Notules
dominicales de culture domestique n°467 - 7 novembre 2010
DIMANCHE.
Lecture. Nestor Burma dans l'île
(Léo Malet, Fleuve Noir, coll. Spécial Police n° 771,
1970; rééd. in Léo Malet 3, "Dernières
enquêtes de Nestor Burma", Robert Laffont, coll. Bouquins,
1987, édition établie par Francis Lacassin; 1092 p., 100
F).
En 1970, Léo Malet est au coeur d'une période noire. Il
a interrompu la série des "Nouveaux mystères de Paris",
l'envie n'y est plus, le moral est en berne, lui-même l'avouera
dans son autobiographie : "L'inspiration m'a fui. Entre 1967 et 1972,
j'ai quand même fait l'effort d'écrire sept bouquins pour
le Fleuve Noir, mais le coeur n'y était pas tout à fait.
J'étais atteint d'une sorte de dépression qui m'empêchait
de travailler..." (La vache enragée, Hoëbeke,
1988). Car il faut bien faire bouillir la marmite. Pour ce, l'auteur a
recours à ce qu'il nomme le "ressemelage" : il reprend
un de ses romans, publié chez Ferenczi en 1952, L'Île
de la mort, sous le pseudonyme de Louis Refreger et le met à
la mode Burma. Celui-ci prend la place du détective originel, Hector
Duclapas, et le cadre est épousseté pour coller à
une époque plus moderne. Pour orienter ses futurs exégètes,
Léo Malet dédie le livre à Louis Refreger et le tour
est joué. Ce ressemelage est bien fait, il ne se laisse pas deviner
au fil d'une lecture superficielle mais on est loin de la force poétique
et de la richesse littéraire qui nichaient dans les aventures parisiennes
du détective. C'est un Burma sans conviction qui met ici le mystère
knock-out, la gouaille du personnage et son habileté à mélanger
les registres sont toujours présents mais la dépression
dont se plaint son créateur semble l'avoir atteint.
Extrait. "Je n'éprouvais aucune curiosité particulière
pour le monument aux morts de ce bled, qui devait être ce même
genre d'horreur, due au ciseau d'un sculpteur sans talent, comme on en
a érigé dans toutes les communes de France depuis 1918,
et qui constitue, à mon avis, une insulte aux pauvres bougres qui
se sont fait trouer la paillasse, mais, finalement, je fus conduit à
y jeter un coup d'oeil. [...] C'était l'affreuse pièce montée
attendue, en saindoux solidifié. Un coq gaulois, plus bête
que nature, le surmontait, et, sur le coq, s'était perché
un moineau qui, à mon approche, se débina à tire-d'aile."
LUNDI.
Vie merdicale. Lucie a rendez-vous
à l'hôpital de Saint-Avold. La dernière visite, en
juillet, avait révélé des résultats encourageants,
ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Des hauts, des bas, "c'est
le diabète" dit le docteur K. On ne sait où aura lieu
la prochaine visite : le service pédiatrie doit être rattaché,
nul ne sait quand, à l'hôpital de Forbach. Le docteur K,
qui a passé des années à former une équipe
de pointe sur les pompes à insuline, ne sait même pas si
celle-ci pourra le suivre. C'était notre rubrique "Joies et
grandeurs de la santé publique".
Lecture. Georges Perec ou la littérature
au singulier pluriel (Franck Evrard, Milan, coll. Les Essentiels,
2010; 64 p., s.p.m.).
Ce petit ouvrage constitue un très bon condensé de ce qu'il
faut savoir sur l'homme et l'oeuvre. Chaque double page présente
un aspect de celles-ci en privilégiant la thématique à
la chronologie. L'auteur a su englober les dernières voies de la
recherche perecquienne, notamment l'ouverture sur l'art contemporain qui
fait l'objet du dernier numéro des Cahiers Georges Perec.
On y trouve également des éléments peu connus, comme
le détournement des Choses par Jean-Luc Godard dans Masculin
féminin. C'est très rapide bien sûr, on s'adresse
ici à un public vraisemblablement étudiant mais une bonne
révision de cette sorte ne fait de mal à personne.
MARDI.
En feuilletant Livres Hebdo. Découvert
dans la page "Annonces classées", sous la rubrique "Divers"
: "Dans L'odyssée Cendrars (Ecriture, 2010, pp. 190-192) M.
Patrice Delbourg a utilisé un long passage de l'article de M. Jérôme
Meizoz "Blaise Cendrars antisémite" (Le Courrier,
Genève, 5 avril 2007), sans le créditer. Le présent
avis tient lieu d'accord entre les parties." Ce n'est pas la première
fois que l'intéressé, qui aime tant les calembours qu'on
a du mal à ne pas le surnommer Patriche Delbourg, se fait prendre
les doigts dans le pot de confiture.
MERCREDI.
Courrier. J'envoie aux autorités
aptonymiques ma récolte automnale - à laquelle certains
notuliens ont participé, merci - qui me semble d'un niveau passable
: un Bütt gardien de but, un Adant chirurgien dentiste, un Tinet
entrepreneur dans le sanitaire, un Puaux odorologue, un Wajsbrot nutritionniste,
un Bouffare restaurateur, un Duchemin qui travaille dans le chemin de
fer, un enseignant nommé Lemaître, et un diacre nommé
Claude Chapelle.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
JEUDI.
TV. En regardant Max et les ferrailleurs
(Claude Sautet, France, 1971) me vient l'idée d'un chantier totalement
inutile et donc essentiel : établir une échelle tabagique
des films de Claude Sautet. Sur cette échelle, Max et les ferrailleurs
arriverait, à vue de nez, juste après Vincent, François,
Paul et les autres dont tous les plans sont embrumés par des
volutes de fumée. Le fait que Michel Piccoli soit encore vivant
après avoir tourné dans ces deux films est à soi
seul une aberration sanitaire. Parce qu'attention, chez Sautet, pas d'anglaises
ni de bouts dorés : on pétune du lourd, Boyard, Gitane,
Gauloise à la rigueur mais pour les dames. Aujourd'hui, à
une époque où on ne fume plus que dans les films turcs,
Claude Sautet passerait son temps au tribunal à répondre
aux procès pour tabagisme passif intentés par tous les membres
de son équipe technique.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
Lecture. L'Affaire N'Gustro
(Jean-Patrick Manchette, Gallimard, coll. Série Noire n° 1407;
rééd. in Jean-Patrick Manchette "Romans noirs",
Gallimard, coll. Quarto, 2005, 1344 p., 29,50 €).
Cela saute aux yeux, c'est d'une évidence imparable, et je ne suis
sans doute pas le premier à le souligner : le Houellebecq des bons
jours, celui des Particules élémentaires, plus encore
celui d'Extension du domaine de la lutte doit énormément
à Manchette. L'Affaire N'Gustro, à vingt-cinq ans
de distance, présente tous les ingrédients qui ont fait
de Houellebecq un auteur vilipendé ou adulé : personnage
central cynique, rapports humains sordides fondés sur l'exploitation,
langue soigneusement méprisante, sexe glauque, sans oublier le
talent de mener une histoire et de conduire le lecteur par le bout du
nez vers des endroits qu'il n'a pas forcément envie de visiter.
A l'époque, Manchette n'a pas reçu non plus que des louanges
et il a fallu un certain cran à Robert Soulat, directeur de la
Série Noire, pour le publier. Cependant, le côté novateur
et provocateur fut presque totalement éclipsé par le poids
politique du récit, dans lequel tout le monde n'a voulu voir qu'un
décalque de l'affaire Ben Barka. Par conséquent, on l'a
lu trop longtemps comme un roman à clefs, pour le plus grand énervement
de Manchette qui disait à François Guérif avoir mis
ses "tripes" dans ce roman. Un roman qu'il trouvait d'ailleurs
"très violent et ordurier. Imparfait, surtout en ce qui concerne
la fin". Peut-être, mais c'est aussi un roman fulgurant qui
sidère encore aujourd'hui : on ne rencontre pas souvent dans
la littérature un salaud aussi accompli qu'Henri Butron, son personnage
principal.
VENDREDI.
Transhumance. La dernière fois
que nous étions allés en quatuor à Paris, il avait
fallu écourter le séjour pour des raisons sanitaires. Aujourd'hui,
c'est le départ qui a bien failli ne pas avoir lieu. Ma faute,
la faute à ma carcasse. Le mal qui me poursuit depuis deux semaines
est à son apogée et je déguste salement. La cortisone
qui m'avait soulagé hier et avant-hier semble avoir perdu ses effets
magiques. Petit à petit, j'arrive à me mettre en route et
nous embarquons. Cachet après cachet, le mal s'estompe, je roupille
et, une fois Paris gagné, j'arrive à conserver une verticalité
somnambulique. Nous passons rapidement de l'Ibis gare de l'Est aux ibis
rouges du Jardin des Plantes, la forme retrouvée et la bonne humeur
de mon brelan d'infirmières me mettent même au bord de l'euphorie.
Je redoute cependant le lever de demain et plus encore le retour aux affaires
scolaires prévu pour jeudi. J'ai réussi à faire bonne
figure la semaine dernière, j'aurai passé des radios entre-temps,
mais si j'en suis à baver des ronds de chapeau du calibre de ceux
de ce matin, cela risque d'être délicat.
SAMEDI.
Vie parisienne. L'air de Paris a des
vertus insoupçonnées : je me réveille quasiment ingambe
et je peux suivre le programme touristique du jour dont le point culminant
est la visite du musée Grévin. Après un spectacle
moyen destiné à réguler le flux des visiteurs, on
pénètre dans le saint des saints cireux. On comprend vite
la règle du jeu, qui consiste à se faire prendre en photo
en compagnie de telle ou telle personnalité. Autant dire qu'on
ne se bouscule pas auprès de la statuette sarkozyenne. A chacun
sa vedette donc : Caroline fait les yeux doux à Julien Clerc, Alice
surplombe Mimi Mathy, Lucie se travestit en Miss France et serre une louche
à Ludovic Cruchot. Quant à moi, je me colle une maïs
dans le clapoir et prends la pose aux côtés du Dabe en personne,
on a les idoles de son temps, Jean Gabin.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Colmar (Haut-Rhin), photo de l'auteur, 11 juillet 2007
L'inscription
sur la vitrine est légèrement différente de celle
de l'enseigne mais contient l'incontournable apostrophe qui la rend identique
à celle du salon de Golbey parue dans le n° 381.
DIMANCHE.
Vie parisienne. Où l'on retourne
au Jardin des Plantes. Cela fait trop longtemps que les énormes
vertèbres du rorqual commun me narguent de l'autre côté
de la verrière quand je traverse le jardin de part en part, il
faut que j'aille voir le reste, soit la Galerie de Paléontologie
et d'Anatomie comparée. Ce n'est pas un intitulé très
affriolant mais c'est ce qui me plaît, ici comme dans les pavillons
de la ménagerie : pas d'audioguides, pas de muséographie
à la quai Branly, pas de mise en scène ou, pire encore,
de mise en espace mais des vitrines en verre, des étagères
et des tiroirs en bois, des étiquettes en carton qui semblent encore
porter l'écriture des secrétaires de Buffon ou de Daubenton.
Vous voulez de la science, vous aurez de la science, mais sans fanfreluches.
Il est temps d'en profiter, cet état de fait ne durera pas éternellement
: on vient d'ouvrir, dans une autre partie du Muséum, une "galerie
des enfants" qui, jusqu'à plus ample informé, ne me
dit rien qui vaille. Alors profitons-en. Ce n'est pas tous les jours qu'il
nous sera donné à voir un foie de girafe, des poumons de
casoar, un cerveau de cynocéphale papion ou un caecum de ouistiti
à pinceaux. La vitrine consacrée à la tératologie
a aussi ses adeptes mais inutile d'y chercher les parties génitales
de Léopold Bloom (atteint d'hypospadias), elles sont conservées
ailleurs si l'on en croit James Joyce ("I suggest that the parts
affected should be preserved in spirits of wine in the national teratological
museum"). Et puis, quand les yeux sont fatigués, il reste
du plaisir à saisir par les oreilles. L'occasion nous en est offerte
aujourd'hui par un spécimen d'un genre que j'affectionne particulièrement,
celui du Père Pédagogue. Le Père Pédagogue
n'est pas celui qui se lève le matin en disant d'un ton faussement
désintéressé à son entourage "Et si on
retournait au Jardin des Plantes ?", non le Père Pédagogue
a fait de la pédagogie prévisionnelle, lui dirait "en
amont". Il a dûment chapitré sa marmaille, l'a préparée
aux beautés qui s'apprêtent à lui être offertes
et quand il arrive sur les lieux convoités, il peut être
sûr de produire son effet. "Vois-tu, Jonathan, nous sommes
dans la Grande Galerie de l'Evolution. Alors dis-moi, Jonathan, qu'est-ce
que l'évolution ?" Là, le Père Pédagogue
se rengorge, ébouriffe sa caroncule capillaire et enfle du jabot,
il fait la roue avec les pans de son loden pendant que le pauvre Jonathan
ânonne ce qu'on lui a dit de dire au lieu d'envoyer paître
son Trissotin de père en lui faisant simplement remarquer que la
Grande Galerie de l'Evolution se trouve à trois cents mètres
de là, pauvre pomme, de l'autre côté du jardin. Brave
Père Pédagogue, fleuron des files d'attente et des salles
de musée, on devrait te rémunérer pour la joie que
tu me procures. Quant à vous, les filles, oui c'est à vous
que je m'adresse, et solennellement s'il vous plaît, ne manquez
pas de m'avertir si un jour je prends le pli de ressembler à celui
qui nous a tant réjouis ce dimanche : profitez, ne vous gênez
pas, soyez futiles, continuez à vous gaver de Joséphine
ange gardien et des Simpson, continuez à lire Public et
Le Journal de Mickey, continuez à apprendre l'anglais avec
Charlie Winston et la poésie avec Christophe Maé, continuez
à m'infliger Virgin Radio ad nauseam, continuez à
converser sur Facebook ou je ne sais quoi dans votre improbable volapük
avec des écervelés de votre espèce, les fâcheux
sont là, tapis dans l'ombre, ils vous guettent, vous attendent,
ne comptez pas sur moi pour en rajouter.
LUNDI.
Vie (fin de). JiP était arrivé
de Dijon il y a une vingtaine d'années pour ouvrir un magasin de
musique à Epinal, rue Notre-Dame-de-Lorette. Il logeait en face,
dans un vrai bouge qui ne fut que la première adresse d'une liste
propre à décourager les agendas les plus prévoyants.
S. ne tarda pas à le tirer de là et à investir avec
lui des logements plus salubres, lui donnant au passage un joli brin de
fille en espérant que si lui-même n'avait que faire du confort,
il aurait peut-être plus d'égards pour celui de son entourage.
La boutique de JiP devint bientôt un carrefour important pour les
musiciens de la ville, pas les bien coiffés, plutôt ceux
qui grenouillaient dans les groupes à deux ronds. JiP avait du
matériel, il sonorisait leurs prestations, mais les groupes à
deux ronds, par définition, ça ne nourrit pas son homme
et il avait dû fermer boutique pour s'établir ailleurs, comme
employé cette fois d'un marchand de musique plus important. Entre-temps,
je l'avais entraîné, il m'avait entraîné, on
nous avait tous deux entraînés plutôt, je ne sais plus,
dans deux aventures musicales. La première eut comme principal
mérite d'être brève, la seconde allait nous occuper
quelques années de façon autrement gratifiante. Ce furent
des années mouvementées. Le groupe s'appelait Garlamb'Hic,
il serait trop long ici d'expliquer pourquoi - j'avais confié un
jour à un journaliste qu'il s'agissait d'un hommage rendu à
Judy Garland et à Jean Robic, ce que le plumitif s'était
empressé de répéter dans son canard, en y ajoutant
les notices biographiques de ces deux personnalités recopiées
sur un dictionnaire. Dans Garlamb'Hic,
JiP tenait les claviers. Les quelques années d'avance qu'il avait
sur nous en terme d'état-civil l'autorisaient à regarder
d'un oeil bienveillant et amusé les frasques et les débordements
dont nous nous rendions coupables plus souvent qu'à notre tour
et à colmater les brèches que cela induisait. Ce qui signifie
que, en plus de son rôle de musicien, il jouait aussi ceux de régisseur,
de technicien, de sonorisateur, de nounou, de modérateur et de
chauffeur quand l'intempérance nous gagnait. Quand le concert était
terminé et que nous autres, soiffards comme pas deux, nous agglutinions
au bar, lui commençait patiemment à enrouler ses câbles.
J'ai eu du mal à retrouver une photo de lui en action car il s'installait
toujours le plus loin possible, bien planqué derrière les
guitares à gros ventre, au risque de basculer de la scène
ou, plus sûrement, de disparaître par la porte des cabinets
parce que ce n'était quand même pas l'Olympia tous les soirs.
Son fils passait sur France Musique et s'apprêtait à faire
une belle carrière de compositeur au cinéma, lui jouait
dans les bars à bière tiède et s'en trouvait des
plus heureux. Cela dit, il fallait aussi se l'appuyer, le JiP, infichu
qu'il était de se souvenir des titres des morceaux et de l'ordre
dans lequel ils devaient être joués. Il aurait pu, comme
nous, les noter et les scotcher à ses pieds mais je crois que je
ne l'ai jamais vu écrire un seul mot. A quoi bon, d'ailleurs, je
ne l'ai jamais vu lire une ligne non plus. Chez lui, la vie se passait
au naturel, sans filtre, sans intermédiaire. Mercredi dernier,
j'ai téléphoné à JiP, un truc pour la guitare
d'Alice. Le lendemain, je suis passé à son magasin. "Fermeture
exceptionnelle". Tu parles d'une exception. JiP avait été
victime de deux infarctus consécutifs dans la nuit et se trouvait
au CHU de Nancy dans une situation des plus critiques. L'avouerai-je ?
Je n'étais pas tellement inquiet. Dans le groupe, nous étions
trois à avoir été braver la camarde sur son propre
terrain et à en revenir, auréolés de vie et de gloire,
avec nos noms inscrits en capitales au tableau d'honneur de la chirurgie
transplantatoire et de la maxillo-faciale. JiP connaissait le chemin,
il allait nous emboîter le pas et si un jour le groupe devait se
reformer, on l'appellerait les Trompe-la-mort. D'ailleurs, au retour de
Paris, hier soir, les nouvelles étaient rassurantes : l'opération
s'était bien passée, la surveillance et l'appareillage étaient
allégés, on commençait à parler de réveil.
Et puis, deux heures plus tard, l'annonce d'un nouvel arrêt cardiaque.
JiP est mort dans la nuit. Aujourd'hui, les trompe-la-mort ne trompent
plus personne.

MARDI.
En feuilletant Livres Hebdo. Jean-Marc
Khoury, L'histoire de l'arc à travers le timbre-poste, Papier
libre 2010, 216 p., 20 €.
MERCREDI.
Lecture. Les Cahiers de l'Institut
n° 4 (Institut International de Recherches et d'Explorations sur les
Fous Littéraires, 2009; 146 p., sur abonnement).
Les revues, à quelques exceptions près, sont éphémères.
C'est ce qui leur donne de la valeur : les plus recherchées
des revues surréalistes ou dadaïstes n'ont connu que quelques
numéros. Les Cahiers de l'Institut s'arrêtent au numéro
4, on leur souhaite de devenir aussi précieux que leurs illustres
prédécesseurs. Il y avait pourtant de quoi faire avec ce
territoire à peine défriché des fous littéraires,
après avoir présenté, dans les premiers numéros,
leurs figures tutélaires, Paulin Gagne, Jean-Pierre Brisset et
le marquis de Camarasa dont on trouve ici reproduite la quinzième
Causerie brouettique, consacrée à l'iconographie. Au moins
aura-t-on eu le temps de se pencher longuement sur le cas d'Hersilie Rouy,
beau cas de croisement entre le délire de persécution et
l''internement arbitraire, et sur des figures plus obscures, Octave Delepierre
par exemple, un des pionniers de la recherche sur les fous littéraires,
sans oublier la cohorte des anti-coperniciens, adversaires du système
héliocentrique qui n'ont pas encore dit leur dernier mot.
JEUDI.
Vie littéraire. Parution de
ma chronique sur l'Anthologie
des Papous dans Vosges Matin de ce jour.
Vie liturgique. Je demande à
écorner légèrement ma journée de travail et
file à Dijon en compagnie de Caroline. Le dernier concert de JiP
se tient en l'église Saint-Bernard, boulevard Alexandre Ier de
Yougoslavie, ce qui explique peut-être que le curé ressemble
à un pope onctueux. Les trompe-la-mort sont là, ainsi que
plusieurs représentants de leur public de l'époque. En dépit
parfois de tranches de vie commune assez considérables, nous sommes
un certain nombre à ne plus nous voir qu'aux enterrements. Fatalement,
nous sommes de moins en moins nombreux, les églises sont de plus
en plus grandes, de plus en plus vides, de plus en plus froides.
VENDREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour).
Danielle Steel, Eternels célibataires (Pocket, 2008).
SAMEDI.
IPAD. 15 mars 2009. 128 km. (10175
km).

353 habitants
C'est une
plaque grise, fixée au mur de l'église, au-dessus d'un parterre
de pensées, dans un petit enclos entouré d'une grille noire
en fer forgé.

Coinches
A
ses enfants
Morts
pour la France
1914-1918
BERTRAND
Charles Capitaine
FRANÇOIS
Paul Sergent
CUNY
Robert Brigadier
BAILLY
Jules Soldat
BELON
Eugène id
SURMELY
Aimé id
CUNIN
Paul id
COLIN
Henry id
MASSON
Edmond id
Une plaque
de marbre blanc a été ajoutée :
A
nos morts
1939-1945
Augustine
CUNIN
Jean
CAMARA
Emile
NICOLE
Pierre
LITIQUE
Une dame
arrive, en chaussons, alors que je suis en train de recopier les noms
: "Vous cherchez des morts qui ne sont pas encore morts ?" Elle
me fait remarquer que les lettres des noms ont besoin d’être redorées,
une opération qu’elle a entreprise sur la tombe de sa famille qu’elle
tient à me montrer. Je la félicite pour son initiative et
je repars.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Colmar (Haut-Rhin), photo de l'auteur, 11 juillet 2007
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°468 - 14 novembre 2010
DIMANCHE.
Vie littéraire. Je m'abonne
au Périphériscope, une publication helvétique
très liée au Collège de 'Pataphysique. J'ai déjà
pu en lire quelques numéros, envoyés gracieusement à
l'abonné potentiel. On y trouve beaucoup de coupures de presse
involontairement comiques à mi-chemin entre la rubrique "A
travers la presse déchaînée" du Canard enchaîné
et les volumes de la série La réalité dépasse
la fiction d'Albert Aycard et Jacqueline Franck, un concours du concours
le plus con, un mémorial des commémorations mémorables,
et bien d'autres choses plutôt réjouissantes. On regrette
que le Centre de Recherches Périscopiques, dont cette publication
est l'émanation, ait récemment perdu sa tête de turc
préférée en la personne de Jacques Chessex : Le Périphériscope
abrite en effet les travaux, des plus vachards, de l'Association Romande
de Chessexologie "qui étudie l'extrême justesse de ton
avec lequel Jacques Chessex, prix Goncourt 1973, dit toujours du bien
de ses oeuvres". On trouve aussi dans ces pages, fort densément
remplies, des brèves originales qui ne manquent pas de piquant.
En voici un exemple, tiré du numéro 49, juin 2010, rubrique
"Quotidien".
Notre spécialiste vous répond.
"Comment peut-on savoir s'il fait chaud ou s'il fait froid ?"
(Mlle Angèle, Aurillac).
Réponse. Peut-être avez-vous vu des testicules, ou plus exactement
le scrotum qui leur sert d'enveloppe. Quand il fait froid, la peau se
rétracte et les deux glandes collent au corps, comme vous et moi.
Quand le temps se réchauffe, les glandes reprennent leurs distances;
et plus il fait chaud, plus les bourses descendent.
Vous avez compris que c'est le mouvement inverse du liquide dans le thermomètre.
L'inconvénient avec le thermomètre, c'est qu'on n'en a pas
toujours sous la main.
LUNDI.
Joies des listes. La liste, "the
nucleus of philosophy" selon un personnage de Fitzgerald dans
This Side of Paradise. Je passe pas mal de temps à lire
des listes, parfois à la recherche d'un renseignement précis,
plus souvent par simple plaisir du vagabondage. Les listes de personnes
ont ma préférence, il est rare que je n'en tire pas une
satisfaction quelconque : index, ours, monuments aux morts, compositions
d'équipes, génériques, pétitions, tout fait
ventre. Même les listes d'élèves, pourtant réduites,
peuvent révéler des choses intéressantes et commandent
la géographie des classes qui me subissent : Dupont et Durand seront
voisins, Grandjean sera assis à côté de Petitjean
et Lahache côtoiera Duchêne, on ne discute pas. En lisant
dans La Quinzaine littéraire du moment la rubrique "Il
y a quarante ans dans La Quinzaine" qui offre la liste des
collaborateurs et des articles parus à l'époque, j'ai été
ravi de voir que le nom de Gilbert Lascault, l'inamovible critique artistique
de cette publication, était orthographié Gilbert Lascaux,
comme s'il appartenait à la préhistoire de La Quinzaine.
Il m'a fallu, autre exemple, patienter jusqu'à l'index qui figure
en clôture d'Entre miens, de François Caradec, pour
y découvrir une coquille. Hier se déroulait un grand match
de football. Pas le pâlichon PSG - OM que Canal + s'évertue
à nous présenter comme un événement incontournable,
pas le Real - Atletico trop tôt bouclé par les Merengue mais
plutôt agréable à suivre, mais le match qui fit trembler
le Portugal, un FC Porto - Benfica Lisbonne atomique (5-0). En lisant
la liste des joueurs, je suis tombé sur le Lisboète Kardec
que j'avais déjà repéré la semaine dernière
dans un match contre Lyon. J'ai fait une recherche et suis tombé
sur ce que je n'osais espérer : Kardec se prénomme Alan.
Ce qui en fait l'homonyme de Léon Rivail (1804-1869), plus connu
sous le nom d'Alan (ou Allan) Kardec, auteur du Livre des Esprits
et considéré comme l'introducteur du spiritisme en France.
Le footballeur Kardec est la réincarnation du spirite Kardec qui
disait être la réincarnation du druide Kardec. Pas étonnant,
avec ça, que Benfica ait reçu une volée à
Porto : c'est une équipe de fantômes.
MARDI.
En feuilletant Livres Hebdo. Philippe
Sassier, Le jour se lève quand la nuit tombe, M.de Maule,
2010, 220 p., 19 €.
SAMEDI.
Football. SA Epinal - Chasselay-Monts
d'Or Azergues Foot 5 - 0.
IPAD. 22 mars 2009. 146 km. (10321
km).

592 habitants
Le monument
est situé devant l’église, clocher à bulbe, l’Alsace
est proche. Le Poilu leur tourne le dos, à l’église et à
l’Alsace. Il a le fusil en mains et l’œil sur l’horizon. Le socle de granit
est au milieu d’un parterre entouré d’une grille basse. Deux piliers,
bas aussi, surmontés de deux vasques noires, marquent une ouverture
dont le portail a disparu. Les plantes sont grillées par le gel.
1914-1918
Aux
enfants de la commune de Colroy-la-Grande
Morts
pour la Patrie
Et
aux victimes civiles de la Grande Guerre
Gauche :
1914
DIEUDONNE
Jh Alphonse
KESSLER
Gustave Constt
LARSIMON
Emile
NICOLE
Charles Jh
TONNELIER
Georges
1915
ANCEL
Stanislas
BALY
Jh Eugène
DURAND
Lis Camille
GUILLAUME
Alphonse Jh
HISSLER
Alphonse
MOLL
Ernest
NOEL
Mie Jh Alphonse
PIERREZ
Jh Auguste
PARMENTIER
Constant Nas
RENAUX
Aimé Jh
SCHRAMM
Jh Prosper
SIMON
Emile Lucien
VERNIER
Joseph
Dos :
1870-1871
MANGIN
Jean-Baptiste
BALTHAZARD
Jean-Baptiste
CLAUDE
Eugène
MASSON
Constant
REMY
Justin
GERARD
Joseph
Victimes
civiles
1916
BRIGNON
Paule
FREY
Madeleine
MARTIN
Mie Lucie
MODRY
Mie Madeleine
REMY
Hélène Mie Clemce
TOUSSAINT
Henriette
1918
BIETRIXE
Victor
HAOURY
Mie Louise
HUMBERT
Mie Victorine
MAIRE
Joseph
Droite
1916
ANCEL
Jean-Baptiste
BOËGLY
Joseph
1917
ANTOINE
Augte Mie Victorin
BRIGNON
Paul
DONTENVILLE
Xavier Constt
DURAND
Jh Jules
1918
DELAGOUTTE
Paul
MODRY
Aloïse
1919
GRANDJEAN
Jules
ROUSSEL
Cle Edouard
1939-1945
GERRIER
André
RABER
Raymond
VALENTIN
Albert
GRANDADAM
Emile
Déportés
GARDON
André
ROUSSEL
Serge
SCHEROMM
Louis
La statue
est signée POURQUET Paris 1921.
A Colroy-la-Grande,
selon toute évidence, les garçons s’appellent Joseph (Jean-Baptiste
à la rigueur) et les filles Marie : 8 sur 44 (18%) pour les premiers,
5 sur 13 (38%) pour les secondes. Le pompon à cette victime de
1915, Noël Marie Joseph, une crèche à lui tout seul.
En revenant du cimetière, je m’aperçois que je préfère
le monument comme ça, de dos, avec son Poilu en veilleur. Il me
rappelle alors celui de Saint-Amand-Jartoudeix (Creuse).

L'Invent'Hair
perd ses poils.

Colmar (Haut-Rhin), photo de l'auteur, 11 juillet 2007
Enseigne
énigmatique car le jeu de mots est à usage local uniquement
: le salon Schongau'Hair est situé rue Schongauer.
Bon dimanche.
Notules
dominicales de culture domestique n°469 - 28 novembre 2010
DIMANCHE.
Lecture. Entre miens. D'Alphonse
Allais à Boris Vian (François Caradec, Flammarion, 958
p., 35 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
Courriel. Une demande d'abonnement
aux notules.
LUNDI.
Vie littéraire. Je boucle et
envoie pour mise en page le Bulletin de l'Association Georges Perec
n° 57.
MARDI.
Vie notulienne. Il fallait bien que
ça arrive un jour. Les notules sont en deuil : un avis de décès
paru dans Le Monde du jour m'apprend la mort de Francis Grossmann,
notulien. Je crois que c'est à son propos que j'écrivais
ce qui suit dans une notule de décembre 2002 : "Toile.
Je reçois une demande d'abonnement aux notules. J'y réponds
favorablement, bien sûr, mais non sans appréhension : je
ne connais pas du tout le demandeur, qui devient mon premier abonné
qui ne soit ni un ami, ni une connaissance, ni un ami d'ami, ni une connaissance
de connaissance, ni une connaissance d'ami, ni un ami de connaissance,
toutes personnes qui, du fait de leur appartenance à un de ces
statuts, me lisent avec une certaine mansuétude." Francis
Grossmann fut une des premières, sinon la première personne
à me faire confiance au point d'accepter de me lire sans me connaître.
Il faisait partie du très envié premier paquet des destinataires,
servis les premiers chaque dimanche. Comme je l'écrivais à
l'époque, sa demande m'avait impressionné, intimidé,
une sensation qui ne s'est pas arrangée au fil du temps. Francis
Grossmann tenait lui aussi un blog, Ciscoblog,
à peu près contemporain des premières notules et
c'est là que j'appris à le connaître, même s'il
nous arrivait de correspondre directement de temps à autre. Il
m'intimidait pour plusieurs raisons : il était adulte (ce que j'ai
toujours du mal à concevoir pour ma propre personne), Parisien
(né boulevard Saint-Michel), psychiatre (il voyait donc clair dans
mon jeu), lettré, amateur de théâtre, de Perec, de
Roubaud, de Philip Roth et de bien autres choses ou êtres estimables.
Je ne l'ai jamais rencontré mais je ne désespérais
pas de le faire un jour, je connaissais ses points d'ancrage, le Rostand,
le Boul'Mich, le Luco, la librairie Compagnie, des lieux où je
traîne aussi de temps en temps. Pour le saluer une dernière
fois, je recopie une autre notule, parue dans le numéro 194 du
23 janvier 2005, qui lui était particulièrement destinée.
Vie parisienne (suite). Je suis de
bonne heure au Louvre, je passe une heure salle 13, aile Richelieu, 2e
étage, à travailler sur ma Mémoire louvrière
sans voir personne. Je ne m'attarde pas, j'ai un autre projet pour la
matinée, une sorte de pèlerinage personnel qui me conduit
d'abord en métro jusqu'à Censier. Je démarre de la
coquette rue Lagarde où toutes les places de stationnement sont
prises. Je gagne la rue Mouffetard où le marché bat son
plein, trouve le marchand de journaux en face du torréfacteur Marc.
Devant le café Le Verre à Pied, un aboyeur vend Charlie
Hebdo : "Achetez Charlie Hebdo, y'a des palindromes, c'est rigolo
!". Je bois un jus au comptoir, feuillette le Charlie de la maison
sans y trouver la queue, ni, par définition, la tête d'un
palindrome... Je poursuis la descente, square Saint-Médard et son
vrai faux chanteur de rues qui distribue des partitions, et pousse la
porte de la librairie L'Arbre à lettres. Puis demi-tour, direction
la Contrescarpe, je passe sous le porche des immeubles modernes qui conduit
à la rue Pierre-Brossolette dans le prolongement de la rue de Épée-de-Bois
("École de garçons", photo), tourne au coin de
l'extension 1930 de Normale Sup', traverse la rue d'Ulm, enfile la rue
Thullier, traverse la rue Gay-Lussac, continue par la rue des Ursulines,
débouche rue Saint-Jacques en face de l'Institut National des Jeunes
Sourds (fondé par l'abbé de Épée et où
officia le grand Itard, celui précisément qu'interprète
lui-même François Truffaut dans L'Enfant sauvage), y marche
vingt mètres, traverse encore, prends la rue de l'Abbé-de-Épée,
longe et effleure de la paume de ma main le mur de l'institut sur lequel
l'inscription DÉFENSE D'AFFICHER, LOI DU 21 JUILLET 1889 a presque
disparu (il faut avoir de bonnes lectures pour connaître son existence,
voir ici), traverse la rue Henri-Barbusse, et, enfin, prends pied sur
le boulevard Saint-Michel où s'achèvent à la fois
mon pèlerinage et mon exercice d'impli-citation.
MERCREDI.
Courrier. J'envoie un mot à
la famille de Francis Grossmann. J'ai appris, par le Net, qu'il était
mort dans un accident de voiture. Son site est toujours actif. Avec la
disparition de son auteur se pose la question de ce que nous deviendrons
sur le Net quand notre tour viendra. Faut-il laisser les choses en l'état,
donner des instructions au cas où, prévoir le pire ? Et
puis comment fait-on disparaître un site ? Pensée ici pour
les godelureaux qui tentent en vain, de peur qu'un employeur éventuel
ne tombe dessus pas du tout par hasard, d'effacer des archives du Net
la photo où ils figurent, hilares, avec une fille sans linge sur
les genoux. Je n'ai pas encore d'avis là-dessus mais il faudra
bien y penser un jour.
JEUDI.
Vie capillaire. Je pars pour Paris
par le 16 heures 26. Sitôt hors du dur, je me fais couper les douilles
(incolores) chez un Pakistanais de la rue Saint-Laurent. L'enseigne ne
vaut rien pour l'Invent'Hair mais l'équipement du merlan,
qui confine au médiéval, vaut le détour. Et j'ai
beau être un grand garçon dénué de préjugés,
quand il s'approche de ma jugulaire armé de son coupe-chou, j'ai
du mal à ne pas voir un yatagan.
Lecture. Le Prédateur
(Blood Trail, C.J. Box, G.P. Putnam's Sons, New York, 2010, pour
l'édition originale, Le Seuil, coll. Policiers, 2010 pour la traduction
française, traduit de l'américain par Aline Weill; 312 p.,
21 €).
C'est la neuvième fois que C.J. Box nous donne rendez-vous avec
Joe Pickett, garde-chasse du Wyoming. Une série discrète
qui a connu quelques zones de basse pression mais qui continue à
susciter l'intérêt, la technique de l'auteur pour mener son
histoire s'étant beaucoup améliorée depuis ses débuts.
Le petit Pickett souffre-douleur de son administration que l'on a connu
au début a laissé place à un personnage plus dense
et plus décidé. C'est un tueur de chasseurs qui le défie
ici dans une intrigue basée sur un procédé éprouvé
puisque déjà utilisé, aux moins à deux reprises,
par William Irish. La sympathie reconnue entre les vieux pots et les bonnes
soupes étant toujours d'actualité, on a là un polar
de fort bonne tenue, bien ramassé et efficace.
VENDREDI.
Vie parisienne. XIVe Colloque des
Invalides au Centre Culturel Canadien, rue de Constantine : "Films
et Plumes", ou, en d'autres termes, les relations entre cinéma
et littérature. Pour l'occasion, je joue le greffier de service
pour l'édition des actes du colloque. Ce qui me laisse tout de
même le loisir de suivre les interventions et les débats,
sans oublier les images projetées qui émanent d'un art cinématographique
un rien marginal : des extraits de Sur le passage de quelques personnes
à travers une assez courte unité de temps de Guy Debord,
Le Retour à la raison de Man Ray, des choses qu'on ne voit
pas tous les jours au multiplex du coin. Comme d'habitude, c'est en fin
de journée que je me rends compte que ce que j'aurais bien aimé
traiter - ce que je me suis abstenu de faire en pensant qu'un autre le
ferait beaucoup mieux que moi - n'a pas été abordé.
En l'occurrence, j'aurais aimé parler de l'image de l'écrivain
au cinéma, pas tant l'écrivain réel soumis au biopic
que l'écrivain fictif, mon préféré étant,
dans le genre, Louis Bourdin interprété par Bourvil dans
La grosse caisse (Alex Joffé, France, 1965) : Louis Bourdin
donc, poinçonneur du métro, a écrit un roman policier
intitulé Rapt à la RATP qu’il signe du pseudonyme de Louis
Lenormand, choisi après avoir aperçu dans sa bibliothèque
un Série Noire d’Auguste Le Breton. Avec son manuscrit sous le
bras, l’auteur entame une tournée des éditeurs qui le conduit
au siège des éditions Ganimard (dont la façade est
décorée du sigle MRF) où il a l’intention de le confier
à M. Ducamel, en charge de la Série Sombre. On suppose que
la scène se déroule rue Sébastien-Crottin ou quelque
chose comme ça. A l’accueil, la réceptionniste est au téléphone
: "Allô, M. Gaston ? Ne quittez pas, M. Gaston, vous avez M.
Mauriac au téléphone". Un appel : "Allô,
M. Simenon ? Ne quittez pas M. Simenon, je vous passe le patron…",
etc., etc. Un grand film à mes yeux mais il y en a bien d'autres
: penser à tous ces films qui se terminent par une séance
de signature dans une librairie, quelqu'un a mis en livre toute l'histoire
du film, celui ou celle qui l'a inspiré débarque avec le
volume sous le bras, l'auteur bafouille "bien sûr Annabelle
(ou Marcel ou Léocadie) tu es dedans, d'ailleurs ce livre n'aurait
pu exister sans toi" et ainsi de suite. Je suis sûr qu'il y
avait moyen de faire quelque chose de présentable avec ça,
ce sera pour une autre fois.
SAMEDI.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Colmar (Haut-Rhin), photo
de l'auteur, 11 juillet 2007
JEUDI.
Lecture. La tante Julia et le scribouillard
(La tia Julia y el escribidor, Mario Vargas Llosa, Lima, 1977 pour
l'édition originale, Gallimard, coll. Du monde entier, 1979, traduit
de l'espagnol par Albert Bensoussan; 480 p., s.p.m.).
... Lima était un antre d'un million de pécheurs et tous,
sans la moindre misérable exception, voulaient commettre le stupre
avec l'inspirée ayacuchienne. C'était du moins ce que, grand
yeux que la peur arrondit et mouille, racontait l'adolescente aux tresses
brillantes matin, midi et soir : le professeur de solfège s'était
jeté sur elle en soufflant bruyamment et avait prétendu
consommer le péché sur un matelas de partitions, le concierge
du Conservatoire lui avait demandé obscènement "Voudrais-tu
être ma courtisane ?", deux compagnons de cours l'avaient entraînée
aux toilettes pour qu'elle les voie faire pipi, l'agent de police du carrefour
à qui elle avait demandé son chemin, la prenant pour une
autre, avait voulu lui tâter les seins et dans le bus, le chauffeur,
en encaissant son billet, lui avait pincé le mamelon... Décidés
à défendre l'intégrité de cet hymen que, morale
de la Sierra aux préceptes infrangibles, la jeune pianiste devrait
sacrifier seulement à son époux et maître, les Bergua
renoncèrent au Conservatoire, engagèrent une demoiselle
qui lui donnait des leçons à domicile, habillèrent
Rosa comme une nonne et lui interdirent de sortir dans la rue si ce n'est
accompagnée par eux deux. Vingt-cinq ans ont passé depuis
et, en effet, l'hymen reste entier et à sa place, mais au point
où nous en sommes la chose n'a plus beaucoup de mérite,
parce que en dehors de cet attrait - si dédaigné, d'ailleurs,
par les jeunes gens modernes - l'ex-pianiste (depuis la tragédie
les leçons furent supprimées et le piano vendu pour payer
l'hôpital et les médecins) n'en a pas d'autres à offrir.
Elle s'est alourdie, est devenue petite et tordue et, engoncée
dans ces tuniques anti-aphrodisiaques qu'elle a coutume de porter et ces
capuches qui dissimulent ses cheveux et son front, elle ressemble davantage
à un paquet qui marche qu'à une femme. Elle continue à
dire que les hommes la touchent, effarouchent par des propositions fétides
et veulent la violer, mais, au point où elle en est, même
ses parents se demandent si ces chimères furent un jour vraies.
Des histoires de ce genre, La tante Julia et le scribouillard en fourmille.
A un point tel que Vargas Llosa, comme devait le faire un an plus tard
le Perec de La Vie mode d'emploi, aurait pu sous-titrer son livre
"romans". Le dispositif romanesque mis en place est aussi efficace
que celui de l'immeuble perecquien : les chapitres impairs, visiblement
autobiographiques, racontent la vie du jeune Mario à Lima. Il travaille
comme rédacteur pour une station de radio et vit une grande histoire
d'amour avec une femme divorcée et plus âgée que lui,
la fameuse tante Julia. La radio engage, pour écrire ses feuilletons,
Pedro Camacho, un spécialiste venu de Bolivie, le scribouillard
du titre. Les chapitres pairs reproduisent les histoires inventées
à la chaîne par ce virtuose de la littérature populaire
à l'imagination débordante. Jusqu'à ce que Camacho,
victime de surmenage, commence à s'emmêler les crayons. Habitué,
tel Alexandre Dumas, à mener de front cinq ou six feuilletons en
écriture simultanée, il se met à confondre les personnages,
à les faire passer d'une intrigue à une autre, à
ressusciter les morts et à enterrer les vivants. Le lecteur, un
moment dérouté (est-ce sa mémoire qui lui joue des
tours ? est-ce Vargas Llosa qui se trompe ? Est-ce le traducteur
qui a failli ?) finit par succomber délicieusement au vertige organisé
par l'auteur avec une science et un plaisir consommés. Un auteur
gourmand de mots et d'histoires, un auteur qui parvient à restituer
le goût des livres à lire à plat-ventre sur son lit
mais aussi un parfait manipulateur : au final, c'est le Perec d'Un cabinet
d'amateur qui surgit - après celui de W ou le souvenir d'enfance
qui fonctionne aussi sur l'alternance des chapitres autobiographie/fiction.
Est-ce que cela mérite un Nobel ? On n'en sait rien, il faudrait
voir le reste de l'oeuvre mais en attendant, ce n'est pas du Le Clézio.
VENDREDI.
Lecture. Le Bottin proustien
(Michel Erman, La Table Ronde, coll. La petite vermillon, 2010; 144 p.,
5,80 €).
Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
SAMEDI.
IPAD. 22 mars 2009. 146 km. (10321
km).

164 habitants
Les
morts de Combrimont figurent sur le monument aux morts de Bertrimoutier,
visité le 20 novembre 2005.
L'Invent'Hair perd ses poils.

Colmar (Haut-Rhin), photo de l'auteur, 11 juillet 2007
Bon
dimanche.
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