Notules dominicales 2011
 
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Notules dominicales de culture domestique n°499 - 14 août 2011
 
MARDI.
           Lecture. Avant d'aller dormir (Before I Go to Sleep, S.J. Watson, traduit de l'anglais par Sophie Aslanides, Sonatine, 2011; 416 p., 21 €).
                        Attention aux sirènes qui annoncent un suspense insoutenable, la révélation d'un nouvel auteur exceptionnel, ce genre de choses. C'est du flan. Avant d'aller dormir est un polar bas de gamme, quelque chose qui aurait pu être signé par Guillaume Musso ou quelqu'un d'avoisinant. Clichés à la pelle, écriture de pacotille, personnages en carton, intrigue de roman photo, rien à sauver. Dans ce genre d'aventure, on hésite à quitter le navire parce qu'on se dit que la révélation finale sauvera une partie du voyage mais ce n'est même pas le cas ici, on devine la solution bien avant la nunuche qui sert de narratrice. Celle-ci est atteinte d'amnésie et doit, chaque matin, réapprendre les éléments de sa vie. Pour essayer d'en garder l'essentiel, elle entreprend la rédaction d'un journal dont la lecture lui permet de se situer et de constater des choses bizarres dans ce que lui dit son entourage au sujet de son passé. C'est un décalque parfait de l'intrigue du dernier roman d'Antoine Bello, Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet, qui est d'un tout autre tonneau. A fuir.
                         Curiosité. Page 106, la narratrice tape sur son clavier d'ordinateur la phrase "Le renard brun agile saute par-dessus le chien paresseux". La traductrice aurait pu ici se fendre d'une note : tout le monde n'est pas censé savoir que "The quick brown fox jumps over the lazy dog" est le pangramme (phrase utilisant toutes les lettres de l'alphabet, dont on dit qu'elle servait à tester les claviers des machines à écrire) le plus connu de la langue anglaise, l'équivalent de notre "Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume".
 
 
SAMEDI.
             Villégiature exotique. Nous y sommes. Début du séjour à Saint-Frion, Creuse. Cela fait un paquet d'années que nous venons ici. J'y suis bien. Je ne vais pas dire que je suis amoureux de la Creuse, je ne suis pas plus amoureux de la Creuse que de Bali ou de Saint-Nom-la-Bretèche mais j'y suis bien. Je serais sans doute aussi bien ailleurs. A part les colonies honnies de mon enfance, je n'ai pas de souvenir d'un endroit de résidence ou de vacances où j'aurais été particulièrement malheureux. Même des endroits peu réjouissants, un taudis, une caserne, un garni, je m'en suis accommodé, comme je m'accommoderais de lieux qui ne me ressemblent pas, un pavillon dans un lotissement, un emplacement dans un camping pour les vacances, d'ailleurs je l'ai déjà fait. Je passe d'aussi bonnes vacances au printemps dans une résidence azuréenne qu'en été dans ce chalet perdu. Je dois trimballer autour de moi une sorte de bulle isolante qui me permet de me sentir bien à peu près partout. Et particulièrement bien en Creuse. Et quand un fâcheux me demande pourquoi je vais m'enterrer là-bas, je réponds que c'est principalement parce que je ne risque pas de l'y voir.
 
             L'Invent'Hair perd ses poils.
 

Bruxelles (Belgique), photo de Francis Pierre, 29 février 2008

 
 
DIMANCHE.
                  Villégiature exotique. Je ne vais pas notuler ici. De toute façon, tout ce que je pourrais dire, je l'ai déjà dit à l'occasion des séjours précédents. Je vais me limiter à mes écrits ordinaires; lire les livres que j'ai emportés, en acheter d'autres à Aubusson ou à Ussel, pêcher, cuisiner des plâtrées d'écrevisses, parcourir La Montagne et L'Equipe, écouter les matches de football à la radio, trembler pour les premiers pas du SAS en National, me baigner à Chénérailles et ailleurs, écouter la pluie tomber sur le toit du chalet, dormir comme un bienheureux et cesser de me demander si tout cela est notulisable ou non.
 
 
JEUDI.
          Vie d'artiste. Dans le Journal d'André Gide (25 décembre 1905), ces paroles du sculpteur Maillol, à lui rapportées par Natanson : "Le modèle ! Le modèle; qu'est-ce que je m'en vais fiche d'un modèle ? Quand j'ai besoin d'un renseignement, je vais trouver ma femme à la cuisine; je lève un pan de la chemise; et j'ai le marbre."
 
 
SAMEDI.
             L'Invent'Hair perd ses poils.
 

  
 
 

Asilah (Maroc), série de Marc-Gabriel Malfant, mars-avril 2008

 
VENDREDI.
                 Le cabinet de curiosités du notulographe.
 
 
   On se souvient peut-être de cette énigme d'avant vacances soumise à la sagacité notulienne, qui n'a d'ailleurs pas failli à sa réputation. Bien entendu, Perec n'a jamais écrit Le Fils éternel - encore que ce titre pourrait très bien recouvrir l'ensemble de son oeuvre. Le 29 septembre 1978, la page 18 du Monde des livres présentait l'une en dessous de l'autre la recension de ce Fils éternel, roman de Claude Delarue, et celle de La Vie mode d'emploi. Une fantaisie de composition a placé sous le premier article le titre du livre chroniqué dans le second.
 
 
   "Dans Le Monde, la critique par Pierre Kyria du roman de Claude Delarue, Le Fils éternel, parut avec la mention suivante : Le Fils éternel, de Georges Perec, Hachette, 700 p., 65 FF." (David Bellos, Georges Perec : une vie dans les mots, Seuil, 1994)
 
 
SAMEDI.
             Courriel. Trois demandes d'abonnement aux notules. On en trouvera l'origine dans un "Voyage de découverte en Notulie" dont je remercie l'auteur, Benoît Mélançon. Ce serait le moment de se montrer à la hauteur et ça tombe dans une période où je n'ai rien fichu. Les néo-notuliens devront faire preuve de mansuétude. Les autres pourront lire ce récit de voyage ici : http://oreilletendue.com/2011/08/01/voyage-de-decouverte-en-notulie/
 
              IPAD. 1er mai 2010. 115 km. (12832 km).
 
           

 

256 habitants

 

   Le monument est un des éléments décoratifs d’un square recouvert de pelouse, au même titre qu’un puits, une fontaine et divers arbustes. La stèle est en pierre moche.

 

 

Dombrot-sur-Vair

A ses enfants

Morts pour la Patrie

 

GOUSY Ernest

16 août 1914

GRAVIER Louis

16 août 1914

GOUSY Henri

18 7BRE 1914

ROYER Emile

29 7BRE 1915

PAYEN Alix

16 juillet 1916

MARIN Alphonse

16 février 1917

 

   Ajout, sur une plaque à la base :

 

GUILLEREY Raymond

MULOT Henri

Morts au champ d’honneur

1939-1945

Reconnaissance des prisonniers

 

              L'Invent'Hair perd ses poils.

 

Carpentras (Vaucluse), photo de Marc-Gabriel Malfant, 19 mars 2008
 
              Poil et plume. "Il m'a appris à faire des vers... Un jour, au Louvre, devant des tableaux, il m'a appris sur la peinture tout ce que j'ai oublié depuis... Un tempérament prodigieux, cet Hugo ! Son coiffeur me disait que le poil de sa barbe était le triple d'un autre, que le bulbe avait trois poils, qu'il cassait tous les rasoirs." (Sainte-Beuve au sujet de Victor Hugo, rapporté par Edmond et Jules de Goncourt, Journal, 14 février 1863)
 
 
Bon dimanche.
 
Notules dominicales de culture domestique n°500 - 21 août 2011
 
DIMANCHE.
                  Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
 
 
MERCREDI.
                  Lecture. Journal I 1887-1925 (André Gide, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade n° 54, 1996, édition établie, présentée et annotée par Eric Marty; 1756 p., 74,70 €).
                               Gros morceau. Et pour venir à bout des gros morceaux, je ne connais que deux méthodes : le morcellement et l'isolement. Le morcellement consiste à cheminer dans le livre de façon durable à raison d'un certain nombre de pages par jour. Cela peut prendre des années, mais rien n'y résiste, à coup de cinquante, vingt, ou dix pages quotidiennes. Une seule suffit parfois, le morcellement tournant alors à l'émiettement : c'est ainsi que j'ai pu lire la Bible, dans deux langues différentes, en un lieu où je ne me rends jamais accompagné. Cette méthode m'a permis de venir à bout du Journal littéraire de Léautaud, de L'Idiot de la famille, des Mémoires d'outre-tombe, de Finnegans Wake et de bien d'autres pavés qui semblent illisibles à première vue. L'isolement, c'est la lecture exclusive en un lieu éloigné et abrité des tentations que peuvent provoquer l'actualité littéraire ou la présence proche d'une bibliothèque ou d'une librairie. Les vacances sont bien sûr propices à cette pratique et comme les vacances constituent mon second métier et ma vocation, elles m'ont au cours des ans permis d'ingurgiter Les Thibault, L'homme sans qualités, les Carnets de notes de Bergounioux et autres pavés considérables. Il n'est pas de livre illisible par sa taille. La littérature, c'est comme le poivre, quand on en achète un pot de cent grammes on pense qu'on n'en verra jamais le fond et pourtant vient le jour où il faut en racheter. Le Journal de Gide, du moins sa première partie car il en reste autant à lire, aura bénéficié de l'isolement creusois que je me suis infligé avec délices pendant deux semaines. Il en restait quelques bribes que je viens de terminer. C'est donc un gros morceau mais il aurait pu être plus gros encore. Gide a multiplié au cours de sa vie les journaux parallèles à celui-ci, dont certains ont paru en volumes : les journaux de voyage, celui consacré au Foyer franco-belge qui l'occupa pendant la guerre de 14, celui consacré à ses relations avec Madeleine sa femme, etc. Ne nous plaignons pas, donc. Cette deuxième édition dans la Pléiade a été enrichie de plusieurs parties inédites par rapport aux éditions des Oeuvres complètes (1932-1939) et de la Pléiade première manière (1939, premier volume de la collection consacré à un auteur vivant). Ces inédits concernent principalement les années de jeunesse, en gros 1887-89. On y découvre un jeune homme préoccupé d'esthétique, de morale, de religion, qui livre avant tout ses états intérieurs et quelques bribes de poèmes. C'est un journal de travail, non factuel, plein de lectures*, d'oeuvres en cours ou à venir. A aucun moment ne se pose la question du travail salarié : Gide n'en a pas besoin et sa vocation ne souffre aucun doute. Il est né pour écrire, il écrit et il écrira. Il faut atteindre l'année 1905 pour voir démarrer ce qu'on peut appeler un véritable journal littéraire, un journal ouvert sur le monde extérieur, avec les rencontres, les conversations, les amitiés, les sorties, la naissance de la NRf, les voyages, l'affirmation de la pédérastie. L'oeuvre se construit en parallèle, Les Nourritures terrestres, L'Immoraliste, La Porte étroite, Les Caves du Vatican et ainsi de suite. Sans grand succès public mais Gide s'en moque, il n'écrit pas pour les "douze bons lecteurs" qu'il se compte en 1898 mais pour les générations à venir. Il ne connaît pas le doute dans ce domaine, et parmi ses contemporains, seuls Valéry et Claudel l'impressionnent. Surtout Claudel : "Devant Claudel, je n'ai sentiment que de mes manques; il me domine; il me surplombe; il a plus de base et de surface, plus de santé, d'argent, de génie, de puissance, d'enfants, de foi, etc. que moi. Je ne songe qu'à filer doux" (15 mai 1925). On se demande d'ailleurs comment il trouve le temps de lire et d'écrire avec la vie sociale qu'il mène : ce ne sont que discussions, visites, spectacles, repas (apparemment jamais moins de douze personnes à table à Cuverville ou dans la maison d'Auteuil), sans oublier la pratique quotidienne du piano et les séances d'horticulture à Cuverville. Même s'il peut aujourd'hui apparaître comme un écrivain classique, voire désuet, Gide se montre à l'affût de toutes les nouveautés : il assiste à la première d'Ubu roi, soutient les Fauves contre Vauxcelles, suit les actions Dada même s'il ne les cautionne pas, lit Freud dès que celui-ci est disponible. Dans ce flot redoutable, on note deux ruptures importantes. Celle de 1914 d'abord : la déclaration de guerre infléchit fortement le Journal qui abandonne l'égocentrisme pour devenir le récit des événements historiques en cours. Ce sont, pendant quelques semaines, des pages passionnantes sur Paris et ses habitants qui découvrent la guerre : le saccage d'une laiterie Maggi, les fausses rumeurs colportées pour rabaisser l'ennemi (celle des quatre mille enfants auxquels les Allemands auraient coupé la main droite), l'empressement de l'hôtel du Rhin à mettre sa literie à disposition de la Croix Rouge "cédant encore plus à la crainte d'être mis à sac en raison de son nom qu'à un élan de générosité", etc. L'autre rupture survient en novembre 1918 lorsqu'il découvre que Madeleine a détruit toutes ses lettres. L'épouse fidèle et intouchée, qui a jusqu'à présent accepté toutes les frasques de Gide, se rebelle : la liaison affichée de celui-ci avec le jeune Marc Allégret a fait déborder le vase. En premier lieu, on l'attendait bien là, Gide déplore la perte d'un trésor littéraire mais la froideur dont Madeleine fait dorénavant preuve à son égard l'amène à prendre conscience de l'amour qu'il lui porte. Les choses ne risquent pas de s'arranger : à la fin de ce volume, Madeleine n'est toujours pas au courant de l'existence de Catherine, la fille que Gide a eue en 1923 avec Elisabeth Van Rysselberghe, la fille de sa meilleure amie.
* Gide est un lecteur pointu. Il remarque ainsi que, dans L'Education sentimentale, Flaubert utilise la forme "saillissait" comme imparfait de l'indicatif du verbe saillir. Son jugement sur les Goncourt est très juste : "Gardez-vous de confondre art et manière. La manière des Goncourt, par quoi ils paraissent si "artistes" de leur temps, est cause aujourd'hui de leur ruine. Ils avaient des sens délicats; mais une intelligence insuffisante les fit s'extasier sur la délicatesse de leurs sensations et mettre en avant ce qui doit être subordonné. On ne lit point une page d'eux où n'éclate entre les lignes cette bonne opinion qu'ils ont d'eux-mêmes; ils cèdent infailliblement à cette complaisance qui les fait penser "Ah ! que nous sommes donc artistes ! Ah ! que les autres écrivains sont épais !" (1921).
 
 
JEUDI.
          Presse. Ce n'est pas du neuf, ce n'est pas inintéressant pour autant : Henriette Zoughebi, présidente du collectif L'Egalité c'est pas sorcier ! a lancé, avec d'autres associations, une pétition contre la syntaxe antifemme. "Il faut en finir avec la règle de grammaire du "masculin l'emporte", qui perpétue l'idée de supériorité masculine et s'ancre dans la tête des enfants avec une lourde valeur symbolique" (Le Nouvel Observateur, 7 juillet 2011). Nos amis syriens peuvent dormir sur leurs deux oreilles : on sait toujours se mobiliser pour les grandes causes, par ici.
 
 
VENDREDI.
                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Tiré du carnet nécrologique du Monde, 15 juin 2011.
 
 
 
SAMEDI.
             Football. SA Epinal - US Créteil Lusitanos 5 - 1.
 
             IPAD. 2 mai 2010. 86 km. (12918 km).

 

58 habitants

 

   Le monument est dans le cimetière qui jouxte l’église. C’est une stèle de pierre, à laquelle on a ajouté des éléments disparates comme un crucifix au sommet d’une colonne démesurée plantée de travers et un autel rattaché au devant du monument par des ferrures.

 

 

La commune de Domèvre-s/s- Montfort

A ses enfants

Morts pour la France

1914-1918

 

BARTHELEMY Hyppolite

ST-MICHEL Edouard

DUMENIL Charles

BOURGAUT Albert

MICHEL Alfred

FLORENTIN Paul

 

   Ajout, sur une plaque :

 

DEVELOTTE Jean

Mort en Algérie

1932-1956

 

   La plaque masque en partie la mention BASTIEN A VITTEL, auteur du monument… si monument il y a. En effet, le dos de la stèle porte la date 1819, ce qui laisse à penser que c’est une pierre tombale ordinaire et délaissée qui a été récupérée pour en tenir lieu.

 

 

   On trouve dans le cimetière la tombe d’Albert BOURGAUT, 1888-1915, mort pour la France et mangé par la verdure.

 


             L'Invent'Hair perd ses poils. 
 
Châteauneuf-de-Gadagne, photo de Marc-Gabriel Malfant, 19 mars 2008
 
             Poil et plume. "J'écris pour avoir l'air d'écrire, chez ce petit barbier où la chaleur d'été n'entre pas; douceur de l'heure; affairement muet du barbier; une mouche, par instants, m'importune." (André Gide, Journal, début mai 1905)
 
 
Bon dimanche.
 
Notules dominicales de culture domestique n°501 - 28 août 2011
 
DIMANCHE.
                  Lecture. La Sagesse du Père Brown (The Wisdom of Father Brown, Gilbert Keith Chesterton, 1914, rééd. in "Les Enquêtes du Père Brown", Omnibus 2008; traduction Dominique Haas et Gabriel Repettati; 1212 p., 28 €).
                               Deuxième recueil d'enquêtes du Père Brown, le petit prêtre catholique de Chesterton. Encore que le mot d'enquête soit plutôt mal choisi : Brown n'enquête pas, il observe, écoute et tire des conclusions qui donnent la solution du mystère. Celui-ci bénéficie souvent d'une mise en scène très sophistiquée, une mise en place qui renvoie à des querelles ou à des croyances ancestrales dont Brown trouve la trace en deux coups de cuiller à pot. Cette sophistication nuit parfois à la compréhension des histoires et il arrive, mais c'est peut-être dû à l'état un peu maladif dans lequel je les ai lues, que l'on perde le fil et que l'on ait oublié au moment du dénouement ce qu'il y avait à dénouer. N'importe, c'est toujours agréable à suivre, notamment grâce à la variété des cadres utilisés (Brown se déplace en Italie, en France, en Allemagne et raconte des souvenirs de Chicago où il a été aumônier dans une prison) et à l'humour de Chesterton, toujours présent en arrière-plan.
 
 
LUNDI.
          Lecture. Chasseur à la manque (Pierre Bergounioux, Le Promeneur, Gallimard, coll. Le cabinet des lettrés, 64 p., 11 €).
                       Il me semble, mais j'en ai lu trop peu pour être d'un avis péremptoire à ce sujet, que Bergounioux dit plus de choses sur lui-même dans ces "petits" livres qu'il distille à l'envi au fil des ans que dans les centaines de pages de ses Carnets de notes autobiographiques. En tout cas, c'est flagrant pour ce Chasseur à la manque où, sous prétexte de raconter sa brève expérience de jeune chasseur, il nous livre des souvenirs familiaux poignants et admirables. En commençant, comme d'habitude, par la géographie, car elle est pour Bergounioux à l'origine de tout, de l'histoire et des hommes qui la font ou qui la subissent. La chasse n'est qu'un prétexte pour raconter sa Corrèze, sa famille et ce que celles-ci ont fait de lui. Il y a dans ce livre un paragraphe qui m'a ému jusqu'aux moelles, raison pour laquelle je ne veux même pas le recopier ici, c'est au bas de la page 16, allez-y voir.
 
           Courriel. Deux demandes d'abonnement aux notules.
 
 
MARDI.
           Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
 
 
MERCREDI.
                  Lecture. Compartiment tueurs (Sébastien Japrisot, Denoël, 1962, rééd. in "Romans policiers", Gallimard, coll. Quarto, 2011; 1036 p., 25 €).
                               C'est une bonne surprise de voir rééditer l'oeuvre policière de Sébastien Japrisot. Les éléments qu'on en avait lus au fil des ans avaient laissé d'excellents souvenirs, notamment La dame dans l'auto..., un roman particulièrement captivant. Dans un autre domaine, on se souvient aussi de la lecture enchantée d'Un long dimanche de fiançailles, dernière oeuvre d'un romancier alors au sommet de son art. Pourtant, on n'a jamais vu un auteur de polar se réclamer de l'influence de Sébastien Japrisot, rendu suspect peut-être par les succès qu'il rencontrait. Sa venue au polar tient à des raisons alimentaires, des arriérés d'impôts à régler. Car en 1962, l'auteur n'est pas neuf : sous son vrai nom de Jean-Sébastien Rossi, il a connu la gloire à dix-neuf ans avec Les mal partis et Robert Laffont, son premier éditeur, l'a gardé dans son écurie pour des travaux de traduction, on lui doit notamment celle de L'attrape-coeur de Salinger. Donc, en 1962, Jean-Baptiste Rossi anagrammise son nom et propose Compartiment tueurs à Denoël. L'avance que celui-ci lui consent et le succès du livre, salué dès sa sortie par Pierre Boileau et Germaine Beaumont, signifieront la fin de ses soucis d'argent. C'est un roman très construit, très appliqué, un peu scolaire même dans l'alternance des régimes de récit (style direct, style indirect, style indirect libre, monologue intérieur) dans lequel Japrisot applique avec soin les leçons apprises au contact d'illustres devanciers aisément reconnaissables : Boileau-Narcejac, William Irish, Ed McBain et... James Joyce*. Une femme est retrouvée assassinée dans un compartiment de train et un chapitre est consacré à chacun des personnages qui ont voyagé en sa compagnie : ceux qui mettent en scène un obsédé sexuel (qui sera interprété par Michel Piccoli dans le film que Costa-Gavras tirera de l'histoire deux ans plus tard) et une actrice vieillissante (Simone Signoret) sont les plus réussis.
* Pour preuve, les dernières lignes du livre, qui montrent que Japrisot a lu Ulysse jusqu'au bout : "Le garçon disait tu m'entends, allô, ils vont me ramener, allô, je vais te voir, je te verrai ce soir, allô, tu m'écoutes, tu ne réponds pas, Bambi. Il disait Bambi, ma petite Bambi, et sans un mot, juste par un mouvement de ses cheveux blonds sous la lampe, elle répondait oui, oui, oui."
 
 
JEUDI.
          Lecture. Conte de fées à l'usage des moyennes personnes (Boris Vian, première édition in revue Obliques n° 8-9, 1976, rééd. in "Oeuvres romanesques complètes I", Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 562,2010; 1312 p., 57,50 €).
                       Tout va très vite, on le sait, dans la vie de Boris Vian. En 1943, il a vingt-trois ans, il est déjà marié et père de famille. Ce conte, qui constitue son premier texte connu, est d'ailleurs à usage familial : il le rédige à la demande et à l'intention de sa femme Michelle, sur le point de subir une opération de la thyroïde. Il est aisé aujourd'hui d'y trouver les éléments qui feront de Vian un romancier hors normes. S'appuyant fermement sur le schéma classique du conte de fées, il pervertit le genre pour le tourner à sa façon désormais bien connue : jeux de mots, coq-à-l'âne, néologismes, mélange des registres, absurde, tous les ingrédients sont là mais d'une façon tellement concentrée (le texte original est composé d'une quinzaine de feuillets) qu'on peut voir cela, pour l'instant, comme une blague, un exercice de style qui mêle allègrement l'almanach Vermot et Lewis Carroll. Patience, les choses sérieuses ne vont pas tarder à arriver.
 
 
VENDREDI.
                 Le cabinet de curiosités du notulographe. Paris, square Jean-XXIII, photo prise le 29 octobre 2010, soit près de dix ans après l'arrivée de l'euro.
 
 
 
SAMEDI.
             IPAD. 7 mai 2010. 45 km. (12963 km).

 

 

462 habitants

 

   Un Christ doré ouvre les bras sur un piédestal posé au bout d’une espèce de haricot pavé, sur le côté de l’église. L’inscription n’a rien de patriotique : "La paroisse de Domèvre reconnaissante au Sacré Cœur juin 1940". Au pied de la colonne, une plaque blanche a été posée.

 

 

La commune de Domèvre-sur-Avière

A ses enfants

Morts pour la France

1914-1918

 

BALAY Joseph

CHATELAIN Joseph

DIDIER Auguste

FORTERRE Georges

HANTZ Louis

LAMOISE Henri

MAURICE Emile

ROMAIN Henri

ROUSSELOT Camille

COLLENNE Nicolas

COITOUX Charles

 

1939-1945

 

GARNIER Henri

THIRY Charles

MATHIEU Raymond déporté

 

   Manifestement, le monument et la plaque n’ont rien à voir ensemble. Les deux ouvriers municipaux qui sont en train de nettoyer la place me renseignent : celle-ci provient de l’ancien monument, qui a été remplacé par une plaque que je pourrai voir sur le mur de la Mairie un peu plus loin. J'y fonce, les mômes de l'école voisine sont sur le point de sortir.

 

 

   Les mêmes noms y figurent, la seule chose nouvelle étant une petite plaque blanche ajoutée pour le "50e anniversaire 1918-1968".

 

   Sur les conseils de mes deux balayeurs, je passe également au cimetière qui, outre les tombes d’Albert (c’est Joseph sur la plaque) Chatelain "7 août 1893 tombé au champ d’honneur Douaumont Vaux 7 mars 191?" et celle d’Henri (Georges sur la plaque) Forterre "1894-1915  mort pour la France", abrite un autre monument commémoratif.

 

 

   Rien de patriotique cependant : il s’agit de rendre hommage aux victimes de ce que l’on appelle ici la catastrophe de Bouzey : la rupture d’une digue sur un réservoir proche, le 27 avril 1895, qui provoqua une gigantesque inondation et la mort directe de 88 personnes. 31 noms sont alignés, ce qui rend cet événement beaucoup plus meurtrier que les deux guerres mondiales réunies.

 

             L'Invent'Hair perd ses poils. 

 

Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône), photo de Marc-Gabriel Malfant, 13 mars 2008

 

             Poil et plume. "Ce jour-là, 25 mars dernier, Pétersbourg fut le théâtre d'une aventure des plus étranges. Le barbier Ivan Yakovlévitch, domicilié avenue de l'Ascension (son nom de famille est perdu et son enseigne ne porte que l'inscription : On pratique aussi les saignées, au-dessous d'un monsieur à la joue barbouillée de savon), le barbier Ivan Yakovlévitch se réveilla d'assez bonne heure et perçut une odeur de pain chaud." (Nicolas Gogol, Le nez).

 

 

Bon dimanche.