Notules dominicales 2010
 
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Notules dominicales de culture domestique n°449 - 6 juin 2010

DIMANCHE.
Vie linguistique (suite). On me l'a fait gentiment remarquer et d'autres sans doute, s'ils se sont tus n'en ont pensé pas moins : le terme de juron farci n'est pas du tout approprié au phénomène qui nous occupe depuis deux semaines dans la mesure où ce n'est pas le juron qui est farci mais le mot à l'intérieur duquel il s'insère. Il faudrait donc le nommer juron farce ou juron farceur mais le mal est fait et nous conserverons l'appellation d'origine, qui, outre le fait qu'elle sonne bien à l'oreille, participe un peu de l'air du temps. On observe en effet depuis un moment un autre terme utilisé à l'envers de ce qu'il signifie. Il s'agit du mot gourmand et c'est GN, notulien et ancien compagnon d'armes sur le front de l'Est qui m'a fait observer le glissement sémantique dont il fait l'objet. Gourmand qui, à l'origine, s'applique à la personne coupable ou victime de gourmandise, désigne de plus en plus le produit susceptible de susciter cette gourmandise. Promenons-nous au supermarché : Patrimoine gourmand (gamme de produits régionaux), assortiment "café gourmand" (biscuits), 12 tartelettes "fruits gourmands", 18 petits-fours "café gourmand", le Saint-Albray, "crémeux et gourmand", etc. Allons au restaurant, au détour, par exemple, d'un parcours gourmand ou d'un itinéraire gourmand : il n'y est question que d'assiette gourmande, de dessert gourmand, voire, là aussi, de café gourmand. Le Trésor de la langue française a intégré ce sens puisqu'il ajoute "où l'on mange bien" aux définitions habituelles et relève qu'on parle d'une "région gourmande", le Morvan en l'occurrence, dans un article d'Arts et loisirs datant de 1967. Désormais, il ne nous reste plus qu'à inventer le juron gourmand.

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Lecture. Fifty-fifty (Two-Way Split, Allan Guthrie, Le Masque, 312 p., 19 €).
Les auteurs de polars semblent former une communauté un peu plus soudée que celle de leurs confrères en littérature blanche. C'est peut-être à cause des salons et festivals spécialisés qu'ils fréquentent, peut-être à cause d'un complexe d'infériorité, toujours est-il qu'ils n'hésitent pas à parler de façon louangeuse les uns des autres et à se renvoyer l'ascenseur à qui mieux mieux. On ne dira pas que les auteurs de littérature non spécialisée ne montrent pas de temps à autre un brin d'estime pour le travail de leurs collègues - on mettra de côté ici les lassants flagorneurs du Figaro littéraire et, à l'opposé, le cas de François Bon et de quelques-uns de son acabit qui passent leur temps à mouiller le maillot pour défendre les autres - mais la chaleur de l'hommage est en général proportionnelle à la couche d'humus qui recouvre le cercueil des encensés. En attendant, il n'y a, à ma connaissance, que dans la littérature policière que l'on peut lire des compliments confraternels en quatrième de couverture. Si je prends ce qui traîne aujourd'hui autour du bureau, je vois que Stephen King vante Gillian Flynn, que Michael Connelly porte aux nues Deon Meyer, Don Winslow et James Thompson, et je n'ai pas le temps de fouiller ailleurs pour trouver d'autres exemples qui, j'en suis sûr, abondent. Allan Guthrie étant écossais, on s'est naturellement tourné vers le cador du polar écossais pour pousser le petit nouveau. "Il faut absolument lire ce livre", voilà, ça ne mange pas de pain et c'est signé Ian Rankin, le créateur de l'inspecteur Rebus, le plus célèbre flic d'Edimbourg. Edimbourg que l'on retrouve ici comme cadre d'une aventure qui met en scène quelques dingues pas du tout doux dont l'un veut la peau de l'autre qui a tué sa maman au cours d'un braquage raté. C'est assez enlevé et intéressant pendant la première moitié du roman et puis ça se délite complètement au moment où l'auteur, pour illustrer la schizophrénie d'un des personnages, se met à lui faire tenir des monologues à deux voix dans lesquels on se perd totalement. "Il faut absolument lire ce livre", disait donc Ian Rankin. On se demande s'il l'a lui-même lu en entier. Qu'importe, Allan Guthrie doit être un bon copain, il méritait bien ce petit coup de pouce du maître.

MARDI.
Lecture. Quinzinzinzili. L’univers messacquien n° 9, avril 2010 (Société des amis de Régis Messac; 32 p., 5 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

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MERCREDI.
Lecture. L'Idiot de la famille (Jean-Paul Sartre, Gallimard, coll. Bibliothèque de philosophie, 1971-1972; trois volumes, respectivement 1104, 1032 et 664 p., s.p.m.).
"Gustave Flaubert de 1821 à 1857"
J'avais dit (notules 264, juillet 2006) que je parlerais un jour de mes livres volés. Celui-là, c'est certain, en était un fameux. 2700 pages, 2 kilos 500, ça ne se pique pas sous le pas d'un cheval, je ne dirai d'ailleurs pas où j'ai commis mon forfait mais que les notuliens libraires attendent un instant avant d'envoyer leur demande de désabonnement, je n'ai jamais volé dans une librairie. Je n'ai jamais volé grand-chose d'ailleurs, des billes, quelques livres et encore, bien trop peu pour faire une carrière à la Jean Genet. Il y eut d'abord ce pavé de Sartre, puis un Petit Littré qui prenait la poussière dans la salle d'un collège de Nancy où je suis passé si brièvement que je n'en retrouve pas le nom, je m'en sers toujours, et les Exercices de style de Queneau en nrf 1947 enlevés d'une espèce de centre socio quelque chose où ils devaient servir à des exercices d'expression corporelle, c'est dire s'il est mieux chez moi. Il y eut aussi, fin 1984, une opération d'envergure à laquelle j'ai participé et qui n'était ni plus ni moins que le pillage systématique d'une bibliothèque. J'étais en ce temps-là sous les drapeaux et officiais à l'Ecole Militaire de Strasbourg où j'avais réussi à me faire admettre en trichant un peu sur mes diplômes. Le responsable de la bibliothèque était aussi un appelé, un illuminé qui faisait une thèse sur le "et" dans le Parménide de Platon, on voit le genre de loustic, devenu une fois rendu à la vie civile l'éditeur de Malebranche dans la Pléiade. Lorsqu'il apprit que l'Ecole Militaire ne rouvrirait pas à la rentrée suivante, il décida qu'il ne serait pas sain de laisser les livres de la bibliothèque aux mains des militaires et en organisa l'exfiltration. Ce ne fut pas un sac, il fallait tout de même que l'opération passe inaperçue, et je ne récoltai dans l'affaire qu'un volume d'histoire littéraire sans grand intérêt - bazardé depuis - ainsi que l'édition 1958 en Classiques Garnier des Fleurs du Mal qui est toujours la seule que je possède. C'est tout. Il n'y a guère de quoi fouetter un chat et, si jamais ce devait être le cas, les douze années passées à lire L'Idiot de la famille, à me perdre dans les abîmes de la construction sartrienne, à explorer des tunnels de pages dont de je ne comprenais pas une phrase constituent une punition largement à l'aune de la faute originelle.

Le Côté de Guermantes (Marcel Proust, Gallimard, 1920-1921, rééd. Gallimard, A la recherche du temps perdu II, Bibliothèque de la Pléiade n° 101, édition établie et présentée par Pierre Clarac et André Ferré, 1954; 1230 p., s.p.m.).
C'est, pour moi tout au moins, le passage délicat de la Recherche, celui où il m'arrive de m'ennuyer plus souvent qu'à mon tour. Celui à partir duquel, dans mes précédentes lectures, j'ai préféré retourner dans la douceur de Combray plutôt que de m'aventurer sur les noirs sentiers de Sodome et Gomorrhe. Enfin, c'était le passage délicat de la Recherche car cette nouvelle exploration a été un peu différente grâce à un article lumineux de Jean Blain paru l'an dernier dans un hors-série de Lire consacré à Proust. L'article s'intitule "Un auteur ennuyeux" et démontre brillamment que l'ennui est partie prenante de la Recherche, une donnée nécessaire pour en venir à bout, tout comme il a été partie prenante de la vie de Proust, de sa période mondaine pour raccourcir, qu'il a dû lui-même surmonter pour en venir à l'écriture. "Le Côté de Guermantes nous plonge dans un monde dont un des traits caractéristiques est précisément que l'on s'y ennuie. Ce que le Narrateur - et le lecteur avec lui - découvre dans les salons de Mme de Guermantes et de Mme de Villeparisis, c'est la vanité des mondanités qui constituent le divertissement des personnages que l'on y croise." Si l'on accepte cela, alors la suite s'ouvre d'elle-même. "Autrement dit, il faut peut-être avoir éprouvé soi-même l'ennui du monde des salons pour saisir la vérité profonde de Proust, à savoir que les paradis sont ceux que l'on a perdus et que seule la littérature est à même de les sauver." Je suis prêt, à moi Sodome, à moi Gomorrhe.

JEUDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le droit à la paresse de Paul Lafargue (Le Passager clandestin, 2009). Lu et approuvé : le lecteur a posé le livre à côté de lui et dort comme un bienheureux.

SAMEDI.
IPAD. Le notulien Philippe Dulucq m'envoie une contribution à propos d'un problème qui a traversé l'IPAD des deux dernières livraisons, intitulée "Petite contribution au mystère de l'inadéquation des plaques d'église et des monuments aux morts". On y trouvera également de quoi réjouir les amateurs d'histoire littéraire :

La discordance entre le nombre de morts inscrits sur les monuments aux morts et les plaques posées dans les Eglises peut être due à des "resquilleurs" parce qu’on a interprété d’une façon un peu large la définition de "mort au champ d’honneur". José Corti dans ses Souvenirs désordonnés (10/18, domaine français, 1983), rapporte que sur une plaque de l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas figure le nom de l’écrivain Léon Bloy mort de sa belle mort dans son pavillon de Bourg-la-Reine en 1917 à l’âge de soixante et onze ans.

« Voici à quoi l’auteur du Mendiant ingrat doit cet honneur posthume inattendu. A sa mort, sa femme vint se fixer à Paris, rue Le Goff, et se trouva ainsi paroissienne de Saint-Jacques et probablement paroissienne assez assidue pour être reconnue du clergé. Bien accueillie par l’abbé Comte, son curé, elle lui parla de l’écrivain, des souffrances morales qui, pendant trois ans, avaient été les siennes. Car il avait ressenti la souffrance du soldat comme s’il eût été lui-même le combattant de la tranchée. Elle rapporta que tout au long de ces années de guerre, il n’avait cessé de gémir sur le sang répandu et de s’exclamer, au long de ces jours interminables : « Cette guerre me tue ! » « Cette guerre me tue ! » Il assumait la peine des hommes. Cette guerre me tue. Et Léon Bloy était mort. Le curé ne crut pas devoir refuser à cette pieuse veuve de mêler le nom du disparu aux noms de ceux de la paroisse qui étaient réellement tombés sur le front, puisque cette guerre l’avait tué – moralement. Je ne pense pas que le même sentiment charitable du curé de Saint-Jacques ait eu le moindre poids au ministère des Pensions… Il n’en reste pas moins fâcheux, en dépit du cocasse de l’affaire, qu’on puisse lire le nom de Léon Bloy sur la plaque des morts de la paroisse du Haut-Pas ! »

23 août 2008. 58 km. (8332 km).


4664 habitants

Je trouve un monument près de l’église mais il ne concerne que la Seconde Guerre mondiale; puis une stèle devant la mairie, mais c’est en l’honneur de l’enfant du pays, Maurice Barrès; rien au sommet de la ville, près de la gare. C’est une paroissienne en route pour la messe qui me donne la bonne direction : le monument se dresse devant la chapelle Notre-Dame-de-Grâce, sur la rue principale mais dans la direction de Nancy.

C’est tout un ensemble entouré par une guirlande de six obus placés en demi-cercle et reliés par une chaîne. Les piliers latéraux supportent chacun un coq et sont marqués d’une épée. Le pilier gauche porte l’inscription "3 août 1914 Aux armes citoyens", le pilier droit "11 novembre 1918 Gloire à nos Poilus". Sur la stèle centrale, un Poilu porte un drapeau, un autre, sur une avancée, est représenté en action, fusil à la main.

Face :

Aux enfants du canton

Morts pour la patrie

Erigé avec le concours du Souvenir français

Des communes vétérans et anciens combattants de 1870-1871

Passants saluez nos héros

Ne les pleurons plus

Ils sont entrés dans l’immortalité

* Sur une plaque des Monuments funéraires Thomas, 34 av. de la gare, 54 Bayon.

Droite :

Avillers Avrainville

Bouxurulles Chamagne

Charmes

Essegney Evaux-et-Ménil

Florémont Gircourt-lès-Viéville

Hergugney Marainville

Battexey Brantigny

Langley

Gauche :

Pont-sur-Madon

Portieux La Verrerie

Rapey Rugney

Savigny Socourt

Ubexy Vincey

Vomécourt-sur-Madon Xaronval

Varmonzey

Entre les piliers latéraux et la stèle centrale, deux portillons métalliques décorés d’une croix de Lorraine mènent à un parterre en demi-cercle, ceint d’un mur qui porte les noms des victimes, sur vingt colonnes, de C. ANTOINE à A. ZILLIOX. Les colonnes centrales sont surmontées d’une plaque de bronze représentant des Poilus au combat ainsi légendée : "La bataille de Rozelieures sauve de l’invasion la ville de Charmes 25 août 1914". C’est presque l’anniversaire.

L'Invent'Hair perd ses poils.



Pont-de l'Isère (Drôme), photo de Marc-Gabriel Malfant, 25 janvier 2007

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°450 - 13 juin 2010

LUNDI.
Lecture. La Patrouille de l'aube (The Dawn Patrol, Don Winslow, 2008; Editions du Masque, 2010 pour la traduction française, traduit de l'américain par Frank Reichert; 352 p., 22 €).
Don Winslow est un adepte du polar trépidant. Phrases courtes, fréquents retours à la ligne, récit au présent, péripéties à foison sont ses principaux ingrédients. Le plus souvent, et c'est encore le cas ici, le trépidant se transforme en embrouillé et le rythme finit par perdre le lecteur. Heureusement, il reste toujours une part intéressante car Don Winslow n'est pas du genre répétitif et aime situer ses intrigues dans des milieux particuliers toujours changeants peuplés de personnages remarquables : les requins de la presse à scandale et de la télévision dans A contre-courant du grand toboggan, les anciens du Golfe dans Vie et mort de Bobby Z, les surfeurs de San Diego dans La Patrouille de l'aube. L'histoire de cette partie de la Californie, les origines du surf et les moeurs de ses adeptes évoquées dans les quelques pauses ménagées dans le récit donnent lieu aux meilleures pages.

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MERCREDI.
Vie merdicale. Rendez-vous à l'hôpital de Saint-Avold pour Lucie. Bons résultats, puisque le taux d'hémoglobine glyquée est à 7,9, enfin en dessous de la barre du 8 souvent frôlée et jamais dépassée : 8,3, 8,2, 8,1... Ca n'a l'air de rien mais ce 8 paraissait aussi infranchissable que les dix secondes au cent mètres ou les 8 mètres 90 de Bob Beamon en leur temps. Les records sont faits pour être battus et certaines journées, comme celle-ci, pour être heureuses. Lucie peut d'autant plus l'être qu'elle ne doit ce résultat qu'à elle-même : notre rôle s'est estompé au fil du temps et elle gouverne désormais en solo ou presque ses contrôles, ses dosages et ses changements de cathéter.

JEUDI.
Lecture. Un coco de génie (Louis Dumur, Mercure de France, 1902; rééd. Tristram avec une postface de Jean-Jacques Lefrère, 2010; 216 p., 19 €).
Voici enfin, après une longue attente meublée de lectures pas toujours enthousiasmantes, le roman de l'année. Et le fait que ce soit de l'année 1902 ne change rien à l'affaire. Un coco de génie est un vrai roman, inventif, passionnant, bien écrit, drôle et loin d'être superficiel. Il raconte l'étrange histoire de Frédéric Loiseau, un jeune Parisien amené à séjourner quelques semaines à Donzy, petite bourgade de la Nièvre. Sur ces terres sévit le poète local, Charles Loridaine, qui ne manque pas une occasion de réciter ses vers lors des soirées locales pour le plus grand plaisir de ses compatriotes qui le moquent allègrement. Amené à subir l'une de ces soirées, Frédéric Loiseau est pris de la même sensation de malaise que Vincent Degraël, personnage du Voyage d'hiver de Georges Perec à la lecture du livre d'un certain Hugo Vernier découvert dans un grenier, "une sensation de malaise qu'il lui fut impossible de définir précisément, mais qui ne fit que s'accentuer au fur et à mesure qu'il tournait les pages du volume d'une main de plus en plus tremblante : c'était comme si les phrases qu'il avait devant les yeux lui devenaient soudain familières, se mettaient irrésistiblement à lui rappeler quelque chose, comme si à la lecture de chacune venait s'imposer, ou plutôt se superposer, le souvenir à la fois précis et flou d'une phrase qui aurait été presque identique et qu'il aurait déjà lue ailleurs [...] esquissant une configuration confuse où l'on croyait retrouver pêle-mêle Germain Nouveau et Tristan Corbière, Villiers et Banville, Rimbaud et Verhaeren, Charles Cros et Léon Bloy." Chez Perec, Degraël s'aperçoit que Vernier a écrit du Hugo avant Hugo, du Verlaine avant Verlaine, du Mallarmé avant Mallarmé. Pour Frédéric Loiseau, la chose est un peu différente : les vers que Loridaine prétend avoir composés l'ont déjà été par les plus illustres poètes. Il est même l'auteur d'un Loridan, prince d'Islande qui recopie Hamlet et d'un roman de moeurs dont l'héroïne, Emma, est l'épouse d'un certain docteur Pécari... Alors, Charles Loridaine, plagiaire ? Pas si simple et on ne dévoilera pas ici les raisons qui le rendent certain d'avoir lui-même composé certaines des plus belles pages de la littérature. Toujours est-il que Louis Dumur - le Dumur qui apparaît dans presque toutes les pages du Journal littéraire de Léautaud en sa qualité de bras droit d'Alfred Vallette au Mercure de France - fait de cette histoire un roman impeccable, tout en mesure. Mesure dans la peinture de la vie de province dont la critique ne tourne jamais à la charge, mesure dans la peinture des personnages qui ne sombre jamais dans la caricature, mesure dans le style, précis comme on l'aimait à l'époque mais pas précieux. Avec, pour enrober le tout, un humour d'une finesse parfaite qui ajoute au plaisir de la lecture.
Curiosité. Dans sa postface, Jean-Jacques Lefrère affirme qu'Un coco de génie n'est "en rien un roman à clefs". Certes. Cependant, en découvrant le nom du poète, Charles Loridaine, j'ai immédiatement reconstitué celui de Lorédan Larchey, conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal et auteur très actif du vivant de Dumur, contacté par Baudelaire au moment où celui-ci rêvait d'entrer à l'Académie française. Maintenant, pour ce qui est de connaître les éventuels rapports entre Dumur et Larchey (absent du Journal de Léautaud) et ce qui dans ceux-ci aurait pu susciter l'envie du premier de faire figurer le second sous des traits plutôt ridicules dans un de ses livres, il faudra faire appel à plus calé que moi.

SAMEDI.
Vie littéraire. "N'y venez pas. Il n'y a rien à voir. "En parlant de Jaligny-sur- Besbre dans Les Pieds dans l'eau, René Fallet se montrait prudent, soucieux de tenir à l'écart de son fief les fâcheux de tout poil. Et je me vois comme un fâcheux quand je vais à Jaligny. Aussi n'y vais-je qu'une fois par an sur la pointe des pieds pour la remise du Prix René-Fallet et je ne m'y attarde guère - cette année encore moins que les autres - de peur d'encombrer l'autochtone. Fallet avait raison : il ne faut jamais louer les endroits que l'on aime et je clamerai toujours haut et fort que Saint-Jean-du-Marché, mon havre vosgien, et Saint-Frion, mon paradis creusois, ne sont que trous à rats dont la laideur n'a d'égale que l'ennui qu'ils distillent. J'abandonne volontiers aux autres le reste de la planète et ses beautés.

IPAD. 31 août 2008. 36 km. (8368 km).


432 habitants

Le monument est à l’entrée du village, près d’un terrain de football en modèle réduit. La stèle de granit repose sur un parterre de pavés rosâtres, du type de ceux qui composent les zones piétonnes des communes tristes et les allées des pavillons sans joie.

Face :

Charmois à ses enfants

Morts pour la France

AUBERT Albert

AUBERT Auguste

AUBERT Edmond

AUBERT Marcel

BONTEMS Albert

1939-1944

POIGNON Joseph

VALDENAIRE Jeanne épouse LEVAUDEL

Gauche :

COLLOT Jules

ETIENNE Alphonse

FREMIOT Modeste

GEHIN Eloi

HARMAND Léon

HATON Albert

Droite :

MENTREL Alphonse

PIERROT Auguste

ROBERT Désiré

TASSIN Arthur

THIRIET Eugène

VALDENAIRE Marcel

Aldo Maccione s’appelait Tassin dans Mais où est donc passée la septième compagnie ? mais il n’avait pas de prénom.

L'Invent'Hair perd ses poils. Et colle à l'actualité.


Lévis, Québec (Canada), photo de François Bon, 21 avril 2010

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°451 - 20 juin 2010

LUNDI.
Lecture. 13 heures (13 Uur, Deon Meyer, Human & Rousseau, 2008; Le Seuil, coll. Policiers, 2010 pour la traduction française, traduit de l'anglais par Estelle Roudet; 464 p., 25 €).
Il n'ya pas que des souffleurs de trompettes en plastique en Afrique du Sud, il y a aussi des auteurs de polars dont Deon Meyer est le représentant le plus connu. On le pensait embarqué dans une longue série avec l'inspecteur Matt Joubert, héros de son premier roman (Jusqu'au dernier, 1999) mais il aura fallu attendre jusqu'à celui-ci, qui est son sixième, pour le retrouver, et encore, dans un rôle de comparse. C'est un autre policier du Cap, Benny Griessel, qui est ici aux commandes et qui doit faire face à deux affaires simultanées : sauver une jeune touriste américaine poursuivie par des tueurs et trouver le meurtrier d'un producteur de disques. Joubert et Griessel sont de la même espèce : "Le réchauffement politique global et le changement dans les relations raciales auraient dû avoir leur peau depuis longtemps, mais ils étaient encore là, deux vieux carnivores dans la jungle, membres raides, crocs émoussés, mais pas encore complètement inefficaces." Deon Meyer a choisi l'enquête en temps réel, les treize heures du titre désignant la durée totale de l'aventure. C'est donc une sorte de "13 heures chrono" mais Griessel n'est pas Jack Bauer et ne dispose pas des mêmes moyens, ce qui ne l'empêche pas de parvenir à son but au bout d'un parcours tourmenté. Le récit est tendu et ne suscite pas de baisse d'intérêt malgré ses nombreux méandres, c'est un tricot à mailles serrées qui laisse entrevoir par moments la réalité de la nouvelle Afrique du Sud, un pays qui ressemble à toutes les terres de polar (corruption, violence, réduction des effectifs de police) avec les problèmes ethniques en sus.

MARDI.
En feuilletant Livres Hebdo. Gavin Newsham, Le coffret du supporter, Gründ, 2010, 64 p. + 1 corne de brume, 1 perruque, 1 kit de maquillage, 19,95 € .

MERCREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). La Promesse des ténèbres de Maxime Chattam (Albin Michel, 2009).

Lecture. Maîtres et serviteurs (Pierre Michon, Verdier, 1990, 144 p., 12,50 €).
A découvrir les livres de Pierre Michon dans l'ordre de leur parution, on remarque la construction d'une espèce d'itinéraire, de déplacement dans la position de l'auteur. Celui-ci est toujours témoin, observateur, raconteur de vies qui finissent par ressembler à la sienne. On commence par les origines, la préhistoire creusoise, les Vies minuscules des humbles. Puis vient la découverte de l'art, l'éblouissement, Van Gogh, mais avec un intermédiaire lui aussi issu du menu peuple, le facteur de la Vie de Joseph Roulin. A l'étape suivante, celle de Maîtres et serviteurs, l'artiste passe au premier plan, sans autre truchement que celui du narrateur. Mais attention, là aussi on commence doucement : bien sûr il y a Goya mais pas n'importe quel Goya, celui des débuts que Michon nous présente comme simple copieur de tableaux de maîtres pour la cour d'Espagne, et surtout il y a un certain Lorentino d'Arezzo, obscur élève du maître Piero della Francesca. Après ce triptyque, Michon est mûr pour le génie et ce sera Rimbaud le fils, le volume suivant qu'il me reste à découvrir. Par cette progression, c'est sa propre évolution qu'il nous raconte : la naissance dans les ténèbres, la révélation, le travail de tâcheron avant d'atteindre la lumière. En prenant des peintres comme sujet, Michon justifie aussi son écriture, sa manière de mettre en scène, entièrement picturale avec ses portraits, ses scènes de genre, ses tableaux historiques, ses touches variées et même ses repentirs ("il tenait au bout d'une forte laisse un cochon - ou bien il portait dans ses bras, car dix livres ça n'est pas lourd et nous voulons bien qu'il pèse dans les dix livres, un petit cochon"). L'effet sur le lecteur est aussi sidérant que celui que peut produire un tableau de maître sur le spectateur : Michon interpelle, intrigue, déroute et finit par éblouir comme ici dans les dernières pages qui racontent la destinée du chef-d'oeuvre perdu de Lorentino d'Arezzo.

VENDREDI.
France 2 assassin. Le général Bigeard meurt trois jours après la diffusion d'Avoir 20 ans dans les Aurès, de René Vautier.

SAMEDI.
Football. Je n'entendrai parler que de cela lors de ma virée matinale : les propos que L'Equipe prête à Nicolas Anelka à l'encontre de Raymond Domenech. Au bistrot - c'est normal - au tabac, mais aussi à la boulangerie où le football alimente plus rarement les conversations convenues. Curieusement, ce ne sont pas les mots qui sont condamnés mais le fait que le journal les ait placés en une, comme si les termes employés ne constituaient pas la plus grande surprise. Il est vrai qu'ils ne sont que la traduction en langage football à front bas du "Casse-toi pauvre con" d'un haut dirigeant qui ne va sans doute pas manquer de sauter sur l'occasion pour nous donner des leçons de maintien, de respect et de beau langage.

IPAD. 14 septembre 2008. 47 km. (8415 km).


602 habitants

Quand je lui ai demandé mon chemin, l’autochtone, occupé à repeindre sa porte de garage, a lentement posé son pinceau et m’a répondu : « Qu’est-ce que vous voulez dire, par monument aux morts ? », ce qui m’a laissé un moment perplexe. Fallait-il avoir recours au mime ? Ma définition a dû être assez claire car il m’a indiqué la bonne direction. C’est que le monument n’est pas au centre, il est en bord de route, à la sortie du village. On se demande ce qui lui a valu un tel exil : c’est une magnifique composition, une grande stèle surmontée d’une Victoire ailée qui pose une couronne sur un Poilu en pierre blanche, touché en plein cœur. La scène se situe dans un vaste enclos gravillonné bordé de thuyas, avec quatre obus reliés par une lourde chaîne peinte en vert. Au pied de la stèle, des jardinières d’impatiens et de géraniums. Les fleurs sont soignées, la peinture est fraîche, les obus polis, les thuyas taillés, le gravier ratissé, la pierre éblouissante. C’est pimpant, voire coquet. Sur le socle, un macaron et une plaque du Souvenir français.

Face :

Charmois l’Orgueilleux

A ses enfants

Morts pour la France

1914-1918

Gauche :

1914

THIRIAT Abbé 9 août LEROY Louis 26 août

MUNIER Emile 19 " MUNIER Henri 29 septembre

GUENOT Henri 20 " SIMON Arthur 20 "

DUHOUX Georges 22 " FOMBARON Joseph 26 "

MUNIER Léon 25 " MOTTIER Joseph 4 décembre

1915

THOMAS Joseph 12 février TACHET Henri 9 juin

ANCEL Charles 15 mars PAYOT Maurice 17 "

LEVIEUX Auguste 24 avril THIEBAUT Léon 21 "

GROSJEAN Marc 2 mai BLANCHARD Eugène 26 juillet

FOMBARON Henri 5 " JACOTEZ Marcel 27 "

BLANCHARD Eugène 10 " PERNOT Lucien 18 août

PETITJEAN Paul 15 " SACHOT Adrien 25 septembre

GUICHARD Henri 15 " JACQUEMIN Elie 26 "

POIROT Léon 22 " DIDELOT Maurice 28 "

GRANDCLAUDON Léon " FLORENTIN Louis 30 octobre

THIEBAUT Camille

Droite :

1916

NOEL Henri 2 mars LEGAIN Constant 2 avril

DAVILLERD Paul 3 " ANDRE Emile 20 juillet

DROUOT Emile 4 " THIEBAUT Camille 6 septembre

ROUSSEL Henri 8 " MANGIN Léon 24 octobre

BRICE René 9 " MATHIEU Adrien 30 "

GROSJEAN Robert 31 " VAUTRIN Emile 22 novembre

1917

TACHET Joseph 10 février THIEBAUT Henri 22 avril

1918

LHUILLIER Marceau 30 mai MARTIN Camille 20 juillet

ENARD Joseph 12 juin MANIGUET Edmond 20 octobre

1919

COLNOT Camille 28 mai RENARD Eustache

DALBOURG Jules 1914 HABEMONT Eugène 1920

A gauche de cette dernière liste, une autre plaque :

Victimes de la guerre 1939-1945

11 noms, dont 2 DALBOURG

Le monument est signé :

On imagine la première semaine de mars 1916. Chaque jour, un homme de Charmois-l’Orgueilleux tombe au combat. On reconnaît les traces de la grande offensive de Falkenhayn sur Verdun.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Valence (Drôme), photo de Marc-Gabriel Malfant, 25 janvier 2007

Bon dimanche.

 

Notules dominicales de culture domestique n°452 - 27 juin 2010

LUNDI.
Lecture. Hypothermie (Haroskafi, Arnaldur Indridason, Forlagid, 2005; Métailié Noir coll. Bibliothèque nordique, 2010 pour la traduction française; traduit de l'islandais par Eric Boury; 304 p., 19 €).
Au fur et à mesure qu'il met en scène son personnage récurrent, ce commissaire Erlendur qui vit ici sa sixième enquête, Indridason le dépouille, le met à nu. Dans cette dernière parution, il ne passe même plus au commissariat, croise à peine un collègue de temps en temps. Il est isolé face à son enquête, un suicide apparemment banal qui finit par lui sembler suspect, et surtout face à lui-même. L'obsession qui le tient depuis le début de la série, la disparition d'un frère au cours d'une tempête de neige, l'a complètement dévoré et gouverne le moindre de ses actes, le conduisant notamment à rouvrir des dossiers poussiéreux dont personne ne se soucie. Sa ténacité, sa compassion pour les victimes et leurs familles lui permettront de retrouver ici deux personnes disparues depuis des années. Erlendur est donc seul dans ce livre, seul face à son passé, seul face à sa famille qui se recompose lentement sans que cela semble le toucher vraiment, seul face à la nature qu'il voit comme l'élément le plus criminel d'Islande, mais il suffit à le meubler de façon remarquable.

MERCREDI.
Lecture. Histoires littéraires n° 36 (octobre-novembre-décembre 2008, Histoires littéraires et Du Lérot éditeurs; 256 p., 25 €).
On sait que Jules Laforgue est un des auteurs choyés par Histoires littéraires qui lui a déjà consacré un dossier complet et fait régulièrement état de découvertes non publiées précédemment. C'est donc naturellement en ouverture de ce numéro que l'on découvre des "Notes inédites" sur l'infini et sur la mort qui font état des préoccupations métaphysiques du poète. Raymond Roussel est ensuite à l'honneur mais sur un plan inattendu puisqu'un article relate l'adaptation d'Impressions d'Afrique au théâtre, une gageure qui tint tout de même la scène plusieurs semaines entre 1911 et 1912, aux frais de l'auteur bien entendu : quelques photos instructives et la reproduction d'une partie du troisième acte viennent ici en témoigner. Pascal Durand parle du Tombeau de Théophile Gautier, hommage collectif de 1873 qui rassemble les cadors de l'époque, de Hugo à Mallarmé en passant par Mistral et Swinburne, et dans lequel il voit "l'oeuvre collective la plus significative du siècle, non pas seulement en ce qu'elle réunit plusieurs signatures, mais en ce qu'elle manifeste, au-delà des rivalités et des querelles esthétiques, la solidarité d'un corps symbolique : la littérature comme institution et comme espace social, aussi réalisée dans les faits qu'elle est déniée par les purs esprits qu'elle anime." Chateaubriand, Olivier Barrot et Francis Lacassin, auquel Daniel Compère rend hommage, viennent compléter ce numéro aux aspects très variés, qui se termine par les rubriques habituelles de Delfeil de Ton, de Jean-Paul Goujon, du notulographe et de l'ensemble de la rédaction sur les livres reçus.

Le Correspondancier du Collège de 'Pataphysique. Viridis Candela, 8e série, n° 9 (15 septembre 2009, 128 p., 15 €).
La Science n'a pas de frontières, c'est bien connu, et la 'Pataphysique qui l'est, la Science, ne connaît de limite "autant dans l'espace que dans le temps". Les émanations hors frontières du Collège s'appellent les Instituts et ce numéro leur est entièrement consacré. En route donc pour un tour d'horizon exotique permettant de découvrir les travaux de l'Institut Pataphysique Vestrogothique, de l'Académie néerlandaise pour la 'Pataphysique, de l'Instituto de Estudios Patafisicos de las Islas Adyacentes a la Terra Firme (sis à Curaçao), de l'Institut Limbourgeois de Hautes Etudes Pataphysiques (qui présente ici la version lipogrammatique en e d'Ubu roi par André Stas, dans laquelle le "Merdre" initial devient "Cacra boudrin" et la chandelle verte se transforme en lumignon coloris cornichon), du London Institute of 'Pataphysics et du Centre de Recherches Périphériscopiques, variante helvétique du Collège dont la publication, Le Périphériscope, semble valoir le détour. Du tourisme instructif, et à petit prix.
Curiosité. On trouve page 118 reproduction d'un petit bout de notule "de l'estimé Philippe Didion". Estimé, je n'en sais rien, honoré, j'en suis certain.

JEUDI.
Lecture. L'Attila du roman (Michel Brix, éditions Honoré Champion, coll. Essais n° 1, 2010; 208 p., s.p.m.).
"Flaubert et les origines de la modernité littéraire"
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

VENDREDI.
Vie associative. J'assiste à l'assemblée générale du club des supporters du Stade Athlétique Spinalien. Car je suis membre du club des supporters du Stade Athlétique Spinalien, section football, même si c'est un peu à mon corps défendant : le club a tout simplement décidé, à l'aube de la dernière saison, d'intégrer les titulaires d'un abonnement au stade. Et c'est comme ça qu'on se trouve membre du club des supporters du SAS avec la carte n° 28 et, à ce glorieux titre, convié à son assemblée générale, un événement que je ne souhaite pas manquer ne serait-ce que pour nourrir une notule. Car pour ce qui est de mon activité de supporter, je dois avouer qu'elle est assez réduite. A la Colombière, qui est le nom du stade de la ville et l'endroit le plus froid de la planète, j'ai commencé gamin, en pelouse, le long de la main courante qui n'était pas alors doublée de hauts grillages. L'âge aidant, j'ai gagné les tribunes en commençant par les rangées du bas et en grimpant les échelons au fil des saisons. Aujourd'hui, je suis au dernier rang, le plus haut, là où s'asseyaient les ancêtres quand j'étais petit. Je suis devenu un ancêtre du SAS. Les occupants de cet Olympe sont comme moi des vieux de la vieille. Ils se prénomment Christian, Bernard, Dédé, Pierrot, Jean-Paul, des vrais blazes de hooligans en charentaises. Quand j'arrive, je salue ceux qui sont déjà là d'un "Et voilà les diplômés du dernier rang !", ils font semblant de rigoler, ils sont bon public. Je m'assois à côté de mon pote P., qui a longtemps tenu l'accordéon pendant ma carrière de chanteur. Quand il fait trop froid, il apporte une couverture sous laquelle nous planquons nos gambettes, il ne nous manque que la tisane. Les diplômés du dernier rang ne chantent pas, ne brandissent pas d'écharpes ou de banderoles aux couleurs du club, ne s'accrochent pas torse nu aux grillages. Ils encouragent de la voix et du geste, râlent contre l'arbitre et les salopiots de Vesoul, d'Amnéville ou de Compiègne qui ne veulent pas se laisser battre gentiment. Ils ont tous, au fond du coeur, la nostalgie des années glorieuses, des trois campagnes en deuxième division, des soirs de match où l'on n'était pas trois cents mais quatre mille, des sorties de stade où il fallait des agents pour régler la circulation. Ils vivent les joutes du Championnat de France Amateur, où le SAS végète depuis des années, comme une punition et rêvent de nouvelles conquêtes. Ce sont de vieux grognards, des fidèles mais ce ne sont pas les vrais supporters. Les vrais supporters, ceux du club du même nom, ils sont en face, dans les gradins, là où il n'y a pas de sièges, rien que des travées en béton glacial. Ils sont une poignée, une vingtaine lors des grands rendez-vous, ils ont un tambour, parfois une trompette dont ils ne savent pas jouer, une banderole qui proclame "Fiers d'être Spinaliens" qui fait rigoler les spectateurs visiteurs quand il y en a et ils crient "Allez les jaunes" tout au long du match. A la fin, les joueurs locaux, un peu moins bégueules que ceux de l'équipe de France, ne manquent jamais d'aller les saluer et ils sont contents. Le samedi suivant, certains d'entre eux prendront leur auto, leur tambour, peut-être leur banderole, et ils s'appuieront des kilomètres de ruban pour aller voir leurs jaunes à Saint-Dizier, à Mulhouse ou à Dunkerque. C'est parfois long un voyage de retour quand on a pris quatre buts dans la musette mais rien ne leur fait peur. Les autres se contenteront d'aller voir jouer l'équipe B, l'équipe C, les cadets, les juniors, n'importe quoi pourvu que ça porte des chaussures à crampons et un maillot jaune avec un numéro dans le dos. Le reste du temps je ne sais ce qu'ils font, comment ils vivent, comment ils se débrouillent avec leur famille s'ils en ont une. En attendant, ils sont une dizaine rassemblés ce soir pour une réunion qui tourne vite à la pétaudière dans un grand concert de "moi je" qui m'a rappelé tous les travers associatifs dans lesquels je me suis perdu plus souvent qu'à mon tour. Finalement, je préfère mes diplômés du dernier rang.

SAMEDI.
Lecture. Bien connu des services de police (Dominique Manotti, Gallimard, coll. Série Noire, 2010; 224 p., 14,95 €).
On retrouve avec Dominique Manotti la Série Noire courte et sèche des grandes années. Un coup de transat antique à Saint-Jean-du-Marché en deux heures d'après sieste et c'est négocié. Il faut dire qu'il n'y a pas non plus de quoi s'attarder : Dominique Manotti présente la vie du commissariat de Panteuil, banlieue nord de Paris, coincé entre les squats, les barres d'immeubles et les terrains vagues qui abritent des trafics divers. Deux jeunes recrues sont plongées dans un quotidien peuplé de flics plus ou moins ripoux, proxénètes à leurs heures et rois de la bavure. C'est aussi subtil qu'un film d'Yves Boisset, manichéen à souhait, sauf qu'il manque une intrigue soignée à laquelle se raccrocher. Une fois lu, se tourner de l'autre côté et reprendre la sieste.

IPAD. 12 octobre 2008. 134 km. (8549 km).


60 habitants

Pas de monument apparent. Ce n’est pas vraiment une surprise au vu du nombre d’habitants. Le village, perdu sur les hauteurs de Senones, est minuscule mais vivant : des cheminées fument, des enfants crient, une Renault 8 Gordini passe en vrombissant. L’église est fermée, je monte jusqu’au cimetière. Là je trouve tout de même une stèle surmontée d’une croix. Sur les marches qui y mènent, des fleurs artificielles, des roses jaunes, dans des pots de grès qui ressemblent à des tronçons de colonne ou de fût quelconques. Une plaque au pied de la colonne indique « Ici terre de Dachau 1945 ».

Victimes de la Déportation

Camille RICHARD

Ernest GUIOT

Le cimetière présente une particularité : il contient très peu de tombes individuelles, mais des regroupements de familles, ce qui fait que sur chaque stèle ou presque se trouvent deux, trois, quatre noms de famille ou plus. La tombe qui se trouve à droite de la stèle abrite ainsi les familles DIDION-COLIN-TOUSSAINT-BALLAND-PRANG-THIRION, ce qui fait tout de même du monde.

L'Invent'Hair perd ses poils.


Paris, rue Max-Dormoy, photo de l'auteur, 22 février 2007

Bon dimanche.