Notules
dominicales 2011
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Notules dominicales de culture domestique n°506 - 1er octobre 2011 |
DIMANCHE.
Lecture. Les héritiers d'Avril (Pierre Véry, Hachette, coll. Bibliothèque verte, 1960; rééd. in "Les Intégrales du Masque", tome 1, Librairie des Champs-Elysées, 1992; 1024 p., s.p.m.).
Drôle de construction dans ce recueil de Pierre Véry puisqu'après Les disparus de Saint-Agil (1935) et Les anciens de Saint-Loup (1944), on passe directement à ces Héritiers d'avril, héros du dernier livre de l'auteur. Peut-être à cause de l'enfance, une fois de plus au coeur de l'histoire : c'est un trio de gamins qui mène l'enquête, mais celui-ci avait déjà opéré dans Signé Alouette... Quoi qu'il en soit, l'histoire de ce titre est intéressante car elle commence dans le journal Pilote où il fut publié en feuilleton, Pierre Véry ayant répondu à une commande de René Goscinny. Les héritiers de Noël Avril s'y lancent à la poursuite d'un trésor que leur a légué leur ancêtre, un trésor dont la localisation est cachée dans une énigme qui va mettre leurs méninges à rude épreuve. Ce sont les plus jeunes, déjà mentionnés, qui trouveront la clé en faisant preuve d'un esprit quasi oulipien dans leur habileté à déchiffrer des phrases homophones. C'est un roman vif, accessible également aux adultes, dans lequel Pierre Véry rassemble un certain nombre de thèmes qui ont fait sa fortune : cryptogrammes, masques, fausses identités, enfance, insolite, sans oublier les coups de chapeau à Edgar Poe et à Jules Verne.
MARDI.
Lecture. Contes divers - 1883 (Guy de Maupassant, in "Contes et nouvelles", Robert Laffont/Quid, coll. Bouquins, 1988, vol. 1; 1160 p., 120 F).
Il s'agit de nouvelles parues en 1893 dans le Gil Blas ou dans Le Gaulois. Certaines ont été reprises dans des recueils posthumes (Le Père Milon, Le Colporteur), les autres ont dû attendre les hasards des oeuvres complèteschez Conard ou ailleurs. Le cru 1993 n'est pas exceptionnel, il me semble avoir lu mieux dans les recueils précédents, les chutes sont parfois un peu décevantes. Mais il y a un vrai bijou, "Première neige", l'histoire de cette femme qui décide de se rendre malade pour que son rustaud de mari se décide à lui acheter un calorifère, qui vaut à elle seule le détour.
VENDREDI.
Lecture. Manuel (Epictète, Ier siècle, traduction, notice et notes par J. Pépin, in "Les Stoïciens", Gallimard, 1962, Bibliothèque de la Pléiade n° 156; 1504 p., 52,90 €).
La Pléiade conclut son volume sur les stoïciens par les deux textes qui sont les plus "grand public" du mouvement, les Pensées de Marc-Aurèle (déjà lues dans une autre édition) et le Manuel d'Epictète. On trouve dans ce dernier ouvrage, ou plutôt dans les bribes qui sont parvenues jusqu'à nous, des passages célèbres comme celui-ci : "A propos des choses qui t'enchantent, te rendent service ou te sont chères, n'oublie pas de formuler quelle elle est, en commençant par les plus petites; si tu aimes une marmite, dis "J'aime une marmite"; ainsi, si elle se casse, tu ne seras pas troublé; si tu embrasses ton petit enfant ou ta femme, dis-toi que tu embrasses un être humain; ainsi, s'il meurt, tu ne seras pas troublé." Le marmot ramené au rang de la marmite, chapeau, Epictète.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Carnet nécrozoologique du Figaro, 7 novembre 2008.
SAMEDI.
Vie provinciale. Me voilà de nouveau à Nancy pour l'après-midi. J'y étais déjà il y a quinze jours. Il fut un temps où des séjours aussi rapprochés dans cette ville m'auraient paru bien pesants. Bien sûr, il me faut encore des prétextes pour m'y rendre, un prétexte littéraire l'autre fois, un prétexte musical aujourd'hui, mais il viendra peut-être un jour où je m'y rendrai par pur plaisir. J'ai longtemps entretenu des rapports peu amènes avec cette ville, haïssant en bloc ses étudiants prétentieux, ses bobos imbuvables, son recteur et ses sbires, son club de football, son Philippe Claudel, tout, jusqu'à l'air qu'on y respirait. La raison de cette aversion n'est pas difficile à trouver : j'ai toujours été victime du complexe d'infériorité qui veut que le Vosgien expatrié chez Stanislas ait immanquablement conscience de la couche de fumier qu'il trimbale sous les sabots, aidé en cela par l'attitude d'une population locale volontiers goguenarde et méprisante à son endroit - sur ce plan, les choses ont peu changé, je peux m'en rendre compte chaque jour au boulot. Mais je parviens désormais à passer outre et à trouver quelque plaisir à déambuler dans les rues de Nancy. Ainsi, j'ai réussi aujourd'hui à m'échapper un moment pour visiter une exposition consacrée à Jacques Gruber. J'en suis sorti émerveillé. Jacques Gruber n'est pas le phare le plus brillant de l'Ecole de Nancy mais il a, comme tous ses collègues de l'époque, une propension à tirer des choses extraordinaires de tous les matériaux qu'il a sous la main, le cuir, le verre, la céramique, le bois, le papier, le métal. Tout y passe. Ses vitraux, le genre dans lequel il s'est spécialisé à la fin de sa vie, sont des splendeurs. Ceux qui sont présentés ici, comme les pièces de mobilier, étaient destinés à des bâtiments industriels ou bancaires, à des demeures de médecins, de dentistes, de directeurs de ceci, d'administrateurs de cela, de grands bourgeois qui avaient du fric et du goût, une conjoncture qui semble difficile à imaginer aujourd'hui. J'apprends en rentrant que L'AS Nancy-Lorraine n'a pu que faire match nul et reste à la dernière place de la première division. Je ne m'en trouve pas chagrin : je ne suis pas encore tout à fait guéri.
IPAD. 29 juillet 2010. 65 km. (13280 km).
1903 habitants
C’est le modèle "Poilu braillard" déjà rencontré à Autigny-la-Tour, Bettegney-Saint-Brice, Brouvelieures, Corcieux et La Croix-aux-Mines, le modèle signé Eug. Bénet et réalisé aux Etablissements Métallurgiques A. Durenne à Paris (les deux signatures figurent de chaque côté du socle de la statue) avec, me semble-t-il, une variante : le tronc d’arbre coupé derrière le soldat. Il figure au centre d’un carré recouvert de gravier fin, entouré d’une grille basse métallique dont les angles sont marqués par des obus dressés.
Face :
A la glorieuse mémoire Des enfants de Dommartin Morts pour la France 1914-1918
Une plaque a été ajoutée, émanant du Souvenir Français :
Ils sont morts pour que la France vive 14 18 – 39 45 – TOE – AFN Souvenez-vous
En avant, une dalle dressée :
Aux victimes de la guerre 1939-1945
Militaires Civiles 8 noms 4 noms de FRANCOIS Adolphe de Mme KLEIBER André à CLAUDEL Maurice à VALENTIN Roger
Gauche : 19 noms de AUBEL Léon à LAURENT Louis
Droite : 19 noms de LEMOINE Pierre à VINCENT Julien
Mais l’élément remarquable est la présence, à la base, de trois vitrines présentant des plaques individuelles pour 25 soldats, sur lesquelles on peut voir leur portrait accompagné de leur état-civil et du lieu de leur mort.
L'Invent'Hair perd ses poils.
Carcassonne (Aude), photo d'Eléonore Trois, 26 avril 2008
Poil et plume. "Je m’y rendais chaque année deux ou trois fois, le mercredi après-midi, en serrant dans la main droite une pièce de cinq francs. J’avais à traverser le Valentin et l’avenue Vinet. Je n'attendais pas longtemps. Il m'invitait d’un geste vif à m'asseoir après avoir glissé un tiroir sous le coussin de cuir du fauteuil. Il ressemblait à Steve Warson, cheveux roux, en brosse, menton carré, je l'admirais, on ne se parlait guère. Il jetait dans les airs une cape blanche qui retombait au ralenti sur mes épaules. Je regardais alors dans le miroir, pendant une bonne vingtaine de minutes, l'habile danse qu'exécutaient la paire de ciseaux que faisait cliqueter en continu le prestidigitateur au-dessus de ma tête et le peigne qui virevoltait d'une main à l'autre.
Ecrire, effacer, danser, couper, coiffer, virevolter, c'est tout un." (Jean Prod’hom, lesmarges.net, 2 février 2009) Bon dimanche.
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Notules dominicales de culture domestique n°507 - 8 octobre 2011 |
LUNDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Richard Ford, Indépendance en Points Seuil (1997)
Lecture. Histoires à vous glacer le sang (Get Me To the Wake on Time, 1970, in "Alfred Hitchcock présente 100 nouvelles histoires extraordinaires", Collectif, Presses de la Cité, 1994; 1260 p., 145 F). Deux numéros se détachent de cette série de nouvelles qui, comme les autres recueils de la collection, sont dues à de bons artisans grands pourvoyeurs de magazines américains spécialisés (Alfred Hitchcock's Mystery Magazine, Choc Suspense, Mystère Magazine et tant d'autres) : "Le maître des tambours" d'Arthur Porges, qui confine au fantastique, et "Lucrezia", une histoire de jalousie dans une communauté de mineurs italiens du Wisconsin, un Germinal en douze pages tout à fait suffisant.
MARDI.
En feuilletant Livres Hebdo. Patrick Gepner, La médecine pour les nuls, First Editions 2011, 600 p., 22,90 €. C'est promis, j'attends la sortie du volume sur la chirurgie et je me lance.
MERCREDI.
Brève de train. Une lycéenne, dans le 7 heures 31 : "A la gare, ils ont même pas de pain au lard. Sinon, j'en aurais pris trois : un pour tout de suite, un pour dix heures et un pour midi. Hein ? Mais non je suis pas au régime."
Vie littéraire. Je reçois le programme du XVe Colloque des Invalides qui se tiendra le vendredi 18 novembre 2011 au centre Culturel canadien, rue de Constantine à Paris. Les notuliens savent que je ne rate jamais une édition de cette manifestation à la fois légère et érudite dont l'originalité est de rassembler des gens de tous horizons venus disserter pendant cinq minutes, pas plus, sur un thème choisi, cette année "Crimes et délits". Au programme : Alain Zalmanski, Christophe Bourseiller, Marc Décimo, Alain Chevrier, Dominique Noguez, Pierre Bayard... Sur les coups de 14 heures 30, on saura tout de l'affaire Léautaud - Perret. Miam. Les notuliens intéressés peuvent me faire signe pour recevoir le programme détaillé.
JEUDI.
Lecture. Mes inscriptions 1943-1944 (Louis Scutenaire, Gallimard, 1945, rééd. Allia, 1982 puis 2007; 256 p., 9 €).
C'était il y a une quinzaine de jours, à la radio. Jean-Pierre Verheggen, le même Jean-Pierre Verheggen qui inscrivit un soir "Tu verras !" sur mon exemplaire de son recueil On n'est pas sérieux quand on a 117 ans, y citait une phrase de son compatriote Scutenaire. Quelque chose comme "Il y a beaucoup d'hommes qui meurent, mais ce ne sont jamais les mêmes." Quelque chose qui m'a donné envie de retrouver ce volume d'Inscriptions et d'y consacrer quelque temps. La phrase en question n'y figure pas, mais elle doit bien être quelque part, n'oublions pas que quatre volumes ont suivi celui-ci, qui donne déjà beaucoup à faire et à dire. Pour être bref, les inscriptions de Scutenaire sont des aphorismes, des pensées égrenées au jour le jour. L'une des premières tient en peu de mots : "Les romans sont trop longs". Les recueils d'aphorismes aussi : comme tous les exemplaires du genre, qu'on les doive à La Bruyère ou à Pierre Dac, celui-ci est à la longue indigeste. Il faudrait se contenter d'une phrase et la mâcher pendant une semaine avant de passer à la suivante, histoire de voir si elle résiste, si elle garde sa saveur. Pascal, Les Pensées, ça marche très bien, essayez avec, au hasard, "Qu'une chose aussi visible qu'est la vanité du monde soit si peu connue, que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c'est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admirable". Le même test dégonflera illico quelques baudruches du genre d'André Blanchard. Toutes les phrases de Scutenaire n'y résisteront pas non plus, d'ailleurs, mais ce n'est pas grave. Car ce monsieur, qui fut tout de même la figure de proue du surréalisme belge avec Magritte et Paul Nougé, a d'autres tours dans son sac : des citations, des récits de rêves, des dialogues express, des souvenirs autobiographiques, des hommages, des poèmes. En sautant de l'un à l'autre, on oublie les entrées un peu faiblardes pour retenir les pépites. Au fil du texte se dessine le portrait d'un homme pessimiste mais heureux de vivre, faussement (?) sûr de lui ("Si on ne me lit plus dans mille ans, on aura tort"), fidèle en amitié (Nougé, Colinet), en admiration (Lautréamont, Stendhal) et en détestation (Goethe), fortiche en humour noir, en absurde et en à-peu-près ("J'ai plus de souvenirs que si j'avais Turin"). Pour en revenir aux aphorismes, force est de constater que leurs auteurs "modernes" semblent toujours tributaires de leurs glorieux aînés, La Rochefoucauld, Chamfort et consorts, et se croient obligés, pour payer leur écot, d'user d'une langue un brin archaïque qui se veut un écho des tournures dix-septième ou dix-huitièmistes. On trouve ce travers dans le Journal de Gide, par exemple, et Scutenaire n'y échappe pas : "Que la vie humaine soit de nulle valeur est une raison pour ne la point dépenser". Commenter un recueil d'aphorismes comporte, pour finir, un exercice obligatoire : la citation. On ne les multipliera pas ici, en observant le précepte de Scutenaire ("Savoir arrêter les citations au bon moment") mais on en livrera une pour la bonne bouche, celle qu'on regrette de n'avoir su écrire : "J'ai usé mon existence à tenter de voir le moins possible de gens. C'est fort malaisé pour qui demeure en ville."
VENDREDI.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Paris, 2011, photo de PCH.
SAMEDI.
Football. SA Epinal - AS Cherbourg 3 - 3.
IPAD. 15 août 2010. 78 km. (13358 km).
59 habitants
Pas de monument aux morts visible. L’église est fermée.
L'Invent'Hair perd ses poils.
Lunéville (Meurthe-et-Moselle), série de Marc-Gabriel Malfant, 10 mai 2008
Poil et plume. "Les cheveux des deux sexes sont noirs ou brun foncé, fins chez les uns et grossiers chez les autres; les femmes les portent coupés et ondulés, tombant jusqu’au cou. Ils prennent grand soin d’être bien coiffés et décorent leurs cheveux de fleurs odorantes, s’efforçant de se débarrasser de la vermine, et sont pour cela très friands de nos peignes et de nos ciseaux pour les tailler, une dent de requin étant le seul instrument qu’ils possèdent pour se couper les cheveux. Bien que les femmes détestent autant que nous avoir de la vermine dans les cheveux, les hommes ne sont pas si délicats et beaucoup d’entre eux la mangent." (James Morrison, Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty)
Bon dimanche. |
Notules dominicales de culture domestique n°508 - 15 octobre 2011 |
LUNDI.
Vie aptonymique. "Une météorite a été découverte dans le toit d'un pavillon de Draveil (Essonne) loué par une mère de famille de 39 ans au nom prédestiné, Martine Commette" (Vosges Matin du jour). Cette information a été remarquée par plusieurs notuliens qui me l'ont signalée, merci à eux. On touche ici à ce que l'on pourrait appeler l'aptonymie circonstancielle, voire accidentelle.
MERCREDI.
Lecture réchauffée. Comme la semaine s'annonce maigre, retournons un instant chez Scutenaire pour une de ses Inscriptions :
"L'opium est un produit qui a fait écrire un ouvrage splendide à Thomas de Quincey et m'a causé deux migraines horribles. J'ai vu prendre de l'éther sur un morceau de sucre par des dames qui avaient des vapeurs. La cocaïne fait gagner de l'argent à des personnages pittoresques et m'a donné une névralgie faciale dont je me souviens après quinze ans. On m'a fait des piqûres de morphine quand j'étais fort malade. Le nom de l'héroïne me déplaît. J'ai eu très mal au coeur et à la tête après avoir fumé du chanvre pour faire comme les nègres. L'alcool et le tabac sont d'estimables compagnons."
JEUDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Eric Pearl, La reconnexion : guérir les autres, se guérir soi-même, Ariane,1998.
VENDREDI.
Epinal - Châtel-Nomexy (et retour). Meg Cabot, Embrouilles à Manhattan, Marabout, 2006.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Puisqu'il était question en début de semaine d'aptonymie circonstancielle, en voici deux exemples tirés de la rubrique nécrologique de L'Est Républicain (7 et 8 mai 2009). Le second est bien entendu un contraptonyme.
SAMEDI.
IPAD. 23 août 2010. 114 km. (13472 km).
336 habitants
Le monument est sur les hauteurs du village, un peu isolé, sur une place judicieusement nommée place du Monument. C’est une stèle de pierre grise, sur une esplanade en U semée de cailloux blancs. Les haies qui l’entourent et les plantes qui le bordent sont négligées. De même, la dorure des lettres a presque totalement disparu.
La commune reconnaissante 1914-1918
A. RAPIN M. ROUYER C. CUNIN P. COLSON P. AUDINOT Q. DUVAL L. AUDINOT J. PILLOT R. OUDARD E. LECLERC C. LOMBARD N. TOUSSAINT H. THIRIET O. GOUZY A. DURAND H. DURAND L. TOUSSAINT E. GOUZY M. MAGINEL
Sur une plaque ajoutée à la base :
BONEL Louis Victime du bombardement 1944 RAPIN Roger Déporté politique Mort en Allemagne 1945
L'Invent'Hair perd ses poils.
Saint-Bonnet-de-Joux (Saône-et-Loire), photo de Bernard Gautheron, 11 mai 2008
On suppose que la coiffeuse s'appelle Esther.
Poil et plume."Un jour, j'avais sept ans, mon grand-père n'y tint plus : il me prit par la main, annonçant qu'il m'emmenait en promenade. Mais, à peine avions-nous tourné le coin de la rue, il me poussa chez le coiffeur en me disant : "Nous allons faire une surprise à ta mère". J'adorais les surprises. Il y en avait tout le temps chez nous. Cachotteries amusées ou vertueuses, cadeaux inattendus, révélations théâtrales suivies d'embrassements : c'était le ton de notre vie. [...] les coups de théâtre faisaient mon petit ordinaire et je regardai avec bienveillance mes boucles rouler le long de la serviette blanche qui me serrait le cou et tomber sur le plancher, inexplicablement ternies; je revins glorieux et tondu. Il y eut des cris mais pas d'embrassements et ma mère s'enferma dans sa chambre pour pleurer : on avait troqué sa fillette contre un garçonnet. Il y avait pis : tant qu'elles voltigeaient autour de mes oreilles, mes belles anglaises lui avaient permis de refuser l'évidence de ma laideur. Déjà, pourtant, mon œil droit entrait dans le crépuscule. Il fallut qu'elle s'avouât la vérité. Mon grand-père semblait lui-même tout interdit : on lui avait confié sa petite merveille, il avait rendu un crapaud ; c'était saper à la base ses futurs émerveillements." (Jean-Paul Sartre, Les Mots)
Bon dimanche. |
Notules dominicales de culture domestique n°509 - 23 octobre 2011 |
DIMANCHE.
Lecture. En mémoire de la forêt (In the Memory of the Forest, Charles T. Powers, Scribner, 1997 pour l'édition originale, Sonatine, 2011 pour la traduction française, traduit de l'américain par Clément Baude; 480 p., 22 €). On est ici face à un destin qui fait penser à celui de Stieg Larsson, l'auteur du fameux Millénium : Charles T. Powers est mort brutalement peu après la remise de son manuscrit. Il n'aura pas un destin posthume aussi doré, c'est certain, mais on regrettera qu'une oeuvre aussi prometteuse demeure sans lendemain. Avant de se consacrer à l'écriture, Charles T. Powers était correspondant du Los Angeles Times à Varsovie, d'où il dirigeait le département Europe de l'Est. Et c'est en Pologne qu'il situe son roman, une Pologne dont il a su parfaitement d'imprégner pour en donner une vision qu'on imagine fidèle. L'action se situe peu après la chute du Mur de Berlin et se déroule dans un village dont les habitants sont brutalement confrontés à une nouvelle manière de vivre. Nouvelle, pas totalement, puisque les enjeux restent les mêmes, l'influence, le pouvoir, mais cette fois la course est ouverte et de nouveaux concurrents sont sur les rangs. On assiste à une lutte d'influence entre les anciens correspondants locaux du parti et les nouveaux arrivants bien décidés à prendre leur place. Là-dessus se greffe une nouvelle économie qui, avec ses pots-de-vin et ses trafics en tous genres, ne diffère pas vraiment de l'ancienne. Avec tout ce matériel à sa disposition, plus les souvenirs qui peuvent rôder dans un village proche de Treblinka, l'auteur n'avait pas vraiment besoin de l'intrigue policière qu'il a tenu à incorporer, d'ailleurs le bouquin est trop long et aurait gagné à être resserré. Il reste, malgré ce défaut, un livre intéressant et malheureusement sans suite.
VENDREDI.
Lecture. Les Moments Littéraires n° 24 (Les Moments Littéraires, 2e semestre 2010; 128 p., 12 €).
"Revue de littérature"
Le dossier Pierre Bergounioux qui est à l'origine de cet achat et de cette lecture s'ouvre sur une présentation du bonhomme par François Bon, qu'on avait déjà pu lire en ligne à l'occasion de la sortie du premier volume de Carnets de notes. Depuis, un deuxième volume est paru, le troisième est prêt, il devrait arriver en 2012, et on en découvre ici quelques feuillets concernant l'été 2003. Un entretien accordé par Bergounioux permet de découvrir quelques secrets de fabrication de ces Carnets et rassurera ceux qui craignent qu'ils s'interrompent : "Oui [je vais continuer à publier ces carnets]. Il aurait fallu ne jamais commencer. Pas de jour auquel je ne me crois tenu de demander quel il a été, ce qu'il m'a pris, ce qu'il m'a donné, s'il s'inscrit bien dans la vertigineuse procession des années, de la vie." Tant mieux.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Publicités peintes pour Le Petit Journal.
Bleurville (Vosges) Ceyroux (Creuse)
Domjulien (Vosges) ? (Dordogne)
Saint-Quentin-la-Chabanne (Creuse) SAMEDI.
Football. SA Epinal - Besançon Racing Club 2 - 1.
Lecture. Le tour du monde en quatre-vingts jours (Jules Verne, Bibliothèque d'Éducation et de Récréation J. Hetzel et Cie, 1873; rééd. Omnibus, in "Les romans du feu", 2002, édition présentée et commentée par Claude Aziza; 950 p., 22,20 €).
IPAD. 30 août 2010. 41 km. (13513 km).
1024 habitants
C’est une stèle de belle taille, en grès rose, qui se dresse à proximité de la gare désaffectée. Elle est entourée d’une barrière métallique bleue, décorée de palmes collées et d’une croix de guerre en bas-relief. Le parterre est fleuri en rouge et blanc, le bleu est fourni par les deux mâts portant un écusson RF.
Face :
1914-1918
Morts pour la France
Sur une plaque ajoutée à la base :
Les résistants à leur chef de section F.F.I. René VIRTEL Et à leurs camarades morts en déportation
Gauche :
Madonne Et Lamerey
25 noms d’A. BOYE à A. LHUILLIER
Sur la base :
1939-1945
9 noms dont une victime civile
Droite :
Dompaire Laviéville
37 noms d’A. HUC à R. PETITPOISSON
Sur la base :
1939-1945
10 noms dont 2 victimes civiles
En ce qui concerne les victimes de 14-18, les noms sont classés selon le nombre de lettres qu’ils comprennent, du plus petit (Boyé/Huc) au plus grand (Lhuillier/Petitpoisson). Cette disposition donne à la liste un aspect qui épouse celui de la colonne sur laquelle elle est inscrite, plus large à la base qu’au sommet.
Le monument est signé SOUVAY H.F. 1956 PELLEGRIN U. 1957 L'Invent'Hair perd ses poils.
Tourlaville (Manche), photo de Sibylline, 5 mai 2008 Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire), photo de Benoît Howson, 16 août 2009
Poil et plume. "De l'autre côté, sous le pont du chemin de fer, Bloom apparaît rouge, essoufflé, fourrant du pain et du chocolat dans une de ses poches. Dans la vitrine de Gillen le coiffeur, un portrait composite lui montre l'image de l'héroïque Nelson." (James Joyce, Ulysse)
Bon dimanche |
Notules dominicales de culture domestique n°510 - 30 octobre 2011 |
DIMANCHE.
Courriel. Une demande d'abonnement aux notules.
LUNDI.
Vie littéraire. Je boucle et envoie mon article sur la réception de Georges Perec, article que je m'étais promis de finir cet été. Parution début 2012 dans Histoires littéraires.
MARDI.
En feuilletant Livres Hebdo. Martine Sonnet, L'éducation des filles au temps des Lumières, CNRS éditions, 10 €. C'était notre rubrique copinage : Martine Sonnet est une notulienne canal historique.
JEUDI.
Courrier littéraire. Je reçois le n° 47 d'Histoires littéraires dans lequel je signe un "Propos" et des notes de lecture sur Antoine Blondin, Demandez le journal ! Drôles de drames à Montmartre et le centenaire Gallimard. Cela pour l'anecdote. Pour ce qui est de l'essentiel, des extraits du Journal de A à Z de René Fallet promettent de longs instants de dégustation.
VENDREDI.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Gendreville (Vosges), 25 septembre 2011.
SAMEDI.
Lecture. Sodome et Gomorrhe (Marcel Proust, Gallimard, 1921-1922, rééd. Gallimard, A la recherche du temps perdu II, Bibliothèque de la Pléiade n° 101, édition établie et présentée par Pierre Clarac et André Ferré, 1954; 1230 p., s.p.m.).
IPAD. 7 septembre 2010. 98 km. (13611 km).
275 habitants
C’est un monument neuf, une plaque composée de deux nuances de marbre, adossée au mur du cimetière entre deux hauts thuyas. Deux vasques de géraniums et un parterre jaunissant sont réquisitionnés pour égayer le pavage.
Dompierre A ses enfants Morts pour la France
Gauche :
1914-1918
Constant PIERROT 8 déc 1914 Emile MANSUY 30 déc 1914 Joseph BEDON 17 mars 1915 Lucien DIDIERJEAN 9 mai 1915 Alfred MOREL 10 mai 1915 Louis DEMENGEON 9 sept 1919 Aimé EURIAT 4 août 1918 Adrien GUERARD 19 janvier 1919
Droite :
1939-1945
Henri BONTEMS 16 avril 1944 Joseph BONTEMS 17 mai 1946
VICTIME CIVILE
René MONGEL 4 octobre 1944
ALGERIE
Maurice PIERROT 6 avril 1959
Le monument est signé VALSESIA Thaon.
L'Invent'Hair perd ses poils.
Paris, sans précision, photo de Bernard Visse, 19 mai 2008 Paris, rue du Four, photo de Pierre Cohen-Hadria, 19 juin 2008 Poil et plume. "Passepartout remarqua un certain nombre d'indigènes vêtus de jaune, tous très avancés en âge. Etant entré chez un barbier chinois pour se faire raser "à la chinoise", il apprit par le Figaro de l'endroit, qui parlait un assez bon anglais, que ces vieillards avaient tous quatre-vingts ans au moins, et qu'à cet âge ils avaient le privilège de porter la couleur jaune, qui est la couleur impériale." (Jules Verne, Le tour du monde en quatre-vingts jours)
Bon dimanche. |