Notules
dominicales de culture domestique n°157 - 2 mai 2004
DIMANCHE.
Gastronomie. Premières asperges,
premières fraises, le printemps est une belle saison.
Sortie. Premier contact avec la foule
depuis le défilé de la Saint-Nicolas à l'occasion
d'une manifestation autour du livre de jeunesse à laquelle les
filles prennent plaisir à participer. Je ne devrais pas le dire,
à cause de ma famille et de mon métier, mais il y a peu
de choses qui m'ennuient davantage que la littérature pour enfants.
La chanson pour enfants en est une. Ça tombe bien, il y a un chanteur
pour enfants. C'est un copain, je ne vais tout de même pas lui lancer
des cailloux. Je croise quelques notuliens. Moi qui croyais que les notuliens
passaient leur dimanche à lire, relire et gloser sur les notules.
Je fais un passage dans une galerie où un artiste local, Astier,
présente un travail assez proche des expériences décrites
par Jean-Pierre Le Goff dans Le cachet de la poste. Je me renseigne.
L'homme ne connaît pas Le Goff.
MARDI.
Courriel. Mon Lexovien de frère
devient administrateur à la Commission européenne dans le
domaine de la recherche, ce qui lui permettra enfin de quitter son trou
normand.
TV. Chacal (The Day of the
Jackal, Fred Zinnemann, France - G.-B., 1973 avec Edward Fox, Michel
Lonsdale, Derek Jacobi, Delphine Seyrig; diffusé sur France 3 en
?).
1963. Après l'échec de l'attentat du Petit-Clamart, l'OAS
recrute un tueur professionnel, le Chacal, pour éliminer le Général
de Gaulle.
Le film a l'absence de style et l'efficacité des bons produits
de politique fiction, ceux qu'on peut lire sous la plume de Tom Clancy,
Colin Forbes ou Frederick Forsyth, l'auteur du roman source. On s'y promène
longuement aux quatre coins de l'Europe, en attendant que les polices
des différents pays réussissent à s'entendre, coopèrent,
repèrent la cible et s'attachent à ses basques. On arrive
alors à la partie suspense, montage alterné entre le tueur
et ses poursuivants qui arrivent toujours un poil trop tard pour le coincer.
Il ne reste plus qu'à attendre le morceau de bravoure, le final,
ici un défilé sur les Champs-Elysées au cours duquel
l'attentat doit être perpétré. On trouvait ce même
schéma dans par exemple L'ultime contrat, du Suédois Kjell
Sundvall consacré à l'attentat contre Olof Palme. C'est
sans surprise mais très attachant, surtout quand l'interprétation
est à la hauteur, ce qui est le cas ici avec Michel Lonsdale parfait
en enquêteur obscur et opiniâtre.
MERCREDI.
Feuilleton. Je reçois une convocation
du Tribunal de Grande Instance de Paris dans le cadre de l'affaire de
mon faussaire en papiers d'identité. Je pense d'abord y couper,
arguant du fait que je travaille ce jour-là. Je me renseigne auprès
d'une connaissance à qui il arrive de porter la robe sans que ses
mœurs soient mises en cause. Étant donné que je suis convoqué
en tant que témoin, et non en tant que victime, je me dois d'être
présent, ma non-comparution constituerait une infraction pénale
passible d'une amende d'un montant élyséen. J'organise à
la hâte mon déplacement, ravi de l'aubaine.
Informatique. Je souscris à
une option Wanadoo censée supprimer les courriels infectés
à la source.
Cinéma. Le Convoyeur (Nicolas
Boukhrief, France, 2004 avec Albert Dupontel, Jean Dujardin, François
Berléand, Claude Perron, Julien Boisselier, Philippe Laudenbach,
Gilles Gaston-Dreyfus, Olivier Loustau, Aure Atika).
Alexandre s'engage dans une entreprise de transports de fonds dont les
véhicules ont subi trois attaques dans le dernier mois. Une nouvelle
agression, particulièrement meurtrière, se produit alors...
J'ai connu un convoyeur de fonds. Il s'appelait Alfred K. C'était
un copain d'école de mon père, il venait à la maison
pour effectuer des travaux de plomberie, son premier métier. Je
l'ai toujours connu une clé à molette à la main,
coincé derrière le réservoir de chasse d'eau ou dans
le vide sanitaire. C'était un géant rigolo qui m'effrayait
et m'amusait à la fois. A la fin du repas, il ne prenait pas du
camembert mais un camembert et mangeait ses dix rochers Suchard en regardant
son film à la télévision. Il s'amusait de son nouveau
métier, racontait qu'on lui apprenait à protéger
l'argent coûte que coûte mais disait qu'en cas de braquage
il donnerait tout, ses godasses avec s'il le fallait. Il est mort dans
son camion, entre deux collectes, d'une crise cardiaque, ses collègues
n'ont même pas eu le temps d'atteindre l'hôpital.
J'ai pensé à lui en voyant ce film, c'était ce qu'il
y avait de mieux à faire. Les syndicats de la profession ont poussé
des cris d'orfraie en voyant la façon dont les convoyeurs étaient
traités par Boukhrief, et il y a de quoi : c'est un ramassis d'aigris,
racistes, alcooliques, voire dealers absolument ignobles (Berléand
s'amuse, c'est un habitué). Ce qui ne serait pas dérangeant
s'ils faisaient partie d'une histoire cohérente. Malheureusement,
malgré un début prometteur qui tient pour beaucoup au jeu
de Dupontel, on sombre rapidement dans le n'importe quoi, le ridicule,
jusqu'à une fin digne du Grand-Guignol.
JEUDI.
Vie professionnelle. Collège
en grève. Je rate le reportage sur France 3.
Courrier. J'envoie une revue de presse
à Y. et une commande de disque à Frémeaux et Associés.
Morphée. Epuisé par cette journée de non-travail,
je renonce successivement à Osama au cinéma, à
Laisse tes mains sur mes hanches à la TV et me couche tôt,
à l'image du commandant. Je n'entendrai pas les dix coups du westminster.
VENDREDI.
Morphée (suite). Malgré
cette nuit inhabituellement longue, je parviens à faire la sieste.
Question de volonté.
Copinage. Le Monde des Livres annonce
la sortie de L'homme qui faisait des boustrophédons (Éditions
Le Bon Albert, 140 p., 18 €), le dernier livre de Claude Daubercies
"aussi réjouissant que les deux autres ouvrages qu'il vient
de publier au Seuil." Le Monde, pourtant bien informé d'habitude,
omet une information importante : Claude Daubercies est notulien.
TV. Laisse tes mains sur mes hanches
(Chantal Lauby, France, 2003 avec Chantal Lauby, Rossy de Palma, Jean-Pierre
Martins, Claude Perron, diffusé sur Canal + en avril 2004).
Odile a du mal a passer le cap de la quarantaine. Surtout depuis que sa
fille a décidé de la quitter pour aller vivre avec son ami.
Ce portrait d'une femme seule, traité sur un ton doux-amer, se
laisse voir avec un oeil indulgent. Chantal Lauby sait écrire,
possède un carnet d'adresses qui lui permet de parsemer son film
d'apparitions sympathiques (Adamo, Alain Chabat, Bernard Menez, Maurice
Chevit, Marcel Cuvelier...), trouve des situations amusantes (la soirée
Adamo entre copines, rite mensuel). Odile finit par trouver l'amour en
la personne d'un forain, un homme qui n'appartient pas à son milieu
(elle est comédienne, fréquente une sorte de jet-set de
deuxième division) et qui est censé porter les valeurs de
la vraie vie qu'elle néglige. Comédie du remariage oblige,
sa fille s'inquiète de son choix. Le jeu du chat et de la souris
entre Odile et son amoureux, je te veux, je ne te veux plus, s'éternise
malheureusement, le film s'effiloche et compte une bonne demi-heure de
trop.
SAMEDI.
Fête du travail. C'est donc
le moment de s'y mettre. J'entame la rédaction du Bulletin de l'Association
Georges Perec.
Itinéraire patriotique départemental.
Il n'y a pas de monument aux morts à Battexey. Alice se soulage
dans un sac en plastique, il y a progrès. Je photographie pour
l'Invent'Hair les salons "Ac'Tif" et "Jean Rob'Hair".
Nous rentrons à temps pour voir les dernières minutes de
Marseille - Metz, match qui se solde par une victoire messine inattendue
qui devrait permettre la subsistance d'une présence lorraine en
Ligue 1.
TV. Si je t'aime... prends garde
à toi (Jeanne Labrune, France, 1998 avec Natahlie Baye, Daniel
Duval, Jean-Pierre Darroussin, Philippe Khorsand; diffusé sur Canal
+ en septembre 1999).
Tombée sous le charme d'un inconnu rencontré dans un train,
Muriel se laisse entraîner dans une liaison dangereuse.
Le titre est particulièrement bien choisi. L'amour est vu par Jeanne
Labrune comme une mise en danger de la vie d'autrui et de sa propre vie.
L'amour exclusif que réclame Samuel ne souffre pas la moindre entorse,
sous peine de crise de fureur, de coups, de larmes. La question que l'on
se pose tout au long de l'histoire concerne la capacité d'endurance
de Muriel : jusque quand, jusqu'où sera-t-elle capable du supporter
ce que l'autre lui fait subir ? Elle vit une vrai passion, le plaisir
et la souffrance y sont indissociables. Cette histoire pourrait donner
lieu à un film ridicule, Jeanne Labrune (qui montre l'étendue
de son registre) s'en tire avec brio avec la complicité d'un couple
de comédiens étonnants.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°158 - 9 mai 2004
DIMANCHE.
Campagne. Première incursion
à Saint-Jean-du-Marché. La saison promet d'être moins
propice à la chaise longue : il faut vider la ferme voisine, que
son occupant a désertée pour le confort d'une maison de
retraite. On pourra ensuite penser à la remise en état,
chantier qui s'annonce dantesque.
LUNDI.
Travaux. Installation d'un système
de climatisation à la pharmacie.
Courriel. Retour de Ch. G. sur la
toile.
T. me signale la parution d'un roman sans verbe. Je fais suivre à
la [listeoulipo].
Radio. Deux numéros de Surpris
par la nuit, sur France Culture, sont consacrés à l'Allier,
notre destination estivale. Le premier volet est un reportage sur "Yzeure
et sa prison construite dans les années 80". Je regarde la
carte : trois kilomètres séparent notre future thébaïde
du Centre pénitentiaire. J'espère que les serrures sont
solides. Les pensionnaires risquent d'être énervés
si la canicule revient.
Soirée. Privé de télévision,
de cinéma et de football jusqu'à ce que le Bulletin Perec
soit bouclé. Ça peut durer. La lenteur avec laquelle je
travaille est parfois désespérante.
MARDI.
Thémis. C'est aujourd'hui que
je suis convoqué au Palais de Justice de Paris. Je fourre un léger
viatique dans mon cartable (si je me pointe avec une valise, on va croire
que je viens me constituer prisonnier), saute dans le 7 heures 17
qui me mène à la gare. Au buffet se matérialise un
de mes pires cauchemars : tomber sur quelqu'un que je n'ai pas vu depuis
des années, apprendre qu'il s'apprête à faire le même
voyage que moi et l'entendre se réjouir d'effectuer le trajet en
ma joviale compagnie. Nous voilà donc côte à côte
dans le 8 heures 03 pour quatre heures d'horloge. Ça s'avère
moins pire que je le craignais. T., puisque c'est lui, se révèle
d'un commerce agréable, nous faisons le tour de nos connaissances,
narrons nos parcours respectifs et finissons par nous ficher mutuellement
la paix pour roupiller ou ligoter selon l'humeur sans trop s'encombrer
l'un l'autre.
Je gagne de suite en bus les abords du Palais de Justice pour m'imprégner
des lieux. Je croûte aux Deux Palais, face à l'édifice,
une ruche bourdonnante emplie de juges et d'avocats où l'utilisation
d'un téléphone de poche sans oreillette dénonce immanquablement
vos origines provinciales. J'ai du temps à tuer, je passe devant
la Tour Pointue, le 36, pour saluer Florimond Faroux, puis me rends au
bout du Pont-Neuf, juste à l'endroit où il surplombe le
square du Vert-Galant. Un de mes premiers souvenirs parisiens (je n'avais
pas dix ans) est attaché à ce lieu, c'est mon père
qui me montre les hippies étendus sur la pelouse du square qui
était à l'époque leur lieu de ralliement. A l'heure
qu'il est, ils doivent être encore allongés, toujours au
contact de l'herbe, mais côté racines.
J'entre à la Samaritaine, cinquième étage, rayon
librairie. Je feuillette la correspondance croisée Simone de Beauvoir
- Jacques-Laurent Bost qui vient de paraître. Je connais bien la
Bienenfeld dont parle Beauvoir dans ses lettres de 1938 - 1939. Enfin,
je la connais bien, disons que je la vois régulièrement,
que je lui ai parlé, que nous avons parfois échangé
des courriels, qu'elle connaît mon nom et mon visage. Je savais
que c'était une maîtresse femme qui n'avait pas mené
une vie commune mais j'étais loin d'imaginer que Beauvoir, qui
était son professeur de philosophie en 1938, avait eu une relation
passionnée avec elle...
Je suis convoqué à 15 heures 30. Le Palais n'a rien d'un
palace. Délabrement incroyable, couloirs pisseux, murs lépreux
recouverts d'un camaïeu de marronnasse écaillé, signalétique
médiévale qui s'interrompt trois bons kilomètres
avant le bureau recherché. Je croise des képis, des robes
et deux ou trois arcans, les cadennes aux pognes, m'attends à devoir
me débarrasser de ma ceinture et de mes lacets à tout instant.
Nous sommes trois ou quatre des victimes du même aigrefin à
poireauter sur un banc au troisième étage, sous les toits.
La juge, Mme S., nous reçoit un à un. Cette dame, qui est
tout de même vice-présidente du Tribunal de Grande Instance,
occupe avec sa greffière, pas fière, un bureau miteux où
je ne mettrais pas mes lapins. Saint Louis, sous son chêne, était
mieux loti. Comment s'étonner qu'on trouve des individus qui préfèrent
se jeter par la fenêtre pour échapper à un pareil
endroit. Je lève la main droite, dis "Je le jure" et
raconte une nouvelle fois ma mésaventure, dont la banalité,
à l'époque, ne laissait jamais soupçonner qu'elle
me conduirait presque un an plus tard à cet endroit. Il s'agit
avant tout d'évaluer le préjudice que j'ai subi et de reconnaître
les pièces volées placées sous scellés. On
m'explique les modalités de remboursement de mes frais de transports,
j'apprends avec soulagement que je n'aurai pas à paraître
à l'audience et je ressors une heure plus tard. Libre.
Je métrotte jusqu'à Saint-Lazare. Cour de Rome, pas trace
d'individu portant un feutre mou entouré d'un galon tressé
au lieu de ruban. Je découvre les délices du train de banlieue
en fin de journée jusqu'à la gare des Vallées. La
Garenne-Colombes est une banlieue paisible, mais les bistrots, j'en essaie
deux, sont sordides. Je me suis invité chez les M & M pour
la soirée et la nuit, je débarque à l'heure convenue
avec bonbons et tulipes. F. me raconte ses débuts au cinéma,
il a fait de la figuration dans le dernier Mocky (parce qu'il connaît
le comptable de Jacques Villeret, c'est qu'il a le bras long, mon ami
F. !), Le Furet, que j'ai vu sans le reconnaître. Je guetterai
la diffusion télévisée sur Canal +.
MERCREDI.
Vie parisienne. Je désencombre
mes hôtes assez tôt et reprends le train vers Saint-Lazare.
Spectacle impressionnant, à la gare, des banlieusards qui filent
vers les quais du métro, se croisent, se frôlent sans se
marcher sur les pieds dans un silence seulement troublé par le
bruit de leurs pas rapides. Je remonte vers l'Opéra, bois un jus
à l'Opéra quelque chose. Au Louvre, l'ambiance n'est pas
la même que le dimanche matin, où j'ai mes habitudes. Moins
de Japonais, beaucoup d'enfants, très jeunes, avec leurs instituteurs
ou trices, des copistes dans presque toutes les salles. Je poursuis ma
Mémoire louvrière au deuxième étage
de l'aile Richelieu, salle 9 dont le fleuron, Le Changeur et sa femme
de Metsys (un des tableaux sources de La Vie mode d'emploi) est
accaparé par une copiste. Je traverse la Seine, rue des Saints-Pères,
rue de Verneuil (est-ce la maison de Gainsbourg dont le mur est couvert
de graffiti ?), je flâne dans quelques boutiques boulevard Raspail,
boulevard Saint-Germain, photographie un Bar clos rue Monge (le Saint-Tropez,
face à la Mutualité), croûte une pizza rue des Boulangers
et travaille sur mon Atlas de la Série Noire à la Bilipo,
rattrapant ainsi la séance manquée la dernière fois
pour cause de grève. Caché derrière un pilier de
la gare de l'Est, j'observe la foule qui attend le 18 heures 50 pour Nancy,
pas question de me faire avoir comme à l'aller. Je repère
la mère d'une de mes élèves, et laisse un prudent
no man's land de trois wagons entre elle et moi au moment de grimper
dans le dur.
Lecture. La lionne blanche
(Den vita lejoninnan, Henning Mankell, 1993; Éditions du
Seuil, 2004 pour la traduction française, coll. Policiers; traduit
du suédois par Anna Gibson; 434 p., 20 €).
En Afrique du Sud, un groupe de Boers fanatiques s'apprête à
commettre un assassinat politique spectaculaire. Le tueur recruté
part suivre sa formation en Scanie, sur les terres du commissaire Kurt
Wallander.
Ce n'est pas la première fois dans les aventures de Wallander que
la Suède sert de cadre à des histoires qui ont des ramifications
dans d'autres pays : La cinquième femme commence en Algérie,
Le Guerrier solitaire en République Dominicaine, Les
chiens de Riga, comme son nom l'indique, se déroule pour partie
en Lettonie. Henning Mankell vit au Mozambique et les problèmes
de l'Afrique du Sud lui sont familiers, on n'est donc pas étonné
de voir son intrigue se partager, comme c'est le cas pour sa vie, entre
cette région du globe et la Suède. Cet épisode doit
s'intercaler entre Les Chiens de Riga et La cinquième
victime et constituer le troisième volet de la série
Wallander. Le commissaire a fait la connaissance de Baiba, tente de dissuader
son père de se remarier et entre dans une période de douloureuse
dépression. Mais ici, Wallander passe presque au second plan, car
c'est l'Afrique du Sud, à peine sortie de l'apartheid et dont l'avenir
démocratique est fortement menacé qui intéresse l'auteur
au premier chef. Le récit multiplie les points de vue, celui des
policiers suédois, celui des services secrets sud-africains, celui
des terroristes dans un tourbillon qui ne rend pas toujours les choses
très claires. C'est sans doute le livre le plus ambitieux de Mankell,
celui où il a mis le plus de choses personnelles (dire que ce type
est le gendre d'Ingmar Bergman, qu'est ce qu'ils doivent se marrer pendant
les repas de famille) mais c'est peut-être, malgré une évidente
volonté de bien faire et un souci de pédagogie politique
certain, l'épisode le plus faible de la série, ce qui peut
expliquer sa traduction tardive. Mais on peut beaucoup pardonner à
Henning Mankell.
Extrait (et bonheur de traduction). "A leur grande surprise, l'homme
obéit. Il descendit de l'échelle qu'il avait hissée
sur le toit. Sa femme arriva avec un peignoir de bain.
- Vous avez l'intention de m'arrêter ? dit l'homme en l'enfilant."
Retour. Le voyage Nancy - Épinal
s'effectue en bus, à cause de travaux sur la voie, ce qui n'a pas
le pouvoir d'accélérer les choses. A l'arrivée, les
taxis sont au lit. Cinquante minutes de marche pour retrouver mes pantoufles,
et une carte postale de N.
JEUDI.
Récupération. Cinquante
minutes de sieste.
Lecture. Le pianiste (Wladyslaw
Szpilman, suivi d'extraits du Journal de Wim Hosenfeld et d'une postface
de Wolf Biermann; Présentation d'Andrzej Spilman; traduction française
: Éditions Robert Laffont, 2001; Pocket, n° 11422; 322 p.).
"L'extraordinaire destin d'un musicien juif dans le ghetto de Varsovie,
1939 - 1945."
Drôle d'édition que celle-ci. Pas de mention de la date de
première édition, il faut attendre la postface de Wolf Biermann
pour apprendre que le livre a été publié pour la
première fois en 1946, et sous un titre différent. Pas de
mention du traducteur. Le titre original est The Pianist, ce qui
semble être du polonais très international. C'est bien sûr
le film de Polanski qui a provoqué cette réédition
hâtive, avec cet habillage si sommaire. Le texte est heureusement
suffisamment fort pour qu'on oublie ces détails. Pianiste à
la radio de Varsovie, Wladeck Szpilman voit l'arrivée des Allemands
en 1939, l'édification du ghetto, la déportation des Juifs,
y compris toute sa famille, l'insurrection du ghetto, l'arrivée
de l'Armée Rouge. Il parvient à survivre toutes ces années
en se cachant et en bénéficiant à la fin de l'aide
d'un officier allemand, Wim Hosenfeld. Les événements sont
repris fidèlement dans le film de Polanski. Ce qui est propre au
livre, cependant, c'est la retenue, la distanciation, la froideur avec
laquelle Szpilman relate les faits. Il refuse le pathos pour se concentrer
sur une relation clinique des faits, même lorsqu'il s'agit des êtres
qui lui sont le plus proches. Cette sécheresse sert son témoignage,
le rend plus incisif et effrayant encore.
VENDREDI.
Demi Vosgien. "Vieux. Je n'ai
que quarante-quatre ans et je me sens déjà usé."
Henning Mankell, La lionne blanche.
"Bof, pas tant que ça, dans le fond." Philippe Didion,
notules 158.
On m'offre Crime et châtiment, les filles ont opté
pour un pyjama, première pièce de mon trousseau pour l'hospice.
Courrier. Une carte de S., en pré-voyage
de noces en Grèce. Je reçois le dernier numéro de
la revue Histoires littéraires, qui contient un article très
élogieux sur le Bulletin de l'Association Georges Perec. C'est
à dire, sur le bulletin avant que la responsabilité m'en
échoie. Il me reste à me montrer à la hauteur. J'envoie
une revue de presse à Y. et mes billets de train, pour remboursement,
au Palais de Justice de Paris.
Courriel. Y. me signale l'existence
d'un salon Diminu'Tif et d'un salon Formul'Hair à Joinville (Haute-Marne).
Téléphone. J'appelle
Ela Bienenfeld, cousine de Perec, à propos du Bulletin.
SAMEDI.
Pluie. Le déluge continuel
empêche toute incursion dans le jardin. Caroline et Lucie vont au
cinéma voir Deux frères.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°159 - 16 mai 2004
DIMANCHE.
Deux sœurs. Mauvais temps, on échappe
de peu à la neige. Caroline est de garde, je suis rivé à
l'écran sur le Bulletin Perec. Les filles sont des fauves en cage.
Je me demande encore aujourd'hui comment elles se sont débrouillées
pour faire tomber le plateau en verre de la table de la cuisine, plateau
que je suis incapable de soulever seul, sans se faire écraser ne
seraient-ce que les paturons.
LUNDI.
Courrier. Je reçois Le phonogrammobile,
un CD de Frémeaux et Associés, en prévision des longs
voyages en auto.
MARDI.
Lecture. Le petit ami (Paul
Léautaud, Le Mercure de France, 1903; rééd; Gallimard,
coll. L'Imaginaire, n° 359; 226 p., 7,95 €).
Fragments autobiographiques.
1903, c'est à peu de choses près le moment où Léautaud
commence à tenir son Journal littéraire de façon
continue. l'année 1903 parle abondamment de ce Petit ami,
appuyé par Lucien Descaves et Octave Mirbeau au sein de l'Académie
Goncourt pour l'encore peu fameux prix qui sera finalement attribué
à John-Antoine Nau pour Force ennemie. On devine que le
texte de Léautaud a dû effaroucher plus d'un juré
par son originalité et sa liberté de ton. Les premiers chapitres
sont consacrés à ses relations avec les femmes, des cocottes
(il se défend d'écrire un "Guide des grues de Paris"
!), des créatures qu'il fréquente aux Folies-Bergère
et dans d'autres endroits du genre. On découvre alors un Léautaud
très différent de celui du Journal et surtout des
entretiens radiophoniques avec Robert Mallet, le vieillard grincheux et
acerbe qui reste dans les mémoires. Point de misogynie ici, mais
un amour profond pour les femmes, surtout celles de basse condition, qu'on
retrouvera plus tard chez son admirateur Brassens. Dans sa seconde moitié,
le texte bascule dans un récit des relations de l'auteur avec sa
mère, qu'il n'avait pratiquement jamais vue avant leurs retrouvailles
en 1898 à l'occasion de la mort de la tante Fanny. Le jeune Léautaud,
il a alors 26 ans, découvre une femme pas très éloignée
de celles qu'il côtoie habituellement et en tombe tout bonnement
amoureux. La mère mettra fin à une ébauche de liaison
avec Léautaud après une correspondance fiévreuse
dont l'auteur, avec son impudeur coutumière, livre de généreux
extraits. On ne retrouve le Léautaud connu que dans le dernier
chapitre dans lequel il expose sa conception de la littérature,
qui ne variera jamais tout au long du Journal, son goût pour
le spontané plutôt que pour le style soigné qui lui
fera toujours préférer Stendhal à Flaubert. Au total,
on est surpris de découvrir un Léautaud tendre, lyrique,
qui sait tout de même ménager quelques piques de temps à
autre ("Mon cher grand, reçois les tendres baisers de ta mère
qui ne t'a jamais oublié et à laquelle ta présence
a mis un rayon de soleil dans le cœur." Elle doit lire de bien mauvais
livres, me disais-je en relisant cette dernière phrase.")
Extrait. "Je me rappelle toute la neige de l'hiver de 1879, avec
la descente toute blanche, le matin, de la rue des Martyrs; Mme Favier,
si blonde et parfumée, boulevard de Clichy, je crois; le guignol
des Champs-Elysées, où j'assistai un jour à toutes
les représentations; le bal de l'Élysée-Montmartre,
où l'on me menait quelquefois le soir, pour me distraire; le cirque
Fernando, avec un Gugusse qui, paraît-il, me préoccupait
beaucoup; Robert Houdin, une fois, et Victor Hugo, un soir d'Hernani,
dans un couloir de la Comédie, à côté de la
petite cabine du garçon des accessoires, disparue aujourd'hui."
Curiosité. Léautaud écrit un moment donné
qu'il se fiche "comme de l'an quarante" de je ne sais plus quoi.
Je croyais benoîtement que cette expression faisait référence
à l'année 1940, croyance infirmée par sa présence
dans un texte de 1903. Une rapide recherche sur la toile laisse à
croire que l'an quarante pourrait être une déformation d'al
coran, du coran donc, dont se moquaient éperdument les chevaliers
chrétiens du Moyen Âge. Pour des détails plus complets,
voir la page http://www.u-blog.net/briographe/note/57598
MERCREDI.
Lecture. Marcel Proust. L'écriture
et les arts (catalogue de l'exposition organisée par la Bibliothèque
nationale de France en collaboration avec le Musée d'Orsay et présentée
dans la galerie d'exposition de la Bibliothèque nationale de France
site François-Mitterrand/Tolbiac du 9 novembre 1999 au 6 février
2000; ouvrage dirigé par Jean-Yves Tadié avec la collaboration
de Florence Callu; Gallimard-Bibliothèque nationale de France-Réunion
des musées nationaux, 1999; 316 p., 350 F).
Je ne sais comment j'ai fait pour passer à côté d'une
telle exposition. J'allais moins souvent à Paris à l'époque
où elle se tenait, mais tout de même... La lecture du catalogue
ne fait qu'aviver mes regrets, mon sentiment d'avoir manqué quelque
chose d'exceptionnel. Manuscrits, lettres, objets, tableaux, photographies
sont répartis en cinq sections (La culture familiale, La culture
artistique, La culture du temps, Les figures de créateurs et Au
cœur de la Recherche) et font l'objet de commentaires précis
qui les replacent dans l'histoire et dans l'œuvre. Les textes précédant
le catalogue proprement dit sont de véritables actes de recherche
et pas les vagues propos introductifs que l'on trouve habituellement dans
ce genre d'ouvrage. Même Jean-Pierre Angremy, dans un exercice des
plus convenus, celui de l'introduction générale, parvient
à être intéressant. Il est vrai qu'il est, outre le
Président de la Bibliothèque nationale de France, Président
de la Société des Amis de Marcel Proust. Kazuyoshi Yoshikawa,
qui consacre un chapitre aux manuscrits de Proust, relie de façon
originale le Contre Sainte-Beuve de Proust à la Recherche,
présentée alors comme "une sorte d'essai critique romancé,
synthèse du récit et de la critique, récit qui se
veut miroir de sa propre théorie." Jean-Yves Tadié
voit la Recherche comme un portrait d'Arcimboldo, tissé
de l'œuvre des autres : George Eliot, Thomas Hardy, Goethe, Vermeer, Botticelli,
Dostoïevski, Balzac, la Bible, Dante, Virgile, Wilde, Homère,
Carpaccio, Wagner etc. Mais ces références empruntées
à la culture classique sont associées à celles de
la "culture du temps", les événements historiques
contemporains, les évolutions technologiques (bicyclette, automobile,
avion, téléphone, théâtrophone...), et ce sans
souci de hiérarchie : Giotto et Roland Garros se retrouvent dans
une même phrase à propos des anges de l'Arena de Padoue,
les robes de Fortuny rappellent Carpaccio et les bombardements de Paris
évoquent Greco et Wagner. La partie "culture familiale"
s'attarde sur la figure du père, Adrien, l'éminent professeur,
"auteur d'une Hygiène du neurasthénique dans laquelle
il semble disséquer publiquement les faiblesses de son fils et
évoque les troubles qui affectent la mémoire des neurasthéniques
"impuissants à soutenir l'effort d'attention nécessité
par la recherche du souvenir perdu", passage qui sonne comme un défi.
On peut se demander si la Recherche n'est pas née du désir
de retourner cet humiliant portrait du neurasthénique en un autoportrait
nuancé et ironique."
Jardin. J'abandonne en fin de journée,
au bord de la surchauffe, la rédaction du Bulletin Perec et troque
un moment la souris pour la bêche et la serfouette. Où il
s'avère que le fait d'arracher le mouron permet d'oublier de s'en
faire.
JEUDI.
Courrier. Arrivée d'une grosse
enveloppe en provenance de l'AGP avec les dernières informations,
du moins je l'espère, à intégrer dans le Bulletin.
Moi qui ne savais pas quoi faire de ma soirée...
Courriel. Échange avec HD à
propos de Jean Eustache, à l'honneur sur France Culture en cette
fin de semaine.
VENDREDI.
Courrier. Arrivée du n°
8 de la revue Temps noir. J'envoie des coupures à Y.
SAMEDI.
1 x 15. Je m'y suis mis le premier,
nous sommes le quinze, j'avais dit que je bouclais le quinze, ça
y est, le n° 44 de l'Association Georges Perec est prêt. Ce
ne fut pas toujours facile, mon inexpérience, ma maîtrise
rudimentaire de l'outil informatique, ma propension au doute et l'afflux
de documents dans les derniers jours ne m'ont pas facilité la tâche
mais j'en vois le bout et je ne suis pas mécontent. Je serai plus
efficace pour le prochain numéro, je dispose pour cela d'un moyen
mnémotechnique infaillible, il me suffira d'éviter de faire
tout ce que j'ai fait pour ma première expérience. Il me
reste à peaufiner mon éditorial et à relire, ce qui
n'est pas une mince affaire. Il s'agit de ne pas laisser passer de bourdes
ou d'imprécisions, ni d'oublier quelque chose ou quelqu'un. Les
perecquiens sont gens pointilleux, sourcilleux voire vétilleux,
je suis des leurs, je sais de quoi je parle. Ce sont, un peu en porte-à-faux
d'ailleurs avec l'objet de leur passion car Perec a souvent laissé
paraître une conception plutôt lâche de l'orthographe,
des nemrods du signe diacritique, des tartarins de la coquille, des achabs
qui cherchent sans relâche des "e" dans La Disparition
et qui, c'est là qu'ils sont forts, finissent par en trouver, tordant
ainsi la réalité dans la forme de leur fantasme. Ce n'est
pas à eux qu'on fera avaler un trait d'union à ayant
droit ou à compte rendu, ce n'est pas chez eux qu'un
accent sur le "e" de Valery Larbaud ou un accent circonflexe
sur le "i" de Pierre Benoit risque de passer inaperçu.
Prudence, donc.
2 x 15. Trente minutes de sieste.
3 x 15. J'ouvre le dossier du Bulletin
Perec n° 45.
4 x 15. Soixante charlottes plantées
en terre dans l'après-midi.
7 x 15. Nous touchons aux toiles 105
minutes après minuit, après un raout au Val d'Ajol.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°160 - 23 mai 2004
DIMANCHE.
Jambon Tulip et Vache qui Rit. Depuis
que Lucie a goûté aux joies du pique-nique avec sa classe,
elle nous harcèle pour une expérience familiale. Le temps
est favorable, nous accédons à sa requête et trouvons
un coin paisible dans les bois de Renauvoid. Les insectes et les brins
d'herbe chatouillent un peu pendant la sieste mais on passe un bon moment
à se sustenter, pédaler, marcher, se cacher derrière
les tas de bois, déranger les fourmis dans leur fourmilière
et courir après les pages du journal qui s'envole.
Lecture. Le pornithorynque est
un salopare (Alain Créhange, Éditions Mille et une nuits
n° 446, mars 2004; 114 p., 2,50 €).
Dictionnaire de mots-valises.
Depuis quelque temps, les éditions Mille et une nuits ne se contentent
plus, comme à leur début, de rééditer des
textes anciens. Elles se sont lancées, avec bonheur, dans la publication
d'inédits, de nouveautés qui ne peuvent qu'attirer l'attention
des amateurs de textes un peu décalés puisqu'on y trouve
par exemple l'Abrégé de littérature potentielle
de l'Oulipo, La vie sexuelle d'Emmanuel Kant de Botul et ce
Pornithorynque. Les recueils de mots-valises ou autres néologismes
ne sont pas rares, mais pèchent souvent par excès, suscitant
la lassitude, ou par facilité ou paresse, comme le Dictionnaire
des mots qu'il y a que moi qui les connais de Jean Yanne. Alain Créhange
déjoue habilement ces pièges en offrant, la collection obligeant,
un nombre restreint de mots (670 tout de même) et en variant les
procédés de création : on a bien sûr les mots-valises
stricto sensu, qui lient la (ou les) première(s) syllabe(s) d'un
mot à la (aux) dernière(s) syllabe(s) d'un autre par une
syllabe commune, comme le chérisson, le capothicaire ou le colibriquet,
mais aussi ceux obtenus par ajout d'une lettre (absenthéisme),
par modification d'une lettre (vénération spontanée),
par l'utilisation heureuse de l'homophonie (nocetalgie) de l'homophonie
approximative ou à-peu-près (cultiwattheure), de l'anglais
(peanutile), du contrepet (ottomanopée), des noms propres (zorrodateur)
ou de marques commerciales (rhinoxerox). Ce n'est pas tout, car comme
le signale Créhange dans sa postface, "il n'est pas de mot-valise
réussi sans une belle définition", c'est comme pour
les mots croisés. Dans ce domaine aussi, la réussite est
au rendez-vous, l'auteur adoptant de façon très réaliste
le ton des définitions d'un dictionnaire académique, avec
exemples et citations à l'appui.
Morceaux choisis. "LOLITARTE. Jeune allumeuse sans cervelle.
GONDOLEANCES. Paroles de circonstance en cas de mort à Venise.
BAFFECTION. Tendresse exprimée par de grandes claques affectueuses
sur les joues. "J'ai toujours eu pour mes petits gars une baffection
virile et sincère" (Marcel BIGEARD)
CHYACHT. Navire de plaisance dont l'aspect tient de la fosse d'aisances.
"Ce que j'aimais chez Onassis, c'est qu'il avait des chyachts décorés
avec beaucoup de goût." (Jackie KENNEDY)
BRETZELLES. Bandes élastiques en forme de huit, saupoudrées
de sel et de cumin, dont les Alsaciens se servent pour retenir leur pantalon."
LUNDI.
Réaction aux notules. Échange
avec AB à propos d'un point d'orthographe.
MARDI.
Bulletin Georges Perec. Première
relecture. Le fichier Bulletin 45 est inauguré avec la parution
de deux pages sur le séjour de Perec dans le Vercors dans Libération
du jour.
MERCREDI.
Emplettes. J'achète des billets
de train, un blouson, des plants à repiquer (courgette, tomates,
salades, poivrons, aubergines), un volume de Jojo Lapin, un Modiano, le
numéro 2 de La Gazette Fortéenne, un volume sur Rimbaud
et le dernier livre de Marcel Bénabou, histoire de varier mes lectures
: cela fait plusieurs jours que je me couche tard et que je relis, sans
en retenir un mot, les cinq premières pages du dernier Paul Auster.
Bulletin Georges Perec. Ultime relecture.
Lecture. Paul Auster. Cinq pages.
JEUDI.
Bulletin Georges Perec. J'envoie la
chose à Bernard Magné.
Ascension. Avant de devenir notulographe
à plein temps, j'aimais passer les dimanches de beau temps dans
le jardin, travaillant conjointement à la sustentation des estomacs
de la famille et au salut de mon âme en écoutant, pauvre
bêcheur, les émissions religieuses à la radio, ainsi
mêlant habilement les navets aux Ave. Je retrouve ce plaisir aujourd'hui
en écoutant célébrer le mystère de l'Ascension.
Constatation : le culte protestant est aujourd'hui nettement supérieur
à l'office catholique tant pour la qualité du prêche
que pour la tenue des chants. L'âme en paix, j'emmène les
miens à Saint-Jean-du-Marché comme Jésus conduisit
ses disciples à Béthanie. La comparaison s'arrête
là.
VENDREDI.
Musique. J'achète un CD des
élèves du collège formant chorale sous la direction
du notulien FG.
Voyage. Je pars pour Paris par le
17 h 22.
SAMEDI.
Vie parisienne. A Jussieu, je livre
la version papier du Bulletin Perec à Bernard Magné qui
s'occupe de la mise en page. Marcel Bénabou me signe son livre.
Michel Bertrand fait une communication sur les tentatives d'épuisement
de lieux parisiens par Perec place Saint-Sulpice et carrefour Mabillon.
Au cours de la discussion, Paulette Perec soulève un problème
déjà évoqué en ces lieux. Dans son exposé,
Michel Bertrand n'a pas manqué de rapprocher les inventaires de
Perec à l'ensemble du projet Lieux (description de douze
lieux parisiens, l'une sur place et l'autre de mémoire, chaque
année pendant douze ans) et à W ou le souvenir d'enfance,
y trouvant des signes d'un Perec évoquant une fois de plus le manque
de la mère et sa souffrance. Paulette Perec dit sa lassitude de
voir tout Perec sans cesse ramené à ce livre et à
ce thème, et lu continuellement à travers le prisme de W.
Pour Bernard Magné, cela n'a rien d'étonnant, l'homme Perec
que certains des participants ont connu et l'écrivain Perec que
l'on étudie étant deux hommes différents. Une façon
de démêler l'un de l'autre serait une bonne, complète
et savante édition de Lieux dont tous les fragments connus
semblent tout de même bien se rapporter à des expériences
et souvenirs douloureux. La fine fleur de la perecquie se retrouve ensuite
chez Paulette, rue Linné, où elle joue les amphytrions et
où je suis bien plus à l'aise que lors de mon premier passage.
Cinéma (Ciné Cité
Les Halles). La mauvaise éducation (La mala educacion,
Pedro Almodovar, Espagne, 2004 avec Gael Garcia Bernal, Fela Martinez,
Javier Camara, Daniel Gimenez Cacho, Lluis Homar, Francisco Boira, Francisco
Maestre, Juan Fernandez).
Un jeune cinéaste en panne d'idée pour son prochain film
retrouve, par l'intermédiaire d'une visite inattendue, ses souvenirs
des années de collège dans une institution religieuse.
Depuis quelques films, Almodovar n'a plus à prouver qu'il a sa
place dans la cour des grands et s'est débarrassé des provocations
et afféteries qu'on pouvait reprocher à certains de ses
films. Il tourne désormais de façon sereine des histoires
tourmentées extrêmement stimulantes à suivre. La
mauvaise éducation est remarquable pour tous les pièges
qu'elle évite : la charge contre l'éducation religieuse
et les abus de certains prêtres, la complaisance de la nostalgie,
le vieux truc du film dans le film, le film thèse pour défendre
l'homosexualité (ou plaidoyer pro homo). Pour le prêtre,
Almodovar ne montre pas un personnage abject, mais tout simplement un
homme amoureux et torturé. Les retours en arrière vers l'enfance
font partie de tout un entrelacs de récits emboîtés
ou parallèles dont le film dans le film n'est qu'un élément
et pas un aboutissement. L'habillage, extrêmement soigné,
est une merveille. La musique (belle version de Quizas, quizas,
à la suite de celle de Cucurrucucu Paloma qui illuminait
Parle avec elle) comme la photo. Les scènes de collège
sont filmées dans une lumière qui évoque les tableaux
de Ribera ou Zurbaran, les scènes modernes éclatent des
couleurs vives chères au réalisateur (il faudrait revoir
le film en essayant de repérer les motifs de Mondrian). Si seulement
tout Cannes était à la hauteur de ce film qui en fit l'ouverture...
Lecture. La nuit de l'oracle
(Oracle Night, Paul Auster, 2003; Actes Sud 2004 pour la traduction
française; traduit de l'américain par Christine Le Bœuf;
242 p., 20 €).
L'écrivain Sidney Orr a perdu l'inspiration après un long
séjour à l'hôpital. L'achat d'un petit carnet bleu
semble débloquer la situation. C'est alors que sa vie familiale
perd de sa sérénité. Sa femme semble lui cacher un
secret, il la trompe, elle lui annonce qu'elle est enceinte. En même
temps, il doit rendre service à un vieil ami immobilisé
par la maladie.
Je n'ai jamais été très intéressé par
la thématique des romans de Paul Auster, les questions de l'identité,
le statut du créateur, les personnages qui changent brutalement
de mode d'existence. Mais j'ai toujours aimé sa façon de
raconter, de prendre le lecteur par la main, voire par le bout du nez
et de l'emmener où il veut. Paul Auster est un écrivain
qui, littéralement, me subjugue, dont je lis les livres en général
sans les lâcher.
L'effet a été le même avec La nuit de l'oracle,
mais a mis plus de temps à venir, et pas seulement à cause
de mon emploi du temps de ces dernières semaines. Pour la première
fois, il m'a semblé voir des ficelles un peu grosses (les récits
enchâssés de façon mécanique), des passages
qui ressemblaient fort à du remplissage et des analyses psychologiques
à deux ronds. Pour la première fois, j'ai été
surpris par le côté superficiel de ses personnages, par son
confinement dans un milieu new-yorkais huppé et factice, retrouvant
des reproches qu'on a pu faire à pas mal de films de Woody Allen.
Ces réticences n'ont duré qu'un temps et, comme d'habitude,
j'ai fini par me laisser emporter par le récit grâce à
la fluidité et à l'inventivité qui sont les qualités
majeures de cet auteur.
Nourritures. Je finis la journée
à la Brasserie de l'Est, piochant avec autant de gourmandise dans
mon filet de haddock et dans le récit de la vie abyssine de Rimbaud
vue par Alain Borer.
Bonne semaine.
N.B. En raison du long week-end de la Pentecôte (le dernier ?) les
notules 161 ne seront livrées que le mardi 1° juin.
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