un avantage certain, le nickel étant présent dans un tas d'aliments (tomate, pomme, chocolat, levure...) et la noix de cajou seulement, sui generis pourrait-on dire, dans la noix de cajou. C'est donc l'esprit serein que je prends le 17 heures 22 pour Paris.

SAMEDI.
Vie parisienne. Séminaire Perec à Jussieu. Je m'y rends sans grande conviction : on y traite des rapports de Perec avec la bande dessinée, un domaine dans lequel je suis parfaitement ignare et pour tout dire peu passionné. par chance, l'exposé de Jean-Paul Meyer est clair, documenté, intéressant. Je découvre un Perec amateur de strips courts, venus des États-Unis (Andy Capp, Charlie Brown), de Little Nemo, Little King, Pim Pam Poum et, accessoirement, d'images d'Épinal. Plutôt que le dessin de Steinberg que Perec citait lui-même comme étant la source de La Vie mode d'emploi (ce qui ne m'avait jamais convaincu non plus), il préfère citer les gravures de Girardet, Bertall, les pages d'albums de timbres, les photomontages de Doisneau, les cabinets d'amateur, les descriptions de Zola. Sa vision du plan de l'immeuble agencé comme une planche de BD, avec ses cases découpées de façon irrégulière, est assez convaincante.
Je croûte un filet de canard - semelle au Petit Cardinal, expédie une petite sieste et un Série Noire à la Bilipo et poursuis la journée Perec à la bibliothèque de l'Arsenal où se tient l'Assemblée Générale de l'Association. On discute beaucoup du souhait transmis par Ela Bienenfeld (absente), ayant-droit, de limiter, voire d'interdire l'accès aux manuscrits. Si ce veto s'appliquait également à la version microfilmée de ces textes, l'Association Georges Perec, qui se veut l'intermédiaire entre les chercheurs et les textes, perdrait beaucoup de sa raison d'être. Marcel Bénabou devient président à la place de Claude Burgelin, Monika Lawniczak succède à Danielle Constantin au poste de secrétaire. Je fais la connaissance d'un notulien de renom ("Philippe Didion, I presume...") qui me fait cadeau d'un petit recueil de Propos d'Alain postfacé par ses soins. Je repars chargé de documents pour la confection du Bulletin.

Cinéma (Action Écoles, rue des Écoles). The Shop Around the Corner (Ernst Lubitsch, E.-U., 1940 avec James Stewart, Margaret Sullavan).
Budapest. Deux employés d'une maroquinerie s'échangent des lettres amoureuses sans savoir à qui ils ont affaire.
Cette romance est supérieure à ce que je connaissais de Lubitsch (Haute Pègre, Sérénade à trois, même To Be or Not To Be). le propos, issu d'une pièce de théâtre, est imparable, on trépigne pour que les deux tourtereaux ôtent les écailles qui leur couvrent les yeux et tombent dans les bras l'un de l'autre. La dimension sociale est également présente avec la menace du chômage et la glorification du paternalisme d'entreprise. Ce qui est remarquable, c'est l'efficacité de Lubitsch, sa façon de mener son histoire sans aucun déchet, sans aucun plan superflu. Le jeune Stewart, comme chez Capra, est irrésistible.

Bonne semaine.

 

Notules dominicales de culture domestique n°144 - 25 janvier 2004

DIMANCHE.
Vie parisienne (suite). Un des plaisirs de mes séjours parisiens, c'est celui de pouvoir écouter, au réveil, R.F.I. (Radio France Internationale), de suivre par exemple ce matin une revue de la presse polonaise, des reportages sur une exposition de peinture grecque à Lausanne, un festival de cinéma iranien en Norvège, un programme du CNUD près de Kinshasa. Je préfère ça de loin aux vols charters.
Je suis au Louvre de bonne heure, commence l'étude de la salle 7, aile Richelieu, deuxième étage, (Cologne et autres centres artistiques, XV° siècle) pour ma Mémoire louvrière. On y trouve une Annonciation inversée avec l'ange à droite et la Vierge à gauche et une Pietà où figure une vue de Paris en lieu et place d'une vue de Jérusalem.

Cinéma (L'Arlequin, rue de Rennes). Scarface (Shame of a Nation. Scarface, Howard Hawks, E-U, 1932 avec Paul Muni, George Raft, Boris Karloff, Ann Dvorak, C. Henry Gordon, Purnell Pratt; vu dans le cadre du ciné-club animé par Claude-Jean Philippe).
Ascension et chute d'un gangster.
Scarface est considéré comme le modèle du film de gangster, même s'il n'est pas le premier du genre. Dans sa présentation, Claude-Jean Philippe rappelle que Les Nuits de Chicago (Joseph von Sternberg), L'Ennemi public (William Wellman) et Le Petit César (Mervyn LeRoy) l'ont précédé dans ce genre. De ces films pionniers, Scarface est probablement le plus politique : son titre original ("la honte d'une nation") et le carton placé en ouverture sont clairs : il s'agit de dénoncer, via le film, les autorités, le gouvernement, considérés comme trop laxistes envers les gangsters. Par conséquent, ceux-ci ne sont pas du tout glorifiés ou magnifiés, bien au contraire. Ce sont des hommes frustes, primaires, incultes, qui ne souhaitent s'emparer de l'argent des autres que pour pouvoir se pavaner en robe de chambre dans des intérieurs décorés avec un mauvais goût très sûr. Pas de héros non plus en face, chez les policiers, condamnés à l'impuissance. Même si le film a un peu vieilli, il recèle encore de belles trouvailles, comme les tics caractérisant les méchants (le sifflotement de Paul Muni, le jeu de Raft avec sa pièce de monnaie), les quilles du bowling qui vacillent et tombent comme les hommes sous les balles, le néon de l'agence de voyages ("The World is yours") que Tony, le caïd, regarde depuis sa fenêtre et la relation ambiguë entre Tony et sa sœur. Cette relation est certainement à l'origine des problèmes que Howard Hawks a eus avec la censure. Claude-Jean Philippe a promis d'en parler mais je sèche le débat, le 13 heures 44 n'attend pas. Précipitation inutile : le 13 heures 44 en question est longuement immobilisé près de Toul à cause d'enfants qui jouent sur la voie. Je rate ma correspondance et passe une heure au buffet de la gare de Nancy qui est, à ma connaissance (et comme globe-trotter je me pose là), un des endroits les plus inhospitaliers de la planète.

Lecture. Shutter Island (Shutter Island, Dennis Lehane, 2003, Éditions Payot & Rivages, coll. Rivages/Thriller, traduit de l'américain par Isabelle Maillet; 302 p., 20  ).
1954. Le marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule sont envoyés sur Shutter Island, au large de Boston. Une pensionnaire de l'asile psychiatrique pour meurtriers installé sur cette île a disparu.
Dennis Lehane est l'étoile montante du polar américain, surtout depuis que Clint Eastwood a mis en scène son Mystic River. Shutter Island est son sixième titre traduit en français et offre lui aussi une belle matière première pour le cinéma. Le récit repose sur des problèmes d'identité qui ne seront que partiellement résolus dans les dernières pages. Les médecins de l'asile sont-ils d'affreux tortionnaires ? Chuck Aule est-il un espion ? Rachel Solando, l'évadée, a-t-elle vraiment disparu ? A-t-elle d'ailleurs seulement existé ? Dennis Lehane crée un univers de doute, de faux-semblant d'une façon habile, sans qu'on soit obligé de crier au génie. Ce qu'il rend particulièrement bien, c'est l'ambiance de l'Amérique des années 50, celle de la guerre froide où on voit des Russes et des espions partout et où le traumatisme du conflit mondial pèse toujours. De plus l'énigme utilise des éléments de cryptographie et des anagrammes qui sont heureusement traduisibles en français.
Extrait, qui donne à réfléchir sur la pratique du palindrome et de l'anacyclique. "J'ai servi dans les Ardennes avec un type...
- Vous étiez là-bas ?
Teddy opina.
- Eh bien ,ce type-là, il s'est réveillé un matin en parlant à l'envers.
- Il inversait les mots ? Les phrases ?
- Les phrases, répondit Teddy. Ça donnait des trucs du style : "Sergent, aujourd'hui ici sang de beaucoup a y il." En fin d'après-midi, on l'a retrouvé dans un gourbi, en train de se taper la tête avec une pierre. Il tapait, c'est tout. Encore et encore. On était tellement choqués qu'il nous a fallu au moins une minute pour nous apercevoir qu'il s'était arraché les yeux.
- Vous vous foutez de moi.
Teddy fit non de la tête.
- J'ai entendu dire des années plus tard qu'un copain l'avait rencontré à l'hôpital pour vétérans de San Diego. Il était aveugle, parlait toujours à l'envers et souffrait d'une espèce de paralysie dont aucun toubib n'arrivait à identifier la cause. Il passait ses journées assis dans un fauteuil roulant près de la fenêtre, à rebattre les oreilles de tout le monde avec ses histoires de récoltes, à répéter qu'il devait s'occuper de ses récoltes. Le problème, c'est qu'il avait grandi à Brooklyn."

TV. The Shield (série américaine de Shawn Ryan, Scott Brazil et James Manos, 2002, saison 2, épisodes 4 & 5, diffusés sur Canal Jimmy le soir-même).
Vick Mackey est insatiable. Après la mafia latino, après les gangs du rap, le voilà qui part à l'assaut de la mafia arménienne. Une croisade méritoire quand on sait que la mafia arménienne abrite deux branches, la mafia arménienne russe et la mafia arménienne libanaise.

LUNDI.
Réactions aux notules. FG remarque que le n° 143, envoyé ce matin à 0 heure 17, a perdu son caractère dominical et suggère de parler de notules sélénites. Si le retard augmente, on pourra ainsi parler de notules martiennes, mercuriales, et ainsi de suite jusqu'à saturnales.
DC parle de cinéma turc et de Bill Murray, un notulien porteur des mêmes initiales infamantes que les miennes évoque Stendhal et Bill Murray lui aussi.

TV. Boomtown (série américaine de Graham Yost, avec Neal McDonough, Donnie Wahlberg, Jason Gedrick, Gary Basaraba; saison 1, épisodes 5 et 6, diffusés sur Canal + le 17 janvier 2004).
Légère déception. les personnages perdent de leur densité, deviennent de simples données mélodramatiques (l'ambulancière qui soigne le malfaiteur qui la retient comme otage parce qu'elle a promis à sa mère, sur son lit de mort, de consacrer sa vie à sauver les autres; l'ancien G.I. hanté par la présence de son copain tué au combat à ses côtés...).

MARDI.
Courrier. Des vœux en provenance de Chavelot et de Nancy.

Courriel. Hervé Moritz envoie le numéro 33 des Cahiers du L.I.S. ( Laboratoire d'Inventions Scientifique(s) ) consacré aux "dates zistoriques" où ma contribution me donne le rang d'Ingénieur-stagiaire.

TV. Disparition (série américaine réalisée par Tobe Hooper avec Steve Burton, Joel Gretsch, Catherine Dent, Eric Close, 2002; saison 1, épisode 8, diffusé sur Canal + le 18 janvier 2004).
L'armée américaine s'apprête à l'affrontement avec les extra-terrestres. Il est temps, ça traîne un peu en longueur.

MERCREDI.
Cinéma. Le Gone du chaâba (Christophe Ruggia, France, 1997 avec Bouzid Negnoug, Nabil Ghalem, Mohamed Fellag; vu dans le cadre de la formation à l'opération Collège au cinéma).
1965. Le jeune Omar grandit dans le chaâba, un bidonville de la banlieue lyonnaise qui abrite des émigrés algériens.
Adapté de l'autobiographie d'Azouz Begag, le premier film de Christophe Ruggia montre bien les problèmes des immigrés des années 60, partagés entre intégration et assimilation. La figure du jeune Omar est emblématique de la volonté d'assimilation, défendue alors par les autorités françaises et leurs institutions, représentées ici par l'école : par son travail scolaire, par son refus de se compromettre, par son opposition à sa famille, Omar va devenir un vrai petit Français, un gone. C'est son point de vue qu'adopte Ruggia tout au long du film dont on peut trouver le ton un peu trop didactique et édifiant. A l'opposé d'Omar, ceux qui ne partagent pas ses valeurs, qui restent attachés à leurs racines et à leurs traditions, échouent : le chaâba est détruit, les membres de la communauté, de la famille, sont obligés de déménager, de se regrouper dans les grands ensembles tout juste sortis de terre. Cinématographiquement, le film manque un peu d'identité, de forme, mais parvient tout de même à montrer la construction d'un personnage et le reflet d'une époque.

TV. P.J. (série française réalisée par Gérard Vergez, France, 2003 avec Charles Schneider, Raphaëlle Lubansu, Bruno Wolkowitch; saison 10, épisode 7, diffusé sur France 2 le 16 janvier 2004).
Je croyais en avoir fini avec cette saison mais il restait un épisode. Épisode découpé de façon nerveuse, assez agréable à suivre d'ailleurs. L'action se déroule au cours de la Journée de la femme. On y voit mise en cause une responsable féministe de l'association "Les Potiches en colère". Les Chiennes de garde, les Potiches en colère, et bientôt, c'est sûr, les Vaillantes viragos, les Hétaïres atrabilaires et les Mégères non apprivoisées.

JEUDI.
Courrier. Vœux en provenance d'Haillainville, faire-part du décès d'un oncle de Caroline. J'envoie des coupures à Y., copie de mon entretien à La Dépêche à N. aux N., aux C. et à une librairie locale.

Cinéma. Noi albinoi (Dagur Kári, Islande, 2003 avec Tómas Lemarquis, Elín Hansdóttir, Thörstur Leó Gunarsson).
Noi est un adolescent qui s'ennuie dans une petite ville islandaise. Il trouve une fiancée, se fait virer du lycée, rêve de palmiers.
Cela fait trois jours que j'ai les pieds gelés du matin au soir et tout ce que je trouve à faire, c'est aller voir un film islandais dans lequel tout est froid : ville envahie par la neige, mer froide, sol gelé (et Noi qui passe ses journées à traîner en baskets !), lumière blafarde, humour glacial. Froid mais plutôt savoureux dans la façon de peindre un monde replié sur lui-même d'où il est impossible de s'échapper (portes et fenêtres obstruées par la neige). Noi tente bien une sorte de rébellion à l'américaine en braquant une banque et en volant une voiture mais son équipée sauvage se termine lamentablement aux portes de la ville. Son côté gaffeur, son corps emprunté donnent lieu à des scènes drôles accueillies, comme il se doit, par le silence glacial des témoins qui y assistent et en font les frais. On n'est sûrement pas près de revoir un film islandais sous nos latitudes et celui-ci, qui ressort dans le cadre du festival Télérama, le fait presque regretter.

VENDREDI.
TV. Sur écoute (Wired, série américaine créée par David Simon, 2002 avec Dominic West, Sonja Sohn, Idris Elba, Frankie R. Falson, Larry Gillard Jr., Wood Harris, Lance Reddick; saison 1, épisode 1, diffusé sur Canal Jimmy le 8 janvier 2004).
Allez, encore une série policière. Les auteurs tournent ici le dos aux enquêtes bouclées dans le format d'un épisode. La police de Baltimore doit résoudre une affaire qui va s'étendre sur toute une saison. La série est bâtie sur un continuel va-et-vient entre les enquêteurs et les malfrats, des trafiquants de drogue qui tiennent un quartier de la ville. Ce qui ressort du premier épisode, c'est que les hiérarchies, les jalousies, les problèmes de prééminence sont les mêmes chez les uns et les autres. On remarque aussi le refus du spectaculaire. L'épisode s'ouvre sur un meurtre mais celui-ci a déjà eu lieu. A peine apercevra-t-on plus tard, de loin, une bastonnade. En revanche, on joue beaucoup sur les dialogues, qui désorientent souvent par leur rapidité et leur côté lacunaire (sous-entendus, non-dit). Pour l'instant, on est un peu perplexe, un peu perdu. A suivre.
Curiosité. Il est question d'un quartier de Baltimore nommé "Poe Block". On se souvient alors que le sombre Edgar vécut, et même mourut dans cette ville. Rien d'étonnant donc à ce qu'on trouve dans ce quartier un cadavre de femme en décomposition.

SAMEDI.
Courrier. Des vœux en provenance de Champagne.

Lecture. Poétique (revue de théorie et d'analyse littéraires, n° 133, Éditions du Seuil, février 2003; 130 p., 15  ).
Au milieu d'articles dont j'ai eu du mal à venir à bout ("L'antonomase dans Le Chevalier au lion" n'étant pas, il faut le dire, un sujet captivant pour tout un chacun), Philippe Lejeune, dans "La rédaction finale de W ou le souvenir d'enfance" ajoute un complément à son étude sur Georges Perec autobiographe, La mémoire et l'oblique. Complément motivé par la découverte du manuscrit de travail de Perec que Lejeune a pu consulter à la Bibliothèque royale de Suède, à Stockholm, où il est conservé. A la lueur du manuscrit, Lejeune dit avoir compris l'importance de documents qu'il avait eus en main sans avoir vraiment su les exploiter, comme les agendas de Perec concernant les années 1974 et 1975. En suivant Lejeune pas à pas, on doit pouvoir comprendre - mais il faut pour cela être un peu connaisseur en génétique - le blocage qu'a connu Perec entre 1971 et 1974 et le passage de son projet d'autobiographie en trois parties à la version finale en deux volets. Pour initiés seulement.

Vie sociale. Nous participons à un raout en campagne. Le garçon de la maison nous offre un récital de tambour. En fait, il a pris sa première leçon de tambour l'après-midi même. Certains disent que le violon est un instruments ingrat. Ceux-là n'ont jamais entendu un tambour débutant.