Notules dominicales 2011
 
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Notules dominicales de culture domestique n°481 - 13 mars 2011

DIMANCHE.
                  Lecture. Quinzinzinzili. L’univers messacquien n° 11, automne 2010 (Société des amis de Régis Messac; 32 p., 5 €).
                               Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
 
                               Les murs ont la parole (citations recueillies par Julien Besançon, Tchou, 1968; 184 p., 6 F).
                               "Journal mural Mai 68"
                               C'est en recherchant, à des fins professionnelles, quelques "papillons" surréalistes que je me suis souvenu de ce recueil des graffiti de Mai 68, déjà lu mais repris avec intérêt. Pour constater en premier lieu la réactivité de l'auteur et de l'éditeur : l'achevé d'imprimer est du 20 juin 1968. Il fallait faire vite avant que les murs reçoivent un nouveau badigeon. Pour ce qui est de la présence surréaliste dans les slogans affichés, on note tout d'abord que les auteurs de ce mouvement, et même leurs prédécesseurs, sont cités : "Imagination n'est pas don mais par excellence objet de conquête. A. Breton", "L'Art n'existe pas. L'Art c'est vous. B. Péret", "La vie c'est une antilope mauve sur un champ de thons. Tzara". D'autres phrases, comme "Il faut systématiquement explorer le hasard" pourraient trouver place dans un des Manifestes de Breton. Et puis des phrases qui sont véritablement surréalistes : "L'ortografe est une mandarine", "Soyez bref et cruel anthropophages !" Ce ne sont que quelques pépites issues d'un corpus qui est avant tout politique, bien sûr. En dehors de ce domaine, mes graffiti préférés : "Espèce de salaud Tu pourrais au moins Laver ton mur" (27, rue Gay-Lussac), "Jém ékrir en fonétik", "Plus jamais Claudel", "A vendre Veste en cuir. Spéciale manifestation garantie anti-C.R.S. Grande taille, prix 100 F". Et puis, pour terminer, cette phrase qui m'a fait sursauter dans la mesure où elle annonce le titre d'un roman de Perec qui fait encore florès aujourd'hui : "Changez la vie donc transformez son mode d'emploi." Riche époque : les soixante-huitards pratiquaient même, sans le savoir, le plagiat par anticipation.
 
                  Courriel. Une demande de désabonnement aux notules. L'abonnement datait du 23 janvier de cette année. Certains ne tardent pas à se rendre compte qu'ils se sont fourvoyés, c'est rassurant.                
 
 
LUNDI.
          Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). La mort d'Artemio Cruz de Carlos Fuentes en Folio et, à côté de moi, une jeune femme qui tient son livre de façon à ce que je ne puisse lire que L'attrap... de J.D.... mais ce n'est pas trop dur à deviner.
 
 
MARDI.
           Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Les Dames de la Ferrière de Christian Signol (France Loisirs, 2007). C'est la contrôleuse, confortablement installée en première classe, qui lit ça et ça doit être drôlement bien parce que la contrôleuse ne contrôle rien du tout.
 
           Courriel. Une demande d'abonnement aux notules. Souhaitons que ce soit pour plus de quinze jours.
 
           En feuilletant Livres Hebdo. L'immonde du travail : quand la (télé)réalité dépasse la fiction, de ... Gérard Menvusla.
 
 
MERCREDI.
                  Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Les Mots de Sartre en Folio.
 
 
JEUDI.
          Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Vivons heureux en attendant la mort de Pierre Desproges au Seuil (1983).
 
 
SAMEDI.
             Transhumance. Je pars pour Paris par le 6 heures 59. Je passe ma journée à écluser des Série Noire à la Bibliothèque des Littératures policières, toujours dans le cadre de mon Atlas de la collection, ne m'interrompant que pour une croûte rapide et sans saveur au Petit Cardinal. D'ordinaire, quand je suis dans le secteur, je préfère la cantine tenue par un pizzaiolo égyptien de la rue des Boulangers qui m'a à la bonne et se plaît à m'entretenir de la marche du vaste monde, mais après ce qui s'est passé récemment dans son pays j'ai idée qu'il aura trop à me dire. De retour à la Bilipo, je parle un moment de Michèle Witta avec la préposée de service aujourd'hui dans la salle de lecture. C'est dans le dernier numéro de la revue Quinzinzinzili que j'ai appris le décès de Michèle Witta, qui m'a bien souvent accueilli en ce lieu. C'était une pointure du polar qui participa notamment au Dictionnaire des littératures policières sous la direction de Claude Mesplède et qui, au-delà de l'aspect humain, manquera beaucoup à la bibliothèque pour tout ce qu'elle représentait sur le plan de la mémoire et des connaissances.
 
             Lecture. Serena (Ron Rash, Ecco, HarperCollins Publishers, 2008 pour l'édition originale, Fleuve Noir, 2011 pour l'édition française, traduit de l'américain par Béatrice Vierne; 408 p., 20,90 €).
                          Après un premier roman très réussi, Un pied au paradis, c'est la deuxième traduction de Ron Rash au Fleuve Noir. Si l'on passe, avec Serena, de la Caroline du Sud à celle du Nord, on est toujours dans le polar rural américain mâtiné, comme chez C.J. Box, de préoccupations écologiques. Il est ici question d'une exploitation forestière dirigée par George Pemberton qui vient d'épouser Serena, une femme dont la beauté n'a d'égale que la cruauté, une cruauté qu'elle exerce principalement envers une ancienne conquête de son mari, coupable de lui avoir donné un enfant. Un pied au paradis était remarquable par sa construction, une histoire racontée par cinq voix différentes et dont le lecteur découvrait peu à peu des aspects nouveaux, et par la justesse du regard posé sur une société rurale menacée par l'industrialisation. On a du mal à croire que c'est le même auteur qui écrit ce récit linéaire sans surprise, aux personnages sans nuances (la beauté cruelle, la brave pauvresse, les ouvriers frustes mais lucides, etc.) baignant dans une reconstitution scolaire de l'Amérique des années 1930. C'est curieusement dans des aspects qu'il avait négligés lors de son premier roman que Ron Rash révèle ici du talent : de brèves scènes d'action d'une violente saisissante (un duel au couteau, un combat contre un ours, une chasse à l'aigle, un accident de bûcheronnage) et une accélération du récit dans les derniers chapitres qui sauvent un peu l'honneur tout de même.
 
             L'Invent'Hair perd ses poils.
 
 
Paris, rue Oberkampf, photos de Pierre Cohen-Hadria, 4 septembre 2007 et 5 octobre 2010 
 
   Une preuve, si preuve il fallait, du fait que L'Invent'Hair ne peut s'accommoder d'aucune procrastination. Vous passez devant une enseigne, vous vous dites qu'elle est intéressante et que vous la photographierez la prochaine fois. La prochaine fois arrive, l'enseigne a disparu. Mots d'ordre à recopier vingt fois sur nos cahiers : instantanéité, réactivité.
 
 
DIMANCHE.
                  Vie parisienne. Je passe la matinée au Louvre à travailler sur le chantier de ma Mémoire louvrière, aile Richelieu, deuxième étage, salle 33. Le voyage de retour manque un peu de calme : le hasard veut que l'Olympique de Marseille joue en fin d'après-midi à Nancy et que le président de l'OM, Jean-Claude Dassier, ait retenu une place de train proche de la mienne. A peine installé, il doit subir les assauts des journalistes et des curieux à l'affut de ses doctes propos ou simplement désireux de raconter, dans leurs propres notules, qu'ils ont voyagé en compagnie d'une célébrité. Il y en a même qui me serrent la louche, pensant que je fais partie de la cour du grand homme. Avec tout ce ramdam, j'ai bien du mal à venir à bout de ma
 
                  Lecture. Du pur amour et du saut à l'élastique (Frédéric Pagès, Libella-Maren Sell, 2011; 208 p., 17 €).
                               Compte rendu à rédiger pour Vosges Matin.
         
                  Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
 
 
LUNDI.
          Vie sanitaire. Visite à l'hôpital de Saint-Avold pour Lucie, hémoglobine glyquée toujours en hausse, résultat 8,5. Pas bien.
 
 
MARDI.
           Vie informatique. L'ordinateur s'échauffe et s'éteint tout seul. Je travaille en pointillés toute la journée, j'ai un programme chargé, des devoirs à rendre, des chantiers à faire avancer pendant ces vacances. Les notules partiront-elles dimanche ? 
 
 
JEUDI.
          Vie informatique.Mise en clinique de l’ordinateur. Mise en sommeil de mes activités notulaires. J’ai réussi à récupérer les adresses des nouveaux abonnés afin de les prévenir à partir de l’ordinateur de la pharmacie, c’est tout ce que je puis faire, incapable que je suis d’atteindre ma messagerie à partir d’une autre machine. En attendant, je confie le peu que j’ai à dire aux bons soins de la Poste, sous pli affranchi.
 
 
VENDREDI.
                 Lecture.Isidore Ducasse, comte de Lautréamont (François Caradec, la Table Ronde, 1970, rééd. Revue et augmentée Gallimard, coll. Idées n° 330, 1975; 384 p., s.p.m.).
C’est un fort jalon que pose Caradec en 1970 : il s’agit à la fois de faire le point sur les études déjà publiées et de proposer de nouvelles pistes – la nouveauté apparaissant déjà dans le titre où, pour une fois, Ducasse est mis en avant par rapport à Lautréamont : "Le plus étrange est qu’un siècle après sa mort, nous continuons à appeler "Lautréamont" un écrivain qui n’a signé qu’une seule fois de ce nom sur cinq publications de son vivant; il a renié lui-même ce pseudonyme et publié ses dernières œuvres sous son propre nom d’Isidore Ducasse, laissant ainsi clairement entendre qu’il désirait d’être connu et lu sous ce nom et sous aucun autre. Dans la formation du "mythe Lautréamont", l’abus de ce pseudonyme fascinant est peut-être la plus agaçante des falsifications." Le pari est difficile puisque chacun s’est approprié un Lautréamont bien précis : "les Sud-Américains recherchent surtout dans son oeuvre les souvenirs de Montevideo, les hommes de gauche l’anarchiste, le révolutionnaire ou le communard disparu trop tôt, les psychiatres le malade, le Parisien les rues de Paris, les hermétistes la Cabbale et la Franc-Maçonnerie, les croyants Dieu, les surréalistes entre autres l’écriture automatique et les professeurs les pions." Caradec examine donc les travaux de ses prédécesseurs (parmi lesquels Blanchot lui apparaît comme le plus fiable) et les juge sans complaisance en s’appuyant toujours sur le contenu des Chants, des Poésies et des lettres. Parallèlement, il trace la courte vie de Lautréamont  en faisant la part entre les faits avérés et les conjectures. Les contemporains, condisciples, membres de la famille ou des milieux littéraires sont traités avec un maximum de détails, de même que les cadres géographiques – Montevideo, Tarbes, Paris – dont on sait que Caradec les juge indispensables à la connaissance d’un auteur. La première version de cette étude a maintenant plus de quarante ans. J’imagine que les recherches ducassiennes ont progressé depuis – je n’ai pu démêler par exemple si Caradec avait vu à cette époque le portrait de Lautréamont que l’on connaît aujourd’hui – et il faudra aller voir du côté de chez Lefrère pour s’en rendre compte. J’ai bien envie de continuer le voyage et me félicite d’avoir renoué avec un auteur que je n’avais pas revisité depuis ma première lecture des années 1978-1979, conseillé par un condisciple qui, vu notre jeune âge, avait un sacré flair.
 
 
SAMEDI.
             L’Invent’Hair perd ses poils.
 
Paris, rue du Faubourg Saint-Martin, photo de Pierre Cohen-Hadria, 4 septembre 2007
 
   C'est le seul des 21 éléments qui composent la famille Créatif à présenter un doublement du T.
 
             Invent’Hair, bilan d’étape. Nous atteignons aujourd’hui le seuil des 600 photos. Les 100 dernières ont intégré l’Invent’Hair dans les six derniers mois, le rythme est moins échevelé que lors de la période estival mais reste soutenu.

 

                                 Bilan géographique. En ce qui concerne le territoire français, la Nièvre, la Seine-et-Marne et le Val-de-Marne sont désormais représentés, ne laissant sur le carreau que vingt départements métropolitains dont voici la liste : Ain, Aisne, Ariège, Cantal, Cher, Corse-du-Sud, Eure, Gers, Indre, Landes, Loiret, Lot-et-Garonne, Mayenne, Meuse, Pas-de-Calais Seine-et-Marne, Tarn-et-Garonne, Yonne, Territoire de Belfort, Hauts-de-Seine. Au classement départemental, le Rhône est en tête (51 salons), devant les Vosges (43). La Meurthe-et-Moselle (24) décroche le Finistère (20) et l’Aude gagne deux places avec six salons supplémentaires. Pour les régions, le trio de tête est inchangé, Rhône-Alpes (82), Île-de-France (75), Lorraine (68), et il faut descendre à la cinquième place pour voir un mouvement, le Languedoc-Roussillon qui rejoint la Bretagne avec 41 salons. Au rang des régions déshéritées, remarquons la pauvreté de la Picardie (2 salons) qui a remplacé le Nord-Pas-de-Calais à la dernière place et qui offre une DCR (Densité Capillaire Régionale) affligeante avec un salon pour 950 177 habitants. Pour ce qui est des communes, Paris accentue son avance sur Lyon avec 67 salons contre 28, Epinal garde la troisième place (12) mais est rejointe par Nancy (12). Suivent Avignon 7 qui progresse régulièrement (+ 1) et Barcelone qui gagne 3 salons (7). Perth fait une entrée fracassante avec 5 salons. Ces deux dernières villes témoignent de l’élargissement géographique du chantier : 25 salons sur les 100 derniers recensés proviennent de l’étranger : Espagne et Ecosse, donc, mais aussi Angleterre, Canada, République tchèque, Suède, Suisse et Turquie.

 

                                 Bilan poétique. Nous avions étudié lors de notre dernier bilan l’axe grammatical qui continue à se développer avec l’irruption de quatre salons appartenant à la famille Epithète, riche désormais de 12 membres. Mais laissons là la linguistique pour nous tourner vers la littérature. La question est de savoir si les merlans ont des préoccupations littéraires autres que celles dont témoignent les magazines plus ou  moins frais qui traînent sur leurs tables. La réponse est oui. Tif’Annie peut évoquer Truman Capote, Olive Hair peut rappeler Dickens (le verbe to twist peut d’ailleurs avoir des connotations capillaires), L’Hair Marin renvoie à du Bellay, Agence de Détectifs peut rassembler la littérature policière (y compris la collection Un Miss T Hair). Pour les autres genres littéraires, Barbe Bleue et Boucles d’or nous conduisent directement dans le domaine des contes où règnent Fée pour elle et Hair Fairy. Tif est tondu renvoie à la bande dessinée, Graffitif évoque une littérature plus sauvage, du genre de celle qu’on ne trouve pas chez le Libr’Hair ni à la Maison de la Tresse. En jouant un peu, on peut mélanger Millen’Hair et Tifenium pour obtenir la célèbre trilogie de Stieg Larsson. Certain salons, dont l’intitulé ne comporte pas de jeu de mots, ne figurent dans l’Invent’Hair que par intérêt littéraire : c’est le cas de plusieurs Elle et Lui, qui nous emmènent chez George Sand, et de Le Rouge et le Noir, salon strasbourgeois que l’on imagine assez classique. Regrettons pour terminer qu’un seul nom d’auteur ait été utilisé en devanture, il s’agit de Volt’Hair qui existe en plusieurs exemplaires. Il y a pourtant de quoi faire du côté d’Apollinaire ou d’Aimé Césaire, de Rétif de la Bretonne, de Saint-John Persépoils ou de la perruque à Perec.

 

                                 Bilan humain. Souhaitons d’abord la bienvenue aux 12 nouveaux contributeurs qui sont venus enrichir notre horizon lors de cette nouvelle série. Pour les habitués, la bataille fait rage en tête du classement : 8 salons de plus pour le notulographe, 8 pour Benoît Howson, 10 pour Pierre Cohen-Hadria, 11 pour Philippe de Jonckheere, 12 pour Marc-Gabriel Malfant qui augmente ainsi son avance avec un total de 111 photos. Viennent ensuite le notulographe (98), Pierre Cohen-Hadria (38), Benoît Howson (37), Bernard Gautheron (24), Hervé Bertin (21), Philippe de Jonckheere et Francis Henné (19).

 
 
DIMANCHE.
                  Vie notulaire.Midi sonne. Les notules ne partent pas. C’est une nouveauté : en dix ans, c’est la première fois que je ne remplis pas mon devoir hebdomadaire sans avoir prévenu les abonnés. C’est une drôle de manière de célébrer, avec un peu d'avance, le dixième anniversaire des notules dont le premier numéro date du 11 mars 2001. C’est aussi peut-être l’occasion de serrer les freins et de m’arrêter un instant, en route, pour examiner la carrière parcourue. Il y a dix ans, un certain nombre d'événements et de circonstances avaient modifié de façon sensible le cours de ma vie. La naissance d'Alice, l'abandon de la musique, la mise au wagon, l'abandon de toute vie sociale - un domaine dans lequel la médiocrité dont je faisais preuve était suffisamment étincelante pour que le soulagement que me procurait ce renoncement fût partagé par beaucoup - en furent les premières manifestations. Là-dessus vint se greffer une désillusion professionnelle qui me conduisit à considérer avec méfiance le système qui m'employait et ceux qui semblaient s'y mouvoir avec aisance. A partir de ce jour, je résolus de me désintéresser totalement de ce qui dépassait le cadre des quatre murs de ma salle de classe, au sein de laquelle je continuerais à faire ce que je pouvais pour le public qui m'était confié, et de considérer mon métier comme un moyen de financer l'autre moitié de ma vie que j'emploierais à "méditer et cognoistre", autrement dit pour moi, à lire et à écrire puisque je n'étais bon qu'à ça. Je n'ai jamais dérogé : les filles ne m'ont jamais vu corriger une copie. J'avais donc du temps. J'avais depuis peu un ordinateur dont je pouvais me servir comme d'une machine à écrire un peu plus sophistiquée (je n'ai pas beaucoup progressé depuis), j'avais Internet qui permettait d'économiser des timbres, il me restait quelques amis qui sauraient accueillir avec bienveillance les nouvelles que je leur enverrais. On était dimanche, je trouvai le titre "Notules dominicales de culture domestique" - sans bon titre, pas de chantier possible. Le 11 mars, pour le premier numéro, un destinataire. Au numéro 20, il y en avait 3, au numéro 30 il y en avait 14, au numéro 50 il y en avait 22, je faisais ma pelote, de bouche à oreille. Un de ces correspondants, auquel j'étais lié par une amitié antique et indéfectible, me proposa alors de mettre ses connaissances informatiques au service de la création d'un site dédié aux notules. Ce qui fut fait, le site existe toujours, il est toujours régi par la même personne que je ne remercierai jamais assez. La conséquence en fut un élargissement notoire du public : 31 notuliens en 2002, 72 en 2003, 107 en 2004, 157 en 2005, 190 en 2006 et ainsi de suite, il y en a 331 aujourd'hui. Parmi ceux-ci, je ne sais pas lesquels me faisaient le plus peur : ceux dont je connaissais les noms pour les avoir vus sur des livres ou les inconnus qui m'accordaient une confiance dont j'avais tout autant intérêt à me montrer digne. Pour ce faire, je me mis à compulser des tas de blogs ou de sites d'inspiration autobiographique, avant tout pour apprendre ce que je ne voulais pas faire. Je lus des niaiseries sans nom, des amas de fadaises, je me gorgeai ad nauseam de pages insipides en me promettant d'en prendre le contrepied. Ce ne sont pas les bons écrivains qui vous font progresser : ceux qui vous apprennent à écrire, ce sont les écrivains bavards. Ce qui ne m'empêcha pas de commettre des erreurs : me croyant tenu par l'obligation de tout dire, je me forçai à ne rien cacher et à faire preuve d'une sincérité sans tache avant de me rendre compte que les notules étaient utilisées par certains comme un logiciel espion. Je tombai aussi dans le travers d'Internet qui consiste à réagir sans réfléchir : je ferraillai contre des abrutis, je perdis mon sang-froid face à d'obtus zélotes, je me fis avoir par des aigrefins de basse extraction et de Basse Provence, je perdis des plumes et des illusions. Aujourd'hui, je pense avoir un peu mûri : je dis ce que je veux, revendique le droit de me taire, de me contredire et de m'en aller. Le contenu des notules s'en est trouvé allégé : le nombre de choses qu'il n'y a pas lieu de dire augmente chaque jour. En décembre dernier, le mot "tragique" a suffi à couvrir ce que nous avions vécu ici, les explications ont été données à ceux qui se sont inquiétés. S'il n'y avait pas chaque semaine un aperçu de l'Invent'Hair et de l'Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental, certains numéros seraient quasiment vides. Pourtant je continue avec la même application, d'ailleurs la chose à laquelle j'apporte le plus de soin - parce que c’est celle qui me touche le plus - est peut-être celle qui n’est jamais lue : les listes des victimes figurant sur les monuments aux morts. La notulie, dans sa grande majorité, a accepté cette évolution sans moufter, c'est une communauté bien élevée. Ma vie extra-notulienne a aussi, du fait de mon exposition, subi des changements : j'ai fait des rencontres, j'ai intégré des cercles littéraires et scientifiques, j'ai pu écrire dans des journaux et des revues dont les responsables m'ont sollicité. Je tiens à souligner ce dernier point : je n'ai jamais rien proposé, on est toujours venu me chercher, c'est la seule chose sur laquelle je veux bien montrer un peu de fierté. Pour le reste, j'ai trop vu de têtes pleines d'eau éclater comme des pastèques trop mûres après avoir vu leur nom imprimé sur une couverture pour ne pas être prudent. Internet, qui permet à tant de gens de se pousser du col, est en fait une formidable école d'humilité : quel que soit le domaine que vous croyiez connaître, quel que soit le sujet que vous pensiez dominer, quelle que soit l'activité en laquelle vous vous saviez habile, en deux clics vous pouvez voir qu'il y a par le vaste monde une palanquée de gens qui savent ou font ça bien mieux que vous. Et si jamais la tentation me venait d’attraper la grosse tête, la parfaite et saine indifférence avec laquelle on considère ici, dans mon environnement proche, tout ce que je gribouille fournirait un splendide antidote. "C’est cocasse", a-t-on dit au sujet de ma première publication. Cela ne valait sans doute pas un autre qualificatif. Voilà ce que l'on peut dire sur cette drôle d'aventure. Tout n'est peut-être pas exact, on ne se reconnaît pas à dix ans d'intervalle, on est infidèle à ce qu'on a été. De plus, j'ai pris soin de priver de guillemets les huit citations d'auteurs divers, parfois légèrement modifiées, dont j'ai truffé cette notule. Saura-t-on y retrouver Charles Baudelaire, Samuel Beckett, Pierre Bergounioux, André Gide, Lautréamont, Paul Léautaud, Georges Perec et Marcel Proust ?
 
                         Lecture.Version originale (Portrait in smoke, Bill Ballinger, 1950, Presses de la Cité, coll. Un mystère n° 50, 1951, rééd. in Polars années 50, vol. 1, Omnibus, 1995; 1182 p., 145 F).
                                         Jacques Baudou a raison de parler dans sa présentation de la remarquable construction de cette histoire policière contée en montage parallèle : un homme qui tombe amoureux d’une jeune femme qu’il découvre sur une photographie et qu’il se met à rechercher en suivant sa vie à la trace et, de l’autre côté, le parcours de cette femme dévoilé avec toujours un temps d’avance sur la quête du chasseur. C’est très bien fait, sans graisse superflue, implacable et ça se lit d’une traite avec grand plaisir. A piocher comme cela au hasard dans les cinq tomes Omnibus qui rassemblent les pépites de la collection Un mystère, on aurait tendance à juger celle-ci largement supérieure à sa rivale de chez Gallimard, la Série Noire. Mais il s’agit justement de pépites, d’une sélection fort bien faite qui n’a retenu que le meilleur. Si Gallimard se donnait la peine de faire le même travail sur sa collection et de consacrer quelques Quarto à une sélection de ses meilleurs titres sur une époque donnée, nul doute qu’on arriverait au même résultat concluant.
 
 
LUNDI.
              Du bonheur d’être en vacances. "En partenariat avec la Région Lorraine, la Compagnie *** présentera son nouveau spectacle sur certaines lignes du Métrolor TER et dans des gares lorraines du 7 au 12 mars. Ce spectacle se veut être un vecteur de lien entre les gens, à travers le théâtre. La troupe fera partager aux voyageurs une expérience insolite et originale dans des lieux de rencontres a priori sans lien apparent avec le spectacle vivant." Je suis bien heureux de ne pas avoir à prendre le train cette semaine. J’ai horreur des vecteurs de lien.
 
               Lecture. Le temple des livres (Roger Grenier, Gallimard, coll. nrf, 2011; 176 p., 16,50 €).
                            Roger Grenier, 91 ans aux prunes, a passé sa vie dans les livres, il habite rue Sébastien-Bottin depuis des lustres. Il sait donc de quoi il parle mais cela n'empêche pas le sentiment de déception que l'on peut avoir devant ce recueil thématique : un chapitre sur littérature et fait divers, un chapitre sur littérature et vie privée, un chapitre sur l'inachevé et ainsi de suite, certains sont d'ailleurs des articles parus précédemment et remis au goût du jour. Le propos est agrémenté de citations, de considérations personnelles fort intéressantes mais qui ne dépassent pas le niveau d'une promenade lettrée, certes, mais sans véritable énergie. Apprendre qu'on peut "lire la très antique, très vénérable et toujours émouvante Odyssée, comme un poème de l'attente" ne constitue pas vraiment une révélation fracassante. Il me semble qu'un Pierre Dumayet, contemporain de Grenier au parcours similaire, se montrait beaucoup plus captivant dans son Autobiographie d'un lecteur qui révélait par exemple sa lecture passionnante de Flaubert. Roger Grenier ne s'éveille de son propos ronronnant que lorsqu'il s'agit de Gérard de Nerval dont la vie le passionne, de Camus dont il soutient les idées ou de Pascal Pia qu'il admire pour sa science et son silence éditorial. Un bel exemple.
 
 
MARDI.
           En feuilletant Livres Hebdo.Marie Franchiset, Le chirurgien-dentiste dans le cinéma et la littérature du XXe siècle, L’Harmattan, 2011, 107 p., 11,50 €.
 
           Vie informatique. Je récupère l'ordinateur, débarrassé de ses miasmes et de ses impuretés.
 
 
MERCREDI.
                  Vie capillaire. "Un sanglier chez le coiffeur. L'animal a chargé hier les clients dans les rayons du centre commercial Leclerc à Frouard avant de dévaster un salon de coiffure."  Vosges Matin, qui relate l'événement dans son édition du jour, ne donne malheureusement pas le nom du salon. Une rapide recherche m'apprend qu'il s'agit de JSD coiffure, une enseigne qui ne présente pas d'intérêt pour l'Invent'Hair. Le sanglier n'était donc pas un notulien déguisé désireux de faire des photos choc.
 
   
 
 
JEUDI.
          Presse. Parution de mon article sur Frédéric Pagès dans Vosges Matin.
 
          Lecture. Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (Maurice Leblanc, Lafitte, 1908, rééd. in "Les Aventures extraordinaires d'Arsène Lupin" vol. 1, Omnibus 2004, 1216 p., 23 €).
                       Une nouvelle d'Arsène Lupin gentleman cambrioleur, paru l'année précédente, mettait déjà en scène Herlock Sholmès. Le célèbre détective portait d'ailleurs son vrai nom dans la pré-publication dans Je sais tout en 1906 mais Conan Doyle ayant fait part de son mécontentement, Sherlock Holmes était devenu Herlock Sholmès. Les deux héros sont ici face à face dans deux nouvelles histoires, "La Dame blonde" et "La Lampe juive". Des histoires un peu embrouillées d'ailleurs, dont l'action s'emballe parfois brutalement sans grand souci de vraisemblance mais l'essentiel n'est pas là. C'est la confrontation de ces deux monstres sacrés qui intéresse Leblanc, et ce sont les scènes dans lesquelles ils sont face à face qui donnent du sel à ces récits. Leblanc a vieilli Sherlock Holmes ("âgé d'une cinquantaine d'années, il ressemble à un brave bourgeois qui aurait passé sa vie devant un bureau, à tenir des livres de comptabilité"), modifié les relations avec son faire-valoir, nommé Wilson, qui lui sert un peu de souffre-douleur parfois ridicule, parfois pathétique. Et si "La Dame blanche" se termine par l'humiliation du détective, "La Lampe juive" constitue un match beaucoup plus serré. Les deux adversaires se respectent mais ne s'épargnent aucun coup tordu pour le plus grand plaisir du lecteur. Malheureusement, souligne Jacques Derouard dans sa présentation, il manque à ce lecteur d'aujourd'hui la connaissance de l'actualité contemporaine à la publication de ces aventures dont Maurice Leblanc s'est beaucoup inspiré.
 
 
VENDREDI.
                 Lecture. Carnet d'un biologiste (Jean Rostand, Stock, 1959, rééd. Le Livre de poche, 1971; 160 p., s.p.m.).
                              J'ai cherché longtemps ce livre, en vain, il y a une trentaine d'années. J'avais sans doute vu ou entendu Rostand parler de son travail et le personnage m'avait marqué. Je dis bien son travail car c'est en tant que biologiste qu'il m'intéressait - Jean Rostand fut l'intime de la grenouille, au même titre que Jean-Pierre Brisset - et j'imaginais ce carnet comme un carnet de travail. Ce qu'il n'est pas, je viens de m'en rendre compte : c'est le Rostand écrivain (il entre, la même année à l'Acadéfraise), le philosophe, le moraliste qui parle dans ces pages. Jean Rostand écrivain, il n'y a pas à s'en étonner : il est le fils d'Edmond et, comme il n'y a pas de hasard, son fils François fréquente le même lycée qu'un certain Boris Vian, le fils de ses voisins à Ville-d'Avray. L'écriture est le prolongement de ses travaux scientifiques qui portent essentiellement sur la génétique. Son Carnet  recueille des réflexions sur ces travaux, sur la science en général, la politique, le pacifisme, le marxisme, etc. Elles prennent la forme de phrases ciselées dans lesquelles on sent bien que Rostand se veut l'héritier des forgeurs de maximes, des Chamfort, La Rochefoucauld et autres. Il se montre plutôt doué dans le genre, un genre qui possède aussi ses travers comme les formules inutilement alambiquées ou creuses, Rostand ne passe pas à travers. Aucune formule de ce Carnet n'est reprise dans le Dictionnaire des citations françaises de Robert, qui en a cependant prélevé plusieurs dans d'autres recueils de Rostand. En voici une tirée d'Inquiétudes d'un biologiste qui mérite effectivement de passer à la postérité : "Le biologiste passe, la grenouille reste." C'est beau, on dirait du Brisset.
                                             
 
SAMEDI.
             Football. SA Epinal - ASM Belfort 1 - 0.
 
             L’Invent’Hair perd ses poils.
 
Paris, rue du Faubourg-Saint-Martin, photo de Pierre Cohen-Hadria, 4 septembre 2007
 
             IPAD. 25 octobre 2009. 170 km. (11725 km).

 

308 habitants

 

   Le monument est situé devant la Mairie, dans une rue qui porte un nom curieux.

 

 

   C’est une stèle en pierre rose, taillée comme un obélisque, entourée de neuf plots reliés par une grosse chaîne noire aux maillons rectangulaires. Sur l’avant, une croix de Lorraine, une palme et une composition comprenant un drapeau et sa hampe, un casque, un fusil, un sabre et des branches de chêne et d’autre chose. Sur la marche de droite, un pot avec des plantes qui n’ont pas encore gelé.

 

 

   Face :

 

La commune de Damblain

Reconnaissante

A ses enfants

Morts pour la France

 

Droite, sous une croix de guerre :

 

BUREL Charles

CARBILLET Joseph

CORNEVIN Hippolyte

DEVILLARD Jules

CORNEVIN Arsène

THIVET Charles

CARBILLET Paul

GUENIOT Lucien

DEVILLARD Fernand

PREVOST Hippolyte

CARBILLET Charles

DEPIETRI André

VALLON Albert

RAGUET Jules

FOURQUAUX Charles

 

   Sur une plaque de marbre vissée :

 

1939 -1944

 

VALLON Romain

GUEMARD Eugène

ROUGE Marc

TAILLER Henri

 

   Gauche, sous une croix de guerre :

 

HATIER Maurice

THÊTEVUIDE Désiré

BEULNE Charles

FOURQUAUX Victor

VALLON Léon

DELCOURT Robert

BRAYER Henri

MONNIOT Julien

PICOT Marcel

CARBILLET Julien

BOUVINET Léon

ADAMISTRE Lucien

BUREL Jules

CHAUSSIER Léon

BEGUINOT Joseph

 

   Ce qui fait tout de même quatre Carbillet. De l’autre côté de la rue, l’église est ouverte. Il y a une plaque de marbre :

 

 

La paroisse de Damblain

A ses fils

Morts pour la France

 

   Suivent vingt-huit noms, accompagnés des grades et des années de décès des victimes. Il en manque donc deux par rapport au monument civil : BEGUINOT Joseph (placé en dernier à l’extérieur, donc sans doute mort après la confection de la plaque) et PREVOST Hippolyte. Par ailleurs, et c’est le plus remarquable, Léon VALLON s’est transformé en Charles VALLON. Sous la liste :

 

Honneur aux braves, aux héros, aux martyrs

Comme le Christ, ils se sont sacrifiés pour tous

Accordez leur, Seigneur, la vie éternelle

 

                              

Bon dimanche.

 
Notules dominicales de culture domestique n°482 - 20 mars 2011
 
DIMANCHE.
                  Vie notulaire. Je retrouve avec plaisir, après trois semaines d'abstinence, le cérémonial du dimanche midi, le polissage des notules, la chasse aux scories orthographiques et autres, l'envoi aux notuliens sagement regroupés en paquets de quarante, en attendant un autre cérémonial, celui du soir, avec la découverte des premières réactions. J'avoue que cela m'a manqué et que c'est bien la seule chose qui m'ait manqué au cours de ce sevrage forcé : s'il n'y avait pas les notules, il y longtemps que j'aurais bazardé Internet et son folklore.
 
                  Courriel. Trois demandes d'abonnement aux notules.
 
 
LUNDI.
          Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Je reprends le collier par l'intermédiaire du 7 heures 31, toujours copieusement garni le lundi matin. Toujours garni mais toujours étonnamment calme : chacun, après avoir trouvé sa place, dégaine son téléphone de poche, sa tablette ou son ordinateur et s'absorbe dans sa tâche mystérieuse, personnelle et silencieuse. Les casques couvrent les oreilles, les doigts s'agitent pour taper des messages, ouvrir des programmes, des applications. Il y a dix ans, peut-être moins, voyager en train était devenu un calvaire. Le téléphone de poche n'était pas aussi répandu qu'aujourd'hui, il y avait un phénomène de découverte, d'expérimentation, auquel s'ajoutait parfois une bonne dose d'exhibitionnisme. A cette époque, tous les pékins qui montaient dans le train défouraillaient pour appeler Pierre, Paul, Jacques et annoncer : "Je suis dans le train". Et ce n'était pas fini, après il y avait des "On démarre", "On est à Truc-sur-Moselle", "J'arrive dans cinq minutes" et "On est arrivés, tiens, t'es là, mais comment t'as su ?" Aujourd'hui, il n'y a plus guère que quelques malotrus, en général des mûrs bien mis, qui éprouvent le besoin de traiter leurs affaires professionnelles en direct et à voix haute pour montrer combien ils sont pris et souligner l'importance du poste qu'ils occupent. Maintenant qu'il n'épate plus grand monde, le téléphone de poche a perdu de son charme. D'ailleurs, j'ai jeté le mien il y a lurette, je préfère observer avec une gourmandise de paléontologue les dinosaures qui lisent encore des livres en papier dont je note fébrilement les titres sur mon calepin. Pour ce matin, ce sera La machine infernale de Cocteau en Folio et Les chiens de guerre de l'Amérique de Jean-Jacques Cécile (Nouveau Monde éditions, 2008). Il faudra que je raconte un jour pourquoi j'ai jeté mon téléphone de poche.
 
          Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
 
 
JEUDI.
          Lecture. La rivière noire (Myrka, Arnaldur Indridason, Forlagid, 2008 pour l'édition originale, Métailié Noir/Bibliothèque nordique, 2011 pour la traduction française, traduit de l'islandais par Eric Boury; 304 p., 19 €).
                       Le succès d'Arnaldur Indridason au fil des six romans qui ont précédé celui-ci reposait principalement sur la personnalité de son enquêteur récurrent, le monolithique commissaire Erlendur. La qualité des enquêtes menées par celui-ci et l'exotisme islandais faisaient le reste. Aujourd'hui que le côté exotique s'est logiquement émoussé (le lecteur français se balade dans les fjords comme sur le boulevard Saint-Germain et ne sursaute plus devant les personnages nommés Runolfur, Valdimar ou Ragnar Thor), Indridason choisit de se passer de son personnage fétiche pour mettre au premier plan une de ses collègues, Elinborg, silhouette aperçue lors des précédents épisodes. Que reste-t-il donc ? L'enquête, seul point d'appui. Est-ce une pause volontaire, une panne d'inspiration ? On pencherait plutôt pour un défi sous forme de ballon d'essai : et si je mettais Erlendur au placard, est-ce que ça marcherait quand même ? La réponse est affirmative, c'est du polar solide, bien conduit, avec ce qu'il faut de rebondissements, de fausses pistes et de surprises. Mais c'est du polar standard. L'écriture d'Indridason n'a jamais été extraordinaire et charrie son lot de clichés. Mise au service d'un personnage aussi falot que cette Elinborg qui semble tout droit sortie d'un roman de la fade Camilla Läckberg, elle laisse d'autant plus voir ses défauts. Malin, Indridason n'insulte pas l'avenir : le commissaire Erlendur est parti en vacances mais n'a pas donné de nouvelles. Il peut aussi bine réapparaître que se perdre dans les glaces, on imagine que c'est l'accueil réservé à ce roman qui en décidera. Ne l'achetons pas, clamons que c'est une bouse, si c'est le seul moyen de faire revenir Erlendur.
 
          Vie notulienne. Je ne sais combien de notuliens habitent au Japon mais j'en connais au moins un, à Tokyo. Je peux donner son nom, il a une vie publique, j'ai déjà parlé de lui, il s'appelle Michaël Ferrier. Au vu des événements locaux, je me faisais un peu de bile à son sujet mais n'avais pas encore pris la peine d'essayer de le contacter. C'est avec soulagement que j'ai découvert l'article qu'il signe dans Libération de ce matin, il est peut-être encore en ligne sous ce lien http://www.liberation.fr/monde/01012326017-la-tectonique-des-sentiments Je lui ai envoyé un mot pour manifester mon soulagement et je donne ici copie partielle de sa réponse avec la demande dont il me fait part :
[...] Le calme et la détermination des Japonais tranchent avec le vacarme hystérique qui semble s'être emparé du reste de la planète. Je pense remonter dans le Nord bientôt pour aider comme je peux. Les gens dans le Nord manquent de tout, vous pouvez adresser des dons à la Croix Rouge, faites passer le message s'il vous plaît, la plus petite obole est importante, merci.
 
 

SAMEDI.

             IPAD. 11 novembre 2009. 77 km. (11687 km).

 

1323 habitants

 

   Le monument est situé à l’entrée d’une grande place gazonnée, sur une esplanade gravillonnée entourée d’un grillage et d’une haie de thuyas coupés ras qui se partagent équitablement sa circonférence. Une chaîne à gros anneaux hérissés de piquants délimite un carré de terre planté de petits buis et d’autres plantes. Contre la stèle s’appuie un Poilu, le poing gauche serré, la main droite tenant un fusil prolongé par une baïonnette. Au sommet, une croix de guerre, sur les côtés, des palmes et plaques qui servent de supports à divers hommages : "La classe 1922 à ses aînés", "La classe 1919 à ses aînés", "Honneur et Patrie classe 1925". Deux drapeaux sur les côtés. Une composition de chrysanthèmes repose sur un petit banc de bois peint en blanc. Elle provient de "La porte de la forêt – Floréal – Darney – Contrexéville".

 

 

   Face :

 

Aux enfants de Darney

Morts pour la France

 

   Droite :

 

23 noms de MASSON Emile à ODIN Joseph

 

Guerre 1939-1945

 

NOEL Roger

PETER Louis

REMY Jean

THIEBAUT Pierre

 

Guerre 1939-1945

 

SERVAS Pierre

 

   Gauche :

 

26 noms d’ALBRECHT Paul à MARCHOND Pierre (qui devait sursauter quand il entendant la Marseillaise)

 

Guerre 1939-1945

 

CLEVY René

DIDELOT Jean

LALLEMAND Aimé

LEGAIT Jean

 

   LALLEMAND Aimé : drôle de nom pour mourir à la guerre.

 

   Plus bas dans la rue, un monument est consacré "à la mémoire des enfants du canton de Darney morts pour la France en 1870-1871". Il provient des établissements métallurgiques Durenne et porte les noms des morts issus des communes de Relanges, Hennezel, Pierrefitte, Belrupt, Dombasle, Darney, Bonvillet, Attigny, Senonges, Escles, Pont-les-Bonfays, Esley, Sans-Vallois, Frénois et Jésonville.

 

             L'Invent'Hair perd ses poils.
 
Paris, rue de Mouzaïa, photo de Pierre Cohen-Hadria, 4 septembre 2007
 
 
Bon dimanche.
 
Notules dominicales de culture domestique n°483 - 27 mars 2011
DIMANCHE.
                 Courriel. Quatre demandes d'abonnement aux notules.
 
                 Obituaire.
 
 
                               Cacahuète, intrépide gerbille, vivait parmi nous depuis presque quatre ans. Pas en continu, son métier de cascadeur l'emmenait parfois très loin sur des tournages où il jouait la doublure de stars prestigieuses et un tantinet trouillardes. C'est sur un de ces tournages, au cours d'une scène particulièrement dangereuse - la photo que nous avons pu obtenir d'un paparazzi compatissant est assez parlante -  qu'il a trouvé la mort hier soir. Les filles sont en larmes et nous mêmes, les grands, n'en menons pas large. Cet après-midi, lorsque le corps nous sera rendu, nous irons l'enterrer au pied du monument aux morts de Fomerey, puisque c'est la destination du jour, et j'inscrirai son nom au bas de la liste des victimes qui y figurent. Il y a droit : après tout, il a tourné dans bien des films de guerre.
 
                 Lecture. Queneau losophe (Jean-Pierre Martin, Gallimard, coll. L'un et l'autre, 2011; 224 p., 17,90 €).
                              Compte rendu à rédiger pour Vosges Matin.
 
 
MARDI.
           Lecture. Chêne et chien, Raymond Queneau, Denoël, 1937, rééd. in Oeuvres complètes I, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1710 p., s.p.m.).
                        Retour sur Queneau après le petit essai de Jean-Pierre Martin. Pas question de s'y étendre, c'est comme pour Lautréamont : la notulie est peuplée de queniens de première bourre et je marche sur des oeufs. Je me contenterai de dire mon enchantement à la lecture de la première partie, ce récit d'enfance autobiographique en vers dont l'ouverture donne le ton : "Je naquis au Havre un vingt et un février/en mil neuf cent et trois/Ma mère était mercière et mon père mercier :/ils trépignaient de joie". Souvenirs de famille, de lycée, de voyages s'enchaînent sur des rythmes et des mètres variés mais réguliers. La deuxième partie relate la psychanalyse menée par Queneau à partir de 1933 : le moi devient plus complexe, la forme poétique devient plus chaotique, le propos plus amer. Rappelons pour finir que "chêne et chien" sont deux mots issus de la racine "quen" contenue dans le nom du poète. Il en tire un développement sur ces deux influences, sur son double destin de "Vétérinaire, horticulteur" fort bien analysé par François Caradec dans Entre miens. C'est à la page 565, je préfère renvoyer à un spécialiste.
 
 
JEUDI.
          Lecture. Au Rendez-Vous des Terre-Neuvas (Georges Simenon, Fayard, 1931, rééd. Rencontre, 1967, in Oeuvres complètes Maigret II; 632 p., s.p.m.).
                       Maigret est appelé à Fécamp pour innocenter un jeune télégraphiste accusé d'avoir assassiné le capitaine de son bateau. Pas de chance, il s'apprêtait à partir en vacances en Alsace avec Madame. Qu'à cela ne tienne, les préparatifs sont interrompus, direction Fécamp. La présentation du départ imminent, l'arrivée du message, la décision de changer de destination, tout cela tient en une page. Pas de temps à perdre chez Simenon : quelques lignes plus loin, Maigret a posé ses valises à l'hôtel et s'assoit au Rendez-Vous des Terre-Neuvas, le café où il va user de sa tactique habituelle, l'immersion, l'imprégnation, pour résoudre l'énigme et trouver le vrai coupable, presque sans avoir à bouger du comptoir. "Il y eut une note grêle, du côté de la falaise : l'horloge de la Bénédictine qui sonnait une heure." Tout de suite, le frais souvenir de Queneau, Chêne et chien : "Fécamp, c'est mon premier voyage;/On va voir la Bénédictine." Le hasard n'existe pas, toutes nos lectures sont liées, volontairement ou non. Une autre phrase relevée : "Un bateau noir gravitait insensiblement sur la ligne d'horizon, pénétrait dans le soleil, en ressortait de l'autre côté, comme on traverse un cerceau de papier". Pourquoi la relever ? Parce que c'est la seule image de tout le roman. Elle est splendide, on le sait depuis au moins Un chien andalou,elle suffit, il n'y en aura pas d'autre. Champion, Simenon.
 
 
VENDREDI.
                 Presse. "Le slogan "Y'a bon Banania" devant le tribunal. Le MRAP accuse le fabricant de cacao en poudre de ne pas avoir retiré la mention de tous ses produits", titre du Figaro du jour. Je ne pensais pas trouver aussi vite l'occasion de montrer cette photo prise la semaine dernière :
 
 
                             C'est la vitrine d'une épicerie devant laquelle je passe tous les jours. L'épicier est collectionneur, il expose ses trophées. Mais si un croisé du MRAP ou d'une chapelle équivalente passe un jour devant sa boutique, je ne donne pas cher de ses chances de jouir encore longtemps de sa liberté de mouvements. Une perquisition à son domicile permettra sans doute de découvrir qu'il cache un exemplaire de Tintin au Congo dans sa bibliothèque. Là, il pourra remercier Badinter d'avoir fait supprimer la guillotine.
 
              Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
 
              Lecture. Le Paris de Gainsbourg. Itinéraires d’une vie capitale (Ersin Leibowitch & Dominique Loriou, Jacob-Duvernet, 2011, 144 p., 14,90 €).
                           Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.

 
 

SAMEDI.

             Courriel. Quatre demandes d'abonnement aux notules.

 

             Football. SA Epinal - Paris-Saint-Germain (B) 1 - 0.

 

             IPAD. 15 novembre 2009. 128 km. (11815 km).

 

70 habitants

 

   Pas de monument aux morts visible. L’église est fermée. Au cimetière, je trouve tout de même une trace de la Grande Guerre.

 

 
 
             L'Invent'Hair perd ses poils.
 
Paris, rue des Cascades, photo de Pierre Cohen-Hadria, 4 septembre 2007
 
 
A ne pas confondre avec le Nouvel Hair de Quintin présenté dans le numéro 476.
 
 
Bon dimanche.