Notules dominicales 2011
 
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Notules dominicales de culture domestique n°511 - 6 novembre 2011
 
DIMANCHE.
                  Lecture. Les leçons du Mal (Master of the Delta, Thomas H. Cook, Otto Penzler Book, Harcourt, Inc., 2008 pour l'édition originale, Le Seuil, coll. Policiers, 2011 pour la version française, traduit de l'américain par Philippe Loubat-Delranc; 368 p., 21,50 €).
                               Ce roman policier repose sur une construction intéressante, l'auteur ayant choisi de remplacer le "whodunit" par le "what happened". On sait dès l'ouverture qu'un drame s'est produit dans la vie du narrateur, un professeur issu d'une famille aisée du Mississipi, dont l'origine se trouve dans l'intérêt qu'il porte à l'un de ses élèves, connu - et rejeté - comme étant le fils d'un assassin. La chronologie savamment bouleversée - les événements menant au drame se mêlant aux minutes du procès qui le suivra - tient le lecteur en haleine jusqu'à une révélation finale inattendue, comme il se doit. Si l'on ajoute à cela une thématique déjà mise en oeuvre de façon intéressante par Thomas H. Cook dans ses précédents romans (la culpabilité, les liens entre père et fils), un cadre socio-historique bien traité (une petite ville du Sud pas vraiment guérie de ses blessures ancestrales), on obtient un polar de très bonne facture et on en arrive à la question qui compte : comment, après notamment Les feuilles mortes et Les liens de sang, des livres tout aussi réussis que celui-ci, la Série Noire - décidément bien exsangue - a-t-elle pu lâcher un auteur pareil ?
 
 
MARDI.
           En feuilletant Livres Hebdo. Olivier Louis, Le coffret du kama-sutra avec menottes, ESI, 2011, 124 p. 19,90 €. L'essentiel est dans l'accessoire.
 
 
MERCREDI.
                  Vie notulienne. Le site des notules a vécu. Enfin, il existe toujours mais ne sera plus alimenté, les services extérieurs qui s'occupaient de la mise en ligne, Yves Lambert pour ne pas le nommer une première et dernière fois, m'ayant fait part cette semaine de leur désir de s'en éloigner pour s'occuper d'autre chose. Requête on ne peut plus justifiée au bout de dix ans de bons et loyaux services, on imagine en plus, même s'ils sont pudiquement tus, la lassitude et l'ennui. C'était un site voulu, créé, géré et entretenu par une personne de bonne volonté, je n'ai ni la légitimité ni la compétence pour le continuer. Il va désormais s'enfoncer paisiblement dans les fosses à bitume d'Internet, c'est son lot. Il aura été un important vecteur de l'extension du domaine notulien, et la notulie rassemblée, unanime, tire son chapeau au travailleur de l'ombre pour l'ensemble de son oeuvre. Exeat. Maintenant, les notules n'existeront plus que par la cérémonie artisanale du dimanche midi : c'était leur statut au départ, peut-être davantage adapté à leur réelle envergure. Les notuliens se gagneront par le bouche à oreille ou, plus sûrement, s'éloigneront petit à petit. Retenons nos larmes, c'est tout de même beaucoup moins important que le SAS - Niort de dimanche à la Colombière. Je ressens d'ailleurs, à l'annonce de ce changement, un immense soulagement. Ce doit être le côté, christique, messianique, rédempteur ou je ne sais quoi que je trimballe à mon insu : quand j'enlève un poids à quelqu'un, c'est moi qui me sens plus léger. Après réflexion, c'est plus vraisemblablement mon côté bon couillon.
 
 
JEUDI.
          Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Manifeste d'économistes atterrés, ouvrage collectif, Les Liens qui libèrent, 2010.
 
        
VENDREDI.
                 Le cabinet de curiosités du notulographe. Galerie Hussein le Ténébreux, avenue du Général de Gaulle, Epinal. Pour l'histoire d'Hussein le Ténébreux, se reporter aux notules 416 du 27 septembre 2009 (envoi sur demande).
 
 
SAMEDI.
             Presse. Je reste perplexe devant ce titre, tiré de Vosges Matin du jour, annonçant un match de football entre l'équipe de Thaon-les-Vosges et celle d'Auxerre 3 (Championnat de France Amateur 2, groupe C, 8e journée) : "Thaon, le dos face à un mur". Il faut être souple pour jouer à Thaon.
 
             IPAD. 26 septembre 2010. 85 km. (13696 km).

 

301 habitants

 

   Le monument est au sommet du village, sur le côté de l’église. On y accède par une double volée de marches. C’est une colonne plus effilée que celles que l’on voit d’ordinaire, surmontée d’une croix chrétienne et ornée d’une croix de Lorraine, d’une palme et d’une Croix de guerre. Quelques bacs de géraniums agrémentent l’ensemble. Les noms sont inscrits en lettres dorées sur des plaques de marbre noir.

 

 

 

   Face :

 

Pro Patria

1914-1918

A ses glorieux enfants

Morts pour la France

La commune de Domptail reconnaissante 

 

   Droite :

 

1914

 

GEORGE Henri

CUNY Auguste

MATHIEU Sylvère

HENRY Emile

FREARD Hyacinthe

 

1915

 

CUNY Louis

DESAULX Louis

CUNY Raymond

AUBRY Emile

HENRIQUEL Louis

FULCHIN Alcide

POIRINE Emile

LOUIS Charles

DIDIER Henri

 

1916

 

PIERREL Charles

MATHIEU Charles

VAUTRIN Lucien

COLETTE Charles

BOQUEL Albert

CUNY Charles

MOUGENOT Emile

CUNY Joseph

THOMAS Louis

THIEBAUT Paul

 

1917

 

MOUGENOT Charles

ADAM Alexis

 

1918

 

RICHARD Emile

MATHIEU Amand

STANISLAS Alfred  

 

   Gauche :

 

Victimes civiles du bombardement en 1914

 

CLAVERT Marie

LACAILLE Céline

CUNY Marie

MATHIEU Marie

MOUGENOT Joséphine

FROMENT Louis

 

1939-1945

 

ROBERT Charles

DUBAS Justin

VOIRIN Jeanne

 

   On remarquera la forte proportion des noms en forme de prénoms : George, Mathieu, Henry, Louis, Didier, Colette, Thomas, Thiébaut, Adam, Richard, Stanislas, Robert.

 

   Sur le côté, une stèle sur laquelle figurent les noms de 24 soldats et de 10 officiers er sous-officiers.

 

En hommage de la commune de Domptail aux héroïques défenseurs du 146e R.I.F

Fusillés le 20 juin 1940

Et à ceux des unités tués au combat

 
             L'Invent'Hair perd ses poils. 
 
 
Octeville (Manche), photo de Sibylline, 5 mai 2008     
 
             Poil et plume. "Coiffeuse... aveugle
 
   La police italienne a annoncé avoir déféré à la justice une femme qui percevait depuis des années une pension d’invalidité car étant "totalement aveugle", alors que dans les faits elle coiffait les clientes de son salon et se déplaçait à vélo.
   Propriétaire d’un salon de coiffure à Lugo, dans la province de Ravenne (centre-nord de l’Italie), la femme en question, âgée de 62 ans, était d’un point de vue administratif "totalement aveugle".
   La première attestation de cécité partielle date de 1986, une autre de 1997 affirme que la dame "doit être accompagnée quand elle sort de chez elle" et la dernière, de 2008, déclare qu’elle peut compter les doigts à quelques centimètres du visage et ne peut pas travailler.
   En recoupant les données entre la liste des aveugles et leurs activités professionnelles, la police est remontée jusqu’à la propriétaire du salon de coiffure.
   Elle l’a suivie pendant des journées, la filmant en train de couper les cheveux de ses clientes, de se déplacer normalement dans la rue en respectant les feux, choisissant des habits dans des magasins, faisant ses courses au marché et se déplaçant même à vélo.
   Cette dame a perçu au total quelque 43 000 euros de pension et d’indemnités d’accompagnement, dont le versement lui a été immédiatement suspendu par un juge qui a décidé également de se pencher sur le travail de la commission ayant délivré l’attestation de cécité.
   Les "faux invalides" représentent une "réalité désagréable qui caractérise toute la péninsule italienne."  (Vosges Matin, 16 octobre 2011)
 
             Dernière minute. ES Thaon - AJ Auxerre 3 : 3 - 4. Forcément.
 
 
Bon dimanche.
 
Notules dominicales de culture domestique n°512 - 13 novembre 2011
 
DIMANCHE.
                  Football. SA Epinal - Chamois Niortais Football Club 2 - 1.
 
 
LUNDI.
          For your eyes only. L'annonce de l'interruption du site a donné lieu à plusieurs réactions au ton généralement contristé. Voyons cependant le bon côté des choses. Le monument est certes figé mais il peut toujours se visiter. Les cryptonotuliens, privés de leur mode d'accès discret, sont dans l'obligation de faire leur coming out s'ils veulent continuer à se repaître des notules - le premier dévoilement de ce genre s'est produit aujourd'hui. Nous sommes désormais entre nous, sans personne pour lire par-dessus nos épaules, et j'avoue goûter le confort qu'il y a à converser avec une communauté choisie. Ce qui m'amène à rejeter, pour le moment, les suggestions qui m'invitent à me réfugier sur un hébergeur de blogs - où j'arriverais sans doute à me débrouiller - et même à décliner, mais avec reconnaissance, les offres d'aide à distance qui me sont parvenues. Restons-en là pour l'instant et voyons comment ça se passe.
 
 
MERCREDI.
                  Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Insolvables ! Lettre d'espoir au monde que j'ai quitté (Anonyme, Flammarion, 2011) et Histoires drôlement inquiétantes présentées par Alfred Hitchcock, version Pocket de 1995.
 
                  Obituaire. J'apprends par le Carnet du Monde la mort de Bianca Lamblin. Bianca Lamblin, née Bienenfeld, était la cousine de Georges Perec. C'est la famille Bienenfeld qui recueillit Georges Perec après la mort de ses parents, et il fut élevé en compagnie des deux soeurs, Ela et Bianca. Lors de mes première visites au séminaire Perec à Jussieu, dans les années 1990, je me demandais qui pouvait être cette femme impressionnante qui parlait du petit Georges et qui ne mâchait pas ses mots quand il fallait remettre à sa place un intervenant un peu trop téméraire - voir sa Lecture critique de la biographie de Perec par David Bellos. Plus tard, quand j'ai su qui elle était, j'ai lu ses Mémoires d'une jeune fille dérangée, récit de l'incroyable traitement qu'elle eut à subir de la part de Simone de Beauvoir et de Sartre dans son adolescence. Je reproduis, ci-dessous, la notule née de cette lecture. Je peux dire, sans fanfaronnade, que Bianca appréciait mon modeste travail au sein de l'association Georges Perec, il lui est arrivé de m'en parler quand nous nous voyions de loin en loin à la Bibliothèque de l'Arsenal. Inutile de dire que j'étais dans mes petits souliers quand elle m'adressait la parole.
 
Lecture.Mémoires d'une jeune fille dérangée (Bianca Lamblin, Balland, coll. Document, 1993; 208 p., 98 F).
Bianca Lamblin aime les mises au point. Il y a cinq ans, comme le numéro 7 des Cahiers Georges Perec tardait à paraître, elle avait publié à compte d'auteur sa contribution, une Lecture critique de la biographie de Perec (son cousin) par David Bellos, désireuse d'épingler les approximations, erreurs et à-peu-près commis, à son gré, par le biographe. Une mise au point assez sévère, malgré les précautions d'usage. Il faut dire, j'ai pu m'en rendre compte à plusieurs reprises au cours du séminaire Perec, que Bianca Lamblin n'a pas pour habitude de mâcher ses mots. Ici, c'est la parution, en 1990, des Lettres à Sartre et du Journal de guerre de Simone de Beauvoir qui suscite son ire et la fait bondir sur sa plume.
Rappel des faits : en 1937, au lycée Molière, Bianca Bienenfeld, seize ans, est subjuguée par son professeur de philosophie, une jeune femme d'à peine trente ans, Simone de Beauvoir. Elle admire son intelligence, sa beauté, lui écrit, obtient un rendez-vous, devient son amie puis son amante. Beauvoir lui fait rencontrer Jean-Paul Sartre et c'est le début, en 1939, d'une relation triangulaire intellectuelle et charnelle de courte durée : la guerre venue, Sartre lui écrit une lettre de rupture et Beauvoir lui préfère la fréquentation de Jacques-Laurent Bost (les lettres du Castor au petit Bost ont été publiées depuis mais Bianca n'a pas réagi). Bianca se retrouve dans une immense détresse, juste au moment où elle découvre que sa judéité est une menace de mort. Elle épouse Bernard Lamblin, se réfugie avec sa famille dans le Vercors, échappe à la déportation, revoit le Castor avec qui elle reste amie jusqu'à la mort de celle-ci.
Mais en 1990 paraissent donc les fameuses Lettres et le Journal qui jettent un jour nouveau sur cette liaison. Les échanges entre Beauvoir et Sartre laissent clairement apparaître que la première a servi de rabatteuse au second et que Bianca n'a été qu'un jouet dans leurs mains, que c'est le Castor qui a poussé Sartre à rompre après lui avoir fait un portrait détestable de Bianca. Plus que tout, Bianca Lamblin s'emporte contre le fait d'avoir été abandonnée en pleine Occupation nazie, au moment où elle avait le plus besoin de soutiens et de relais pour échapper aux rafles. Elle démolit avec vigueur l'image du couple vedette, souligne les contradictions flagrantes entre leurs idéaux philosophiques et leur comportement au quotidien sans pour autant nier qu'elle a été avant tout la victime de sa propre jeunesse et de sa propre crédulité.
Au-delà de l'aspect polémique qui, aujourd'hui que l'on sait que Simone de Beauvoir n'était pas vraiment un personnage sans taches, a un peu perdu de sa nouveauté, le livre de Bianca Lamblin vaut surtout par ses passages purement autobiographiques, l'évocation de sa famille, la période de guerre, le récit des combats du Vercors, passages dans lesquels apparaît de temps à autre la figure du petit Georges, dans des circonstances sur lesquelles elle aura l'occasion de revenir à propos de sa lecture de David Bellos.
Extrait. "Pour finir ces évocations, je veux encore raconter comment, un jour, vers la fin de sa vie, Simone de Beauvoir me posa l'ultime question : "Que penses-tu, en fin de compte, de notre amitié, de toute notre histoire ?" Après avoir réfléchi un moment, je lui ai répondu : "Il est vrai que vous m'avez fait beaucoup de mal, que j'ai beaucoup souffert pour vous, que mon équilibre mental a failli être détruit, que ma vie entière en a été empoisonnée, mais qu'il est non moins vrai que sans vous je ne serais pas devenue ce que je suis. Vous m'avez donné d'abord la philosophie, et aussi une plus large ouverture sur le monde, ouverture que je n'aurais sans doute pas eue de moi-même. Dès lors, le bien et le mal s'équilibrent."
J'avais parlé spontanément, avec sincérité. Simone de Beauvoir me serra les mains avec effusion, des larmes plein les yeux. Un grand poids de remords était enfin tombé de ses épaules.
Pourtant, lorsque quatre ans après sa mort, j'ai lu les Lettres à Sartre et le Journal de guerre, lorsque, après avoir décidé de rédiger ma version des faits, je réfléchis à mes propos d'alors, je me rendis compte que ma réponse était encore enveloppée dans cette brume dont mon esprit était toujours nimbé et ne pouvait donc contenir qu'une vérité tronquée. Sans doute aussi la mort de Simone de Beauvoir m'avait-elle libérée. Par-delà la mort, elle m'avait envoyé cet ultime message : j'avais reçu en plein visage la figure de sa vérité et de la vérité de nos rapports anciens. Mes yeux étaient enfin dessillés. Sartre et Simone de Beauvoir ne m'ont fait, finalement, que du mal." (notules n° 220, 14 août 2005)


 
 
JEUDI.
          Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Alcools d'Apollinaire en Poésie Gallimard et Paris est une fête d'Ernest Hemingway dans sa nouvelle traduction chez Gallimard.
 
 
VENDREDI.           
                 Le cabinet de curiosités du notulographe. C'est une coquille assez célèbre, mais en voici la version originale (parue vraisemblablement dans Ouest France, édition et date inconnues)que m'a envoyée Bernard Bretonnière.
 
 
 
 
SAMEDI.
             Vie littéraire. Je boucle et envoie pour mise en page le Bulletin Perec n° 59.
 
             IPAD. 10 octobre 2010. 166 km. (13862 km).
 

157 habitants

 

   Il aurait été étonnant qu’ils fassent les choses comme tout le monde, ici. Face à sa maison natale, c’est Jeanne elle-même, brandissant une épée, qui se dresse en marbre blanc, dans les bras d’une reine, un mouton à ses pieds. Le monument figure sur une carte postale vendue au magasin de souvenirs. Les noms sont inscrits sur deux plaques  fixées derrière la statue, sur un parapet qui surplombe des jardins bordant la Meuse.

 

 

   Plaque de gauche :

 

Aux enfants de Domrémy

 

COLOMBEY Victorin 6 sept 1914                    LELIEVRE Georges 11 mars 1915

HOUDART Henri 5 nov 1914                    CULMINIQUE Jean 24 mai 1915

LAMONTAGNE Georges 8 nov 1914                    THOMAS Albert 23 juin 1915

ERHART Pierre 19 janv 1915                    THOMAS Louis 20 août 1915

 

   Plaque de droite :

 

Morts pour la France

 

SERRIER Georges 4 sept 1915                    BAGAD Louis 20 août 1917

PHILIPPOT Raymond 24 oct 1916                    CHARLES Edmond 7 sept 1917

                                                                                                        OUDOT Emile 28 nov 1917

PHILIPPOT Joseph 23 mai 1917               SELLIER Paul 16 juin 1940

 

   Le monument est signé Mercié, peintre et sculpteur de renom (on peut voir son David au musée d’Orsay)… mort en 1916. On peut en déduire que son œuvre, simple hommage à Jeanne d’Arc, a été récupérée à des fins patriotiques et que la commune s’est contentée d’acheter et de faire graver les deux plaques. La paroisse n’a pas fait mieux : l’église ne contient aucune trace commémorative. A Domrémy, on sait choisir ses héros.

 

   On remarquera la présence d’une victime nommée Colombey, qui établit un judicieux trait d’union entre deux personnages marquants de l’histoire de France.

 

             L'Invent'Hair perd ses poils. 

 

 

Romanèche-Thorins (Saône-et-Loire), photo de Marc-Gabriel Malfant, 26 mai 2008

 

      Poil et plume. "J’ai pris ce carnet tout petit, pour pouvoir le mettre en poche. J’aime l’avoir sur moi, m’occuper avec lui n’importe où, aussi subitement que je fais aujourd’hui en attendant mon tour chez le coiffeur." (André Gide, Journal, 10 mai 1906)

 

 

Bon dimanche.

 
Notules dominicales de culture domestique n°513 - 27 novembre 2011
 
DIMANCHE.
                  Presse. Le courrier des lecteurs de Vosges Matin du jour nous en apprend de belles sur la vie dans les clubs du troisième âge :
"Un septuagénaire se plaignait l'autre jour dans ces colonnes "d'être mis au placard" au Club des Myosotis d'Epinal. Ce qui a provoqué cette réaction de Mme Arlette Frebillot, la responsable du club incriminé, le 5 novembre.
"Je tiens à rectifier les propos de ce monsieur et pas anonymement (ce que lui avait fait, Ndlr). Il est adhérent du club depuis le 8 janvier 2007, ce qui fait à peine cinq ans et non sept. J'ai lui ai [sic] plusieurs fois proposé de jouer au tarot. Il a refusé car il y a une personne qui ne lui plaît pas ! Jouer à la belote, je ne pouvais pas déplacer une personne qui joue depuis de nombreuses années pour lui faire plaisir. De plus, il est difficile de la placer car il s'est permis de chatouiller des mamies qui n'ont pas apprécié."
 
 
JEUDI.
          Vie professionnelle. C'est la saison, dans nos collèges, des rencontres entre parents et professeurs. Des soirées à rallonge où les premiers viennent prendre auprès des seconds des nouvelles scolaires de leurs rejetons. Ces dernières semaines, j'ai reçu dans mon bahut de campagne une cinquantaine de papas mamans. Cinquante fois je suis allé les accueillir à la porte de ma salle de classe, cinquante fois je les ai priés de s'asseoir avant de le faire, cinquante fois je les ai raccompagnés jusqu'au seuil de la même porte. Avant-hier et aujourd'hui, je me suis déguisé en parent et je suis allé en compagnie de Caroline quêter, au collège de la ville, des informations sur le parcours académique des jeunes pousses de la Didionnée. Il a fallu que j'atteigne le septième professeur pour en voir un lever le cul de sa chaise. Les six autres et les suivants, je les imagine volontiers se répandre en jérémiades, à longueur de récréations, sur le manque d'éducation et de politesse des élèves qui leur sont confiés.
 
 
VENDREDI.
                 Vie littéraire. Je prends le 6 heures 24 pour Paris et j'arrive presque à l'heure au Colloque des Invalides, quinzième du nom si j'ai bien compté. Le thème en est cette année "Crimes et délits". Est-ce le côté intimidant du titre, son aspect judiciaro-policier qui l'a voulu, je ne sais mais il m'a semblé que la journée s'est déroulée dans un climat plus austère, moins débridé que lors des sessions précédentes avec des communications plus strictes et des débats moins passionnés - à l'exception de celui concernant le procès Léautaud-Perret, que chacun aurait aimé refaire à sa manière. En milieu d'après-midi, c'est un signe, l'attention d'un fameux chroniqueur du Monde qui siégeait deux rangs devant moi n'était d'ailleurs pas à son maximum, tout occupé qu'il était à échanger des papouilles un tantinet ridicules avec la jeunesse qui l'accompagnait. Mais les Invalides restent les Invalides et la qualité des propos échangés y est toujours de haute tenue. On y fait des découvertes (Henri Ducolombier, digne de figurer au rang des fous littéraires, qui recommande de s'attaquer au plus grand criminel - Dieu - et promet l'avènement du communisme pour l'année 3954; James Thurber, précurseur de la critique policière chère à Pierre Bayard; Alfred Loos, architecte ennemi de toute forme d'ornement; Peter Sotos et les murderzines présentés par Christophe Bourseiller), on y fait des révisions salutaires (l'affaire Joseph Vacher, Fantômas, la fascination des surréalistes pour certains criminels), on y parle de choses inattendues (les femmes violeuses, les divas tueuses, les guillotines mises aux enchères, la guerre de Crimée, les crimes dans les oeuvres de Delly). Tout cela sera bien sûr repris et développé dans les actes du colloque qui paraîtront, comme les précédents, aux éditions du Lérot. A ce sujet, on a pu constater cette année une nouveauté un peu fâcheuse. Comme on le sait, les communications aux Invalides sont limitées à cinq minutes. C'est ce qui fait l'originalité et l'attrait du colloque : présenter quelque chose de construit, de fini, en un temps très court. Or, s'il y eut cette année peu de débordements, on a pu voir quelques orateurs ne présenter qu'un survol, une ébauche, un apéritif en quelque sorte, de ce que sera leur texte imprimé. Ce ne fut le cas que de quelques-uns mais il ne faudrait pas que le phénomène s'étende, on n'est venu pour ça. Une fois les débats clos, je métrotte en amicale compagnie jusqu'au théâtre du Nord-Ouest où se tient une manifestation du Collège de 'Pataphysique. Nous arrivons dans le Paris de Lautréamont, je le sais mais je n'aurais sans doute pas trouvé tout seul cette plaque minuscule dans la cour du 7, rue du Faubourg-Montmartre, adresse à laquelle Isidore Ducasse fut retrouvé mort le 24 novembre 1870. C'est donc à Alain Chevrier, mon cicérone du jour, que l'on devra cette semaine...
 
                 ...Le cabinet de curiosités du notulographe.
 
 
 
SAMEDI.
             Lecture. Ecrire au pape et au Père Noël (Benoît Melançon, Del Busso, 2011; 168 p., s.p.m.).
                          Le saviez-vous ? Il existe une Association interdisciplinaire de recherche sur l'épistolaire (AIRE), éditrice d'une revue (Epistolaire) au sein de laquelle Benoît Melançon a publié, ces dernières années, un certain nombre de chroniques ici rassemblées. Benoît Melançon est spécialiste de la littérature française du XVIIIe siècle, une époque qui connut de fameux épistoliers des deux sexes. Autant dire qu'il maîtrise le sujet, sait quelle formule de politesse utiliser quand on écrit au Pape, citer Diderot et La Popelinière, mais sa compétence ne s'arrête pas à ce stade et il peut aussi bien parler des bouteilles à la mer que des pigeons voyageurs, des lettres dans les albums de Tintin que des lettres au Père Noël, des lettres dans le sport que dans le cinéma. Dans tous ces domaines, on le suit avec plaisir en regrettant parfois un aspect catalogue qui peut lasser. Mais surtout, l'épistologue, car c'est ainsi qu'on nomme un spécialiste de la correspondance - le terme aurait été forgé, semble-t-il, par Michel Pierssens, si je l'avais su à temps je lui aurais demandé confirmation hier aux Invalides - l'épistologue donc se penche sur la dernière forme de courrier en vogue, celle qui fait appel à l'électronique. Pas sur le mode du regret - mais où sont les lettres d'antan ? - mais sur le plan de l'analyse : comment fonctionnent les chaînes de courriel, quels sont les différents types de pourriel, peut-on envoyer un message post-mortem via Internet, ce genre de choses qui donnent au final une teinte sociologique très intéressantes à un ouvrage qu'on pourrait prendre au départ pour un simple recueil de curiosités plaisantes.
                          Citation. "On entend souvent dire que l'arrivée du courrier électronique va relancer la pratique de la lettre, que ceux qu'effrayait le papier vont se mettre à leur clavier, que la communication trouvera un nouveau souffle grâce à ce média. Tout cela est contestable [...]" Benoît Melançon écrivait cela en 2000. Aujourd'hui, on peut dire que cette "supposée renaissance" n'a pas eu lieu. Ceux qui n'écrivaient pas de lettres privées n'écrivent pas plus de courriels. Dans certains domaines, la correspondance papier a disparu sans être remplacée : on ne reçoit plus de cartes postales de vacances mais on ne reçoit pas de courriels de vacances, ce qui est une chance. Dans d'autres, la substitution s'est réalisée : faire-part, cartes de voeux, ça, ça marche. Mais soyons franc, ici, on n'en est guère friand : mieux vaut le silence qu'une parole au rabais. On est déjà bien heureux, technologiquement parlant, d'être à l'abri des SMS du nouvel an.
                          Distinctions honorifiques. Benoît Melançon est membre de la Société royale du Canada depuis 2008. Il est aussi notulien depuis 2009. On devine aisément de quelle distinction il tire le plus de fierté.
 
             L'Invent'Hair perd ses poils. 
 
Lyon (Rhône), photo de Marc-Gabriel Malfant, 30 mai 2008
 
 
LUNDI.
          Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Le livre des coïncidences du Dr Deepak Chopra en J'ai lu (2009).
 
 
MERCREDI.
                  Lecture. L'armée furieuse (Fred Vargas, Viviane Hamy, coll. Chemins Nocturnes, 2011; 432 p., 19,50 €).
                               Au fil d'une oeuvre s'étendant sur les quinze dernières années, Fred Vargas a su construire un univers policier parallèle très original et attachant autour de la figure du commissaire Adamsberg. Un commissaire lunaire, aux méthodes imprévisibles, chef d'une brigade inattendue comprenant un hypersomniaque, une obèse, un alcoolique, un réciteur de vers et on en passe, aux prises avec des affaires invraisemblables puisant leurs racines dans des croyances et des terreurs ancestrales. On lisait cela avec plaisir, les libraires adoraient aussi parce qu'ils en vendaient des tombereaux avec bonne conscience : c'était du "polar de qualité". L'armée furieuse permet d'assister en direct à l'effondrement de cet univers : les personnages, savamment construits au fil du temps, sont devenus des fantoches, le fil conducteur est une vieille légende poussiéreuse, l'absurde, si habilement dosé précédemment, pèse des tonnes. La recherche de l'originalité dans les personnages aboutit à une galerie de tordus (un homme qui parle à l'envers, un homme d'argile, un homme doté de six doigts à chaque main...) et l'enquête se résume à un aboutement de dialogues interminables et creux. C'est le combat de trop pour la brigade Adamsberg, le livre que Fred Vargas n'aurait pas dû écrire. On songe alors à Daniel Pennac qui, avec sa saga Malaussène, avait lui aussi construit un monde décalé tout à fait séduisant. Il en avait fait cinq livres, pas plus : il avait compris, à la différence de Fred Vargas, que la corde risquait de s'user et s'était tourné vers quelque chose d'autre - quelque chose de totalement insignifiant en l'occurrence mais là n'est pas la question. Il se peut que Fred Vargas insiste encore, il se peut même qu'elle retrouve de l'allant et fasse apparaître cet épisode comme un creux vite comblé, on aura du mal, désormais, à mordre à ses hameçons.
 
 
VENDREDI.
                 Lecture. Flaubert, une jeunesse d'ours : récit biographique (Thierry Poyet, L'Harmattan, coll. Espaces Littéraires, 2011; 206 p., 19,50 €).
                              Compte rendu à rédiger pour Histoires littéraires.
 
                 Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Les enfants de la terre, tome 2 : La vallée des chevaux, de Jean M. Auel, Presses de la Cité, 2002.
 
 
SAMEDI.
             Novembres. Eglise Notre-Dame cet après-midi. Deuxième enterrement du mois. Les mois de novembre sont meurtriers, j'y pense et en rentrant je vérifie dans mes cahiers des années précédentes. Les avis de décès, les nécrologies des connaissances occupent principalement les mois d'automne. Je n'ai pas souvenir d'un enterrement où je n'ai pas eu froid aux pieds.
 
              Football. SA Epinal - US Orléans 1 - 3.
 
             IPAD. 17 octobre 2010. 79 km. (13941 km).
 

137 habitants

     

      Pas de monument aux morts visible.
 
             L'Invent'Hair perd ses poils. 
 
Montville (Seine-Maritime), photo de Laurence Bessac, 31 mai 2008
 
             Poil et plume. "La mère de Patrick était coiffeuse à Saint-Germain, Patrick m’avait dit : "Va la voir, elle t’arrangera." Mais quand je suis sorti de là je me suis trouvé trop beau, et haïssable parce que trop loin de moi, trop propre pour ce que j’étais devenu, trop présentable, ce côté angélique me faisait horreur et j’ai tout détruit, la coiffure, le brushing, j’ai repris ma lame de rasoir pour me refaire tel que j’étais : hirsute et asocial." (Salim Jay citant L’Esprit de vengeance, de Christophe Donner, dans Du côté de Saint-Germain-des-Prés

 

 

Bon dimanche.