Notules
dominicales de culture domestique n°449 - 6 juin 2010
DIMANCHE.
Vie linguistique (suite). On me l'a
fait gentiment remarquer et d'autres sans doute, s'ils se sont tus n'en
ont pensé pas moins : le terme de juron farci n'est pas du tout
approprié au phénomène qui nous occupe depuis deux
semaines dans la mesure où ce n'est pas le juron qui est farci
mais le mot à l'intérieur duquel il s'insère. Il
faudrait donc le nommer juron farce ou juron farceur mais le mal est fait
et nous conserverons l'appellation d'origine, qui, outre le fait qu'elle
sonne bien à l'oreille, participe un peu de l'air du temps. On
observe en effet depuis un moment un autre terme utilisé à
l'envers de ce qu'il signifie. Il s'agit du mot gourmand et c'est GN,
notulien et ancien compagnon d'armes sur le front de l'Est qui m'a fait
observer le glissement sémantique dont il fait l'objet. Gourmand
qui, à l'origine, s'applique à la personne coupable ou victime
de gourmandise, désigne de plus en plus le produit susceptible
de susciter cette gourmandise. Promenons-nous au supermarché :
Patrimoine gourmand (gamme de produits régionaux), assortiment
"café gourmand" (biscuits), 12 tartelettes "fruits
gourmands", 18 petits-fours "café gourmand", le
Saint-Albray, "crémeux et gourmand", etc. Allons au restaurant,
au détour, par exemple, d'un parcours gourmand ou d'un itinéraire
gourmand : il n'y est question que d'assiette gourmande, de dessert gourmand,
voire, là aussi, de café gourmand. Le Trésor de la
langue française a intégré ce sens puisqu'il ajoute
"où l'on mange bien" aux définitions habituelles
et relève qu'on parle d'une "région gourmande",
le Morvan en l'occurrence, dans un article d'Arts et loisirs datant de
1967. Désormais, il ne nous reste plus qu'à inventer le
juron gourmand.
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aux notules.
Lecture. Fifty-fifty
(Two-Way Split, Allan Guthrie, Le Masque, 312 p., 19 €).
Les auteurs de polars semblent former une communauté un peu plus
soudée que celle de leurs confrères en littérature
blanche. C'est peut-être à cause des salons et festivals
spécialisés qu'ils fréquentent, peut-être à
cause d'un complexe d'infériorité, toujours est-il qu'ils
n'hésitent pas à parler de façon louangeuse les uns
des autres et à se renvoyer l'ascenseur à qui mieux mieux.
On ne dira pas que les auteurs de littérature non spécialisée
ne montrent pas de temps à autre un brin d'estime pour le travail
de leurs collègues - on mettra de côté ici les lassants
flagorneurs du Figaro littéraire et, à l'opposé,
le cas de François Bon et de quelques-uns de son acabit qui passent
leur temps à mouiller le maillot pour défendre les autres
- mais la chaleur de l'hommage est en général proportionnelle
à la couche d'humus qui recouvre le cercueil des encensés.
En attendant, il n'y a, à ma connaissance, que dans la littérature
policière que l'on peut lire des compliments confraternels en quatrième
de couverture. Si je prends ce qui traîne aujourd'hui autour du
bureau, je vois que Stephen King vante Gillian Flynn, que Michael Connelly
porte aux nues Deon Meyer, Don Winslow et James Thompson, et je n'ai pas
le temps de fouiller ailleurs pour trouver d'autres exemples qui, j'en
suis sûr, abondent. Allan Guthrie étant écossais,
on s'est naturellement tourné vers le cador du polar écossais
pour pousser le petit nouveau. "Il faut absolument lire ce livre",
voilà, ça ne mange pas de pain et c'est signé Ian
Rankin, le créateur de l'inspecteur Rebus, le plus célèbre
flic d'Edimbourg. Edimbourg que l'on retrouve ici comme cadre d'une aventure
qui met en scène quelques dingues pas du tout doux dont l'un veut
la peau de l'autre qui a tué sa maman au cours d'un braquage raté.
C'est assez enlevé et intéressant pendant la première
moitié du roman et puis ça se délite complètement
au moment où l'auteur, pour illustrer la schizophrénie d'un
des personnages, se met à lui faire tenir des monologues à
deux voix dans lesquels on se perd totalement. "Il faut absolument
lire ce livre", disait donc Ian Rankin. On se demande s'il l'a lui-même
lu en entier. Qu'importe, Allan Guthrie doit être un bon copain,
il méritait bien ce petit coup de pouce du maître.
MARDI.
Lecture. Quinzinzinzili. L’univers
messacquien n° 9, avril 2010 (Société des amis de
Régis Messac; 32 p., 5 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
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MERCREDI.
Lecture. L'Idiot de la famille
(Jean-Paul Sartre, Gallimard, coll. Bibliothèque de philosophie,
1971-1972; trois volumes, respectivement 1104, 1032 et 664 p., s.p.m.).
"Gustave Flaubert de 1821 à 1857"
J'avais dit (notules
264, juillet 2006) que je parlerais un jour de mes livres volés.
Celui-là, c'est certain, en était un fameux. 2700 pages,
2 kilos 500, ça ne se pique pas sous le pas d'un cheval, je ne
dirai d'ailleurs pas où j'ai commis mon forfait mais que les notuliens
libraires attendent un instant avant d'envoyer leur demande de désabonnement,
je n'ai jamais volé dans une librairie. Je n'ai jamais volé
grand-chose d'ailleurs, des billes, quelques livres et encore, bien trop
peu pour faire une carrière à la Jean Genet. Il y eut d'abord
ce pavé de Sartre, puis un Petit Littré qui prenait
la poussière dans la salle d'un collège de Nancy où
je suis passé si brièvement que je n'en retrouve pas le
nom, je m'en sers toujours, et les Exercices de style de Queneau
en nrf 1947 enlevés d'une espèce de centre socio quelque
chose où ils devaient servir à des exercices d'expression
corporelle, c'est dire s'il est mieux chez moi. Il y eut aussi, fin 1984,
une opération d'envergure à laquelle j'ai participé
et qui n'était ni plus ni moins que le pillage systématique
d'une bibliothèque. J'étais en ce temps-là sous les
drapeaux et officiais à l'Ecole Militaire de Strasbourg où
j'avais réussi à me faire admettre en trichant un peu sur
mes diplômes. Le responsable de la bibliothèque était
aussi un appelé, un illuminé qui faisait une thèse
sur le "et" dans le Parménide de Platon, on voit
le genre de loustic, devenu une fois rendu à la vie civile l'éditeur
de Malebranche dans la Pléiade. Lorsqu'il apprit que l'Ecole Militaire
ne rouvrirait pas à la rentrée suivante, il décida
qu'il ne serait pas sain de laisser les livres de la bibliothèque
aux mains des militaires et en organisa l'exfiltration. Ce ne fut pas
un sac, il fallait tout de même que l'opération passe inaperçue,
et je ne récoltai dans l'affaire qu'un volume d'histoire littéraire
sans grand intérêt - bazardé depuis - ainsi que l'édition
1958 en Classiques Garnier des Fleurs du Mal qui est toujours la
seule que je possède. C'est tout. Il n'y a guère de quoi
fouetter un chat et, si jamais ce devait être le cas, les douze
années passées à lire L'Idiot de la famille,
à me perdre dans les abîmes de la construction sartrienne,
à explorer des tunnels de pages dont de je ne comprenais pas une
phrase constituent une punition largement à l'aune de la faute
originelle.
Le Côté de Guermantes (Marcel
Proust, Gallimard, 1920-1921, rééd. Gallimard, A la recherche
du temps perdu II, Bibliothèque de la Pléiade n°
101, édition établie et présentée par Pierre
Clarac et André Ferré, 1954; 1230 p., s.p.m.).
C'est, pour moi tout au moins, le passage délicat de la Recherche,
celui où il m'arrive de m'ennuyer plus souvent qu'à mon
tour. Celui à partir duquel, dans mes précédentes
lectures, j'ai préféré retourner dans la douceur
de Combray plutôt que de m'aventurer sur les noirs sentiers de Sodome
et Gomorrhe. Enfin, c'était le passage délicat de la Recherche
car cette nouvelle exploration a été un peu différente
grâce à un article lumineux de Jean Blain paru l'an dernier
dans un hors-série de Lire consacré à Proust. L'article
s'intitule "Un auteur ennuyeux" et démontre brillamment
que l'ennui est partie prenante de la Recherche, une donnée
nécessaire pour en venir à bout, tout comme il a été
partie prenante de la vie de Proust, de sa période mondaine pour
raccourcir, qu'il a dû lui-même surmonter pour en venir à
l'écriture. "Le Côté de Guermantes nous plonge
dans un monde dont un des traits caractéristiques est précisément
que l'on s'y ennuie. Ce que le Narrateur - et le lecteur avec lui - découvre
dans les salons de Mme de Guermantes et de Mme de Villeparisis, c'est
la vanité des mondanités qui constituent le divertissement
des personnages que l'on y croise." Si l'on accepte cela, alors la
suite s'ouvre d'elle-même. "Autrement dit, il faut peut-être
avoir éprouvé soi-même l'ennui du monde des salons
pour saisir la vérité profonde de Proust, à savoir
que les paradis sont ceux que l'on a perdus et que seule la littérature
est à même de les sauver." Je suis prêt, à
moi Sodome, à moi Gomorrhe.
JEUDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Le droit à la paresse de Paul Lafargue (Le Passager clandestin,
2009). Lu et approuvé : le lecteur a posé le livre à
côté de lui et dort comme un bienheureux.
SAMEDI.
IPAD. Le notulien Philippe Dulucq
m'envoie une contribution à propos d'un problème qui a traversé
l'IPAD des deux dernières livraisons, intitulée "Petite
contribution au mystère de l'inadéquation des plaques d'église
et des monuments aux morts". On y trouvera également de quoi
réjouir les amateurs d'histoire littéraire :
La discordance
entre le nombre de morts inscrits sur les monuments aux morts et les plaques
posées dans les Eglises peut être due à des "resquilleurs"
parce qu’on a interprété d’une façon un peu large
la définition de "mort au champ d’honneur". José
Corti dans ses Souvenirs désordonnés (10/18, domaine
français, 1983), rapporte que sur une plaque de l’église
Saint-Jacques-du-Haut-Pas figure le nom de l’écrivain Léon
Bloy mort de sa belle mort dans son pavillon de Bourg-la-Reine en 1917
à l’âge de soixante et onze ans.
«
Voici à quoi l’auteur du Mendiant ingrat doit cet honneur posthume
inattendu. A sa mort, sa femme vint se fixer à Paris, rue Le Goff,
et se trouva ainsi paroissienne de Saint-Jacques et probablement paroissienne
assez assidue pour être reconnue du clergé. Bien accueillie
par l’abbé Comte, son curé, elle lui parla de l’écrivain,
des souffrances morales qui, pendant trois ans, avaient été
les siennes. Car il avait ressenti la souffrance du soldat comme s’il
eût été lui-même le combattant de la tranchée.
Elle rapporta que tout au long de ces années de guerre, il n’avait
cessé de gémir sur le sang répandu et de s’exclamer,
au long de ces jours interminables : « Cette guerre me tue ! »
« Cette guerre me tue ! » Il assumait la peine des hommes.
Cette guerre me tue. Et Léon Bloy était mort. Le curé
ne crut pas devoir refuser à cette pieuse veuve de mêler
le nom du disparu aux noms de ceux de la paroisse qui étaient réellement
tombés sur le front, puisque cette guerre l’avait tué –
moralement. Je ne pense pas que le même sentiment charitable du
curé de Saint-Jacques ait eu le moindre poids au ministère
des Pensions… Il n’en reste pas moins fâcheux, en dépit du
cocasse de l’affaire, qu’on puisse lire le nom de Léon Bloy sur
la plaque des morts de la paroisse du Haut-Pas ! »
23 août
2008. 58 km. (8332 km).

4664
habitants
Je trouve
un monument près de l’église mais il ne concerne que la
Seconde Guerre mondiale; puis une stèle devant la mairie, mais
c’est en l’honneur de l’enfant du pays, Maurice Barrès; rien au
sommet de la ville, près de la gare. C’est une paroissienne en
route pour la messe qui me donne la bonne direction : le monument se dresse
devant la chapelle Notre-Dame-de-Grâce, sur la rue principale mais
dans la direction de Nancy.

C’est tout
un ensemble entouré par une guirlande de six obus placés
en demi-cercle et reliés par une chaîne. Les piliers latéraux
supportent chacun un coq et sont marqués d’une épée.
Le pilier gauche porte l’inscription "3 août 1914 Aux armes
citoyens", le pilier droit "11 novembre 1918 Gloire à
nos Poilus". Sur la stèle centrale, un Poilu porte un drapeau,
un autre, sur une avancée, est représenté en action,
fusil à la main.
Face :
Aux
enfants du canton
Morts
pour la patrie
Erigé
avec le concours du Souvenir français
Des
communes vétérans et anciens combattants de 1870-1871
Passants
saluez nos héros
Ne
les pleurons plus
Ils
sont entrés dans l’immortalité
* Sur une
plaque des Monuments funéraires Thomas, 34 av. de la gare, 54 Bayon.
Droite :
Avillers
Avrainville
Bouxurulles
Chamagne
Charmes
Essegney
Evaux-et-Ménil
Florémont
Gircourt-lès-Viéville
Hergugney
Marainville
Battexey
Brantigny
Langley
Gauche :
Pont-sur-Madon
Portieux
La Verrerie
Rapey
Rugney
Savigny
Socourt
Ubexy
Vincey
Vomécourt-sur-Madon
Xaronval
Varmonzey
Entre les
piliers latéraux et la stèle centrale, deux portillons métalliques
décorés d’une croix de Lorraine mènent à un
parterre en demi-cercle, ceint d’un mur qui porte les noms des victimes,
sur vingt colonnes, de C. ANTOINE à A. ZILLIOX. Les colonnes centrales
sont surmontées d’une plaque de bronze représentant des
Poilus au combat ainsi légendée : "La bataille de Rozelieures
sauve de l’invasion la ville de Charmes 25 août 1914". C’est
presque l’anniversaire.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Pont-de
l'Isère (Drôme), photo de Marc-Gabriel Malfant, 25 janvier
2007
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°450 - 13 juin 2010
LUNDI.
Lecture. La Patrouille de l'aube
(The Dawn Patrol, Don Winslow, 2008; Editions du Masque, 2010 pour
la traduction française, traduit de l'américain par Frank
Reichert; 352 p., 22 €).
Don Winslow est un adepte du polar trépidant. Phrases courtes,
fréquents retours à la ligne, récit au présent,
péripéties à foison sont ses principaux ingrédients.
Le plus souvent, et c'est encore le cas ici, le trépidant se transforme
en embrouillé et le rythme finit par perdre le lecteur. Heureusement,
il reste toujours une part intéressante car Don Winslow n'est pas
du genre répétitif et aime situer ses intrigues dans des
milieux particuliers toujours changeants peuplés de personnages
remarquables : les requins de la presse à scandale et de la télévision
dans A contre-courant du grand toboggan, les anciens du Golfe dans
Vie et mort de Bobby Z, les surfeurs de San Diego dans La Patrouille
de l'aube. L'histoire de cette partie de la Californie, les origines
du surf et les moeurs de ses adeptes évoquées dans les quelques
pauses ménagées dans le récit donnent lieu aux meilleures
pages.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
MERCREDI.
Vie merdicale. Rendez-vous à
l'hôpital de Saint-Avold pour Lucie. Bons résultats, puisque
le taux d'hémoglobine glyquée est à 7,9, enfin en
dessous de la barre du 8 souvent frôlée et jamais dépassée
: 8,3, 8,2, 8,1... Ca n'a l'air de rien mais ce 8 paraissait aussi infranchissable
que les dix secondes au cent mètres ou les 8 mètres 90 de
Bob Beamon en leur temps. Les records sont faits pour être battus
et certaines journées, comme celle-ci, pour être heureuses.
Lucie peut d'autant plus l'être qu'elle ne doit ce résultat
qu'à elle-même : notre rôle s'est estompé au
fil du temps et elle gouverne désormais en solo ou presque ses
contrôles, ses dosages et ses changements de cathéter.
JEUDI.
Lecture. Un coco de génie
(Louis Dumur, Mercure de France, 1902; rééd. Tristram avec
une postface de Jean-Jacques Lefrère, 2010; 216 p., 19 €).
Voici enfin, après une longue attente meublée de lectures
pas toujours enthousiasmantes, le roman de l'année. Et le fait
que ce soit de l'année 1902 ne change rien à l'affaire.
Un coco de génie est un vrai roman, inventif, passionnant, bien
écrit, drôle et loin d'être superficiel. Il raconte
l'étrange histoire de Frédéric Loiseau, un jeune
Parisien amené à séjourner quelques semaines à
Donzy, petite bourgade de la Nièvre. Sur ces terres sévit
le poète local, Charles Loridaine, qui ne manque pas une occasion
de réciter ses vers lors des soirées locales pour le plus
grand plaisir de ses compatriotes qui le moquent allègrement. Amené
à subir l'une de ces soirées, Frédéric Loiseau
est pris de la même sensation de malaise que Vincent Degraël,
personnage du Voyage d'hiver de Georges Perec à la lecture
du livre d'un certain Hugo Vernier découvert dans un grenier, "une
sensation de malaise qu'il lui fut impossible de définir précisément,
mais qui ne fit que s'accentuer au fur et à mesure qu'il tournait
les pages du volume d'une main de plus en plus tremblante : c'était
comme si les phrases qu'il avait devant les yeux lui devenaient soudain
familières, se mettaient irrésistiblement à lui rappeler
quelque chose, comme si à la lecture de chacune venait s'imposer,
ou plutôt se superposer, le souvenir à la fois précis
et flou d'une phrase qui aurait été presque identique et
qu'il aurait déjà lue ailleurs [...] esquissant une configuration
confuse où l'on croyait retrouver pêle-mêle Germain
Nouveau et Tristan Corbière, Villiers et Banville, Rimbaud et Verhaeren,
Charles Cros et Léon Bloy." Chez Perec, Degraël s'aperçoit
que Vernier a écrit du Hugo avant Hugo, du Verlaine avant Verlaine,
du Mallarmé avant Mallarmé. Pour Frédéric
Loiseau, la chose est un peu différente : les vers que Loridaine
prétend avoir composés l'ont déjà été
par les plus illustres poètes. Il est même l'auteur d'un
Loridan, prince d'Islande qui recopie Hamlet et d'un roman de moeurs
dont l'héroïne, Emma, est l'épouse d'un certain docteur
Pécari... Alors, Charles Loridaine, plagiaire ? Pas si simple et
on ne dévoilera pas ici les raisons qui le rendent certain d'avoir
lui-même composé certaines des plus belles pages de la littérature.
Toujours est-il que Louis Dumur - le Dumur qui apparaît dans presque
toutes les pages du Journal littéraire de Léautaud
en sa qualité de bras droit d'Alfred Vallette au Mercure de France
- fait de cette histoire un roman impeccable, tout en mesure. Mesure dans
la peinture de la vie de province dont la critique ne tourne jamais à
la charge, mesure dans la peinture des personnages qui ne sombre jamais
dans la caricature, mesure dans le style, précis comme on l'aimait
à l'époque mais pas précieux. Avec, pour enrober
le tout, un humour d'une finesse parfaite qui ajoute au plaisir de la
lecture.
Curiosité. Dans sa postface, Jean-Jacques Lefrère affirme
qu'Un coco de génie n'est "en rien un roman à
clefs". Certes. Cependant, en découvrant le nom du poète,
Charles Loridaine, j'ai immédiatement reconstitué celui
de Lorédan Larchey, conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal
et auteur très actif du vivant de Dumur, contacté par Baudelaire
au moment où celui-ci rêvait d'entrer à l'Académie
française. Maintenant, pour ce qui est de connaître les éventuels
rapports entre Dumur et Larchey (absent du Journal de Léautaud)
et ce qui dans ceux-ci aurait pu susciter l'envie du premier de faire
figurer le second sous des traits plutôt ridicules dans un de ses
livres, il faudra faire appel à plus calé que moi.
SAMEDI.
Vie littéraire. "N'y venez
pas. Il n'y a rien à voir. "En parlant de Jaligny-sur- Besbre
dans Les Pieds dans l'eau, René Fallet se montrait prudent, soucieux
de tenir à l'écart de son fief les fâcheux de tout
poil. Et je me vois comme un fâcheux quand je vais à Jaligny.
Aussi n'y vais-je qu'une fois par an sur la pointe des pieds pour la remise
du Prix René-Fallet et je ne m'y attarde guère - cette année
encore moins que les autres - de peur d'encombrer l'autochtone. Fallet
avait raison : il ne faut jamais louer les endroits que l'on aime et je
clamerai toujours haut et fort que Saint-Jean-du-Marché, mon havre
vosgien, et Saint-Frion, mon paradis creusois, ne sont que trous à
rats dont la laideur n'a d'égale que l'ennui qu'ils distillent.
J'abandonne volontiers aux autres le reste de la planète et ses
beautés.

IPAD.
31 août 2008. 36 km. (8368 km).

432
habitants
Le monument
est à l’entrée du village, près d’un terrain de football
en modèle réduit. La stèle de granit repose sur un
parterre de pavés rosâtres, du type de ceux qui composent
les zones piétonnes des communes tristes et les allées des
pavillons sans joie.

Face :
Charmois
à ses enfants
Morts
pour la France
AUBERT
Albert
AUBERT
Auguste
AUBERT
Edmond
AUBERT
Marcel
BONTEMS
Albert
1939-1944
POIGNON
Joseph
VALDENAIRE
Jeanne épouse LEVAUDEL
Gauche :
COLLOT
Jules
ETIENNE
Alphonse
FREMIOT
Modeste
GEHIN
Eloi
HARMAND
Léon
HATON
Albert
Droite :
MENTREL
Alphonse
PIERROT
Auguste
ROBERT
Désiré
TASSIN
Arthur
THIRIET
Eugène
VALDENAIRE
Marcel
Aldo Maccione
s’appelait Tassin dans Mais où est donc passée la septième
compagnie ? mais il n’avait pas de prénom.
L'Invent'Hair
perd ses poils.
Et colle à l'actualité.

Lévis, Québec (Canada), photo de François
Bon, 21 avril 2010
Bon
dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°451 - 20 juin 2010
LUNDI.
Lecture. 13 heures (13 Uur,
Deon Meyer, Human & Rousseau, 2008; Le Seuil, coll. Policiers, 2010
pour la traduction française, traduit de l'anglais par Estelle
Roudet; 464 p., 25 €).
Il n'ya pas que des souffleurs de trompettes en plastique en Afrique du
Sud, il y a aussi des auteurs de polars dont Deon Meyer est le représentant
le plus connu. On le pensait embarqué dans une longue série
avec l'inspecteur Matt Joubert, héros de son premier roman (Jusqu'au
dernier, 1999) mais il aura fallu attendre jusqu'à celui-ci,
qui est son sixième, pour le retrouver, et encore, dans un rôle
de comparse. C'est un autre policier du Cap, Benny Griessel, qui est ici
aux commandes et qui doit faire face à deux affaires simultanées
: sauver une jeune touriste américaine poursuivie par des tueurs
et trouver le meurtrier d'un producteur de disques. Joubert et Griessel
sont de la même espèce : "Le réchauffement politique
global et le changement dans les relations raciales auraient dû
avoir leur peau depuis longtemps, mais ils étaient encore là,
deux vieux carnivores dans la jungle, membres raides, crocs émoussés,
mais pas encore complètement inefficaces." Deon Meyer a choisi
l'enquête en temps réel, les treize heures du titre désignant
la durée totale de l'aventure. C'est donc une sorte de "13
heures chrono" mais Griessel n'est pas Jack Bauer et ne dispose pas
des mêmes moyens, ce qui ne l'empêche pas de parvenir à
son but au bout d'un parcours tourmenté. Le récit est tendu
et ne suscite pas de baisse d'intérêt malgré ses nombreux
méandres, c'est un tricot à mailles serrées qui laisse
entrevoir par moments la réalité de la nouvelle Afrique
du Sud, un pays qui ressemble à toutes les terres de polar (corruption,
violence, réduction des effectifs de police) avec les problèmes
ethniques en sus.
MARDI.
En feuilletant Livres Hebdo. Gavin
Newsham, Le coffret du supporter, Gründ, 2010, 64 p. + 1 corne
de brume, 1 perruque, 1 kit de maquillage, 19,95 € .
MERCREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). La
Promesse des ténèbres de Maxime Chattam (Albin Michel,
2009).
Lecture. Maîtres et serviteurs
(Pierre Michon, Verdier, 1990, 144 p., 12,50 €).
A découvrir les livres de Pierre Michon dans l'ordre de leur parution,
on remarque la construction d'une espèce d'itinéraire, de
déplacement dans la position de l'auteur. Celui-ci est toujours
témoin, observateur, raconteur de vies qui finissent par ressembler
à la sienne. On commence par les origines, la préhistoire
creusoise, les Vies minuscules des humbles. Puis vient la découverte
de l'art, l'éblouissement, Van Gogh, mais avec un intermédiaire
lui aussi issu du menu peuple, le facteur de la Vie de Joseph Roulin.
A l'étape suivante, celle de Maîtres et serviteurs, l'artiste
passe au premier plan, sans autre truchement que celui du narrateur. Mais
attention, là aussi on commence doucement : bien sûr il y
a Goya mais pas n'importe quel Goya, celui des débuts que Michon
nous présente comme simple copieur de tableaux de maîtres
pour la cour d'Espagne, et surtout il y a un certain Lorentino d'Arezzo,
obscur élève du maître Piero della Francesca. Après
ce triptyque, Michon est mûr pour le génie et ce sera Rimbaud
le fils, le volume suivant qu'il me reste à découvrir. Par
cette progression, c'est sa propre évolution qu'il nous raconte
: la naissance dans les ténèbres, la révélation,
le travail de tâcheron avant d'atteindre la lumière. En prenant
des peintres comme sujet, Michon justifie aussi son écriture, sa
manière de mettre en scène, entièrement picturale
avec ses portraits, ses scènes de genre, ses tableaux historiques,
ses touches variées et même ses repentirs ("il tenait
au bout d'une forte laisse un cochon - ou bien il portait dans ses bras,
car dix livres ça n'est pas lourd et nous voulons bien qu'il pèse
dans les dix livres, un petit cochon"). L'effet sur le lecteur est
aussi sidérant que celui que peut produire un tableau de maître
sur le spectateur : Michon interpelle, intrigue, déroute et finit
par éblouir comme ici dans les dernières pages qui racontent
la destinée du chef-d'oeuvre perdu de Lorentino d'Arezzo.
VENDREDI.
France 2 assassin. Le général
Bigeard meurt trois jours après la diffusion d'Avoir 20 ans
dans les Aurès, de René Vautier.
SAMEDI.
Football. Je n'entendrai parler que
de cela lors de ma virée matinale : les propos que L'Equipe
prête à Nicolas Anelka à l'encontre de Raymond Domenech.
Au bistrot - c'est normal - au tabac, mais aussi à la boulangerie
où le football alimente plus rarement les conversations convenues.
Curieusement, ce ne sont pas les mots qui sont condamnés mais le
fait que le journal les ait placés en une, comme si les termes
employés ne constituaient pas la plus grande surprise. Il est vrai
qu'ils ne sont que la traduction en langage football à front bas
du "Casse-toi pauvre con" d'un haut dirigeant qui ne va sans
doute pas manquer de sauter sur l'occasion pour nous donner des leçons
de maintien, de respect et de beau langage.
IPAD. 14 septembre 2008. 47 km. (8415
km).

602 habitants
Quand je
lui ai demandé mon chemin, l’autochtone, occupé à
repeindre sa porte de garage, a lentement posé son pinceau et m’a
répondu : « Qu’est-ce que vous voulez dire, par monument
aux morts ? », ce qui m’a laissé un moment perplexe. Fallait-il
avoir recours au mime ? Ma définition a dû être assez
claire car il m’a indiqué la bonne direction. C’est que le monument
n’est pas au centre, il est en bord de route, à la sortie du village.
On se demande ce qui lui a valu un tel exil : c’est une magnifique composition,
une grande stèle surmontée d’une Victoire ailée qui
pose une couronne sur un Poilu en pierre blanche, touché en plein
cœur. La scène se situe dans un vaste enclos gravillonné
bordé de thuyas, avec quatre obus reliés par une lourde
chaîne peinte en vert. Au pied de la stèle, des jardinières
d’impatiens et de géraniums. Les fleurs sont soignées, la
peinture est fraîche, les obus polis, les thuyas taillés,
le gravier ratissé, la pierre éblouissante. C’est pimpant,
voire coquet. Sur le socle, un macaron et une plaque du Souvenir français.

Face :
Charmois
l’Orgueilleux
A
ses enfants
Morts
pour la France
1914-1918
Gauche :
1914
THIRIAT
Abbé 9 août LEROY Louis 26 août
MUNIER Emile 19 " MUNIER Henri 29 septembre
GUENOT Henri 20 " SIMON Arthur 20 "
DUHOUX Georges 22 " FOMBARON Joseph 26 "
MUNIER Léon 25 " MOTTIER Joseph 4 décembre
1915
THOMAS
Joseph 12 février TACHET Henri 9 juin
ANCEL
Charles 15 mars PAYOT Maurice 17 "
LEVIEUX
Auguste 24 avril THIEBAUT Léon 21 "
GROSJEAN
Marc 2 mai BLANCHARD Eugène 26 juillet
FOMBARON Henri 5 " JACOTEZ Marcel 27 "
BLANCHARD Eugène 10 " PERNOT Lucien 18 août
PETITJEAN
Paul 15 " SACHOT Adrien 25 septembre
GUICHARD Henri 15 " JACQUEMIN Elie 26 "
POIROT Léon 22 " DIDELOT Maurice 28 "
GRANDCLAUDON Léon " FLORENTIN Louis 30 octobre
THIEBAUT
Camille
Droite :
1916
NOEL
Henri 2 mars LEGAIN Constant 2 avril
DAVILLERD Paul 3 " ANDRE Emile 20 juillet
DROUOT Emile 4 " THIEBAUT Camille 6 septembre
ROUSSEL Henri 8 " MANGIN Léon 24 octobre
BRICE René 9 " MATHIEU Adrien 30 "
GROSJEAN Robert 31 " VAUTRIN Emile 22 novembre
1917
TACHET
Joseph 10 février THIEBAUT Henri 22 avril
1918
LHUILLIER
Marceau 30 mai MARTIN Camille 20 juillet
ENARD Joseph 12 juin MANIGUET Edmond 20 octobre
1919
COLNOT
Camille 28 mai RENARD Eustache
DALBOURG Jules 1914 HABEMONT Eugène 1920
A gauche
de cette dernière liste, une autre plaque :
Victimes
de la guerre 1939-1945
11
noms, dont 2 DALBOURG
Le monument
est signé :

On imagine
la première semaine de mars 1916. Chaque jour, un homme de Charmois-l’Orgueilleux
tombe au combat. On reconnaît les traces de la grande offensive
de Falkenhayn sur Verdun.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Valence (Drôme), photo de Marc-Gabriel Malfant, 25 janvier 2007
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°452 - 27 juin 2010
LUNDI.
Lecture. Hypothermie (Haroskafi,
Arnaldur Indridason, Forlagid, 2005; Métailié Noir coll.
Bibliothèque nordique, 2010 pour la traduction française;
traduit de l'islandais par Eric Boury; 304 p., 19 €).
Au fur et à mesure qu'il met en scène son personnage récurrent,
ce commissaire Erlendur qui vit ici sa sixième enquête, Indridason
le dépouille, le met à nu. Dans cette dernière parution,
il ne passe même plus au commissariat, croise à peine un
collègue de temps en temps. Il est isolé face à son
enquête, un suicide apparemment banal qui finit par lui sembler
suspect, et surtout face à lui-même. L'obsession qui le tient
depuis le début de la série, la disparition d'un frère
au cours d'une tempête de neige, l'a complètement dévoré
et gouverne le moindre de ses actes, le conduisant notamment à
rouvrir des dossiers poussiéreux dont personne ne se soucie. Sa
ténacité, sa compassion pour les victimes et leurs familles
lui permettront de retrouver ici deux personnes disparues depuis des années.
Erlendur est donc seul dans ce livre, seul face à son passé,
seul face à sa famille qui se recompose lentement sans que cela
semble le toucher vraiment, seul face à la nature qu'il voit comme
l'élément le plus criminel d'Islande, mais il suffit à
le meubler de façon remarquable.
MERCREDI.
Lecture. Histoires littéraires
n° 36 (octobre-novembre-décembre 2008, Histoires littéraires
et Du Lérot éditeurs; 256 p., 25 €).
On sait que Jules Laforgue est un des auteurs choyés par Histoires
littéraires qui lui a déjà consacré un
dossier complet et fait régulièrement état de découvertes
non publiées précédemment. C'est donc naturellement
en ouverture de ce numéro que l'on découvre des "Notes
inédites" sur l'infini et sur la mort qui font état
des préoccupations métaphysiques du poète. Raymond
Roussel est ensuite à l'honneur mais sur un plan inattendu puisqu'un
article relate l'adaptation d'Impressions d'Afrique au théâtre,
une gageure qui tint tout de même la scène plusieurs semaines
entre 1911 et 1912, aux frais de l'auteur bien entendu : quelques photos
instructives et la reproduction d'une partie du troisième acte
viennent ici en témoigner. Pascal Durand parle du Tombeau
de Théophile Gautier, hommage collectif de 1873 qui rassemble les
cadors de l'époque, de Hugo à Mallarmé en passant
par Mistral et Swinburne, et dans lequel il voit "l'oeuvre collective
la plus significative du siècle, non pas seulement en ce qu'elle
réunit plusieurs signatures, mais en ce qu'elle manifeste, au-delà
des rivalités et des querelles esthétiques, la solidarité
d'un corps symbolique : la littérature comme institution et comme
espace social, aussi réalisée dans les faits qu'elle est
déniée par les purs esprits qu'elle anime." Chateaubriand,
Olivier Barrot et Francis Lacassin, auquel Daniel Compère rend
hommage, viennent compléter ce numéro aux aspects très
variés, qui se termine par les rubriques habituelles de Delfeil
de Ton, de Jean-Paul Goujon, du notulographe et de l'ensemble de la rédaction
sur les livres reçus.
Le Correspondancier du Collège de 'Pataphysique. Viridis Candela,
8e série, n° 9 (15 septembre 2009, 128 p., 15 €).
La Science n'a pas de frontières, c'est bien connu, et la 'Pataphysique
qui l'est, la Science, ne connaît de limite "autant dans l'espace
que dans le temps". Les émanations hors frontières
du Collège s'appellent les Instituts et ce numéro leur est
entièrement consacré. En route donc pour un tour d'horizon
exotique permettant de découvrir les travaux de l'Institut Pataphysique
Vestrogothique, de l'Académie néerlandaise pour la 'Pataphysique,
de l'Instituto de Estudios Patafisicos de las Islas Adyacentes a la
Terra Firme (sis à Curaçao), de l'Institut Limbourgeois
de Hautes Etudes Pataphysiques (qui présente ici la version lipogrammatique
en e d'Ubu roi par André Stas, dans laquelle le "Merdre"
initial devient "Cacra boudrin" et la chandelle verte se transforme
en lumignon coloris cornichon), du London Institute of 'Pataphysics
et du Centre de Recherches Périphériscopiques, variante
helvétique du Collège dont la publication, Le Périphériscope,
semble valoir le détour. Du tourisme instructif, et à petit
prix.
Curiosité. On trouve page 118 reproduction d'un petit bout de notule
"de l'estimé Philippe Didion". Estimé, je n'en
sais rien, honoré, j'en suis certain.
JEUDI.
Lecture. L'Attila du roman
(Michel Brix, éditions Honoré Champion, coll. Essais n°
1, 2010; 208 p., s.p.m.).
"Flaubert et les origines de la modernité littéraire"
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
VENDREDI.
Vie associative. J'assiste à
l'assemblée générale du club des supporters du Stade
Athlétique Spinalien. Car je suis membre du club des supporters
du Stade Athlétique Spinalien, section football, même si
c'est un peu à mon corps défendant : le club a tout simplement
décidé, à l'aube de la dernière saison, d'intégrer
les titulaires d'un abonnement au stade. Et c'est comme ça qu'on
se trouve membre du club des supporters du SAS avec la carte n° 28
et, à ce glorieux titre, convié à son assemblée
générale, un événement que je ne souhaite
pas manquer ne serait-ce que pour nourrir une notule. Car pour ce qui
est de mon activité de supporter, je dois avouer qu'elle est assez
réduite. A la Colombière, qui est le nom du stade de la
ville et l'endroit le plus froid de la planète, j'ai commencé
gamin, en pelouse, le long de la main courante qui n'était pas
alors doublée de hauts grillages. L'âge aidant, j'ai gagné
les tribunes en commençant par les rangées du bas et en
grimpant les échelons au fil des saisons. Aujourd'hui, je suis
au dernier rang, le plus haut, là où s'asseyaient les ancêtres
quand j'étais petit. Je suis devenu un ancêtre du SAS. Les
occupants de cet Olympe sont comme moi des vieux de la vieille. Ils se
prénomment Christian, Bernard, Dédé, Pierrot, Jean-Paul,
des vrais blazes de hooligans en charentaises. Quand j'arrive,
je salue ceux qui sont déjà là d'un "Et voilà
les diplômés du dernier rang !", ils font semblant de
rigoler, ils sont bon public. Je m'assois à côté de
mon pote P., qui a longtemps tenu l'accordéon pendant ma carrière
de chanteur. Quand il fait trop froid, il apporte une couverture
sous laquelle nous planquons nos gambettes, il ne nous manque que la tisane.
Les diplômés du dernier rang ne chantent pas, ne brandissent
pas d'écharpes ou de banderoles aux couleurs du club, ne s'accrochent
pas torse nu aux grillages. Ils encouragent de la voix et du geste, râlent
contre l'arbitre et les salopiots de Vesoul, d'Amnéville ou de
Compiègne qui ne veulent pas se laisser battre gentiment. Ils ont
tous, au fond du coeur, la nostalgie des années glorieuses, des
trois campagnes en deuxième division, des soirs de match où
l'on n'était pas trois cents mais quatre mille, des sorties de
stade où il fallait des agents pour régler la circulation.
Ils vivent les joutes du Championnat de France Amateur, où le SAS
végète depuis des années, comme une punition et rêvent
de nouvelles conquêtes. Ce sont de vieux grognards, des fidèles
mais ce ne sont pas les vrais supporters. Les vrais supporters, ceux du
club du même nom, ils sont en face, dans les gradins, là
où il n'y a pas de sièges, rien que des travées en
béton glacial. Ils sont une poignée, une vingtaine lors
des grands rendez-vous, ils ont un tambour, parfois une trompette dont
ils ne savent pas jouer, une banderole qui proclame "Fiers d'être
Spinaliens" qui fait rigoler les spectateurs visiteurs quand il y
en a et ils crient "Allez les jaunes" tout au long du match.
A la fin, les joueurs locaux, un peu moins bégueules que ceux de
l'équipe de France, ne manquent jamais d'aller les saluer et ils
sont contents. Le samedi suivant, certains d'entre eux prendront leur
auto, leur tambour, peut-être leur banderole, et ils s'appuieront
des kilomètres de ruban pour aller voir leurs jaunes à Saint-Dizier,
à Mulhouse ou à Dunkerque. C'est parfois long un voyage
de retour quand on a pris quatre buts dans la musette mais rien ne leur
fait peur. Les autres se contenteront d'aller voir jouer l'équipe
B, l'équipe C, les cadets, les juniors, n'importe quoi pourvu que
ça porte des chaussures à crampons et un maillot jaune avec
un numéro dans le dos. Le reste du temps je ne sais ce qu'ils font,
comment ils vivent, comment ils se débrouillent avec leur famille
s'ils en ont une. En attendant, ils sont une dizaine rassemblés
ce soir pour une réunion qui tourne vite à la pétaudière
dans un grand concert de "moi je" qui m'a rappelé tous
les travers associatifs dans lesquels je me suis perdu plus souvent qu'à
mon tour. Finalement, je préfère mes diplômés
du dernier rang.
SAMEDI.
Lecture. Bien connu des services
de police (Dominique Manotti, Gallimard, coll. Série Noire,
2010; 224 p., 14,95 €).
On retrouve avec Dominique Manotti la Série Noire courte et sèche
des grandes années. Un coup de transat antique à Saint-Jean-du-Marché
en deux heures d'après sieste et c'est négocié. Il
faut dire qu'il n'y a pas non plus de quoi s'attarder : Dominique Manotti
présente la vie du commissariat de Panteuil, banlieue nord de Paris,
coincé entre les squats, les barres d'immeubles et les terrains
vagues qui abritent des trafics divers. Deux jeunes recrues sont plongées
dans un quotidien peuplé de flics plus ou moins ripoux, proxénètes
à leurs heures et rois de la bavure. C'est aussi subtil qu'un film
d'Yves Boisset, manichéen à souhait, sauf qu'il manque une
intrigue soignée à laquelle se raccrocher. Une fois lu,
se tourner de l'autre côté et reprendre la sieste.
IPAD. 12 octobre 2008. 134 km. (8549
km).

60 habitants
Pas de monument
apparent. Ce n’est pas vraiment une surprise au vu du nombre d’habitants.
Le village, perdu sur les hauteurs de Senones, est minuscule mais vivant
: des cheminées fument, des enfants crient, une Renault 8 Gordini
passe en vrombissant. L’église est fermée, je monte jusqu’au
cimetière. Là je trouve tout de même une stèle
surmontée d’une croix. Sur les marches qui y mènent, des
fleurs artificielles, des roses jaunes, dans des pots de grès qui
ressemblent à des tronçons de colonne ou de fût quelconques.
Une plaque au pied de la colonne indique « Ici terre de Dachau 1945
».

Victimes
de la Déportation
Camille
RICHARD
Ernest
GUIOT
Le cimetière
présente une particularité : il contient très peu
de tombes individuelles, mais des regroupements de familles, ce qui fait
que sur chaque stèle ou presque se trouvent deux, trois, quatre
noms de famille ou plus. La tombe qui se trouve à droite de la
stèle abrite ainsi les familles DIDION-COLIN-TOUSSAINT-BALLAND-PRANG-THIRION,
ce qui fait tout de même du monde.
L'Invent'Hair
perd ses poils.

Paris, rue Max-Dormoy, photo de l'auteur, 22 février 2007
Bon dimanche.
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