Notules dominicales 2004
 
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Notules dominicales de culture domestique n°174 - 5 septembre 2004

DIMANCHE.
Bougies. J'écoute J'ai eu trente ans, une chanson de Maxime Le Forestier propre à vous coller le bourdon jusqu'à votre quarantième anniversaire, et nous partons fêter ceux de C. dans un verger des environs de Châtel. Plaisir de retrouver des têtes amies, accueil chaleureux, croûte plantureuse, météo clémente, filles heureuses de s'ébattre à l'air libre, présence de champignons dans le bois tout proche, un dimanche parfait.

LUNDI.
Courriel. Y. a déniché un armurier nommé Jean-Pierre Fusil à Calais.
R. me signale l'existence d'un autre Poil dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Presse. "Arts : une oeuvre d'un artiste allemand, Gustav Metzger (78 ans) a été jetée à la poubelle par une femme de ménage de la Tate Britain, à Londres, puis récupérée in extremis; il s'agissait d'un sac-poubelle contenant des morceaux de carton et de vieux journaux, intitulé Nouvelle création de la première présentation publique d'un art autodestructif et datant de 1960." (Le Monde, 29-30 août 2004).

Cinéma. Le Village (The Village, M. Night Shyamalan, E-U, 2004 avec Joaquin Phoenix, Adrien Brody, William Hurt, Sigourney Weaver, Bryce Dallas Howard, Brendan Gleeson, Cherry Jones, Jayne Atkinson, Judy Greer).
Une petite communauté vit hors du temps, repliée sur elle-même, avec la certitude que des créatures hostiles résident dans les bois qui l'entourent.
M. Night Shyamalan construit ses films sur un crescendo à partir d'une bonne idée de départ, astuce de scénario faisant appel au paranormal. Impossible bien sûr ici de dévoiler cette idée, qui concerne l'origine de la création de cette communauté, mais avant qu'elle ne soit révélée, on trouve le temps long à suivre la vie quotidienne au village et on s'ennuie comme si on était contraint d'y habiter. On pense à Witness, de Peter Weir, sur la communauté Amish, sans le canevas policier et avec un suspense beaucoup plus lâche. Le soin porté aux images ne rachète pas tout et les démêlés sentimentaux sont plutôt niais. Heureusement, le dernier tiers du film est riche en scènes propres à susciter l'effroi et la curiosité. Le Village possède également un intérêt sur le plan de la forme : les créatures que redoutent les habitants sont vêtues de rouge et, pour ne pas les attirer, le rouge est banni de la communauté. Ce qui fait du film une sorte de lipogramme chromatique, Shyamalan filme en se privant volontairement d'une couleur comme un écrivain en se privant d'une lettre.

MARDI.
Ordinateur. Je récupère la quasi-totalité de ma force de frappe informatique. Seule l'imprimante reste déprimante, malgré une lutte sans merci pour essayer de la reconnecter.

TV. Une employée modèle (Jacques Otmezguine, France, 2001 avec François Berléand, Delphine Rollin, Nicole Calfan; diffusé sur Canal + en août 2004).
Le patron d'une PME d'informatique refuse de vendre un logiciel révolutionnaire à des concurrents américains. Une jeune femme rencontrée par hasard alors qu'elle fuit son mari va donner un nouveau tournant à sa vie.
Il y a deux choses qui font mal dans ce film. D'abord, le fait de voir des ordinateurs partout, et les voir tous fonctionner parfaitement. Ensuite, voir le générique de fin s'ouvrir sur le carton "dédié à Michel Lebrun". Feu Michel Lebrun, surnommé en son temps le pape du polar, auteur de petits bijoux policiers comme Géant, L'autoroute, Loubard et Pécuchet et, dans un genre différent de l'inoubliable Rue de la Soif, que je regretterai toujours d'avoir prêté à un indélicat, méritait mieux que cette histoire d'espionnage caricaturale filmée sans aucune distance ironique (sauf dans le personnage de François Morel, l'inspecteur Bovary) et qui évoque davantage les romans d'espionnage du Fleuve Noir des années 60. Et dans le genre femme fatale, on a déjà vu beaucoup mieux que Delphine Rollin...

MERCREDI.
Vie professionnelle. C'est aujourd'hui la pré-rentrée, exercice de dilatation du temps au cours de laquelle l'institution essaie de retenir pendant une journée, parfois plusieurs, la gent enseignante et de l'occuper au moyen d'activités qui, partout ailleurs, ne prendraient pas plus qu'une heure ou deux. Exercice délicat dans la mesure où l'enseignant n'est préoccupé que par la connaissance de son emploi du temps et se fiche du tiers comme du quart de tout le reste, les circulaires ministérielles et rectorales, la réunion conviviale autour d'un brouet vaguement apéritif et les réunions creuses. Ce qu'il veut savoir, c'est s'il sera libre tel ou tel jour et s'il a échappé à la class X ou à l'élève Y, terreurs de l'an passé. Pour meubler l'après-midi, le taulier et la sous-maxé nous ont concocté une visite de la forteresse médiévale de Châtel, peut-être intéressante, je n'en sais rien car ayant raté le cortège, je n'ai jamais trouvé l'entrée de cette fichue forteresse (ce qui est normal pour une forteresse, on n'y entre pas comme dans un moulin) et ai passé l'après-midi dans le placard qui me sert de salle à préparer mes premiers cours.

Courrier. A. a eu du mal à reconnaître Dublin. C'est sans doute pourquoi il a posté sa carte d'Hettange-Grande (Moselle).

TV. Le caporal épinglé (Jean Renoir, France, 1962 avec Jean-Pierre Cassel, Claude Brasseur, Jean Carmet, Jacques Jouanneau; diffusé sur CinéClassics en ?).
Enfermé en 1940 dans un camp de prisonniers, un caporal multiplie les tentatives d'évasion.
La filmographie de Jean Renoir est traversée par trois films en uniforme, Tire au flanc, La grande illusion et cette adaptation du roman de Jacques Perret. Renoir s'intéressait au mélange social qu'occasionnait la réunion, dans une caserne ou dans un camp, d'hommes venus d'horizons différents, sur le mode comique dans Tire au flanc, tragique dans La grande illusion, entre les deux ici. Les tentatives d'évasion du caporal et ses multiples échecs sont traités avec drôlerie, mais une drôlerie amère, comme si tout ceci était vain. Renoir montre la vie quotidienne au stalag, l'ennui mortel, les combines, les petites veuleries et les petits courages, l'héroïsme en petit format qui finit par triompher. L'œuvre d'un moraliste lucide au soir de sa carrière.

JEUDI.
Rentrée. Le cinéma local qui abandonne ses horaires d'été, l'adaptation d'Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry en feuilleton radiophonique, le soulagement, après les menaces qui ont pesé tout l'été, de retrouver France Culture à peu près indemne (malgré le départ des Décraqués, la mise à la retraite de Bertrand Jérôme et le côté France Inter des tranches 7-9 et 12-14), l'annonce des nouvelles saisons des séries The Sopranos et 24 heures chrono, ce sont les bonnes nouvelles de la rentrée.

Courrier. I. visite les villes de la Hanse, peut-être en quête des traces de Thomas Mann et des Buddenbrook. Ou, plus sûrement, simplement en vacances. Tout le monde n'a pas mes lubies, Dieu merci. J'envoie une revue de presse à Y., une lettre au maire de Saint-Gérand-le-Puy, un mot contrit à MJR avec un bout de notules où je parle de son mari.

VENDREDI.
Radio. Grande victoire : après plusieurs échecs au cours de ces dernières années, je parviens enfin à enregistrer sans dommages, de 3 à 6 heures du matin, l'émission Le bon plaisir consacrée à Jean-Christophe Averty que je convoitais depuis 1991 et rediffusée sur France Culture. Je passe la journée dans la brume à la suite de cette nuit hachée en tranches de 45 minutes mais cela en valait la peine.

Courriel. Un message aimable à propos des notules en provenance de Marseille. On y souligne mon emploi intensif du verbe "croûter" pour lequel j'ai, c'est vrai, un goût certain. Je me suis mis à l'utiliser après la lectures des Carnets de jeunesse de René Fallet dans lesquels il apparaît, pour ainsi dire, à chaque repas.

Courrier. Bel aptonyme déniché par Y., Ets. ROSIER Richard, entretien d'espaces verts à Châlons-en-Champagne.

Miracle. Retour de l'appareil photo, réparé après "remise en état de la nappe". Ce qu'on fait chaque dimanche à la cuisine en quelque sorte.

TV. Quelque chose d'organique (Bertrand Bonello, France, 1998 avec Romane Bohringer, Laurent Lucas, Charlotte Laurier; diffusé sur Canal + en novembre 1999).
Paul tue sa femme. Flash back : comment en est-on arrivé là ?
Pour le savoir, mieux vaut ne pas se lever à 3 heures du matin pour enregistrer les zézaiements de Jean-Chistophe Averty, sous peine d'endormissement immédiat. Au réveil, je n'ai pas eu le sentiment d'avoir raté grand-chose.

SAMEDI.
Football. SAS Épinal - Louhans-Cuiseaux 1 - 1. Je fais découvrir à R., plus habitué aux chaudes soirées rennaises du stade de la Route-de-Lorient, le confort rustique et l'ambiance, qui ne l'est pas moins, de la Colombière.

TV. Football. France - Israël 0 - 0. Un match sans âme, une équipe transparente qui m'a ramené trente-cinq ans en arrière, à l'époque où je commençais à suivre le football et où l'équipe de France manquait immanquablement toutes ses qualifications en Coupe du monde et en Coupe d'Europe des Nations. Le sélectionneur s'appelait Georges Boulogne, les joueurs Carnus, Djorkaeff, Bosquier, Jacky Novi, Charly Loubet, Blanchet, le meilleur buteur était Philippe Gondet parce qu'il marquait une fois tous les dix matches les bonnes saisons et n'importe quelle bataille de chiffonniers contre Stiring Wendel ou Merlebach au stade de la Colombière était, comme ce soir, plus intéressante qu'un match de l'équipe de France.

Récupération. Je me couche les jambes un peu alourdies par ces trois heures de sport.

Notules. Une demande d'abonnement en provenance de Paris.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°175 - 12 septembre 2004

DIMANCHE.
Exposition. "Rubens contre Poussin. La querelle du coloris dans la peinture française à la fin du XVII° siècle" au Musée départemental d'art ancien et contemporain d'Épinal. C'est le dimanche après-midi qu'a lieu la visite guidée. Je sacrifie ma sieste pour essayer d'en savoir plus sur cette fameuse querelle. Mon appétit est un rien douché par la conférencière qui a l'air pressé d'en finir. Il faut voir comme elle expédie les fleurons de l'exposition, les tableaux de Rubens, Titien et Poussin. Elle mêle dans un discours précipité les problèmes du coloris, les sujets des tableaux, les détails iconographiques sans vraiment hiérarchiser le tout. Heureusement, ma première approche au cours du vernissage, la lecture, encore incomplète à ce jour, du catalogue et les tableaux eux-mêmes me permettent d'y voir plus clair et de mieux distinguer les oeuvres des épigones de Poussin (adeptes du dessin) de celles de l'école d'en face vouée au coloris. En fait, tout est plus clair si l'on parle de lumière plutôt que de couleur, si l'on oppose l'éclairage frontal et régulier des tenants du dessin aux sources multiples (et parfois contradictoires) créatrices du clair-obscur des coloristes, les compositions en frise, la touche lisse des premiers, les compositions en groupes et la touche parfois apparente des seconds. Ce n'est pas pour autant que les choses sont clairement définies et séparées, les deux écoles se mélangent parfois sur le même tableau, des théoriciens du dessin n'hésitent pas à peindre comme des coloristes, le plus bel exemple étant cet autoportrait de Largillière qui se représente dans un tableau coloriste porteur des attributs du dessinateur (crayon, carton à dessin et esquisse). Je finis la lecture du catalogue et je suis imbattable.

TV. The Sopranos (série américaine de David Chase, 2004, saison 5, épisodes 1 et 2 avec James Gandolfini, Lorraine Bracco, Edie Falco, Robert Iler, Steve Buscemi, diffusés sur Canal Jimmy le soir même).
"Il y a le générique qu'on adore. Voix basse, rythme percussif faussement tranquille, la mélodie vous trotte déjà dans la tête*, Tony Soprano, avec son gros cigare, file sur l'autoroute sous la pluie. Tunnels, ponts suspendus, péages, vous avez quitté New York. Petites maisons alignées, cochon rose et Pizzaland, voici les paysages du New Jersey.
Et voilà, on a replongé. Avec le même sentiment jubilatoire, étonné de voir à chaque épisode se décomposer et recomposer avec la même ardeur le clan familial qui gravite autour de Tony, le patron de la mafia italo-américaine du New Jersey, le boss qui a des crises d'angoisse au point de consulter un psy."
* Woke up this Morning par Alabama 3.

C'est ce qu'écrivait Catherine Humblot dans Le Monde Télévision samedi dernier. On ne peut lui donner tort : on retourne chez les Soprano avec plaisir, envie, délectation, même si on ne comprend pas tout dans leurs affaires familiales et leurs affaires tout court, même si certains épisodes n'ont rien de spectaculaire. Voici quelques belles soirées de dimanche en perspective, en compagnie de la clique de Tony à laquelle est venu s'ajouter, pour cette saison, Steve Buscemi dans le rôle d'un cousin (un de plus) sorti de prison (un de plus). Pour ce qui est de Tony proprement dit, les choses ne sont pas brillantes. Il vit désormais séparé de sa femme Carmela et de ses enfants, se laisse aller, s'ennuie, le FBI le piste, jusqu'à maintenant ses lieutenants lui demeurent fidèles mais qui sait si cela va durer ?

Courriel. BV a déniché un salon "Nouvel Hair" à Lille.
Échange avec AZ au sujet de l'argot des bordels.

Lecture. Lendemains de terreur (Small Town, Lawrence Block, HarperCollins 2003; Éditions du Seuil, coll. Policiers, 2004 pour la traduction française; traduit de l'américain par Etienne Menanteau; 464 p., 22 €).
Le premier roman de Lawrence Block d'après le 11-septembre était très attendu dans le monde du polar. Dans ce domaine, où la ville fait partie des personnages mis en scène, Lawrence Block est l'écrivain contemporain de New York, comme Michael Connelly est celui de Los Angeles, Dennis Lehane celui de Boston, Elmore Leonard celui de Miami, Ed McBain celui de la mythique Isola, Pelecanos celui de Washington et James Lee Burke celui de La Nouvelle-Orléans. Quelle figure du New York d'après les attentats Lawrence Block allait-il nous présenter ? Qu'allaient devenir ses deux personnages emblématiques, le cambrioleur-libraire Bernie Rhodenbarr et le privé alcoolique Matt Scudder ? La réponse est décevante : on n'en sait rien, ils n'apparaissent pas ici. Peut-être travaillaient-ils aux alentours du World Trade Center au moment des événements...
Lawrence Block les a remplacés par un écrivain accusé d'un meurtre dont il ne sait lui même s'il l'a commis, une galeriste nymphomane, un ancien chef de la police qui brigue le siège de maire de la ville et un tueur en série qui se cherchent et se croisent au long des 42 chapitres du livre. Le comportement déréglé des personnages est la conséquence des attentats qui ont fait perdre à la ville et à ses habitants leurs repères et leur logique. Soit. Mais 460 pages et 42 chapitres, c'est bien long quand on n'a que ça à se mettre sous la dent. Block nous assomme d'entrée par une mise en place interminable où le personnage du romancier donne lieu à un récit (mal) inspiré par Paul Auster, les frasques sexuelles de la galeristes sont bien lassantes et la traque du serial killer se termine par un face à face sans surprise. Et si c'était sur Lawrence Block lui-même que les effets du 11-septembre se faisaient le plus sentir ?

LUNDI.
Courriel. AN a confié sa fille à la science d'une professeure nommée Mme Cetout. Ce n'est plus de l'aptonymie, c'est du pléonasme.

TV. Lost In La Mancha (Keith Fulton & Louis Pepe, G.-B. - Espagne, 2002 avec Terry Gilliam, Jean Rochefort, Johnny Depp; diffusé sur Canal + en août 2004).
Documentaire.
On devine de suite la visée première : faire le récit du tournage de The Man Who Killed Don Quixote, de Terry Gilliam, histoire d'alimenter la partie bonus du DVD avec ce qu'on appelle aujourd'hui un making of. Gilliam est un spécialiste des tournages chaotiques, des projets démesurés qui commencent par des intentions grandioses et qu'il termine avec trois bouts de ficelle, voir son Münchausen. L'histoire s'ouvre donc sur l'annonce de la réduction du budget promis et sur les efforts entrepris pour faire avec. Les comédiens seront libres très peu de temps, le plateau de tournage est un hangar inutilisable, les costumes n'arrivent pas mais l'énergie déployée par chacun, Gilliam en tête, permet d'avancer dans le projet. Arrive le moment du tournage et, avec lui, une succession de catastrophes proprement incroyables. Des avions de l'Otan survolent le site prévu pour les extérieurs, un orage se transforme en coulée de boue qui emporte le matériel, le ciel changeant empêche tout raccord, Jean Rochefort, souffrant d'une double sciatique, se révèle incapable de monter à cheval et doit retourner à Paris. The Man Who Killed Don Quixote est un film catastrophe au sens propre. Gilliam est contraint d'abandonner et passe aujourd'hui son temps à combattre d'autres moulins (compagnies d'assurances, pools de producteurs) dans le but de le reprendre un jour. La poisse à l'état pur, la quintessence du guignon. Ce ne serait qu'anecdotique si on n'avait pas le temps de prendre la mesure de ce qu'on rate. Une version du Quichotte ambitieuse, menée par un réalisateur qui a une vision personnelle de l'œuvre et du cinéma, un interprète parfait pour le rôle principal, une adaptation astucieuse. Après les déboires d'Orson Welles qui, lui aussi, dut renoncer à son projet d'adaptation (quinze ans de travail pour un film inachevé), Don Quichotte apparaît comme une oeuvre maudite.
Le documentaire permet également de voir la masse de travail nécessaire à la fabrication d'un film et de mieux comprendre pourquoi Playtime, projet pharaonique mené à bien mais non sans mal, a laissé Jacques Tati exsangue.

MARDI.
TV. Maria's Lovers (Andrei Konchalovski, E-U, 1984 avec Nastassja Kinski, John Savage, Robert Mitchum, Keith Carradine; diffusé sur Téva en ?).
En 1946, Ivan Bibic rentre de la guerre et épouse son flirt de jeunesse. Un problème se pose au moment de la concrétisation de son amour.
La présence d'un Robert Mitchum bonhomme vient donner un peu de sel à cette fade histoire d'impuissance. Konchalovski a transporté aux États quelques clichés slaves (la musique, quelques acteurs, l'onomastique) mais a oublié l'âme en route.

MERCREDI.
Rentrée littéraire. J'achète un polar, le volume des philosophes stoïciens en Pléiade (il est temps, à mon âge, de me forger une armure stoïcienne), et les Récits de la Kolyma de Chalamov. Rien qui concerne la rentrée littéraire, en fait. Les filles profitent du soleil à Saint-Jean-du-Marché.

Notules. Une demande d'abonnement en provenance de Saint-Dizier.

TV. Cold Case (série américaine de Jerry Bruckheimer, Meredith Stiehm & Jonathan Littman, 2003 avec Kathryn Morris, Jeremy Ratchford, John Finn, Danny Pino; épisodes 1 & 2 diffusés sur Canal + le 5 septembre 2004).
"A cold case", c'est, en anglais, une affaire enterrée, classée sans suite. Le propos de cette nouvelle série est de nous faire assister à l'exhumation de ces dossiers oubliés, repris en main par une enquêtrice de la police de Philadelphie. Télérama trouve la chose sans grand intérêt, Le Monde estime que c'est une des bonnes surprises de la rentrée. Au vu de ces deux premiers épisodes, il n'y a pas lieu d'être enthousiaste. Un meurtre commis en 1976, une explosion meurtrière qui a eu lieu en 1983, deux événements restés sans solution à l'époque sont ici résolus en deux fois quarante-cinq minutes. C'est un peu facile, et les personnages sont un peu trop lisses. Ne soyons pas impatient, cela peut encore s'améliorer...

Lecture. Rubens contre Poussin. La querelle du coloris dans la peinture française à la fin du XVII° siècle. (éditions Ludion, 2004; 196 p., 35 €).
Catalogue.
Après lecture de cet ouvrage et la visite de l'exposition présentée successivement à Arras et à Épinal, on ne peut plus rien ignorer de cette fameuse querelle. On apprend d'abord qu'elle n'est que la variante française d'une opposition qui prit naissance un siècle plus tôt en Italie, où Florence abritait les tenants du dessin, disciples d'Alberti, et Venise ceux du coloris, Giorgione et le Titien par exemple. En France, tout débute avec la création de l'Académie de peinture et de sculpture, voulue par Colbert dans les années 1660 et qui légitime l'acte de création du peintre, lui permet d'accéder au rang d'artiste "libéral" qui pratique "un art noble parce qu'intellectuel, à l'image des lettres et des sciences." Les conférences organisées par l'Académie autour d'un tableau (le Grand Saint Michel de Raphaël sera l'objet de la première) donnent lieu à de vives controverses dans lesquelles s'illustre le théoricien Roger de Piles. Les articles du catalogue montrent la valeur intellectuelle des intervenants et la richesse du débat, l'âpreté de la lutte (les pamphlets se multiplient) qui se terminera par la victoire des coloristes.
La présentation des tableaux est soignée (même si la Chute des anges rebelles de Charles Le Brun est reproduite à l'envers) et les commentaires précis. L'ouvrage et l'exposition permettent de découvrir des artistes (Largillière, Colombel, Houasse, Charles de la Fosse, Coypel père et fils, Mignard, Verdier, Boullogne...) qui sont en général l'apanage des musées de province (Épinal, Nancy, Rouen, Tours pour ceux que je connais) et qui, lorsqu'ils sont présents au Louvre, ne bénéficient que d'un coup d'œil pressé du visiteur en quête de signatures plus prestigieuses.

JEUDI.
Vie scolaire. Lucie en est à sa deuxième institutrice après une semaine de classe. Bon rythme.

Courrier. J'envoie un magazine sur la rentrée littéraire à Ch., des coupures à Y., les derniers aptonymes à AZ, un cadeau de naissance à une collègue et une demande de carte professionnelle au Louvre.

Cinéma. Mon père est ingénieur (Robert Guédiguian, France, 2004 avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Pascale Roberts, Jacques Boudet, Pierre Banderet, Patrick Bonnel, Frédérique Bonnal, Christine Brücher).
La vie a séparé Natacha et Jérémie, amoureux depuis l'enfance. Après des années, Jérémie revient à Marseille, retrouve une Natacha devenue aphasique.
Guédiguian aime à mêler à son catéchisme marxiste un soupçon de christianisme. Le personnage central de L'Argent fait le bonheur était un curé, Ariane Ascaride était filmée comme une pietà dans La Ville est tranquille, Marie-Jo et ses deux amours illustrait l'épisode de la femme adultère. Ici, il va encore plus loin et recrée la scène de la Nativité avec deux acteurs dans le rôle du bœuf et de l'âne. Comme toujours, on n'est pas loin du ridicule mais Guédiguian sait rétablir l'équilibre et emporter l'adhésion, la mienne tout au moins. Sa thématique, la mise en avant des valeurs de solidarité, de tolérance, pourrait être aussi victime du ressassement mais comme elle est juste et sincère, elle touche. Arriver à ne pas lasser, à trouver de nouvelles choses à raconter en utilisant les mêmes idées et les mêmes acteurs, c'est la performance que Guédiguian réussit à chaque film.

VENDREDI.
Courriel. AB raconte son passage à Moulins et son séjour dans l'Allier où il y avait plus à voir que ce que nous en avons vu.

Football et littérature.
On apprend, dans France Football du jour, le transfert de Romain Sartre à Laval. Sartre jouait à Lyon, dans l'équipe réserve engagée en CFA, en compagnie d'un certain Genet. J'ignore si celui-ci est prénommé Jean, s'il est footballeur et martyr. Merci à R qui m'avait fait remarquer ce beau tandem littéraire.

TV. Ne pas avaler (Nil by Mouth, Gary Oldman, G.-B., 1997 avec Ray Winstone, Charlie Creed-Miles, Laila Morse, Kathy Burke, Edna Doré; diffusé sur Canal + en ?).
Raymond court les bars en compagnie de Billy, son beau-frère. Alcool, drogue, petits trafics constituent leur quotidien. A la maison, Valerie, la femme de Ray, élève leur fille de cinq ans et attend un bébé.
Décidément Ken Loach n'est pas seul. Quand il s'agit de filmer le quart-monde sans complaisance, les Anglais n'ont pas de rivaux. Gary Oldman, acteur de renom, passe ici derrière la caméra pour un film largement autobiographique qui lui a sans doute beaucoup coûté. L'histoire du couple Ray - Valerie est d'une noirceur incroyable. Ray perd peu à peu le contrôle de lui-même, puis de sa femme et ne trouve de réponse que dans la violence. Billy passe son temps à imaginer des combines sordides pour payer ses doses. Dans ce milieu, les femmes ne sont là que pour panser les plaies et pour servir d'exutoire. On a cru un moment en France qu'un cinéaste comme Zoncca saurait s'engager dans ce cinéma social mais on attend toujours. On pense aussi aux frères Dardenne dans la façon de filmer, mais Gary Oldman parvient à traiter d'une façon unique des histoires terribles et banales. Une expérience glaçante, malgré la lueur d'espoir qui apparaît à la fin et le fait de savoir que l'existence de ce film est le signe d'une guérison et d'une rédemption.

SAMEDI.
Courriel. Un mot aimable d'Alexandre Najjar à propos de la critique de sa biographie de Zo d'Axa parue dans les notules.
Je repêche une demande d'abonnement en provenance de la Réunion, qui s'était égarée dans les messages indésirables à cause d'un filtre un peu trop pointilleux.
Il y aurait, d'après L., une Thérèse Brisebras infirmière à Frangy (Haute-Savoie).

Mots croisés. Dans la grille du Monde 2 de samedi dernier, cette définition : "Il faudrait un W pour reconnaître le fils du père". J'ai pensé à Perec, mais c'est d'un autre Georges, sans s, dont il s'agit.

Lecture 1. Viridis Candela (Carnets trimestriels du Collège de 'Pataphysique n° 14, 15 décembre 2003; 64 p., sur abonnement).
Le numéro est consacré aux taches, tavelures, bigarrures, barbouillages et maculages, et riche en illustrations énigmatiques. On y apprend qu'une "société protectrice des mots a été créée par une maison d'édition pour la jeunesse, les éditions Faton, invitant les chères têtes bondes à utiliser régulièrement des mots en voie de disparition. Exemple : écornifleur (à prononcer ou à écrire au moins une fois par mois)." Cette annonce m'a ramené au temps pas si lointain où je m'efforçais de prononcer une fois par jour le mot "cheval d'arçon". A défaut d'autre distinction, je me disais que je mourrais en étant l'homme qui aurait dit le plus de fois "cheval d'arçon" au monde. J'ai abandonné. Un autre écho réjouissant : une critique d'Ubu roi due à un certain A. Eloesser dans les colonnes d'un magazine allemand de 1897 : "Si le Roi Ubu était écrit en vers et si les personnages se comportaient en vrais princes comme leur rang l'exige, il s'agirait alors d'une tragédie de grand style." Et pour conclure, une petite merveille d'anapoème : " Fumer un fémur
c'est
poétiser un estropié. "

Lecture 2. Histoires littéraires n° 11 (revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIX° et XX° siècles, juillet-août-septembre 2002, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 254 p., 20 €).
Un des plaisirs de cette revue, c'est qu'elle permet de découvrir des inconnus, des gens qui ont eu leur importance, voire leur heure de gloire à un moment de l'époque étudiée, oubliés depuis et exhumés ici dans des études et articles d'une grande précision. Ainsi, si je connaissais La Madone des sleepings, je ne connaissais pas le nom de son auteur, Maurice Dekobra, dont les autres titres méritent d'être cités : L'homme qu'elles aimaient trop, La Bacchanale inachevée, Don Juan frappe à la porte, Les turquoises meurent aussi, Written with Lipstick, Le sabbat des caresses ou La Volupté éclairant le monde, Les Femmes que j'ai aimées... Dans un autre domaine, je n'avais jamais entendu parler de ce Lorédan Larchey, conservateur de l'Arsenal, approché par Baudelaire au moment où celui-ci s'était mis en tête d'entrer à l'Académie française.
Mieux, j'ignorais tout de cet Hector France, écrivain vosgien dont le nom apparaît, sans autres renseignements, sur le site http://ecrivosges.2st.fr/ du notulien BV. Son cas mérite qu'on s'y attarde un instant. Fils d'un commandant de gendarmerie, Hector France naît à Mirecourt en 1840. Il embrasse d'abord la carrière militaire et tire de son expérience des récits sans complaisance sur les atrocités commises par la troupe en Afrique du Nord (L'homme qui tue !, Sous le burnous). Dans une autre veine, il écrit Le Roman du curé qui conte "les simples et pastorales amours d'un pauvre curé de village. Une idylle à l'ombre des tilleuls du presbytère et sous l'œil immobile du coq", comme il l'annonce dans son adresse au lecteur. Le livre est immédiatement saisi, ce qui contraint France à poursuivre sa carrière éditoriale en Belgique avec des titres aussi alléchants que Le Péché de sœur Cunégonde et Marie Queue-de-Vache. Dans les années 1880, Hector France voyage beaucoup, rapportant de ses destinations des reportages (Les va-nu-pieds de Londres, Sac au dos à travers l'Espagne, Un Parisien en Sibérie) et des romans (La vierge russe, La mort du czar). Son parcours, ses convictions, son anticonformisme, son mode de vie, sa participation aux revues de l'époque le font beaucoup ressembler à Zo d'Axa. Mais il ne s'arrête pas là, explore d'autres territoires littéraires, publie un Dictionnaire de la langue verte, donne une suite aux Mystères du peuple d'Eugène Sue et termine sa carrière par des romans lestes, souvent sous pseudonyme, "romans de flagellation et d'autres punitions corporelles, récits qui furent très prisés à la Belle Époque" comme Le beau Nègre, une Étude sur la flagellation à travers le monde, Le nouveau chatouilleur des dames et les prometteurs Dessous de la pudibonderie anglaise dont il se contente d'écrire la préface. L'article de René Fayt, justement intitulé "Un témoin oublié : Hector France", est un travail remarquable. Vite, une rue Hector-France à Mirecourt.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°176 - 19 septembre 2004

DIMANCHE.
Cérémonie. Caroline est de garde aujourd'hui, ce qui ne nous autorise qu'un aller et retour express à Montbéliard pour assister au baptême d'une jeune Julie, à laquelle je suis tenu par des liens avunculaires. Enfin, au baptême, façon de parler car à l'heure où nous arrivons les aspersoirs sont secs depuis belle burette. Nous nous contentons de participer aux agapes, là aussi de façon incomplète. C'est la braderie à Épinal et il est possible qu'il y ait beaucoup d'orteils écrasés à soigner à la pharmacie.

LUNDI.
Courrier. B. raconte son été aveyronnais.

Courriel. T. parle de sa rentrée littéraire et fait l'éloge du dernier livre de François Bon.
JMP parle de Dekobra et de la magie des titres.
C&C rappellent l'existence de leur glossaire de l'argot des bordels http://www.insenses.org/chimeres/glossaire.html

Cinéma. Memories of Murder (Salinui chueok, Joon-ho Bong, Corée du Sud, 2003 avec Song Kan-ho, Kim Sang-kyung, Byun Hee-bong, Song Jae-ho, Kim Rwe-ha, Koh Seo-hee, Jeon Miseon, Park Noh-sik, Ryu Tae-ho, Park Hae-il).
En 1986, dans la province de Gyunggi, le corps d'une jeune femme violée et assassinée est retrouvé dans la campagne. D'autres crimes similaires ne tardent pas à suivre.
Rien de tel qu'un polar coréen un lundi soir pour avoir de la place au cinéma : je représente ce soir cinquante pour cent du public. Du polar occidental, le réalisateur a repris un certain nombre de topoï : le serial killer, l'arrivée d'un enquêteur venu de la capitale mal vue par les flics locaux, la progression de fausse piste en fausse piste. La touche coréenne est visible dans les allusions à l'actualité (impossible d'obtenir des renforts, tous les gendarmes sont occupés à réprimer les manifestations étudiantes, les entraînements aux alertes aériennes), et aussi dans de brusques accélérations du rythme, accès de colère, poursuites, bagarres soudaines, surprises totales. Mais c'est dans les personnages qu'on trouve des choses vraiment inattendues à commencer par leur statut d'anti-héros. Les enquêteurs de cette petite ville de province, qui travaillent dans un foutoir indescriptible, ne brillent pas par leur vivacité d'esprit. Facilement violents, ils tournent en rond, s'acharnent sur un innocent, s'essaient au chamanisme pour découvrir le coupable. Ils avancent, le nez collé à l'enquête et les maigres résultats positifs qu'ils engrangent sont dus à leur opiniâtreté, non à leur sagacité. Au contact du détective de Séoul, cependant, ils évoluent, s'humanisent lentement, à l'image de leur pays, et finissent par devenir attachants. L'histoire se termine par un bond de quinze ans en avant et une pirouette assez osée qui conclut le film sans le conclure.
Curiosité. Chaque soir de meurtre, la même chanson est diffusée à la radio. Ce qui rappelle un vieux film de Christian Stengel, Seul dans la nuit avec Bernard Blier (1945), dans lequel retentit la voix d'un chanteur célèbre à chaque fois qu'un de ses proches est assassiné.

MARDI.
Courriel. Deux demandes d'abonnement aux notules.

TV. Cold Case (série américaine de Jerry Bruckheimer, Meredith Stiehm & Jonathan Littman, 2003 avec Kathryn Morris, Jeremy Ratchford, John Finn, Danny Pino; épisodes 3 & 4 diffusés sur Canal + le 12 septembre 2004).
Un léger mieux par rapport aux deux premiers épisodes, les enquêtes sont moins téléphonées, la poursuite du vrai coupable est un peu plus exigeante. C'est du moins ce que me confie Caroline, vu que j'ai rapidement sombré dans les bras de Morphée. Ce qui me fait tout drôle depuis que j'ai appris la semaine dernière, en visitant l'exposition sur le coloris, que Morphée était un homme.

Lecture. Passe-temps pour les âmes ignobles (Louis Sanders, Éditions Payot & Rivages 2002, coll. Rivages/Noir n° 449; 208 p., 7,95 €).
La communauté anglaise d'un coin de Dordogne est secouée par la parution d'un livre qui dénonce les crimes commis par certains de ses membres. Ceux-ci se lancent à la poursuite de l'auteur.
C'est un polar assez bizarre, bref, nerveux, à l'histoire découpée au rasoir. L'aspect "whodunit" n'est pas franchement palpitant mais le récit intrigue par la peinture qui est faite de la diaspora anglaise qui a colonisé le Périgord. Sous la plume de Sanders, ces Anglais constituent un ramassis d'alcooliques, médiocres, aigris, faux lords et vrais escrocs, tous venus s'installer dans des manoirs lugubres et moisis pour fuir leur passé. On a rarement vu un tel acharnement, il n'y a absolument aucun personnage positif dans le livre. Et on s'interroge : qu'est-ce que les Anglais ont bien pu faire à Louis Sanders ? A-t-il été obligé de leur vendre sa maison de famille ?

MERCREDI.
Courrier. Je reçois une lettre d'un lecteur niçois, vieil habitué secret, jusqu'à ce jour, des notules.
GN m'envoie du matériel pour mon Invent'Hair et un marque-page à l'effigie de Perec.

Club house. Lucie s'initie au golf. Question de standing.

Grrrrrrr. Nouvelle passe d'armes contre l'ordinateur qui refuse d'ouvrir tous mes fichiers Word.

Travaux. Installation d'une nouvelle porte, dotée d'une vraie serrure à l'arrière de la pharmacie. On peut dire maintenant que l'huis précédent ne fermait qu'à l'aide d'une targette à pêne plat (un objet bien connu de tous ceux qui ont subi les programmes de technologie du collège des années 70), ce qui était tout de même un peu léger pour ce genre d'établissement.

Cinéma. La Mort dans la peau (The Bourne Supremacy, Paul Greengrass, E.-U., 2004 avec Matt Damon, Franka Potente, Brian Cox, Joan Allen, Julia Stiles, Karl Urban, Gabriel Mann).
Réfugié à Goa, en Inde, l'ex-agent de la CIA Jason Bourne, devenu amnésique, est poursuivi par un agent russe qui cherche à l'éliminer.
Le volet précédent des aventures de Jason Bourne, La mémoire dans la peau, était tout à fait regardable. C'est malheureusement son succès qui nous vaut cette suite indigeste au budget surgonflé. L'histoire, déjà peu claire à l'origine, nous promène de Goa à Moscou (on est toujours dans une adaptation de Robert Ludlum, et chez Ludlum, l'ennemi est toujours russe, c'est immuable) en passant par Langley, New York, Berlin, Naples, Amsterdam mais pas Paris où se déroulaient, dans le premier épisode, les scènes les plus réussies. Les scènes spectaculaires se multiplient sans susciter autre chose que l'ennui, Matt Damon erre là-dedans sans parvenir à donner un souffle de vie à son personnage. Dans le genre c'est du même niveau que Spy Game avec Brad Pitt qui distillait la même masse d'ennui. C'est une grande déception quand on se rappelle le beau Bloody Sunday du même réalisateur.
Curiosité. On annonce une manifestation d'enseignants à Berlin. Les images montrent une petite foule porteuse des oriflammes de l'association Attac et des banderoles avec le slogan "Die Welt ist keine Wahre". Ce qui tend à démontrer que l'on n'est pas dans une manif d'enseignants mais dans un mouvement anti-mondialisation. C'est un détail, mais il faut bien s'occuper...

Toile. La Feuille de route hebdomadaire de l'écrivain Thierry Beinstingel présente les notules sous un jour très favorable.
http://perso.wanadoo.fr/tb/etonnements.htm


JEUDI.
Courrier. J'envoie une revue de presse à Y et réponds à mon lecteur niçois.

TV. The Sopranos (série américaine de David Chase, 2004, saison 5, épisode 3 avec James Gandolfini, Lorraine Bracco, Edie Falco, Robert Iler, Steve Buscemi, diffusés sur Canal Jimmy le 12 septembre 2004).
Deux semaines que j'ai repris le turbin et c'est immanquable : la télévision s'allume, je m'éteins. Il y a bien la solution préconisée par le père de F. qui me confiait regarder la télé debout pour prévenir tout endormissement intempestif. J'ai essayé. C'est très inconfortable.

VENDREDI.
Presse. On apprend dans Le Monde du jour que Christian Poncelet, président du Sénat, depuis qu'il s'est mis en tête de transformer les grilles du Luxembourg en "haut lieu de l'art passant" (photos d'Arthus-Bertrand, séries de unes célèbres, etc.) s'est fait décerner par un de ses collègues le sobriquet de "Seigneur des panneaux".

TV. The Sopranos (série américaine de David Chase, 2004, saison 5, épisode 4 avec James Gandolfini, Lorraine Bracco, Edie Falco, Robert Iler, Steve Buscemi, diffusés sur Canal Jimmy le 12 septembre 2004).
Episode vu en intégralité, sans coupure d'image et en position assise. Il faut dire que les démêlés de Tony avec son fils A.J. étaient plus intéressants que les événements présentés dans l'épisode précédent.

SAMEDI.
Courrier. Je reçois Popp Music, un disque d'André Popp, immortel compositeur des Lavandières du Portugal, Piccolo & Saxo, Tintin et le Mystère de la Toison d'Or... Rock'n'roll en perspective...

Assemblée 1. Revue des effectifs de ma classe d'âge aux obsèques de P., sortie vainqueur d'un cancer il y a trois ans, vaincue par un second, jeudi, à l'âge de quarante ans. On nous enjoint de chanter "Je mets mon espoir dans le Seigneur, je suis sûr de sa parole." Il faudrait pour ce faire une foi ou un détachement dont je ne me sens pas encore capable.

Assemblée 2. SA Spinalien - Olympique Noisy-le-Sec 1 -1. C'est aujourd'hui, nous apprend le speaker, la journée internationale du fair-play. Ça ne se voit guère sur le terrain : l'arbitre distribue sept cartons jaunes et un rouge, invite même l'entraîneur de Noisy à quitter son banc et à suivre le match depuis les tribunes où un chaleureux accueil lui est réservé.

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°177 - 26 septembre 2004

DIMANCHE.
Vie sociale. Excellent cochon de lait chez les N. Les filles mettent la main sur une armée de Playmobil et font connaissance avec le lapin Robert. On s'achève en regardant des extraits de La belle Hélène avec Felicity Lott, une version délicieusement iconoclaste.

TV. The Sopranos (série américaine de David Chase, 2004, saison 5, épisodes 5 & 6 avec James Gandolfini, Lorraine Bracco, Edie Falco, Robert Iler, Steve Buscemi, diffusés sur Canal Jimmy le soir même).
Carmela Soprano tombe sous le charme d'un professeur, tout ça parce qu'il lit Tristan et Iseult dans ses toilettes. Dans les miennes, je lis les philosophes stoïciens mais je n'avais jamais encore pesé la charge érotique de cette activité.

LUNDI.
Courriel. Bernard Magné envoie le programme du séminaire Perec 2004-2005. L'intitulé de la séance de décembre (Jacques Lederer : "Pourquoi Joyce admirait-il Perec ?") est particulièrement alléchant.

Cinéma. Le Terminal (The Terminal, Steven Spielberg, E-U, 2004, avec Catherine Zeta-Jones, Tom Hanks, Stanley Tucci, Chi McBride, Diego Luna, Barry Shabaka Henley, Kumar Pallana, Zoe Saldana, Eddie Jones).
Un touriste originaire d'un pays d'Europe centrale apprend en arrivant aux Etats-Unis que son pays est en proie à une révolution. Devenu apatride, il organise son existence à l'intérieur de l'aéroport.
Après un diptyque consacré à la science-fiction moyennement convaincant (A.I., Minority Report), Steven Spielberg est revenu, avec Attrape-moi si tu peux à une forme de cinéma plus classique, plus simple et plus jubilatoire. C'est cette dernière veine qu'on retrouve dans ce Terminal, lieu de vie où Tom Hanks fait l'expérience de l'absurdité administrative, de la débrouille, de la solidarité. Deux doigts de romance (Catherine Zeta-Jones) viennent agrémenter la chose. Avec ce cocktail, Spielberg renoue avec la tradition cinématographique américaine issue de Lubitsch (la Cracosie, pays d'origine du touriste, pourrait être le cadre de The Shop Around the Corner) où le plaisir de la narration n'empêche pas quelques réflexions, en passant, sur la frilosité américaine vis-à-vis de ce qui vient d'ailleurs. Et après avoir subi Matt Damon pendant les deux heures de La Mort dans la peau, on a la confirmation que Tom Hanks est un grand acteur.
Curiosité. La raison de la présence du touriste à New York est joliment liée à la célèbre photographie d'Art Kane rassemblant à Harlem, en 1958, les 57 plus grands jazzmen de l'époque. Voir http://www.harlem.org/

MARDI.
Bougies ou trente-six chandelles. Lucie a sept ans aujourd'hui. C'est au moment d'immortaliser l'événement que l'on s'aperçoit qu'elle a profité de notre absence pour raisons funéraires, samedi, pour se livrer sur l'appareil photo (fraîchement remis en état) à des expériences qui ont laissé l'objet en piteux état. En un mot, inutilisable. C'est l'anniversaire de Lucie. Mais j'ai bien envie de lui faire sa fête.

Courrier. Je reçois ma carte Louvre professionnels.

TV. Le Mirage de la vie (Imitation of Life, Douglas Sirk, E-U., 1958 avec Lana Turner, Juanita Moore, John Gavin, Robert Alda, Dan O'Herlihy, Sandra Dee, Troy Donahue, Susan Kohner, Mahalia Jackson; diffusé sur CinéCinémas en ?).
Lora est venue à New York pour tenter sa chance comme actrice. Elle recueille Annie, une Noire qui partage désormais sa vie. Lora et Annie ont deux petites filles du même âge. Dix ans plus tard, alors que Lora a rencontré le succès, les deux adolescentes se rebellent contre leurs mères.
Douglas Sirk traite ici des relations mère-fille sur le mode mélodramatique qu'il affectionne. Sarah Jane, la fille d'Annie, n'accepte pas d'être la fille d'une femme de couleur et Susie, la fille de Lora, flirte avec le courtisan de sa mère. Bref, rien n'est simple et il faut accepter les conventions du genre, le visage larmoyant de Juanita Moore, le pathos démesuré de la scène d'enterrement finale (avec le magnifique gospel de Mahalia Jackson) pour goûter l'aventure. Comme dans Tout ce que le ciel permet, Douglas Sirk dresse le tableau d'un pays où les êtres souffrent face au poids des conventions sociales et où le don de soi n'est pas récompensé.

MERCREDI.
Emplettes. J'achète La Légende des siècles pour mes élèves et le dernier John Harvey pour ma pomme. Je me fais faire une ordonnance pour de nouvelles lentilles. L'évolution de ma myopie est un signe de jeunesse, ça rassure. J'apprends, sans être démesurément surpris, que la remise en état de l'appareil photo coûterait plus cher que l'acquisition d'un modèle plus performant.

TV. Cold Case (série américaine de Jerry Bruckheimer, Meredith Stiehm & Jonathan Littman, 2003 avec Kathryn Morris, Jeremy Ratchford, John Finn, Danny Pino; épisode 5, diffusé sur Canal + le 19 septembre 2004).
Pour moi, c'est la fin, le dernier épisode. Je cesse d'essayer d'accrocher cette série qui, malgré des enquêtes assez bien menées, ne nous offre pas de personnages creusés. Kathryn Morris, le personnage principal, a certes un joli minois et des qualités professionnelles mais elle n'a pas d'histoire personnelle, pas de vie intime et cet aspect fait cruellement défaut.

JEUDI.
Courrier. Envoi de la revue de presse traditionnelle à Y.

Presse. Dans L'Officiel des spectacles d'hier, on peut lire, dans la rubrique "Nouveaux films", à propos d'Oseam, film coréen de Sung Baek-Yeop : "Adapté d'une légende coréenne, Oseam, qui veut dire "un bouddha de cinq ans est né ici", très beau voyage initiatique etc." Fascinant : un mot de cinq lettres qui véhicule pas moins de cinq concepts : le bouddha, son âge, l'action (la naissance), le temps (passé), le lieu. Demandez la traduction de La Recherche de Proust en coréen : 8 pages. Recto verso tout de même.

Cinéma. Comme une image (Agnès Jaoui, France, 2004 avec Marilou Berry, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Laurent Grévill, Virginie Desarnauts, Keine Bouhiza, Grégoire Oestermann, Serge Riaboukine, Michèle Moretti).
Lolita, vingt ans et des rondeurs, désespère d'intéresser son père, Etienne Cassard, romancier adulé et égocentrique.
On se réjouit d'abord de revoir Bacri dans son rôle de misanthrope grognon. La façon dont il mate, en ouverture, un chauffeur de taxi mal embouché procure une satisfaction par procuration digne des Crimes exemplaires de Max Aub. Cependant, le personnage de Cassard s'avère au fur et à mesure que le film progresse beaucoup plus intéressant et beaucoup moins sympathique : c'est une sorte de monstre égoïste entouré d'une cour obséquieuse (comme Tony Soprano) et qui étouffe absolument tout son entourage, à commencer par sa fille qui ne parvient pas à exister auprès de lui. Dans le rôle, Marilou Berry est une révélation de poids. Autour de ce duo, les figures sont plus pâles, les histoires plus lâches. C'est que Jaoui se sent obligée de traiter des mœurs du milieu littéraire, de la bassesse de la chose télévisuelle, de la dictature de la mode et des régimes, de la bêtise du bistrotier de province... Ce qui fait beaucoup, et on se prend à regretter qu'elle n'ait pas plus centré son propos sur le couple père-fille. Au total, une légère insatisfaction, surtout si on se souvient du Goût des autres.

VENDREDI.
Lecture. Des Papous dans la tête, Les Décraqués (Collectif, Gallimard/France Culture, 2004; 288 p., 25 €).
Anthologie.
Depuis vingt ans, Françoise Treussard et Bertrand Jérôme réunissent autour d'eux une poignée de passionnés de l'écriture pour des jeux littéraires basés sur la contrainte : lipogrammes, bouts-rimés, exercices de style, pastiches, tentatives d'inventaires, fables express, tourisme minimal, homophonies, contrepets, etc. Deux émissions de France Culture présentent les travaux de cette joyeuse troupe : Les Décraqués, quotidienne, et Les Papous, aussi dominicale que les notules. Présentaient plutôt, puisque Les Décraqués sont passés à la trappe au début de ce mois, ce qui n'a pas valu que des amis à Laure Adler. Je les écoute depuis 1989, j'ai assisté à trois séances en public, je les enregistre et conserve les meilleurs morceaux, une cinquantaine de cassettes à ce jour. Certains Papous sont morts, Perec, qui a accompagné les débuts de l'émission, Jacques Bens, Topor, Pierre Gripari, d'autres ont quitté le navire comme Vassilis Alexakis que j'espère voir rembarquer un jour, les piliers actuels se nomment Jean-Bernard Pouy, Hervé Le Tellier, Patrice Caumon, Patrick Besnier, Jacques A. Bertrand, Jacques Vallet, Jacques Jouet, Dominique Muller, Hélène Delavault, Henri Cueco, Patrice Minet (mon préféré) et j'en passe. Cette anthologie présente des morceaux récents susceptibles de faire adhérer le profane mais surtout de réjouir l'habitué qui peut mettre une voix sur les textes écrits et replacer les rires et remarques qui accompagnent chacun des exercices à la radio. Ce sont les formes longues qui, à mon goût, passent le mieux le cap de l'écriture, notamment les deux romans interactifs ("quatre auteurs pour un roman en quatre chapitres. Chaque auteur de ce roman écrit à son tour un chapitre, chaque chapitre se terminant par trois hypothèses pour une suite possible de l'histoire") qui ouvrent et ferment le volume et qui sont des merveilles de nonsense. Le livre est accompagné d'un CD qui reproduit une séance des Papous en public avec un formidable morceau de Jacques Jouet dans un pastiche de Tchekhov.

Obituaire. Mort de Françoise Sagan. "Je n'ai pas la facilité de Minou Drouet et de Françoise Sagan, le génie de Stendhal, le métier de Flaubert, le brillant de Barbey, la profondité de Gide, l'envolée de Malraux, la tendresse d'Hemingway... " (lettre de Georges Perec, avril 1956). Souvenir de l'hôpital Léon-Bérard, à Hyères, où j'écoutais Bonjour tristesse lu par Catherine Deneuve, seul mode de "lecture" que m'autorisaient mes paupières cousues.

TV. Copie conforme (Jean Dréville, France, 1946 avec Louis Jouvet, Suzy Delair, Jean-Jacques Delbo, Annette Poivre; diffusé sur France 3 en novembre 1999).
Gabriel Dupon, modeste employé de bureau, est le parfait sosie d'Ismora, un voleur de grande envergure. Celui-ci le contacte et l'engage pour lui servir d'alibi.
Double rôle pour Jouvet, comme Fernandel dans Raphaël le Tatoué. Cela ne semble pas beaucoup l'amuser. En tout cas, il est plus convaincant dans la morgue d'Ismora que dans la mièvrerie de Dupon, même si ce dernier finit par prendre de l'assurance et par s'opposer à son employeur. Les scènes de double, filmées moitié par moitié au moyen de caches, sont très bien faites. Et puis il y a Jean Carmet dans un de ses tout premiers rôles.

SAMEDI.
Fiesta. C'est aujourd'hui que Lucie a invité ses copines pour son anniversaire. Je mentirais en disant que c'est l'après-midi de l'année que je préfère, d'autant qu'aujourd'hui le temps interdit de mettre le troupeau à l'herbage et nous condamne à la stabulation. Au moins il n'y aura pas de photos où on me verra faire la gueule.

TV. 24 heures chrono (série américaine de Joel Surnow, Robert Cochran, Howard Gordon et Kiefer Sutherland avec Kiefer Sutherland, Elisha Cuthbert, Dennis Haysbert, Carlos Bernard, Reiko Aylesworth; saison 3, épisodes 1 & 2, diffusés sur Canal + le soir même).
C'est reparti pour un tour, un tour de cadran en l'occurrence (vingt-quatre épisodes pour vingt-quatre heures) avec cette troisième saison. On craint que ce ne soit d'ailleurs la saison de trop. La deuxième avait montré un certain essoufflement, inévitable après la totale réussite de la première, exploitation parfaite d'une forme audacieuse pour le format télévisuel, celle de l'enquête en temps réel. A propos d'essoufflement, les premières images nous montrent un Jack Bauer en petite forme, empâté, suant, aux gestes mal assurés. On ne tardera pas à savoir pourquoi, une fois embarqué dans cette nouvelle histoire où c'est cette fois un virus bactériologique qui menace la ville de Los Angeles. Au bout de ces deux premiers épisodes, la chose est lancée, le rythme est trouvé et on est prêt à se laisser faire une fois de plus.

Bon dimanche.